Chapitre 36

Write by leilaji

The love between us


Episode 36


J’ai du mal à détacher mes yeux de sa petite bouille toute fripée et de ses minuscules doigts aux ongles translucides. J’ai peur de serrer trop fort et de l’étouffer. J’ai peur de ne pas serrer assez fort et de laisser tomber l’enfant. 

J’ai peur de ne pas être à la hauteur dans sa vie. J’ai peur de ne pas être digne d’elle quand je pense à ce que j’ai prévu de faire. Putain de bordel de merde. Si je quitte sa mère, je l’abandonne aussi n’est-ce pas ? Mais pourquoi je me projette déjà aussi loin alors que le fait que j’ai cet enfant dans les bras n’a aucun sens. 

C’est l’incompréhension totale dans ma tête. Manu a perdu son bébé, enfin notre bébé. Je l’ai vu déchirée par la peine. Je l’ai vu de mes yeux. Patrick était là, avec sa femme, ce n’est pas comme si j’avais fantasmé cette scène. Alors d’où Zeina sort-elle cet enfant ? Est-ce qu’elle l’a volé ? On a tous déjà entendu parler de femmes qui désespérées d’être stériles, ont eu recours au vol pour combler le vide dans leur cœur. Mais je ne crois pas ma femme capable d’un tel acte. Non. Elle est incapable d’infliger une telle douleur à une autre femme. Je l’observe pour déceler toute trace de culpabilité. Mais tout ce que je vois sur son visage c’est un bonheur sans mélange. Le bonheur d’être enfin la femme « complète » qu’elle espérait être pour moi. 


Je regarde l’enfant et ses yeux fermés. Je cherche une preuve de traitrise ou de mensonge mais je n’en trouve pas. Elle a la même peau noire que moi, c’est déjà ça. Non, non, non. Manu a perdu notre bébé et Zeina rentre à la maison avec un autre bébé. Pourquoi je n’arrête pas de me dire qu’une telle coïncidence est étrange ? Est-ce qu’elle a traficoté quelque chose pour faire croire à Manu qu’elle avait perdu son bébé ? Impossible. Pour cela il faudrait que les deux hôpitaux soient de mèche avec elle. C’est impossible qu’elle ait pu organiser ça. Elle ne possède pas ce degré de fourberie. On n’est pas dans un film, il faut que j’arrête de m’imaginer le pire.


- Elle est belle n’est-ce pas ? demande Zeina en me caressant la joue avec amour. 


Les émotions s’étranglent dans ma gorge. Je ne peux pas répondre alors j’hoche la tête. Oui, elle est magnifique. Elle est parfaite. Elle est tout ce que nous attendions depuis de nombreuses années. Tout d’un coup, toutes les difficultés que nous avons traversées qui avaient laissé des traces de douleur dans notre relation, ne me semblent plus si insurmontables que cela. Je m’éclaircis la gorge. Il n’y a que de la douceur qui émane d’elle. Je retrouve enfin la femme que j’ai épousé. Celle qui n’était pas torturée par son désir d’agrandir notre famille. Je ne sens plus mes jambes. Maman a des dizaines de photos de moi bébé et elle s’amusait toujours à les regarder on me disant à quel point en grandissant j’ai changé. Cet enfant est réellement mon portrait craché alors je ne peux pas avoir de doute la dessus. 


- Elle est parfaite Zeina. 

- Je le sais. Quand la clinique m’a appelée, j’étais en panique. Je t’ai appelé mais comme tu ne réagissais pas, j’y suis allée toute seule. Ils étaient étonnés mais le travail avait déjà commencé alors je me suis concentrée sur l’accouchement. La maman a accepté que j’entre en salle d’accouchement quand elle a su que j’étais là toute seule. Je crois qu’elle a eu pitié de moi. Et moi j’avais la tête à l’envers alors j’ai oublié toutes mes réserves et j’ai couru en salle. La mère porteuse était très belle tu sais. Je lui ai tenu la main. Et ils ont déposé le bébé dans mes bras et m’ont fait sortir de la salle.

- J’aurai dû être là, je murmure en observant l’enfant. 

- J’ai envoyé les photos à ta mère. Elle dit que c’est ton portrait tout craché. Elle est heureuse. Si tu savais à quel point elle est heureuse. Elle veut venir visiter l’enfant. Je lui ai dit que tu ne souhaitais pas encore la voir. Ça te donne le temps de te décider à lui pardonner. Elle était fâchée qu’on ne lui ait pas dit que j’étais enceinte. 


Je ne sais pas à quel degré je devrais prendre cette phrase. J’ai envie de lui dire : Zeina tu n’étais pas enceinte. Une autre l’était pour nous. Mais ça lui ferait du mal inutilement. Alors je ne dis rien. 


- Je pensais qu’on devait tout garder pour nous Zeina. Juste nous deux. Mais tu as déjà mis maman dans la confidence de la naissance de notre enfant ? 

- C’est ta mère. Tu comptes la bouder jusqu’à quand ? Elle a le droit de connaitre sa petite fille.  De toute manière pour ce genre de chose, plus on tarde et plus ça a l’air anormal. C’est mieux comme ça. En plus son baptême aura lieu dans huit jours. Il faut une fête. On ne peut pas faire une fête à deux Idris. 


Elle a raison. Elle mérite cette fête qui célèbre les femmes qui ont donné vie. Elle sera le centre de l’attention de nos deux familles réunies. Je ne peux pas parler maintenant. Ce serait trop… humiliant. 

 

Zeina sort de la chambre puis revient quelques instants plus tard avec un couteau qu’elle enduit de charbon afin d’éloigner le sheitan de notre enfant. Elle s’applique dans tout ce qui concerne le bébé. Elle fait d’incessant aller-retour dans la chambre tout en babillant telle une enfant. Elle a déplacé tout ce qu’on avait acheté comme meuble d’enfant pour les ranger dans notre chambre. Je réalise qu’on va réellement être parents tous les deux. Non on est parents. Ca y est, un lien immuable nous lie à jamais. Un devoir et une responsabilité commune envers cet enfant qui n’a pas demandé à naitre. 


- J’espère qu’elle aura d’aussi beaux cheveux que toi, je murmure en m’asseyant sur lit pour reprendre mes esprits. 

- Ah oui. S’ils sont trop crépus on va les défriser.

- Non.  Il suffit de les tresser. Ça ira. Pas de défrisage. 


Zeina éclate de rire tout en disposant de minuscules couches sur le lit. 


- On ne va pas se disputer pour ses cheveux. On l’a attendu pendant tellement longtemps. 

- C’est vrai. 

- On fera ce que tu voudras. 

- OK.

- Quand j’ai enfin pu la tenir dans mes bras, hors de la salle d’accouchement, je lui ai récité dans chaque oreille, l’appel à la prière. Je le faisais en pleurant et les sages-femmes me regardait étrangement tu sais. Je me suis sentie seule. 


Je lève les yeux vers elle. Elle me regarde étrangement, en serrant la couche qui lui est restée entre les mains très fort. Au point où j’ai l’impression qu’elle va la déchirer. 


- D’autres femmes ont accouché et leur famille était là pour elle. Moi j’étais toute seule. 

- Pardonne-moi. 


Elle quitte les couches et les grenouillères pour venir s’agenouiller face à moi. Je grave son sourire dans ma mémoire car je crois qu’elle ne sera jamais plus belle qu’à cet instant. 


- Tu es pardonné. 

- J’étais… 

- Je ne veux pas le savoir Idris. Tout ça c’est du passé. On a une famille maintenant et tout va rentrer dans l’ordre. Après tout tu n’es qu’un homme pas un saint. Tu as eu ton moment de faiblesse et … je ne veux plus en parler maintenant que l’enfant est là. 


Elle me prend l’enfant des bras. A vrai dire, elle me l’arrache presque. Son téléphone sonne, mais toute à sa contemplation, elle ne s’en rend même pas compte. C’est ma mère qui l’appelle. Je lui tends le téléphone, mais elle me demande de décrocher à sa place. 


- Maman. 

- Idris. Pourquoi tu ne décroches pas quand je t’appelle. On a tellement de choses à faire. 

- Quelle chose ? 

- Dans huit jours. Son baptême.

- On peut en parler plus tard. Zeina et moi sommes fatigués. 

- Si tu le veux. J’ai une bonne nouvelle pour toi. 

- Laquelle ? 

- Je vais lui ouvrir un compte à la petite. Pourquoi ne m’as-tu pas dit que ta femme était enceinte ? 

- Parce que tu as été une belle-mère indigne ces derniers temps. 

- Oh Idris. Tout de suite les grands mots. Tu ne changeras jamais. 

- Ca y est, elle a repris sa place de choix dans ton cœur c’est ça ?   je demande avec aigreur. 


Je n’en reviens pas qu’elle change d’attitude aussi promptement. Elle aurait pu soutenir sa belle-fille quand elle était désespérée. Non, elle n’a fait qu’aggraver la situation et maintenant, elle fait comme si de rien n’était.


- Ne dis pas de bêtise. Elle ne l’a jamais perdu. Bon je vais raccrocher, j’ai tellement de choses à faire pour ce baptême. Et surtout ne t’inquiète pas. Ton secret est bien gardé avec moi. 

- De quoi tu parles ? 

- De ton autre famille, dit-elle avant de raccrocher.   


Manu…

Après ma discussion avec Patrick, tout était clair dans ma tête. Comme il l’a dit, je savais exactement, ce qu’il me restait  à faire. Je n’avais juste pas le courage de le faire. 

Mais face aux sourire de Zeina, face à son bonheur, ses espoirs retrouvés et cet amour que je porte déjà à notre enfant, je me rends compte qu’il me faudra plus que du courage pour faire ce qu’il y a à faire. Et ce sera beaucoup de douleur autour de moi.  


*

**


Zeina est rentrée de sa consultation chez le pédiatre. Aujourd’hui, c’était jour de vaccin pour Khadidja. La dernière fois c’était moi qui l’y avais accompagné et je n’avais pas du tout aimé voir l’aiguille entrer dans sa peau même si ce n’était que pour quelques secondes. Je crois que j’ai eu plus mal qu’elle. A cause d’une commande que je devais honorer, je suis allé au rendez-vous avec trente minutes de retard. Mais les mamans présentes en salle étaient tellement heureuses de voir un papa s’impliquer dans la vaccination de son enfant qu’elles m’ont laissé passer avant elle. Ça a été une très belle journée où j’ai remplacé Zeina au pied levé car elle avait une grippe qui s’éternisait. Pendant une semaine, elle m’a presque fait regretter de l’avoir remplacé pour ce jour qui pour moi n’avait rien de spécial, ni ne méritait sa présence.


Mais aujourd’hui, comme elle a pu le faire elle-même, elle ne tire pas la tronche. 


- Je suis tellement heureuse, la journée s’est bien passée. Et elle n’a même pas pleuré quand on l’a piquée tu te rends compte. Elle est forte ma fille.


Je lui prends l’enfant des bras. Zeina ne me la laisse que lorsqu’elle n’a pas le choix. D’ailleurs, elle ne laisse jamais Khadidja toute seule non plus. C’est une instruction que ma mère lui avait donné pour la première semaine de vie de notre fille mais Zeina respecte cette recommandation encore aujourd’hui, comme si un diplôme de mère parfaite en dépendait. 

 

- Il serait peut-être temps de ranger ses cadeaux d’anniversaire tu ne crois pas ? 


Elle regarde les paquets empilés dans un coin du salon puis regarde sa fille. Je sais que dans sa tête le choix est vite fait. 


- Range les cadeaux dans sa chambre puis reviens au salon, je dis d’un ton plus autoritaire. 


Ce n’est que là qu’elle s’exécute puis revient avec un des doudous de Khadija en main. Elle sait qu’ainsi l’enfant voudra à tout prix quitter mes bras pour la rejoindre.      


- Assieds-toi Zeina. S’il te plait. 


Elle me regarde inquiète. Mais elle finit par obtempérer et prend place face à moi. 


- Il faut vraiment qu’on finisse notre discussion de la dernière fois Zeina…

- C’était il y a plus de six mois, ne me dis pas que tu y penses encore. 

- Que tu ne l’acceptes pas c’est une chose. Mais ne fais pas celle qui est étonnée s’il te plait. La situation est assez délicate comme ça. 

- Idris, je ne te comprends vraiment pas. Pourquoi tu veux tout gâcher entre nous ? Qu’est-ce que tu peux bien me reprocher à présent ? 

- Rien, je n’ai rien à te reprocher. C’est à moi-même que j’en veux, de faire de notre mariage un gâchis. Mais je dois partir maintenant. Avant que la haine et le mépris ne s’immiscent entre nous alors qu’on a un enfant à élever ensemble.

- Le mot clef de ta phrase est là Idris : ensemble. 

- Tu ne vois pas que je te fais assez de mal comme ça ?


Elle bondit sur ses pieds lorsque son regard se pose sur ma valise rangée dans un coin du salon. 


- Tu m’en fais mille fois plus en m’abandonnant. Je ne mérite pas ça.

- Je le sais. 

- Après tout ce que j’ai surmonté pour toi, pour te rendre heureux…

- Pardonne-moi Zeina. Si on avait une seule chance pour que ça marche entre nous, je la saisirai. Mais il n’y en a aucune et tu sais pourquoi. Parce que j’aime…


Elle pose Khadidja par terre et celle-ci se met à jouer avec son doudou. 


- Je t’ai laissé déménager dans la chambre d’ami et divaguer, hurle-t-elle en me poussant. 

- Zeina…

- Je t’ai laissé faire ce que tu voulais de tes week-ends, je t’ai laissé continuer avec cette connerie de Food-truck alors qu’aujourd’hui ta place t’attend à la tête de la société de la famille. Tu crois que le BTP ne rapporte pas plus que des sandwichs ? J’ai courbé l’échine jusqu’à ce que mon front touche le sol, j’ai été irréprochable et toi tu veux divorcer pour elle ? Je t’interdis de prononcer son nom devant ma fille. Je t’interdis de me manquer de respect à ce point.  


Je ne l’avais encore jamais vu dans un tel état de rage. 


- A quoi tous mes sacrifices ont-ils servi si c’est pour que tu me quittes pour elle. Si tu savais que tu l’aimais à ce point pourquoi m’avoir épousée ? 


Elle pleure. Je ne veux pas de polémique. Je ne veux pas lui faire plus de mal encore alors je la laisse déverser sa colère et me traiter de tous les noms. Elle me frappe la poitrine de toutes ses forces. Elle en a le droit. Khadija se met à gémir puis elle éclate en sanglot et tend les mains vers moi. Je m’éclipse pour consoler ma fille. C’est cela que je souhaitais éviter. Je ne veux pas la voir grandir dans cette atmosphère. Je veux qu’elle se sente aimée et qu’elle ne craigne pas de voir ses parents se disputer. Dès que notre fille est calmée, sa mère me la prend des bras. 


- Je serai là. Si tu as besoin de moi. Tu sais que je serai là.    


Je me permets de soulever ma valise. Je veux dire au revoir à ma fille mais elle m’en empêche en s’enfuyant dans notre chambre et en s’enfermant à double tour. Je soupire. Ça m’a pris un an. Une année pendant laquelle, il m’a fallu maintenir un équilibre plus que précaire entre ma vie professionnelle, ma vie familiale et les moments volés avec Manu. 

Il n’y a pas de bonne manière de quitter quelqu’un qui vous aime. On a beau prendre toutes les précautions pour ne pas faire du mal, on en fait quand même. 


*

**


J’ai posé ma valise dans un studio qui se résume à deux pièces. Une chambre assez grande pour contenir un coin cuisine et une douche style militaire. Le genre de douche dans laquelle, on ne peut pas s’allonger, juste se tenir debout. De toute manière ce n’est pas comme si j’avais l’intention d’inviter du monde là-bas. Je préfère sacrifier mon confort pour que ma fille ne manque de rien. Quand je verrai le bout du tunnel, je pourrai mieux me loger. 


Un an est passé depuis que j’ai eu ma fille dans les bras. Le lendemain de ce jour qui restera à jamais gravé dans ma mémoire, je suis allé voir Manu pour en avoir le cœur net. Même si elle était toujours hospitalisée, elle a accepté de me voir. Et je lui ai tout raconté. Tout.   

 

- Je suis tellement désolée Idris. Si j’avais su que tu pensais que c’était moi qui portais ton bébé… Mais tu sais, je souffre d’endométriose. Tu te rappelles des douleurs qui me clouaient au lit pendant des journées. Et bien c’était ça. Et cette putain de maladie rend pour certaines femmes les grossesses presque miraculeuses. Une clinique de procréation ne m’aurait jamais choisi pour faire ce job. Il faut beaucoup de générosité pour mettre son corps au service d’autrui avec le risque que ça comporte. 

- Je ne savais pas pour l’endométriose. Mais en même temps, tu te rappelles que je te disais aussi que tes douleurs avaient forcément une explication médicale.

- Oui et ça me rendait dingue parce qu’à l’époque aucun médecin n’arrivait à m’expliquer clairement ce qui se passait. La fille que tu as vu dans mon immeuble c’est la nounou de ma voisine et comme elle n’est quasiment jamais là, toujours en voyage avec son enfant, elle a du temps libre alors j’en profite un peu. Elle ne sait pas écrire, ni lire. Je l’ai aidé. 


Tout ce malentendu est parti de là. 

   

- J’ai reconnu ton écriture à la seconde où je l’ai vue. 

- T’es dingue après toutes ses années, tu as reconnu mon écriture, s’est-elle écriée en me faisant un sourire un peu triste. 

- Sérieux. C’est pour cette raison que j’étais tellement convaincu que c’était toi. Et ça me faisait drôle de me dire que tu portais mon… bébé.


Son regard s’est voilé. 

 

- Il n’y a plus de bébé Idris. Tout ça c’est de ma faute. J’aurai peut-être dû un peu mieux me reposer ou … me faire suivre ailleurs. Je pensais que comme la grossesse de David c’était bien passée, celle-là aussi ne poserait aucun problème. 


Une larme a coulé sur sa joue. Elle l’a essuyée et a regardé ses doigts mouillés d’un air absent. 


- Je ne sais pas pourquoi je n’arrête pas de pleurer. 

- Tu es triste Manu, c’est normal. Tu en as le droit. 

- Je … C’est de ma faute tout ça.

- Arrête de parler comme ça. Tu ne peux pas être responsable de ce qui s‘est passé.  Ton mec aurait dû être là pour toi et te soutenir. Pourquoi tu l’as laissé partir ? 


Elle s’est redressée sans répondre à la question. Elle a regardé son plateau repas d’un œil terne. C’étaient des pates avec une bolognaise un peu sèche et une pomme verte comme dessert. Je n’ai jamais compris pourquoi les hôpitaux s’obstinaient à servir de la bouffe immangeable à des personnes qui sont malades et ont besoin de bien manger pour retrouver des forces. J’aurai du penser à lui apporter quelque chose à manger mais j’avais tellement hâte de la voir pour éclaircir tout ce délire que je me suis fait seul dans ma tête.


- Ça ne marchait plus.


Elle a eu le plus grand mal à me l’avouer. 


- Et alors ? Je vais dire à ma femme que ça ne marche plus entre elle et moi. Mais je serais toujours là pour elle si elle a besoin de moi. Je veux voir mon enfant grandir Manu. Je ne m’imagine pas ne pas me battre pour voir ça.   

- Tu veux quitter Zeina ? Ne fais pas ça Idris. 

- Je ne te demande pas ton avis Manu.

- Idris. Écoute-moi. Si c’est pour moi que tu le fais… 

- Je ne vais pas faire semblant de ne plus t’aimer pour pouvoir garder la tête haute si tu me rejettes. Je ne le fais pas pour toi Manu. Je le fais en partie à cause de toi mais pas pour toi car il y a une nuance. De toute manière, je serai fou de le faire pour toi. 

 

Et la discussion s’est arrêtée là. 


*

**


Pendant un an, les choses se sont remises en place tout naturellement entre Manu et moi. Je n’ai pas couru me réfugier dans ses bras. Je ne l’ai pas suppliée de me dire oui. Parce que j’ai retenu la leçon.  Ce que j’ai appris de mes propres erreurs, c’est que certaines personnes ne devraient jamais, jamais s’engager dans une nouvelle relation sans d’abord avoir guéri de l’ancienne. Les gens ne sont pas toujours des remèdes les uns pour les autres. Ce n’est pas parce qu’on s’est brisé le cœur dans une relation passée que lorsqu’on rencontre une autre personne, elle réussira forcément à recoller les morceaux. Rencontrer quelqu’un d’autre nous donne l’impression que nous n’avons plus besoin que l’effort vienne de nous. Parfois c’est en nous que réside le pouvoir de guérison. Rien qu’en nous. Ce sont nos propres combats, notre pouvoir de résilience qui saupoudre nos vies de magie. Pas forcément l’amour que quelqu’un d’autre nous porte.


Alors je l’ai laissée guérir de Pierre, tout en étant près d’elle pour chaque fois où elle s’est mise à pleurer sans savoir quand elle s’arrêterait. Je me suis enfin laissé guérir aussi. Je me suis donné la peine de devenir un homme, de ne plus jamais chercher l’approbation des autres avant la mienne. 

Après avoir perdu son enfant, elle a contacté Pierre des milliers de fois sans jamais obtenir une réponse. Même si comme elle l’a dit ça ne marchait plus entre eux, elle estimait qu’il était en droit de savoir. Il n’a jamais répondu. Puis ses appels se sont espacés et ses messages ont cessé. 


Je suis devant la porte de Manu et je sais qu’elle m’attend. Je lève la main pour cogner puis la baisse. 


J’ai bafoué toutes mes croyances pour elle. Pour moi un couple musulman reste ensemble non jusqu’à ce que la mort les sépare mais jusqu’au paradis. Aux yeux d’Allah, je suis sûr que le divorce est détestable. Il aime nous voir prendre soins de nos femmes et fait grandir notre foi en conséquence. Mais moi, j’ai tout bafoué pour elle. Parce que je sais qu’Allah déteste aussi le mensonge et l’hypocrisie. Je crois aussi que ma fille n’a pas besoin d’un père et d’une mère parfaite pour grandir dans la foi. Je pense surtout qu’elle a besoin de personnes heureuses autour d’elle. 

Je suis resté avec ma femme, le temps de l’aider à traverser la première année de Khadidja. Maintenant qu’elle a un an et qu’elle va aller à la crèche, je me suis décidé à partir.


Je cogne.


Dès que Manu ouvre sa porte, je la prends dans mes bras. Ce moment d’intimité partagée me rappelle de bons souvenirs. Ça me rappelle que j’ai été là pour elle autrefois quand elle traversait des moments difficiles. Et ça me rappelle qu’elle m’a toujours compris sans que je n’aie jamais à justifier quoi que ce soit. Ça me rappelle que dans la vie tout ce dont on a besoin au final c’est de courage.

Le courage d’être qui on est. 

Le courage d’aimer qui on veut.

Le courage de vivre sa vie comme on l’entend.

Malheureusement ce courage peut parfois heurter ou blesser les autres. 

J’ai eu tort sur toute la ligne avec Zeina. Mais je retiens de mes erreurs pour ne plus jamais les commettre. Elle me serre fort dans ses bras puis pose un baiser sur mes lèvres. 


— Je te l’avais dit…

— Quoi ? 

— Qu’il y avait de l’amour entre nous.

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