Chapitre 32

Write by Auby88

Femi AKONDE


Cela fait plus d'une demi-heure que je l'attends. Ah les femmes ! Qu'est-ce qu'elles mettent du temps à s'habiller ! Il m'a fallu à peine dix minutes pour mettre mon costard et m'amener chez elle.

- Femi, comment me trouves-tu ?

Là, je suis émerveillé. Elle porte une belle robe de soirée bleue qui montre ses courbes sans trop les dévoiler. Une mèche de ses cheveux montés en banane pend au-dessus de sa tête. Je me permets de l'arranger.

- Tu es splendide, Paula !

- Vraiment ! me demande-t-elle en ajustant ses lunettes optiques. Tu ne me trouves pas trop grosse ?

- Voyons Paula. Arrête de te critiquer ainsi. Tu sais bien que "grosse" est un mot péjoratif !

- Je sais mais…

Je lui prends les mains.

- Il est temps que tu assumes qui tu es, Paula, une magnifique jeune femme africaine. Tu doutes un peu trop de ta beauté !

- Mais…

Je ne veux plus t'entendre prononcer un seul "mais" en ma présence, ni te voir triste. Ce soir, je ne veux​ lire que de la joie sur ton visage. C'est compris ?

- Oui, répond-t-elle faiblement.

- Je ne t'entends pas.

- Oui, Femi ! crie-t-elle.

- C'est bien.

- Tu es un véritable ami ! me dit-elle en souriant.

Je lui rends son sourire et poursuis :

- On y va, miss Paula.

Je lui présente mon bras et elle y insère le sien.


Paula KOUTON est l'une des femmes que je qualifie d'exceptionnelles. Elle a tout pour plaire : elle est travailleuse, organisée, humble, gentille, très serviable et elle possède des courbes et rondeurs féminines qui ne laisseraient aucun homme béninois, moi y compris, indifférent. C'est une déesse africaine qui malheureusement l'ignore.

A cause des standards de beauté qui font de la femme mince la plus belle, Paula reste persuadée qu'elle est obèse et pas belle. Et le pire, c'est qu'elle sort d'une relation qui l'a beaucoup traumatisée. Elle était en couple avec un idiot qui abusait psychologiquement d'elle, lui faisant croire qu'elle était trop "grosse" et donc laide. Par amour pour lui, elle supportait toutes ses humiliations. Il l'a finalement quittée pour l'une de ses amies à la forme de gazelle. Cela lui a pris du temps mais elle a fini par s'en remettre. Même si elle continue toujours de douter de sa beauté. Je ne comprends vraiment pas ces hommes qui font honte à la gente masculine en maltraitant ainsi les femmes. On ne devrait pas faire du mal à une femme, mais plutôt la chérir comme il se doit, surtout quand elle est prête à tout pour vous démontrer son amour.


Paula me rappelle Aurore avec son manque d'assurance tellement poussé. Aurore ! Il m'arrive quelques fois de penser à elle. La blessure qu'elle m'a infligée reste encore béante, si béante que j'ai préféré rester seul. Quant à Paula, même si nous sommes devenus très proches, je ne compte pas voir en elle autre chose qu'une amie. J'ai retenu la leçon avec Aurore. Par ailleurs, mon cœur meurtri n'est pas prêt à aimer à nouveau. Hors, Paula mérite un homme qui l'aimera réellement...


Nous venons d'arriver au Majestic de Cadjèhoun. Paula m'a une fois de plus entraîné dans ses délires. j'ai encore accepté. Elle est une fanatique des défilés de mode. Si elle le pouvait, elle serait devenue mannequin. Nous venons donc assister à un défilé de mode. Paula m'a assuré que celui-ci promettait d'être unique. Bof, pour moi ils sont tous pareils.


Devant la salle, quelqu'un distribue à chacun un feuillet présentant l'évènement. Je mets le mien en poche, sans même y jeter un coup d'oeil, et je continue mon chemin. Paula reste fascinée par la décoration de la salle. C'est vrai que c'est beau, mais je n'y prête pas grande attention. Paula cherche un bon emplacement et nous allons nous asseoir. Je sors mon mobile de ma poche et me mets à le fouiller pour voir mes mails professionnels.

- Voyons Femi, tu m'avais promis que ce soir, tu laisserais le travail au bureau !

- Ok, fais-je en rangeant mon téléphone.

Elle sourit. Je lève les yeux et regarde autour de moi. Je ne reconnais aucun visage. Sur une banderole en haut du podium, je lis quelque chose comme " Collection Bella Z".

Bella, c'était le prénom de l'amie d'Aurore. C'est étrange puisqu'elle est morte. Ce doit sûrement être une autre personne.


La cérémonie ne tarde pas à débuter. Ils sont plutôt ponctuels. D'habitude, chez nous, l'heure n'est pas respectée. Les concepteurs de cet événement-ci doivent être des étrangers. J'attends de voir. Le défilé commence par une collection de robes de soirée chics. La créatrice, d'après ce que je vois, est une jolie blonde dont je ne retiens pas le nom.

Les choses deviennent plus chaudes quand je vois défiler devant moi des mannequins en lingerie, de la plus simple à la plus provoquante. Et là aussi, c'est une jolie brune qui a conçu cette collection. Cela confirme mes dires. C'est bien un défilé étranger.

Deux artistes locaux passent pour nous distraire un peu, puis on nous annonce la collection la plus attendue de la soirée : Bella Z. Je me demande ce qu'ils réservent encore à mes pauvres yeux. Je tourne la tête vers Paula qui reste concentrée.

Ça vient de commencer. Je reste ébahi. C'est vraiment une originalité. Devant moi, défilent des hommes et des femmes petits, grands, minces, ronds, blancs, noirs, jaunes, métis, en chaise roulante, avec béquille, aveugles, albinos…

En bref, toute une diversité de gens qui arborent des tenues faits de mélange de tissus étrangers et de pagnes africains. Je reste fasciné par cette mise en valeur de l'unité dans la différence, dans la diversité.

Parmi les couturiers à l'honneur, je vois Baï et Victoire. Là, je reste bien intrigué. Qui peut bien être la créatrice de mode derrière un tel exploit ? J'ai bien hâte de la voir pour l'applaudir comme cela se doit. J'adore ces genres d'initiative.


 * *

 *

Je n'arrive pas à en croire mes yeux quand je la vois avancer sur la scène dans son fauteuil roulant. C'est elle. C'est Aurore AMOUSSOU. Elle est plus radieuse que jamais. Je ne tiens plus en place. Mon cœur bat de plus en plus vite, tellement la surprise est grande. Je m'efforce de joindre mes mains comme tout le monde pour ne pas attirer l'attention sur moi.


********

Aurore AMOUSSOU


Je suis tellement émue par tant d'ovations. La salle est pleine. Mon initiative a été un succès et j'en suis fière​. Je me dois de dire quelques mots.

" Je tiens avant tout propos à remercier tout un chacun de vous pour vous être déplacés. Cette initiative n'aurait pas pu voir le jour sans bon nombre de gens qui m'ont soutenu et cru en moi, sans un ami et un confident qui m'a poussée à faire du stylisme quand je croyais qu'après le mannequinat, je ne pouvais plus rien faire d'autre. Je remercie également tous les couturiers ici présent qui ont travaillé d'arrache-pied​ jour et nuit, mes amies françaises Laura et Sandrine dont les collections sont passées avant la mienne, ma mère cette femme au grand coeur, ma fille Arabella qui reste ma plus grande source d'inspiration. Et surtout, je tiens à préciser que cette collection nommée Bella Z, je l'ai créée en hommage à ma meilleure amie Arabella ZANNOU qui n'est plus parmi nous mais qui aurait adoré faire du stylisme et qui prônait toujours l'égalité des hommes. Je rends également hommage à Kim Gao, cette mannequin ivoirienne paraplégique dont j'ai récemment entendu parler. Elle aussi n'est plus parmi nous mais elle reste un exemple de courage et de détermination. Vive l'unité dans la différence ! Je vous remercie."


Un tonnerre d'applaudissements à nouveau. Je suis tellement comblée. Tandis que je balaie la salle du regard, mes yeux tombent sur une personne que je n'espérais pas : madame Suzanne ZANNOU, la mère de Bella.

Elle est là devant moi à me sourire et à m'applaudir. Très heureuse, je continue mon discours.


"Je tiens à ajouter que ce jour est l'un des plus beaux de ma vie, parce qu'il y a ici une femme que j'admire, ma deuxième maman, la mère de Bella ZANNOU. Et je suis sûre qu'elle doit avoir quelque chose à dire"


Des applaudissements fusent de partout pour l'inciter à monter sur scène. Toute souriante, elle vient vers moi.

" Tout ce que je peux dire, c'est que je sais que ma fille, où qu'elle soit, doit être fière de cette initiative enfin concrétisée, doit être fière de son amie Aurore."

Ses mots me vont droit au cœur. Je fonds en larmes, encore plus quand elle m'entoure de ses bras. Mon âme est enfin apaisée et je suppose que la sienne aussi.

A l'oreille, elle me murmure :

- Je te pardonne, Aurore. Merci de faire revivre ma fille au travers de tes œuvres. Merci d'avoir donné son nom à ton adorable fille que j'ai vue tout à l'heure. Tu es une vraie amie pour ma Bella. Sois bénie à jamais !

- Merci, maman.

Malgré moi, je la laisse retourner à sa place. Son étreinte et ses mots étaient si réconfortants. Nous aurons certainement le temps de nous revoir et de discuter.



***********

Femi AKONDE

Ce soir, j'ai eu ma dose de surprise. Quelle ironie du sort ! Aurore me quitte parce qu'elle se dit stérile et voilà que j'apprends qu'elle a un enfant. Je me demande si elle n'a pas juste évoqué ce faux prétexte pour pouvoir me quitter en douce, parce que ma mère ne voulait pas d'une belle-fille en fauteuil roulant. Je ne sais vraiment plus quoi penser. Il faut que je quitte au plus vite les lieux avant que quelque visage familier me remarque.

- Ça y est Paula, on peut partir ?

- Partir ?

- Le défilé est fini, je te signale.

- Certes, mais je dois saluer des connaissances que je viens de voir et approcher la styliste Aurore AMOUSSOU. Elle est vraiment talentueuse. Cela ne me prendra que dix minutes tout au plus.

Il ne me sert à rien de l'en dissuader. Elle ne m'écoutera pas.

- D'accord. Je t'attendrai dans la voiture. Ne tarde pas trop.

- Promis ! fait-elle en s'éclipsant.


Je soupire, puis me dirige vers la sortie de la salle. A peine ai-je fait deux pas que je sens de petites mains s'agripper à moi en criant : Pa-pa.

Son cri est si fort que des regards dont celui d'Aurore et de sa mère se posent sur moi.

Je regarde la petite créature devant mes yeux. C'est le portrait … craché… d'Aurore. A son bras à découvert, je remarque la même tache sombre que moi. Je lève les yeux vers Aurore qui semble apeurée. A nouveau, je regarde la fillette. Elle doit avoir 3 ans par là, même si elle semble faire plus que son âge.

- Montre-moi ta maman.

Vers Aurore, elle pointe le doigt.

Maintenant, je comprends tout. C'est ma fille. Cette mini femme en face de moi est la chair de ma chair. Je n'ai pas besoin de confirmation. J'oublie tout ce qui nous entoure et je la prends dans mes bras, la fais tournoyer puis la serre tout contre moi.

- Papa ! repète-elle à nouveau.

C'est si beau de l'entendre m'appeler ainsi. Tous deux, nous nous dirigeons vers Aurore et sa mère.

- Bonsoir maman !

- Bonsoir Femi.

- Bon…soir Femi, me dit Aurore avec une voix tremblante. Je…


Je ne prends pas la peine de l'écouter, ni de la regarder. Je l'ignore simplement. A ma fille, je m'adresse :

- Sache que maintenant que papa t'a rencontrée, il ne restera plus jamais loin de toi.

- Promis ?

- Oui, mon cœur. Je te le promets.

- Femi, écoute ….

C'est encore Aurore qui tente de me parler. Je ne fais pas attention à elle. Je dépose un bisou sur la joue de ma fille, dis aurevoir à la mère d'Aurore puis continue mon chemin.


Au passage, je rencontre Paula. A voir sa triste mine, je comprends qu'elle a assisté à la scène. J'affiche un faux sourire en sa direction puis je lui présente mon bras. Elle y met le sien et nous quittons la salle sans regarder derrière.


Durant le trajet retour, je reste silencieux. Paula ne force pas la conversation. Le silence vaut mieux dans certaines circonstances. Dans celle-ci aussi parce que tout bouillonne en moi, même si je garde mon calme.

Comment Aurore a-t-elle pu me faire cela ? Me cacher que j'étais père trois années durant ! Comment peut-on être égoïste à ce point et faire du mal aux gens qui tiennent à vous, aux gens que vous dites aimer. Comment ? A présent, je n'ai plus de doute là-dessus. Aurore ne m'a jamais aimé ! Jamais ! Jamais ! Quel idiot j'ai été de l'aimer autant ! Idiot ! Désormais, mon unique priorité reste ma fille. Et je peux jurer que plus jamais, je ne laisserai Aurore me séparer de ma fille. Plus jamais, je ne la laisserai me faire du mal. Plus jamais, je n'aurai pitié pour elle. Plus jamais, je ne la laisserai décider à ma place. Jamais plus !


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