Chapitre 33

Write by Auby88

Femi AKONDE


Nous venons d'arriver devant l'immeuble où vit Paula. Je descends pour lui ouvrir sa portière.

- Femi, t'es sûr que tout va bien ?

Je hoche la tête.

- Ne t'inquiète pas pour moi. Je suis un grand garçon !

- C'était ton ex, n'est-ce pas ?

- Je préfère ne pas parler d'elle.

- Tu ne devrais pas garder tout ce que tu ressens en toi. Ce n'est pas bien pour ta santé.

Paula, ma grande amie ! Je m'efforce de lui sourire.

- Merci de te soucier autant pour moi ! dis-je en lui déposant une bise sur le front. Rentre te reposer, il est bien tard maintenant.

- D'accord, mais si tu as besoin d'une oreille, appelle-moi.

- J'ai compris. On se voit après-demain au boulot. Bon dimanche par avance.

- Je te remercie.


J'attends qu'elle pénètre l'immeuble avant de remonter en voiture. Un quart d'heure plus tard, je suis chez moi. Je desserre ma cravate et me débarrasse de mon costard que j'envoie balader sur le lit. Mes chaussures, mes chaussettes et tout le reste s'en suivent. Me voilà en tenue d'Adam. Je m'en vais dans la salle de bain me rafraîchir la peau. J'en avais grand besoin. Je laisse l'eau couler sur mon corps.

Tout en moi n'est que rage. Quand je me retrouve dans cet état d'âme, je m'efforce de garder mon calme, de demeurer silencieux pour ne point choquer quelqu'un.

Eh oui, je suis ainsi. Je souris beaucoup mais il m'arrive d'avoir des accès de colère que je minimise autant que possible. C'est sans doute pour cela que je n'ai pas répondu à Aurore. Il faudra bien que je m'explique avec elle, mais pour l'heure, je ne me sens pas prêt à l'écouter.


Pour me libérer, je crie de toutes mes forces. Seul entre ces quatre murs de la salle de bain, j'exprime toute la douleur que je ressens, toute cette rage que j'ai envers la mère de fille, cette femme plus qu'égoïste...


Au milieu de mon amertume, je revois ce visage angélique, avec ses petites lèvres rosées qui m'ont appelé PAPA. Mon cri laisse place au rire. Je ris, je ris comme jamais auparavant, je ris à n'en plus finir, tellement je suis heureux d'être PERE. Et c'est le seul sentiment que je veux garder en moi cette nuit. Je veux pouvoir m'endormir en rêvant de ma fille. Je me demande comment elle m'a reconnu. Quoi qu'il en soit, je suis papa et c'est l'essentiel. Le reste importe peu.



***************

Aurore AMOUSSOU

J'ai passé une nuit blanche. Je revis encore et encore la scène avec Femi. Je m'attendais à tout de sa part, sauf à ce qu'il m'ignore de la sorte. J'aurais même souhaité qu'il me crie dessus.


Depuis deux mois, je suis rentrée au Bénin. Je sais que j'aurais pu l'informer par rapport à Arabella, mais je n'ai fait aucune démarche dans ce sens. Je me suis juste concentrée sur les préparatifs du défilé. Eh oui, il y avait beaucoup à faire.

Jamais, je n'aurais pensé le croiser hier. Jamais, je ne me serais doutée qu'Arabella le reconnaitrait si vite parmi mille.


Quelqu'un toque contre ma porte.

- Qui est-ce ?

- Moi, mademoiselle.

C'est la femme de ménage.

- Entre.

- Vous avez de la visite. C'est Monsieur Femi…

Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Je stresse déjà à l'idée de le revoir. Il vient sûrement pour qu'on s'explique. J'inspire profondément avant de le rejoindre.


 * *

 *


Il est là debout au salon. Je ne le vois que de dos.  

- Bonjour Femi.

Vers moi, il se retourne.

- Je viens voir ma fille.

Il me lance ces mots sans répondre à mon salut.

- Arabella dort encore. Mais elle ne tardera pas à se réveiller. Tu peux attendre dans le canapé si tu veux.

- Non merci, je préfère rester sur la terrasse. Fais-moi signe quand elle sera réveillée.

Son regard reste ailleurs, ses mains plantées dans les poches de son jean Wrangler. Je m'arme de courage pour continuer la conversation.

- Femi, il faut qu'on parle.

- Moi, je n'ai rien à te dire.

Sur ce, il tourne les talons et quitte le salon. Je le suis.

- Tu ne peux continuer à m'ignorer de la sorte !

- Il vaut mieux pour toi que tu me laisses tranquille.

- Femi, je…

- Laisse-moi seul Aurore.


Je n'abandonne pas.

- Je m'excuse de ne t'avoir pas parlé d'Arabella.

- Arrête, Aurore.

- S'il te plaît, écoute-moi. J'étais déjà à 3 mois quand j'ai appris que j'étais enceinte. Cela a été la plus grande surprise de ma vie. Au début, j'ai hésité à t'en parler, car j'avais peur de ta réaction ; d'autant plus que c'est en partie pour cela que j'ai rompu avec toi.

Il me fixe.

- Par la suite, je me suis décidée à tout t'avouer. Quand je t'ai contacté, tu m'as raccroché au nez et bloqué mon numéro. Après ça, je ... me suis résolue à continuer ma vie sans toi et à te laisser vivre la tienne...

A présent, il fixe un point dans le vide. Je sais qu'il continue de m'écouter, même s'il donne l'air du contraire.

-  Quand Arabella a eu 1 an, j'ai encore tenté de t'informer. Mais je suis tombée sur une femme et je me suis dit que tu avais certainement refait ta vie. Je ne voulais pas la troubler. Je..


Ses yeux​ convergent à nouveau vers moi.

- Qu'espères-tu en me racontant tout cela ?

- Je veux juste t'expliquer pourquoi …

- Arrête ton baratin sans queue ni tête ! Tu te ridiculises ainsi, Aurore. Tu as eu trois ans pour m'annoncer que j'étais père. Aujourd'hui, tu es là à me servir des raisons futiles pour libérer ta conscience. Maintenant que j'y repense, je parie que tu avais invoqué cette histoire de stérilité juste pour me quitter, sans doute parce que je n'étais pas assez bien pour toi. Et ce, indépendamment de l'incident avec ma mère.


Je secoue vivement la tête.

- Tu peux tout penser de moi, mais pas cela. C'est par amour pour toi que j'ai fait beaucoup de sacrifices, que je t'ai quitté pour que tu aies la chance de rencontrer celle qui te conviendrait et qui aurait l'assentiment de ta mère.

- Alors, c'est par amour pour moi que tu m'as fait autant mal ?

Le sarcasme dans sa voix me désoriente. Je ne sais pas quoi lui répondre.  

- Tu ne m'as jamais aimé, n'est-ce pas, Aurore ? Reconnais-le, une fois pour toutes et arrête cette farce sordide.

Je reprends mes esprits.

- Ne … dis pas cela, Femi. Jamais je n'ai aimé un homme comme je ...

Les mots " JE T'AIME"  restent étriqués dans ma gorge. Femi ne me laisse pas achever ma phrase.

- Balivernes ! Mensonge ! me lance-t-il à la face. Il vaut mieux qu'on s'en arrête là.

- Femi !

- Laisse-moi seul, Aurore. Notre passé est enterré. Pas la peine de le ressasser pour trouver un coupable.

- Tu es injuste avec moi, Femi.

Il hausse le ton.

- Moi, injuste avec toi. T'es sérieuse ? Je préfère ne pas te répondre.

- Je …

- Je t'ai assez entendue, Aurore ! A présent, fiche-moi la paix !

- Mais…

- Je veux juste voir ma fille. Est-ce que c'est si difficile à comprendre ?

Il cogne sur la table et se lève. Ses yeux restent empreints de colère.


Là, je ne m'attendais pas à une pareille réaction. Je ne dis plus mot. Je suis sur le point de m'en retourner à l'intérieur quand j'entends "PAPA".

C'est Arabella. Femi se retourne aussitôt et elle accourt dans ses bras. L'intruse, c'est moi. Arabella ne m'a même pas dit bonjour. Elle n'a d'yeux que pour ce père dont je lui ai toujours parlé mais qui aujourd'hui me déteste tant. Je rentre à l'intérieur et me terre dans le salon. C'est si pénible pour moi de supporter autant de mépris de la part de Femi. Je sais qu'il en a le droit, mais chacun de ses regards accusateurs, réprobateurs me transpercent le coeur.

Je les entends parler. Je les entends rire. Ma poitrine se serre. C'en est trop pour moi. Je vais me réfugier dans la cuisine pour fuir leurs voix.


Une demi-heure plus tard, j'entends Arabella qui m'appelle. Je quitte la cuisine pour le salon. Dans ses bras est logée une jolie poupée. Je devine que c'est un cadeau de son père.

- Maman, regarde ce que papa m'a donné.

- Une poupée aussi mignonne que ma princesse ! Tu lui as dit merci ?

- Oui, maman.

- C'est bien. Il est encore là, ton papa ?

Elle secoue la tête. Il est parti sans même me dire aurevoir. Arabella remarque mes yeux au bord des larmes.  

- Maman, tu pleures ?

- Non, ma chérie. J'ai juste quelque chose dans l'oeil.

- Tu veux que je t'aide ?

Elle dépose sa poupée dans le canapé et tente de s'asseoir sur mes jambes.

- Non, mon petit coeur. Maman peut le faire toute seule.

Peine perdue que d'essayer de dissuader Arabella. Je l'aide à s'asseoir.

- Ferme les yeux, maman.

Je m'exécute. Sur mes paupières, je sens ses lèvres. Intérieurement, je souris.

- Ton bobo est fini ?

- Oui, Docteur. Je n'ai plus mal aux yeux.

- Super ! s'écrie-t-elle.

Je lui dépose un gros bisou sur la joue.

Elle rit, découvrant ses petites dents de lait. J'en fais autant. En un instant, ma peine s'est transformée en joie immense. Cette âme noble vient encore de m'égayer le cœur.

- Maintenant que maman va bien, je vais chez mémé. Je veux lui montrer ma poupée.

- Allez, vas-y ! dis-je en la posant à terre. Fais bien attention en montant les marches.

- Oui, maman ! fait-elle.

Je la regarde s'en aller. S'il y a bien une chose dont je suis très fière, c'est d'être la mère d'une aussi adorable fillette.



**************

Paula KOUTON


Je viens de me garer devant la résidence de Femi. J'ai décidé de lui faire une visite surprise. Je sonne. Le portier vient m'ouvrir et me confirme que monsieur est bien là. Je suis une habituée des lieux, alors je rentre sans obstacle. J'aperçois Femi torse nu près de la piscine. Il vient d'en sortir. Je m'approche de lui.


- Bonjour Femi, dis-je en m'évertuant à garder mes yeux sur autre part que son corps encore humide.

Je dois avouer que l'homme est bien beau et qu'il ne saurait laisser une femme indifférente. (Rire).

- Bonjour Paula ! me dit-il en finissant de s'essuyer et en me souriant. Que me vaut cette belle​ visite dominicale ?

- Je reviens de l'Eglise et comme je passais devant ta maison, j'ai voulu savoir comment tu allais aujourd'hui.

- Je vais bien. Viens, on va à l'intérieur.

Je le suis dans son séjour et prends place dans l'un des canapés.

- Fais comme chez toi. Je reviens dans quelques minutes. Il y a des boissons fraîches à la cuisine si tu es interessée .

J'adore venir dans ce cadre que moi même j'ai décoré. Je l'ai aidé à choisir les meubles, les peintures…. En quelque sorte, c'est un peu chez moi.

- Voilà, je suis à toi. Tu n'as encore rien pris ?

- Eh bien...

Il porte un débardeur sur une culotte, tous deux blancs. Je m'efforce de rester lucide.

- Je reviens.

Le gentleman s'éclipse dans la cuisine.


 Je dois avouer que depuis ma rupture avec mon ex, je suis un peu en manque de … (Sourire). Mais je garde les pieds sur terre, car ce dont j'ai le plus besoin, c'est de m'épanouir moi-même, de mieux cultiver ma confiance en moi avant de me lancer dans une nouvelle relation. Et puis, même si Femi reste un homme très attirant, je ne suis pas amoureuse de lui. Et lui, même s'il le nie, reste amoureux de la mère de sa fille.

Quelques minutes plus tard, il se ramène avec un grand plateau sur lequel sont posés des bouteilles de jus de fruits ainsi qu'un plat de salade joliment décoré.

- Je tiens à ce que tu partages mon humble déjeuner avec moi.

Je ne me fais pas prier. Je me rappelle que la dernière fois que j'étais ici, j'avais eu droit à un succulent plat local : du monyo avec de l'akassa et des gros morceaux de chinchard fumé.

- Je finirai par me faire plus fréquente chez toi, Femi !

Il éclate de rire.

- Les portes de ma maison te sont grandement ouvertes, Paula !

Je ris à mon tour.

- Celle que tu épouseras sera extrêmement comblée !

- Bah ! Si tu le dis ! me répond-t-il sans grand intérêt.

Je devine que ma remarque le perturbe un peu. Ce doit être lié à son ex. Je n'insiste pas davantage.

- Au fait, quand reprendras-tu tes interprétations au Karaoké Bar ?

- Je n'en ai aucune idée, Paula. Je n'ai presque plus de temps libre avec ma fonction au boulot. Je ne fais même plus de bénévolat au Centre de Rééducation. Mais rassure-toi, le samedi surprochain je t'emmènerai au Karaoké Bar pour entendre d'autres chanteurs.

- Ah ! Vraiment ?

- Oui. Je pense pouvoir être libre, sauf urgence. Et peut-être que ce jour-là, je chanterai quelque chose exclusivement pour toi.

- Je suis impatiente.

Je souris et me lève.

- Maintenant, j'ai grand appétit. Je vais me laver les mains. Ne finis pas tout !

- Ne tarde pas, Paula. De toute façon, j'attendrai ton retour. Je ne compte pas perdre de si tôt mon titre de gentleman.

Avec grand enthousiasme, je me dirige vers la cuisine. Tandis que l'eau coule sur mes mains, je continue à sourire. Il n'y a pas meilleure compagnie que celle de Femi.

 

Quelques minutes plus tard, nous sommes attablés. Comme à notre habitude, nous dérogeons à la règle "On ne parle pas à table". J'en profite pour aborder un sujet qui me trotte dans la tête.


- Femi, je ne veux pas paraître indiscrète, mais t'as enfin pu discuter avec … la mère de ta fille ?

- Pas vraiment. C'est plutôt elle qui a tenu à me donner des explications. Mais je lui ai bien fait comprendre que je n'en avais rien à faire.

- Il faudra pourtant que ...

- N'insiste pas Paula. Aurore est … de l'histoire… ancienne pour moi.

- Vraiment ! Ce n'est pas pourtant pas ce que je lis dans tes yeux. Elle ne t'indiffère pas. Tu parles d'elle avec beaucoup d'émotion dans la voix.

- Tu veux d'autres jus de fruits ?

- Femi, tu ne peux fuir éternellement la question. Je suis ton amie. Je suis là pour t'écouter et te venir en aide comme tu l'as fait pour moi.

- Paula, écoute. Je n'ai pas envie de…

Je dépose ma fourchette et pose une main sur sa main.

- Tu l'aimes encore, n'est-ce pas ?

- Changeons de sujet.

- Te confier te fera du bien.

Il prend une respiration profonde.

- Je n'en sais rien, Paula. Je pensais n'avoir plus de sentiments pour elle, mais aujourd'hui je me suis rendu compte que ce n'était pas le cas. Quand j'étais près d'elle, je n'avais qu'une seule envie : la prendre dans mes bras et l'embrasser à n'en plus finir. Néanmoins, tout cet amour que je continue d'éprouver pour elle reste voilé par la colère que j'ai envers elle. Moi qui d'habitude suis sensé, posé, réfléchi et courtois avec les femmes, je deviens un autre devant Aurore. J'ai autant envie de l'embrasser que de la blesser. Et finalement, je laisse ma rage prendre le dessus.  

Je le regarde sans dire mot.

- Ce que je voudrais vraiment, c'est pouvoir l'oublier, l'extirper de mon cœur et ne plus la laisser avoir de l'emprise sur moi. Je ne veux plus tomber dans ses petits jeux. Je ne veux plus être sa marionnette !

- Je vois. Mais je pense que vous devriez plutôt mieux vous entendre, plus communiquer, au moins pour votre fille, au lieu de rester distants loin de l'autre.

Comme si de rien n'était, il enfonce sa fourchette dans une tranche de pomme de terre qu'il porte à la bouche. Soit il a vraiment faim, soit il agit ainsi pour me distraire. Je le fixe.

- Arrête de me scruter ainsi et continue ton repas. Tu as à peine mangé.

- Femi, je te le répète, fais-le au moins pour ta fille. Elle mérite d'avoir des parents qui s'entendent bien.

De table, il se lève.

- Je vais chercher d'autres boissons fraîches.

- Femi, arrête de te défiler ainsi ! C'est sérieux comme sujet.

Il ne prête plus attention à ce que je dis. Je secoue la tête, étonnée par tant d'obstination de sa part. Il disparaît dans la cuisine. Je ne le savais pas autant entêté. Il doit avoir vraiment mal pour se renfermer autant quand on évoque son ex. Je pousse un long soupir puis je hausse les épaules. Au moins, j'aurais essayé.









SECONDE CHANCE