Chapitre 38
Write by leilaji
The love between us
Chapitre 38
Je m’avance calmement vers ceux que je considère désormais comme ma famille. Il est vrai que c’est peut-être mettre la charrue avant les bœufs mais c’est ainsi que je le ressens. Je ne vois pas ma vie sans eux. Si je me lève chaque matin et que je travaille comme un forçat dans ma camionnette, c’est pour que ceux que j‘aime ne manque de rien. Et contrairement à ce qu’elle pense, mon ex-femme aussi fait partie de ma famille. Je pourvoirai à ses besoins jusqu’à ce qu’elle se remarie ou qu’elle prenne son envol. Comme ça au moins, je n’ai pas l’impression d’avoir complètement gâché sa vie.
Pierre s’avance aussi, les mains enfouies dans les poches de son jean, le regard déterminé. Il est plutôt bien mis pour quelqu’un qui est porté disparu. Et il a l’air plutôt serein pour quelqu’un qui a abandonné derrière lui toute une famille sans lui donner aucune nouvelle.
Est-ce que je devrai m’en faire ? Pour une fois dans ma vie j’estime que non. De toutes manières les dés sont jetés. Mon avenir avec Manu est pour moi plus qu’évident. Pierre ne pourra rien y faire. Parce que j’ai confiance en nous. Alors je vais me comporter en homme civilisé. Les enfants sont là, comme le dit Manu, ils n’ont pas à pâtir de nos conneries d’adultes. Nous habitons dans une petite maison de cité. Ici les murs d’enceinte ne sont pas très hauts. Alors on peut de son pallier voir tout ce qui se passe dans la rue. Pierre ouvre le portillon en fer forgé et entre dans la concession.
- Bonjour Manuella.
Il la dévore du regard. Si j’avais le moindre doute quant aux sentiments qu’il nourrit à son égard tout est clair à présent. Il l’aime encore. Il la veut toujours. Alors pourquoi est-il parti ?
Manu ne répond pas. Il ne semble pas surpris par son attitude revêche. Donc il savait qu’il serait accueilli froidement mais il est quand même venu ? Pourquoi ? La provoquer ? Me provoquer ?
Pierre pose alors son regard sur moi. Ses yeux ont froids et méprisants. Est-ce censé m’intimider ? Il croit qu’on est dans la cours de récré à se demander celui qui réussira à mieux impressionner l’autre ? Maintenant que je peux le détailler de plus près, je me rends compte que ces années loin de Libreville ne lui ont pas vraiment été favorables. Quelques mèches blanches zèbrent sa tignasse.
- Bonjour Idris.
- Salut Pierre. Que nous vaut l’honneur de cette visite ?
- Je veux voir ma femme et mon fils, explique-t-il.
- Je ne suis pas ta femme.
C’est à peine si on entend Manu. Puisqu’elle et les enfants sont restés derrière moi, je me tourne vers elle. Son teint cendreux ne me dit rien qui vaille. C’est comme si elle était au bord de l’évanouissement mais qu’elle luttait pour rester consciente. David quant à lui n’a pas daigné lever le regard sur son père.
- Je suis désolé de débarquer ainsi sans prévenir. Mais j’ai eu beaucoup de mal à te retrouver Manuella.
- Hum.
- Mais finalement le locataire que tu as laissé dans mon appartement de Nzeng a bien voulu me dire ou se trouvait la mère de mon fils qui venait récupérer le loyer chaque fin de mois.
- On n’a rien à se dire.
- Au contraire.
Khadidja sur la hanche, Manu s’empare de son garçon, tourne les talons et fonce chez nous. Je suis tellement surpris que je mets un temps à quitter la porte du regard une fois qu’elle l’a fermée. Pierre veut la suivre mais je me mets en face à lui, l’empêchant ainsi d’avancer. Je fais des efforts surhumains pour garder mon calme. Il ne faut surtout pas que j’oublie que son fils est là et que ce serait dommage qu’il nous voit nous battre.
- Quoi ? Tu veux m’empêcher de voir mon fils ? Après tous les efforts et les sacrifices que j’ai eu à faire, tu crois que tu peux me voler ma famille ? Tu pensais que je n’allais jamais venir récupérer ce qui est mien ?
- De un, je ne te vole rien du tout. De deux, tu vas te calmer ou je te fais dégager de chez moi.
- Waoh, le gentil Idris larbin de Manu est de retour on dirait. Où est ta femme ?
- Oh ma femme ? je crois qu’elle est à … Va te faire foutre.
Je le dis d’un ton cordial, de sorte que même si le voisinage nous observe, il ne puisse ressentir l’animosité entre nous. Parce qu’on ne peut pas faire semblant. On ne s’est jamais apprécié lui et moi. Quand j’assistais aux matchs de Manu, alors même qu’elle ne sortait pas avec lui, il passait son temps à essayer de me rabaisser. J’ai toujours su garder mon sang froid et lui faire perdre le sien avec quelques piques bien placés. Mais ça c’était avant qu’il ne fasse du mal à Manu. Parce que ce qui est sûr c’est qu’il lui en a fait d’une manière ou d’une autre. Je ne me sens plus obligé d’être aussi magnanime qu’autrefois. Parce que je n’ai jamais vu Manu régir ainsi devant quelqu’un. Même ma mère qui passe son temps à lui casser le sucre sur le dos, elle arrive à l’accueillir et à lui sourire, à passer outre.
Pierre est plus massif que moi. J’ai toujours été physiquement élancé mais pas imposant. Alors souvent les autres ont tendance à sous-estimer ma force. J’espère qu’il ne fera pas la même erreur.
- Je ne vois pas pourquoi on devrait compliquer quelque chose de simple. Tu es venu, elle sait que tu es là, OK ? Mais apparemment, elle ne veut pas te parler. Ne la force pas et surtout ne me force pas à intervenir.
- Alors donne-moi son numéro que je puisse l’appeler et lui parler. Parce que je ne partirai pas sans avoir l’assurance qu’on pourra se parler.
- Tu te crois où ?
- Ecoute, je ne veux pas de problème avec toi. Je veux juste qu’on se parle Manu et moi. Je partirai juste après. David c’est mon fils, j’ai le droit de le voir non ?
- Cette demande tu aurais pu la faire en restant hors du portail, je lui fais constater. Reste là. Je reviens.
Je retourne chez nous. Mais le salon est vide. Je retrouve Manuella dans la salle de bain. Elle se regarde sans vraiment se voir dans le miroir au-dessus du lavabo. Khadi essaie d’attirer son attention sans y parvenir. David quant à lui est en slip, la tête baissée de honte. Sa mère lui a enlevé son jean qui repose en tas humide à ses pieds. Il y a une odeur d’urine dans l’air.
- Manu !
Je crois qu’elle ne m‘entend même pas. Elle ouvre le robinet d’eau et se mouille le visage. Ses mains tremblent, elle n’est pas dans son état normal. Je prends les choses en main. Dans la chambre des enfants, j’ouvre le placard et en sors des vêtements tout propres pour David qui je le comprends maintenant s’est fait pipi dessus. Ça ne lui était jamais encore arrivé. Il est trop âgé pour avoir ce genre d’accident sans que ça ne dénote une peur extrême. Je reviens dans la salle de bain où Manu est à présent assise sur le bord de la baignoire. Elle sert Khadi dans ses bras. David n’a pas bougé d’un pouce. Je lui enlève le reste de ses vêtements et le rince rapidement à l’eau froide. Il ne proteste pas alors qu’il a toujours eu horreur de l’eau froide. Je l’habille et prends Khadi des bras de Manu. Je les installe au salon devant une chaine pour enfant et je retourne dans la salle de bain.
- Manu. Il est peut-être temps que tu me dises ce qui s’est passé. Tu as vu dans quel état vous êtes David et toi ? Je fais tout pour garder mon sang froid là. Dis quelque chose, que je sache si je peux le laisser dans notre jardin ou si je dois appeler les flics après lui avoir cassé la gueule.
Elle éclate d’un rire sans chaleur.
- Si tu fais ça tu vas juste aller en taule et ta mère dira qu’elle avait bien raison et que je suis une mauvaise influence dans ta vie.
- Est-ce que c’est le moment de parler de ma mère ?
Elle ne répond pas et essuie son visage. Ses mains tremblent toujours. Elle inspire et expire avec force la tête baissée. C’est la première fois que j’ai l’impression de voir Manu… apeurée. Je la prends dans mes bras pour lui communiquer la force de ma présence, pour qu’elle se sente aimée. Sa tête est sur mon ventre. Je caresse ses cheveux, passe les doigts sur les arabesques tracées par le coiffeur. Cette femme est la femme de ma vie, je ne supporte pas l’idée que quelqu’un ait pu lui faire du mal. Je ne supporte pas l’idée de rester planter là pendant qu’elle semble reprendre son souffle. Je m’agenouille devant elle pour être à sa hauteur.
- Je ne peux pas te voir dans cet état sans être inquiet. Et j’essaie de ne pas te brusquer pour que tu puisses parler avec aisance quand tu seras prête. Mais je te promets Manu que s’il t’a…
- Hé arrête. C’est du passé tout ça. Je ne veux pas que tu me vois comme ça.
- Comment ?
- Comme quelqu’un de faible. C’est le passé.
- Un passé qui te fait souffrir encore aujourd’hui.
- Je suis forte à présent. Je suis redevenue moi-même. Je suis redevenue la Manu que tu as toujours aimé, en mieux. Je suis revenue forte Idris. Je ne suis plus une victime. Je peux gérer.
Elle lève la tête. Ses mains ne tremblent plus. Elle semble déterminée. Elle regarde au loin par la fenêtre pendant qu’elle me parle.
- Je ne vais pas être celle qui a peur toute sa vie. Je peux y arriver. Le bonheur est là Idris. Je l’ai touché du doigt avec toi. Je ne le laisserai pas s’en aller. J‘y ai droit comme tout le monde. Le bonheur est là et le bonheur c’est David, toi et ta fille. Lui ce n’est qu’une grosse brique qui vient barrer ma vue pour me donner l’impression que je suis seule et que je n’y arriverais pas. Mais je vais briser cette brique. Je vais briser cette peur…
Mon téléphone sonne. C’est Zeina. Je coupe l’appel mais elle insiste. Manu me demande de décrocher. Elle quitte la salle de bain pour retrouver les enfants au salon.
- Oui Zeina.
- Ramène-moi ma fille tout de suite Idris. Tu m’as déjà tout arraché tu crois que je vais te laisser me prendre ma fille pour la donner à cette femme ?
- De quoi tu parles ? Je te l’emmène.
- C’est mieux pour toi.
- Zeina, on doit parler…
- De quoi ?
- Je souhaite mettre en place un nouvel aménagement des heures qu’elle passe avec moi dès que je serai là. Quatre jours par mois c’est bien trop court.
- Il vaut mieux que ce soit clair pour toi dès à présent. Jamais je ne vous la laisserai.
- Personne ne te parle de nous la laisser. Pourquoi tu vois les choses en noir ? Elle est aussi heureuse avec toi qu’elle l’est avec moi et c’est le plus important. Pourquoi tu veux ...
- Il fallait te poser toutes ces questions avant de rompre la promesse que tu m’as faite devant Dieu. Ramène-moi ma fille.
Et elle raccroche. Je peux comprendre qu’elle soit sur la défensive. Mais a –t-elle vraiment besoin d’être aussi agressive ? Je rejoins Manu et les enfants. Ils sont concentrés sur le dessin animé qui passe. Je fais signe à Manu de se rapprocher de moi pour qu’on puisse parler.
- C’était Zeina.
- Elle veut sa fille je suppose, dit-elle en jetant un coup d’œil à la montre à son poignet.
- Oui.
- Va la déposer à sa mère. Je vais m’expliquer avec Pierre pendant ce temps. Et reviens dès que tu as fini.
- Je préfère qu’il revienne un autre jour. Quand je serai là.
- Pour qu’il croit que j’ai peur de lui. Non merci.
- Manu, j’ai vu tes mains trembler comme jamais auparavant.
- Regarde, dit-elle en tendant ses deux mains devant elle pour me prouver qu’elle est à présent parfaitement sereine. Idris. Vous ne vous aimez pas. Si tu es là, ça ne fera qu’empirer la situation. Je pense qu’il veut me dire où il était passé et surement essayer aussi de voir son fils. Je sais déjà comment les choses vont se passer. Il va me demander pardon pour tout le mal et on va s’expliquer. Et il partira. Ici ce n’est pas chez lui de toute manière. Il ne monte sur ses grands chevaux que lorsqu’il est chez lui.
- OK. Mais garde ton téléphone sur toi. Et asseyez-vous sur les chaises du jardin. C’est mieux.
Elle me sourit. Je récupère Khadi qui commence à se montrer bougonne. Elle n’a pas envie de partir.
- David, je vais déposer Khadidja à sa mère et toi tu restes ici pendant que maman parle à ton père, OK.
- Je peux aller dans ma chambre ? demande-t-il d’une tout petite voix.
- Ton père voudra peut-être te faire un petit coucou.
- Je peux aller dans ma chambre maman ? demande-t-il à Manu en constatant qu’il n’aura pas gain de cause avec moi.
Manu s’assoit à côté de son fils.
- Tu restes dans ta chambre et tu fermes la porte. Je reviendrai te chercher moi-même OK.
- Pourquoi Idris il s’en va avec Khadi ? Il va nous laisser seuls maintenant que papa est là ?
- Non pas du tout, je réponds à la place de Manu. Je reviens dans quelques minutes. Khadi manque à sa maman et j’avais promis de la ramener.
- Donc tu vas revenir nous chercher maman et moi ? Promis ?
- Promis.
David file dans sa chambre et Manu et moi sortons. Je sais qu’elle suivra mes instructions. Elle veut juste en finir plutôt que de reporter à un autre jour quelque chose qu’elle peut affronter maintenant. Déposer Khadi et revenir me prendra tout au plus trente minutes si je fais vite.
Avant de laisser Manu, je la serre très fort dans mes bras et l’embrasse. Ce qui fait rire ma fille qui se met à applaudir et à demander à son tour un bisou. Manu éclate de rire lorsque Khadi aussi obtient son bisou mais sur la joue.
- Khadidja, tu ne réussiras pas à me voler le cœur d’Idris tu sais. Son cœur m’appartient depuis toujours… il a été créé pour moi.
*
**
Lorsque mon téléphone sonne de nouveau, je suis au volant et Khadi bien attachée sur le siège-auto enfant. Ce n’est pas Zeina qui me harcèle pour lui ramener son enfant mais sa sœur qui appelle. Je décroche.
- Salut.
- Salut. Toujours fâchée contre moi ?
- Toujours jusqu’à la fin de ma vie.
- Donc tu appelles pour me menacer ou m’insulter ?
- Non. Te demander si tu avais remarqué le comportement étrange de ma sœur ?
- Etrange ? Tu veux dire à part le fait qu’elle ne veut personne autour de Khadi parce qu’elle pense que tout le monde veut lui enlever notre fille ?
Elle soupire.
- Tu sais, je ne voulais pas que ça se termine ainsi entre nous. Je ne l’avais pas prémédité. Je ferai tout pour arranger les choses mais, il va falloir que ta sœur y mette du sien.
- Je ne sais pas si elle y arrivera. J’ai l’impression qu’une chose s’est cassée en elle.
L’entendre me fait mal.
- Je serai là si elle a besoin de moi.
- Justement. Il faut que tu coupes les ponts. Continuer à être gentil et présent pour elle, ne fait qu’empirer les choses Idris. Elle est perdue.
- Je ne peux pas l’abandonner complètement. Elle ne travaille pas.
- Bah comme ça au moins elle va s’y mettre. Beaucoup de femmes dans ma famille travaillent tu sais. Elle peut le faire, c’est juste qu’elle ne veut pas. Moi j’ai besoin qu’elle tourne la page. Elle m’a appelé la dernière fois à 3 heures du matin car elle est tombée sur une vidéo de toi et ta copine avec les enfants. Elle était hors d’elle. J’ai réussi à la calmer. Mais voir en vidéo sa fille si proche de ta copine. Ça l’a heurtée.
- OK. J’ai compris, je vais faire attention.
- Merci. Tu sais, c’est dur pour elle et pas seulement parce que tu n’es plus là. Elle était enviée par toutes parce qu’elle a épousé jeune un homme d’affaires qui lui donnait tout ce qu’elle voulait. Aujourd’hui, elle est la risée de toutes ses amies qui enviaient sa position. Et ça aussi, ça la démolit même si elle ne t’en parle pas. Etre aussi jeune qu’elle et divorcée…
- Qu’aurais-tu voulu que je fasse ?
- La polygamie c’est parfois aussi pour réparer ce genre de situation. Elle aurait gardé son mariage et toi tu aurais eu celle que tu aimais.
Je n’ai plus rien à ajouter. On se salue et elle raccroche.
Je suis arrivé. C’est toujours étrange pour moi de me garer devant mon ancien chez moi et de me dire qu’il n’y a pas si longtemps encore cette maison contenait toute ma vie. Le bonheur est un feu follet, chaque fois qu’on pense le tenir, il s’envole au loin. Je détache ma fille pour la faire descendre de voiture. Elle m’attrape la main. Je me saisis de son sac Pepa Pig, qui contient tous ses effets ainsi que ses nouveaux jouets préférés achetés par Manu. Dès que je sonne, Zeina m’ouvre la porte. Elle est complètement échevelée sous son voile et ne porte aucune trace de maquillage. Je ne l’avais jamais vue si peu apprêtée. J’ai l’impression qu’elle guettait notre arrivée depuis un certain temps déjà. Elle m’arrache Khadi des bras. Et cette dernière éclate en sanglot sous l’effet de la surprise. Sa mère la berce en serrant fort son visage contre sa joue. Je laisse son sac sur la tablette.
- Tu as l’air fatiguée Zeina. Tu es sure que tu ne veux pas que je la garde encore un peu ?
Elle ne me répond pas et me montre la porte du menton. Je suis donc prié de libérer les lieux. Khadidja essaie de descendre des bras de sa mère pour me rejoindre. Mais cette dernière la serre surement trop fort pour qu’elle puisse s’échapper. Je lui tourne le dos pour m’en aller. J’ai le cœur serré. A court d’idée, Khadidja se met à crier le nom de Manu convaincue ainsi que retenir mon attention. Je me tourne vers elle pour la calmer avant de partir mais sa mère me demande expressément de partir pour qu’elle puisse calmer sa fille.
*
**
Au volant, le pied sur l’accélérateur pour rejoindre au plus vite Manu, mon téléphone sonne une nouvelle fois. C’est encore la sœur de Zeina. Décidément, elle me hait mais elle ne peut s’empêcher de continuer à me parler du bien être de sa sœur.
- Tu as reçu le message ?
- Quel message ?
- De Zeina, elle m’a écrit quelque chose de trop bizarre. J’y comprends rien.
- Quoi ?
- Elle m’inquiète. Surtout ce dernier mois, elle était trop bizarre.
- C’est vrai qu’elle ne semblait pas dans son état normal quand je l’ai vu mais elle m’a demandé de partir donc je n’ai pas pu rester. Elle est surement fatiguée.
- On ne peut pas être fatiguée à ne rien foutre de sa vie, s’exclame sa sœur.
- S’occuper d’un enfant ce n’est pas ne rien foutre.
- Idris, s’il te plait, retourne la voir.
- Je croyais que tu voulais que je lui foute la paix.
- S’il te plait Idris.
- Ecoute, j’ai une urgence chez moi. j’irai la voir juste après, je lui explique en essayant de garder mon calme.
Je ne suis plus qu’à un feu rouge de la maison et Manu m’attend. Si elle n’a pas encore fini sa discussion avec Pierre, je préfère être là quand il partira.
- Idris. Je ne t’ai jamais demandé un service. S’il te plait. Ca ne te prendra que quelques minutes. Si tu vois qu’elle est trop bizarre, dis le moi. je vais appeler une de nos cousines qui est sur place, elle ira rester avec elle un moment.
Je soupire et fais demi-tour.
Lorsque j’arrive sur place la maison est plongée dans un silence inquiétant. Je pensais trouver Khadi en train de jouer au salon.
- Zeina ?
Personne ne répond. Je fouille mes poches pour prendre mon téléphone et l’appeler sur son numéro mais je me rends compte que je l’ai oublié dans la voiture. Je les appelle encore une fois mais personne ne répond. Elle n’est quand même pas partie de la maison ! Avec ma fille ? Je cours dans la chambre de Zeina vérifier si leurs affaires sont toujours là.
- Khadi ?
Il n’y a personne dans la chambre. Mais les affaires sont là. J’ai le cœur qui bat moins vite mais mon cœur est toujours aussi lourd d’appréhension. Si les doudous de Khadi sont là, c’est qu’elles ne sont pas parties. Il ne me reste plus la chambre de Khadi à inspecter avant de dire à sa sœur que je ne les trouve pas. Zeina est capable de s’y être cachée et de rester silencieuse rien que pour me rendre dingue.
Lorsque j‘ouvre la porte. Je vois au milieu de la pièce des pieds qui pendent. Pendant une seconde, je ne comprends pas. Je mets du temps à concevoir ce qu’elle vient de faire. Je mets du temps à réagir, à voir plus que des pieds qui pendent.
Je me précipite sur elle. J’attrape ses deux pieds pour que le tissu qui enserre son cou ne l’étrangle plus. J’ai du mal à réfléchir.
- Putain de merde Zeina ! Mais qu’as-tu fait ?
Du pied, j’essaie de remettre debout la chaise renversée à ses pieds tout en faisant l’effort de la maintenir assez haut pour qu’elle ne s’étrangle plus. Je transpire, je cafouille mais je réussis à la décrocher. Je pose son corps par terre avant de chercher le pouls. Il n’y en a aucun. Elle est partie. Et c’est de ma faute. Puis je vois le nounours posé à coté et pense à ma fille. Le lit pour enfant est fait. Une grande couverture verte est posée dessus. La couverture semble bombée au milieu comme si elle préservait un secret. Je me lève. Les jambes tremblantes. Mes oreilles sifflent. C’est la couverture favorite de ma fille. Les larmes coulent sur mes joues. En deux pas, je suis devant le lit. Je lève la couverture. Khadidja. Aux lèvres bleues. Aux yeux clos. Au corps froid.
- Khadi, ma chérie ouvre les yeux c’est papa, je murmure à son oreille en la prenant dans mes bras.
Je passe ses bras autour de mon cou comme elle aime le faire quand elle est heureuse que je joue avec elle et qu’elle ne veut pas me laisser partir. Elle accroche ses petits bras à mon cou comme un petit singe et elle serre fort. Et parfois je me fâche car je dois partir et que j’estime qu’elle fait des caprices.
Je veux qu’elle fasse encore une fois ses caprices. Je veux qu’elle en fasse autant qu’elle le veut aussi longtemps qu’elle le veut. Ma Khadi… Ma petite Khadidja.
Mais elle ne réagit pas. Je n’arrive pas à distinguer son visage, ma vision est brouillée par mes larmes. Je pose ma tête sur sa petite poitrine pour vérifier sa respiration. Mais je n’entends rien. Je ne peux pas la laisser elle aussi me quitter. Alors je me précipite dehors et monte dans la voiture avec ma fille dans les bras. Je conduis d’une main. Je lui parle, lui dis à quel point je l’aime, à quel point j’ai besoin d’elle. Je brule les feux, et conduis comme un fou sous les insultes des autres automobilistes énervés. Je veux voir ma fille grandir, je veux la voir heureuse, je veux la voir amoureuse, je veux la voir mère. Ca ne peut pas s’arrêter ainsi.
Je me gare aux urgences de l’hôpital El Rapha derrière une ambulance qui vient d’arriver toutes sirènes hurlantes. Je me précipite sur le premier infirmier que je vois. Il comprend l’urgence et malgré ma panique et le fait que je m’agrippe à mon enfant, il réussit à me l’enlever des mains. Il la pose sur le lit mobile que lui emmène un de ses collègues. Il vérifie les constantes vitales de Khadi et pose un regard triste sur moi. Il secoue la tête face à son collègue qui le questionne du regard. Pourquoi restent-ils ainsi immobile ? ils ne devraient pas commencer à lui faire un massage cardiaque ou je ne sais quoi ? Pourquoi abandonne-t-il comme ccs sans rien faire ?
- Faites quelque chose ! Bordel ! Faites votre boulot !
- Monsieur, calmez-vous. Il n’y a plus rien à faire.
Je vais aller dans un autre hôpital. Pourquoi me suis-je arrêtée ici ? Je veux reprendre ma fille mais ils m’en empêchent. Est-ce qu’ils ne voient pas qu’il faut qu’il fasse quelque chose. Ce n’est qu’une enfant. Elle devrait être pleine de vie et de rire. Pas aussi immobile. Pourquoi ne lui rendent-ils pas ce que sa mère lui a pris par ma faute ?
- Faites quelque chose pour l’amour de Dieu, faites quelque chose... je supplie en pleurant de colère.
- Laissez le, hurle une voix qui ne m’est pas inconnue dans notre dos.
Les infirmiers me laissent et e m’effondre par terre. Des pas se rraprochent de moi et quelqu’un s’accroupit. Malgré mes larmes, je vois le visage de Patrick. Il est en larmes.
- Tout ça c’est de ma faute Patrick. Elle m’a pris mon bébé pour me punir. Elle m’a pris mon bébé Patrick. Pourquoi ne m’a –t-elle pas puni moi ? Qu’est-ce que je peux faire pour changer ça Patrick ? Dis moi que ma Khadi est en vie, ma petite princesse…
- Idris soit fort … je ne sais pas comment te le dire. Elle t’a appelé. Mais. Je ne sais pas… Idris, sois fort.
Je ne comprends pas de quoi il me parle. Il m’attrape le bras pour capter toute mon attention. Mais il sert tellement fort que j’ai l’impression qu’il va me l’arracher. Qui m’a appelé ? Zeina ? Avant de se donner la mort ? Comment pourrait-il le savoir lui ? Mais tout est tellement confus dans ma tête que j’ai du mal à trouver des réponses à mes questions. J’essuie la morve qui me coule des narines. Comment vais-je le dire à David que Khadi ne jouera plus avec lui, qu’il n’aura plus jamais besoin de la protéger car son propre père a failli dans sa tâche ? J’essuie mes larmes. Patrick pleure tellement fort à présent que j’ai l’impression que c’est lui qui a perdu sa fille. Les ambulanciers poussent un lit roulant vers nous et s’arrête devant Patrick.
- Allons ailleurs mon fils. Allons ailleurs…
- Patrick. Qu’est-ce qui se passe ?
- Monsieur nous allons emmener le corps de votre fille à la morgue. Il faudra remplir les papiers.
- Quelle fille ? je demande à Patrick qui n’arrête pas de pleurer.
Il semble brisé. Je remarque enfin des taches de sang sur sa chemise. Mais lui-même semble indemne. Donc ce n’est pas son sang…
- Allons-y Idris. Ne reste pas là. Tu as déjà perdu ta fille aujourd’hui. Allons en salle d’attente, supplie-t-il.
Il essaie de me détourner des ambulanciers et du corps qu’ils ont ramené.
- Patrick ? Qu’est-ce qui se passe ?
- Elle a essayé de t’appeler…
Je sors mon téléphone de ma poche. Je l’avais récupéré dans la voiture où je l’avais oublié en retournant chez Zeina. Mes numéros de compte et d »’assurance sont sauvegardés dedans, c’est pour cela que j’ai pensé à la prendre malgré la panique.
J’y vois plusieurs appels en absence de Manu.
Avant qu’il ne puisse m’en empêcher, je baisse le drap qui recouvre le corps emmené par les urgentistes.
*
**
Patrick
Je n’avais encore jamais entendu un cri qui porte autant la douleur à son paroxysme. Aucun son n’est sorti de sa gorge mais mes tympans ont été vrillés par cette affliction muette.
Et je n’avais encore jamais vu un visage se décomposer littéralement sous le coup de la souffrance. Son visage métamorphosé par l’horreur de ce qu’il voyait m’a fait gémir de douleur plus que le visage meurtri de coups de Manu.
C’est un homme sans vie qui a serré le corps sans vie de Manu tout contre le sien. Parce que j’ai bien vu qu’il a perdu son âme au moment où il s’est rendu compte qu’il l’avait perdu elle.
Et je n’aurai jamais pu penser un jour que c’était l’amour entre eux qui allait les briser à jamais.
FIN.
25 novembre : journée mondiale de ?????