Chapitre 34

Write by Myss StaDou

Chapitre 34


Je suis seulement dépassée par l’attitude de cette Claire… Elle parlait avec une de ces assurances et un calme qui m’a paralysée. On dirait qu’elle sait des trucs sur Victor que j’ignore.

 

La nuit a été courte et nous nous écroulons sur le lit, crevés au plus grand point. Victor et moi nous réveillons assez tard le dimanche. Après avoir fait l’amour tout doucement sous la douche, nous allons manger dans un restaurant à Tsinga, comme il est au-delà de midi. Nous commandons des frites plantains avec un bon Ndolé Viande bœuf. J’ai déjà l’estomac dans les talons. J’ai faim jusqu’à avoir des crampes au ventre (Rires). Nous mangeons en buvant nos conso.

 

− Je serais assez pris les semaines qui viennent, dit Victor en avalant une gorgée de son jus. Je ne pourrais probablement pas te voir autant que je veux.

− Pourquoi ?

− Je suis en train de réfléchir à lâcher mon boulot juste pour me concentrer sur la gestion de mes affaires.

− Ok.

− Et je réfléchis à déménager pour prendre une maison. Mais je ne sais pas encore laquelle de mes propriétés je peux récupérer de la location au plus vite.

− Je vois.

 

Cette fois au moins, je suis prévenue. Mais j’espère qu’on trouvera le temps de se voir et passer de bons moments ensemble. Notre relation est très importante pour moi et je ferais tout pour que ça marche et ça se concrétise dans l’avenir. En parlant d’avenir :

 

− Vic, Claire m’a dit des choses qui m’ont perdu.

 

Il me regarde avec attention.

 

− Elle m’a dit que je ne t’aurais jamais et sous-entendu que notre relation arrivera bientôt à sa fin. Ça veut dire quoi ?

 

Il marque un léger temps d’arrêt avant de me répondre :

 

− Ne prends rien de ce qu’elle dit au sérieux. Elle est sûrement juste vexée que ces avances n’ont pas porté des fruits et veut te pousser à la confusion.

− Tu es sûr qu’il n y a pas plus que ça dans ce qu’elle dit ? Vous n’avez vraiment jamais eu à être ensemble ?

− Puisque je te le dis. Je n’ai pas caché à mes amis que tu étais ma compagne. Cesse de t’en faire et ne t’occupe pas des détails.

 

Je le toise et il me prend ma main dans la sienne :

 

− Je t’aime vraiment et ce n’est que cela qui compte pour le moment.

 

Je le regarde un moment sans rien dire, réfléchissant à l’attitude à adopter. Quelque part, il a raison. Cette Claire aurait gagné si elle réussit à semer la confusion dan mon esprit et m’éloigner de Victor. De toutes les manières, l’avenir nous dira si elle me racontait mon avenir ou délirait juste.

 

Nous finissons notre repas en bavardant dans une assez bonne humeur. Nous repassons ensuite à la maison chez Victor vers 15h pour prendre mes affaires. Jeanne m’appelle pour savoir ma position et je lui dis de contacter son cousin pour qu’elle puisse passer à la maison, vu que je rentrais déjà.

 

Au téléphone :

 

− Ton « demain »…

 

Jeanne rit :

 

− Mon « demain » t’a fait quoi ?

− Qu’ai-je dit ? Juste étonnant que ce ne soit pas encore fini à cette heure, relève-je en riant.

 

Jeanne tchipe :

 

− Tu es la seule à avoir des toiles d’araignées ?

− Iki ! Ma copine. Tu dois tout me raconter !

− Tu aimes trop ça !

− En tout cas, profite bien.

− Merci, ma puce.

− On se voit à la Fac demain.

− Ok. Bisous.

 

Victor me raccompagne et me laisse devant le portail de notre maison. Je porte tous mes paquets et sacs et j’entre dans la concession, espérant que les parents ne soient pas là. Carole est assise dehors en train de faire la lessive. Elle s’arrête pour me regarder.

 

− Madame est de retour.

 

Je m’avance sans rien dire. Évitons les provocations. Elle me regarde approcher avec beaucoup de dédain.

 

− On ne dit pas bonjour chez vous ?

− Lâche-moi, s’il te plait.

 

Carole secoue la tête et se met à siffler, narquoise.

 

− Oh la vie…Quand je dormais dehors, les gens attachaient la bouche.

 

Je continue à avancer.

 

− Maintenant que la bordellerie paie, on ne parle plus !

− Tu traites qui de bordelle ? Tu es malade ?

 

C’est quelle malchance ça ? À peine entrée, elle me provoque et m’insulte. Junior, qui regardait la télé au salon, sort sur la véranda et vient s’interposer.

 

− Weh, Carole toi aussi !

− Qu’ai-je dit de faux ?

 

Je tchipe :

 

− Raconte ce que tu veux. La jalousie est une maladie grave, même si ça ne tue pas encore.

 

Je passe devant elle et Junior vient m’aider à porter les paquets.

 

− Merci Papi. Il n’y a que toi.

− C’est rien.

− Gars, Victor m’a apporté plein de trucs. Viens,nous allons dans ta chambre. Nous déballerons les paquets.

− Ok oh, dit-il avec bonne humeur. Allons seulement.

 

Nous nous dirigeons dans sa chambre où nous nous enfermons pour des heures. Il s’extasie devant l’ordinateur et le téléphone, me montre plein de trucs. Au moins, il m’aidera à manipuler ces nouveaux gadgets. Je me couche tôt, tombant de fatigue. Avant de m’endormir, je fais une prière en pensant à mon rêve de la veille. J’espère que c’était juste un rêve simple et non un rêve prémonitoire. Voir ma grand-mère ainsi me donne la chair de poule. Et surtout, je n’ai pas compris le message qu’elle a voulu me passer.

 

La semaine qui suit est très chargée. Maman attrape la fièvre typhoïde et elle est alitée à la maison. Elle me cause beaucoup d’inquiétude. Mais ça s’améliore petit à petit. Je suis obligée certains jours de rester veiller sur elle à la maison. Heureusement que je n’ai pas de retard et Jeanne me raconte ce qu’il s’est passé en mon absence. Entre la préparation des examens à la Fac et les tâches ménagères, je n’ai pas vraiment eu le temps de voir Victor. Nous passons des heures durant ses pauses ou le soir au téléphone. Maintenant que j’ai un téléphone High Tech avec un écouteur, je peux parler en travaillant.

   

Une semaine plus tard, la fin du mois de mai approche. Je suis au Campus. Le dernier cours s’étant achevé il y a trente minutes, je sors d’une boutique pas loin pour me prendre quelque chose à manger. J’ai une grosse famine, donc j’ai fait un bon choix : un pain avec des œufs bouillies et une  petite bouteille de Djino. En marchant, je tombe sur Jeanne qui revient d’une course pas loin de là. Elle ne m’a pas l’air très en forme. Elle, toujours joviale, a une mine bien sombre.

 

− Jeanne, ça va ?

 

Jeanne lève un regard vide vers moi. Elle a une mine triste :

 

− Oui, ça va. Je suis juste un peu abattue.

− Il y a quoi, mama ? Avec la mine que tu as…

− Nicole le monde est terrible… La vie, c’est quoi ?

 

Quelle entrée en matière ! Je commence déjà à avoir peur.

 

− Parle, je t’en prie. Tu m’inquiètes déjà.

 

Jeanne secoue la tête, dépitée :

 

− Quand j’étais dans le taxi, ma mère m’a appelé pour me dire qu’une de mes cousines qui vivait à Obala (une localité pas loin de Yaoundé) était décédée.

− Ma personne, je suis désolée pour toi. Était-elle malade ?

− Je ne sais même pas.

 

Je la regarde avec tristesse.

 

− C’est vrai que nous n’étions pas trop en contact, mais c’était une fille bien. À peine 29ans… Woko, la vie c’est quoi ?

 

Elle regarde dans le vide, des larmes ruisselant sur les joues. Je ne sais pas quoi lui dire à cet instant pour la consoler. C’est vraiment triste ce qu’elle me dit.

 

− Le pire même est que ce n’est que maintenant que je l’apprends ! La veillée est vendredi. Dans  deux jours !

− Ekié ! Personne ne t’avait prévenu avant ? Même pas Victor ?

 

Jeanne secoue la tête négativement :

 

− C’est comme je te dis.

− Comment vas-tu donc faire maintenant ?

− Il faut que j’y aille. Il faut quand même que je lui fasse les derniers honneurs. Mais je ne peux pas y aller seule.

 

Elle réfléchit un moment avant de me regarder.

 

− Dis-moi, as-tu du temps vendredi soir ?

− Je n’ai pas le temps que je pars où ?

− Pourras-tu m’accompagner ?

− Oui, nous irons ensemble. Je vais juste prévenir les parents.

− Merci, c’est gentil de ta part

 

Je la prends dans mes bras :

 

− De rien. Pourquoi es-tu mon amie ?

 

Je la raccompagne chez elle pour m’assurer qu’elle sera en sécurité. Vu son état de confusion, la laisser marcher seule en route est un risque. Je prends ensuite la route pour rentrer à la maison. Je dois aller faire le marché et préparer pour la maison. Maman se remet petit à petit. Victor m’appelle plus tard dans la soirée. Je lui fais part de la triste nouvelle. Il est déjà au courant. Mais comme il doit voyager pour Douala le week-end, il n’a pas mis cela dans son programme.

 

− Je suis content que tu accompagnes Jeanne.

− Pourquoi ?

− C’est une chef pleureuse, se moque. Il faudra quelqu’un pour la calmer.

− Ok, dis-je en riant. Merci de m’avoir prévenu.

 

Il me manque beaucoup. Notre week-end de feu est deux semaines derrière nous. Ça fait trois jours que je ne l’ai pas vu. Il est passé quelques à la Fac en début de semaine. Nous flirtons un moment au téléphone avant de nous séparer. Il promet de voir s’il peut se libérer plus tôt le samedi pour nous ramener d’Obala à Yaoundé. Ça fait un peu bizarre d’aller à l’enterrement d’une personne qu’on ne connaissait vraiment pas. Mais quand je vois Jeanne ces jours, sa peine me touche beaucoup.

 

Le vendredi soir, je quitte la maison assez tôt et je retrouve Jeanne au stationnement des cars.  Nous trouvons vite une voiture pour nous emmener à Obala (45km de Yaoundé). Les discussions vont très fort dans le car. Nous arrivons sans encombre au lieu de stationnement.

Heureusement que le lieu du deuil n’est pas caché. Nous nous sommes vite retrouvés. Une partie de la famille de Jeanne est présente. Sa cousine était mariée avec un gars du village, mais elle n’a pas encore eu d’enfant.

 

La maman de Jeanne vient nous saluer dès qu’elle nous voit arriver. Je l’ai déjà vu quelque fois quand elle venait voir sa fille au campus. Avec Jeanne, nous nous asseyons sous la bâche qui a été loué pour la cérémonie. Beaucoup de personnes, jeunes comme âgées, sont venues accorder un dernier respect à la défunte. Je n’entends que du bien de cette jeune femme. Les pleurs et les cris s’élèvent de partout. J’ai aperçu le mati de la défunte près du cercueil. Il est assis sur une chaise, l’air complètement perdu. La maman de la défunte, une cousine à la maman de Jeanne, est assise pas loin de là à même le sol et pleure son enfant. Ça m’a déchiré le cœur de la voir ainsi. La vie n’est vraiment rien.

 

La maman de Jeanne s’assied pas loin devant nous et se met à bavarder avec d’autres femmes présentes. Jeanne me pointe alors une dame face à sa mère et me la présente comme la cousine de sa maman et la mère de Victor. Elle me parle en chuchotant pour ne pas attirer l’attention sur nous. J’observe ma «future belle-mère » en silence. C’est une belle femme mure, bien conservée pour son âge et qui prend visiblement très bien soin de son aspect physique. Ses enfants ont apparemment beaucoup hérité d’elle.

 

Jeanne me présente ensuite d’autres membres de sa famille dont elle me parlait souvent quand nous discutions à la Fac pour que je me sente un peu mieux. Je ressens une grande fatigue après cette longue semaine de cours et je me sens un peu perdue dans cette foule. Jeanne se lève pour retrouver des membres de sa famille près du cercueil, me laissant seule sous cette immense bâche, entourée de personnes que je ne connais pas. Elle a pleuré un bon coup pendant un moment. Mais elle s’est ressaisie. Je l’ai calmé de mon mieux. Victor serait fier de moi.

 

Les mamans devant moi tapent les divers fort fort. Je les écoute d’une oreille distraite, la musique religieuse qui accompagne les pleurs des uns et des autres n’étant pas si forte que ça. Tout d’un coup, mon oreille est attirée dans leur conversation :

 

− Tu as eu Élise au téléphone depuis la dernière fois ? demande la maman de Jeanne.

 

La maman de Victor secoue négativement la tête :

 

− Elle n’appelle pas souvent. Tu connais les enfants de Mbeng. Il faut qu’on les supplie pour donner des nouvelles.

− Il n’y a pas du nouveau de son côté ?

− Depuis le temps qu’elle et Victor se connaissent, peut-être est-elle même déjà fatiguée ? se questionne-t-elle en secouant la tête, dépassée. Ma sœur, cet enfant me dépasse !

− Et tu ne lui parles pas ? Tu ne rajeunis pas hein, ma sœur. Si Sarah (la sœur ainée de Jeanne) n’avait pas encore accouché, c’est que mon cœur ne serait pas tranquille. Il faut aussi que ton fils se marie et que toi aussi tu sois grand-mère.

− Ma sœur, je lui parle tout le temps, mais est-ce que je vais alors le forcer ? Tu connais les jeunes d’aujourd’hui.

− Pourtant cette fille est bien.

 

La maman de Victor  affiche une mine triste :

 

− Et la situation ne fait que se compliquer.

 

C’est avec les yeux écarquillés, bouche bée que j’écoutais ces révélations. Heureusement qu’elles me tournent le dos. Personne ici à part Jeanne ne sait pour Victor et moi. Une larme ruisselle lentement sur ma joue. Élise ? Qui est cette Élise ? Qu’avait-elle à voir avec Victor ?

Mon amour, mon comba...