Chapitre 4

Write by leilaji

The love between us  

 

Chapitre 4 

 

Manuella 7 ans 

 

Je prends le peigne à larges dents et essaie de le passer dans mes cheveux mais il se coince dès que je l’enfonce. Si je tire ça va me faire mal alors je l’enlève tout doucement. Je prends une noix de vaseline car c'est tout ce dont je dispose qui pourrait m'aider à les assouplir. Je l’étale sur mes mains puis en badigeonne ma tête avant d’attacher le tout avec du fil à tresser car je n'ai plus de chouchou. Ça devrait suffire à calmer la fureur de maman si elle découvre que je n'ai pas pu me tresser parce que j'ai trop de nœuds dans les cheveux. Je me regarde dans le petit miroir de poche et constate que tous mes efforts n’ont rien produit de joli. Ma tête ressemble à une noix de coco sèche. Mes épaules se voutent. C’est une catastrophe. La porte s’ouvre avec fracas et maman me regarde en affichant son mécontentement habituel sur son visage. Même fâchée elle est belle. Elle a de longs cheveux qui lui tombent dans le dos et qu'elle se plait à faire tresser sans y ajouter de la mèche. Ses traits sont fins comme ceux des blancs. En plus elle a des yeux très clairs comme ceux des chats.  J'aimerais tellement lui ressembler mais ce n'est pas possible. Je suis aussi noire qu'elle est claire de peau et puis on n'a pas le même visage.  

 

— Tu es toujours sale toi. Tu crois que ton père et moi on va sortir tous ensemble avec une vilaine fille sale comme toi ? Hors de question.  

— Maman... 

— Fianfian. Qui tu appelles maman ? Je ne peux pas accoucher une laideur comme toi. On va y aller. Mais toi tu restes ici. 

— Mais maman, tu avais promis de m'emmener avec vous au restaurant.  

— Et alors ? Tu as réussi à passer en classe supérieure ?  

 

Je baisse les yeux et mords ma lèvre inférieure pour l’empêcher de trembler. Je vais redoubler ma classe de CE2. J’ai eu beau prier Dieu pour qu’il m’aide enfin à lire, ça n’a pas marché. Les lettres dansent la lambada dès que j’essaie de les décrypter. Au final Maman a raison, je suis trop bête.  

 

— Mais qu’est-ce qui se passe ici ? Demande papa en entrant à son tour dans ma chambre. 

 

Quand on voit mon père et qu'on me voit par la suite, on se demande bien quel lien nous unis. On ne se ressemble même pas un peu. Il est aussi épais qu'un bédoume alors que moi je suis toute petite de partout. 

 

— C’est celle qui se prend pour ta fille. Moi je n’accepterai pas qu’elle nous accompagne comme ça hein. Regarde sa tête.  

— Mais il fallait la coiffer ! 

— Avec ses poux ! Tu veux qu'elle me les passe ! Parfois je ne demande si tu réfléchis.  

— Bon elle va rester avec Patrick. Il va aller lui acheter les gâteaux farine. Ça va aller ma puce ?  

 

Son regard me supplie de dire oui, de ne pas regimber et mettre sa femme en colère. Le mien le supplie de ne pas me forcer à mentir. Mais il fait celui qui ne voit pas ma déception. Alors je m’assoie, essuie mes mains pleines de vaseline sur ma jupe plissée que j’avais portée pour l’occasion. Et je réponds aussi joyeusement que je le peux : oui papa. Maman me sourit enfin.  

 

— J’aime quand tu es sage comme ça. On va voir ce qu’on peut te ramener.  

— Merci maman.  

 

Ce merci maman, m'écorche la bouche, alors qu'il est dit avec sincérité. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que je suis une mauvaise au fond et que je ne sais pas dire merci gentiment. J’enlève ma jupe plissée et la chemisette qui va avec. Ça n’a servi à rien de les porter pour plaire à maman. Je reprends mon short jean et mon teeshirt de maison. Je me sens mieux maintenant même si le col de mon tee-shirt gondole un peu à force d'avoir été lavé.  

Ils s’en vont une trentaine de minutes plus tard après m’avoir laissée au garage avec Patrick. 

 

Elle répète à qui veut bien l’entendre que j’ai les poux et que je suis sale alors qu’elle sait très bien que c’est ma copine qui m’a passée les siens. Je savais bien qu’elle avait les poux mais personne ne voulait jouer avec elle. Elle pleurait seule dans son coin. Je n’ai pas eu le cœur de rester loin d’elle. Et maintenant ça va faire un mois que je traîne ces sales petites bêtes dans mes cheveux parce que maman refuse de m’aider à m’en débarrasser. La dernière fois Patrick a mis de l’huile de frein dans mes cheveux et m’a fabriquée une Charlotte avec un vieux sachet de nourriture. Ça les a tous tué. J'en étais tellement heureuse que je ne l'ai plus quitté pendant au moins une semaine. Mais il a dit que comme je me suis recouchée dans le même lit sans avoir changé les draps, c’est pour ça que je les ai de nouveau attrapés. Je ne savais pas qu'il fallait traiter les draps et les peignes pour ne plus avoir ces sales bêtes.  

 

Assise sur un vieux pneu, je le regarde bricoler une voiture avec une lampe torche dans une main et un outil dans une autre. Il a du mal à bien éclairer sous le capot et travailler en même temps. Je me lève et lui propose mon aide qu’il accepte. Alors je tiens mon paquet de beignet dans une main et la torche dans l’autre. Et il travaille en silence. C'est bizarre mais j'aime bien l'odeur du cambouis. Je préfère ça à l'odeur de la vaseline. 

 

Maintenant je n’y vois plus rien. Parce que mes yeux se mouillent de larmes quand je pense à papa qui n'a rien fait pour qu'elle accepte de m'emmener avec eux. Mon cœur me fait mal. Ma gorge nouée m’empêche d’avaler ma salive. Les larmes roulent sur mes joues sans que je les essuie parce que je ne veux pas que Patrick me voit pleurer. J’ai envie de me gratter la tête mais pour rien au monde je ne le ferai devant lui.  

 

— Elle refuse de s’occuper de ta tête n’est-ce pas ? Demande-t-il soudain en tournant le regard vers moi.  

 

J’hausse les épaules sans rien confirmer. Il pose son outil dans une boite, essuie ses mains sur sa combinaison de travail et me prend la torche des mains.  

 

— On peut te couper les cheveux. C’est plus simple. Ils repousseront de toute manière. Comme ça tu n’auras plus de problème de poux.  

 

Je dis oui immédiatement. Je m’en fiche bien qu’ils soient très longs en ce moment, même plus longs que ceux de maman. Tout ce que je veux c’est ne plus avoir à me gratter la tête.  

 

— Mais si on te coupe les cheveux à ras, tu vas ressembler à un garçon. Tu ne portes même pas de boucles d’oreille.  

 

Les boucles d’oreille du marché m’abîment les oreilles quand je les porte en permanence. Maman a dit que comme je ne réussissais pas à l’école, ça ne servait à rien de m’en acheter en or.  

Ressembler à un garçon ne me déplaît pas. Même si j’ai des poux, les acceptent toujours de jouer avec moi parce que je suis forte, j'encaisse les coups sans pleurnicher et je peux fabriquer plein de jouets. Les filles par contre passent leur temps à jouer à la poupée. Je n’ai pas de poupée. Alors elles ne veulent pas que je me mélange à elle. Même Melissa qui m’a passée ses poux refuse de jouer avec moi parce qu'elle n’en a plus et risque de les attraper de nouveau. Les filles c’est stupide. Je m’en fiche de ne pas ressembler à une fille.  

 

— Coupe les Patrick.  

— N’empêche que si on te les entretenait un peu, tu serais vraiment fière de tes cheveux. Ils sont tellement longs et touffus. Ce n'est pas donné à tout le monde.  

— Coupe-les.  

— Ok. Demain je t’emmène chez le coiffeur. Mais avant je vais demander la permission à ton père.  

 

Quelle perte de temps. Il s'en fiche bien.  

 

— Bon en attendant tu vas m’aider à ranger le garage avant de le fermer.  

 

J’acquiesce, avale le reste de mes gâteaux. Avec pour une fois depuis le début de ce jour, le sourire aux lèvres. Dès que le garage est complètement propre, il me propose de m'acheter des biscuits le temps que mes parents rentrent et que mon père vienne me chercher. Une fois le paquet de biscuit acheté, il me le tend et me fait assoir face à lui. Ce sont les moments que je préfère le plus. A part quand je peux le regarder réparer une voiture évidemment. Parce que je peux lui poser toutes les questions du monde et j'ai toujours l'impression qu'il me répond sans me mentir. Les vieux mentent tous les jours. Mais pas lui. Quand papa m'a dit que je serai heureuse avec une nouvelle maman. Il mentait. Quand ma nouvelle maman a dit qu'elle me traitera comme sa fille, elle mentait. Tous le monde ment tous les jours. Sauf Patrick.  

 

— Tu crois que je suis sale ?  

— Mais qui t'as dit ça ?  

— Les autres mamans. Et maman aussi le dit à tout le monde. Je frotte du citron sur ma peau pour ne plus être trop noire mais ça ne marche pas. Peut-être que je suis trop sale pour que la saleté parte de ma peau. 

— Mais être noire ne veut pas dire être sale. Moi je suis noir non.  

 

Je le regarde plus attentivement. C'est vrai. Mais lui c'est un homme donc ça ne compte pas. Je pense à un exemple qui changera son avis sur la question.  

 

— Alors pourquoi toutes les mamans veulent des petites filles à la peau claire ? Hein pourquoi ? Elles ne veulent pas qu'elles noircissent comme moi.   

— Elles sont stupides. Tu n'as pas besoin d'être aussi stupide qu'elles.  

— Je suis déjà plus stupide qu'elles.  

 

Il se lève et ramasse la voiturette en boite de conserve que j'ai fabriquée avec un petit moteur en bois. Il me la remet entre les mains. Ce truc m'a bien cisaillé les doigts avant de prendre la forme que je voulais. Mais le résultat en valait la peine. 

 

— Une fille stupide ne pourrait pas fabriquer ça Manuella.  

— Une fille pas stupide passerait en classe supérieure.  

— Tu sais, tout le monde n'est pas fait pour chauffer les bancs de l'école. Fais de ton mieux en classe mais si ça ne donne rien, je t'interdis de te dire que tu ne vaux rien. Dieu t'a donné dix doigts pour travailler à la sueur de ton front et te nourrir avec le fruit de ton travail. Et c'est-ce que tu as fait en fabriquant cette voiture. Tu as utilisé tes dix doigts. Comment t'es-tu senti quand les autres ont voulu te l'acheter ?  

— Fière. 

— Garde ça en tête alors. Pour tenir un stylo il te faut seulement quatre doigts. Ta vie ne peut se résumer à utiliser tes quatre doigts. C'est du gâchis. 

 

Papa apparait à l'entrée du garage, interrompant ainsi notre conversation. Même s'il n'est pas parti longtemps, il m'a manquée. Je me lève et cours me cacher dans ses bras. Il me serre très fort. Patrick le regarde avec colère mais ne dit rien. 

 

— Il faut de la patience, se justifie papa. Un jour elle finira par l'aimer comme sa propre fille.  

— Tu es mon patron, tu n'as pas de compte à me rendre.  

 

Patrick soupire puis s'en va. Tandis que je marche à coté de mon père, la main enfouie dans la sienne plus large et rugueuse, je me dis que c'est parce qu'il aime maman qu'il ne m'aime plus. Peut-être qu'elle a pris toute la place dans son cœur et qu'il ne reste plus rien pour moi. Puis je me révolte intérieurement. Car je trouve que l'amour c'est stupide. Comme les filles. Comme la vie. Comme les cœurs qui se remplissent trop vite d'une personne. Comme moi.  

 

** 

 

Manuella 8 ans 

 

— Qu'est-ce que c'est que ça?  

 

Maman est entrée dans la douche sans cogner. Elle tient une jupe en main. Elle vient surement de l’acheter pour moi. Elle le fait toujours quand elle veut demander de l’argent à papa. Elle justifie toutes ses dépenses en lui racontant que mes affaires lui coutent chères. De toute manière papa s’en fiche sinon ça fait belle lurette qu’il se rendrait compte que je ne porte que les mêmes vêtements. 

Mais pour le moment ce n’est pas le plus urgent. Ce qui me fait peur c’est qu’elle a écarquillé ses grands yeux d’effroi en détaillant mon corps. Je ne sais plus comment cacher mon corps avec mes mains.  D’habitude, elle ne s’occupe pas de moi quand je suis dans la douche. 

 

— Manu, viens voir ça! Hurle –t-elle en tapant dans ses mains pour lui signaler la gravité de la situation.  

 

J'essaie de m'emparer de ma serviette mais elle me l'arrache si violement que le coton me brule la paume des mains. Papa arrive essoufflé et détaille toute la salle de bain à la recherche de ce qui a bien pu faire crier sa femme.  

 

— Quel est le problème ?  

 

Maman montre de son index la partie qui est en dessous de mon ventre. Elle me démange un peu depuis quelques mois. Mais je n'ai pas voulu en parler. J'ai tout gardé pour moi pour éviter cette situation bizarre où elle me regarde comme elle regarde les petits mendiants en ville.  

 

 — Je t'avais dit que ta fille est possédée par l'esprit du père de sa mère sorcière là non! Ce que mon pasteur avait vu en rêve était donc vrai. Regarde toi-même.  

 

Pour ne pas croiser le regard de papa je baisse obstinément le mien. Je n’aime pas quand elle parle de ma mère. Elle n’en a pas le droit. Elle ne l’a même pas connue. Pourquoi la traite-t-elle de sorcière ? Je recule jusqu’au fond de la douche, colle mon dos aux carreaux froids. Ca me rappelle qu’on est en saison sèche et que je peux attraper un rhume à rester nue comme un ver. Je lis dans ses yeux que je devrais avoir honte. Alors j’ai honte. C’est presque une habitude maintenant. Ca ne me fait pas aussi mal que je l’aurai pensé

J'ai des poils à l'endroit qu'elle montre à papa et aussi sous les aisselles. Les autres enfants n'ont pas ça, j'ai bien regardé.   


— Laisse-moi l’emmener voir mon pasteur, supplie maman. Il va faire des prières pour elle. Ce n’est pas normal qu’une fille de son âge soit comme elle est. On dirait un garçon. C’est l’esprit de son grand père qui la dérange, je te l’avais dit. On va la délivrer du mal qui la ronge et tu verras que même à l’école ça ira mieux. Elle va enfin être comme une vraie fille. Sa mère a surement vendu son esprit à son grand-père. 


Parce que je ne supporte plus de l’entendre parler de ma mère, je rentre les épaules et me jette sur elle aussi violement que je le peux. Je pense à toutes les fois où j’ai rêvé le faire mais je n’ai pas osé. Je pense à mes cheveux que je n’ai plus. Aux filles qui se moquent de moi et aux mamans qui ne veulent pas que leurs filles jouent avec moi. Je mords tout ce qui tombe sous mes dents et tire tout ce qui s’approche de mes mains. Il faut toute la force de papa pour me détacher d’elle. Une touffe de ses cheveux dans ma main, je la regarde avec satisfaction bégayer des injures à mon égard. 


— Mais tu regardes ce démon faire ? demande-t-elle à papa quand elle se rend compte que ses insultes ne me blessent pas. 


Elle sort de la douche en courant puis revient avec de l’eau bénite qu’elle me verse dessus en priant. Je lis de la peur dans ses yeux. Et je constate avec satisfaction qu’elle a à présent peur de moi. Peur parce qu’elle ne me comprend pas. Peur parce que je suis différente d’elle. 

Je réussis finalement à prendre la serviette et à la nouer autour de mon corps. Papa quant à lui reste muet de stupéfaction. 


Je m’empare de la bouteille d’eau et la bois au goulot. Je ne sais même pas pourquoi je fais ça. 


— Le sang de Jésus sur toi, crie-t-elle. 


Je me demande si le pauvre Jésus n’est pas anémié à force de verser son sang sur tout ce que cette femme désigne.

  

** 


C'est toujours quand je suis bourrée que les souvenirs d'enfance remontent à la surface.

Je rigole tout doucement en regardant les lumières des lampadaires de Libreville défiler devant mes yeux. Mes amortisseurs de cette voiture sont une vraie merveille. Même quand on roule sur un dos d’âne, elle ne balance pas. Pierre s’engage sur la route étroite qui mène chez moi. Une fois garé devant le garage, il tire le frein à main et défait sa ceinture de sécurité pour se mettre à l’aise. Le silence règne dans l’habitacle parce que je n’entretiens pas la conversation, perdue que je suis dans mes souvenirs d’enfance. 

  

— Alors ?

— Quoi ? je demande en éteignant mon téléphone. 

— J’avoue que j’ai beaucoup de mal à te cerner. Tu m’as laissé parler tout seul tout le long du chemin alors que tu étais plutôt de bonne compagnie quand on a pris notre verre ensemble. Est-ce que j’ai fait ou dit quelque chose qu’il ne fallait pas. Parce que j’ai vraiment du mal à savoir comment avancer mes cartes avec toi. 

— C’est bien normal. 

— Explique-toi. 

— On va arrêter de tourner autour du pot. Qu’est-ce que tu veux exactement ? Coucher avec moi ou juste vérifier de plus près que je suis bien une fille ? 

Il lève les mains au ciel en signe d’innocence. 

— Tu ne vas pas me reprocher encore ma blague débile de quand tu as commencé à jouer dans l’équipe. Je sais que je suis parfois con, mais je ne suis pas le mec que tu crois. Je gagne à être connu. Sincèrement. On est parti du mauvais pied, mais … je réalise que j’ai fait une grosse erreur. T’es à tomber dans cette dentelle. Sérieusement j’ai eu du mal à te reconnaitre cette nuit. 

— Pas la peine de me sortir ton baratin habituel, lui dis-je en rigolant doucement. 

— Pourquoi ça ne marche pas avec toi ? me demande-t-il le plus sincèrement du monde en croisant les bras comme un enfant boudeur. 

Durant tout le trajet il m’a sorti toutes ses cartes de drague comme un professionnel pressé de le réciter son speech de vente. Et il se demande pourquoi ça ne marche pas avec moi ? Parce que les hommes sont élevés comme des prédateurs. Ils partent en chasse, heureux de pouvoir prouver leur valeur en ramenant des carcasses de femmes ayant succombé à leurs crocs acérés. Les femmes par contre sont élevées en proie. Leur mère leur donne toutes les astuces pour éviter de se faire dévorer par celui qui ne leur est pas destiné. Tout ça est peut-être inconscient mais ça  a un terrible impact sur la vie de tous les jours. 

Je n’ai pas été élevée en future proie d’un homme. Je n’ai été élevé par personne. Alors je n’ai pas vraiment eu le temps d’assimiler que je devrais être la proie d’un homme. Je ne sais pas me conduire en proie. 

— Tu veux entrer prendre un dernier verre ? 

— Sérieux ? 

— Oui. Je te demande si tu veux entrer. 

— Il est où le piège ? Genre demain matin je vais me réveiller et tu seras en train de cuisiner pour moi en chantant : « je suis calée ».

J’éclate de rire en me rendant compte à quel point il se trompe. Quoi il pense me faire plaisir en me demandant de cuisiner pour lui ? C’est censé me révéler qu’il me voit comme une possible future épouse ! Je fais toujours des bêtises quand je suis bourrée et triste. Et cette fois-ci, je vais peut-être ne pas en faire une. Je sors mes clefs de mes poches et lui tourne le dos. 

— Va chanter caler ailleurs. C’est pas vrai quel ringard ! 

J’ouvre ma porte, referme et m’effondre sur le canapé du salon pour cuver tranquillement mon vin. Mais fermer les yeux me ramène des années en arrière et fait apparaitre sur ma peau la sensation inquiétante des  mains baladeuses de ce putain de pasteur à la con que maman aimait tellement glorifier. Grace à lui je sais que les esprits qui envoutent les enfants n’existent pas. Mais les hommes mauvais oui. Les hommes à qui on ne doit jamais faire confiance. Oui. Je réprime une envie de vomir et me lève précipitamment. J’entrouvre la porte alors qu’il s’apprêtait à démarrer sa voiture et à partir. Pierre comprend et descend de la voiture pour me retrouver devant ma porte. Il ouvre la bouche. Surement pour me demander ce qui m’a fait changer d’avis. Je le bâillonne d’un baiser. 

Il y a des peines qui ne nous quitteront jamais. Des peines qu’on ne peut jamais effacer. Des peines qui nous détruisent de l’intérieur tandis que nous sourions vaillamment à la vie. 


Il y a des sentiments qui ne restent beaux et pures que parce qu’ils sont comme une rose sous couvercle. Ote le couvercle et tu verras chaque pétale foudroyé sous ton regard. 

Les mains de Pierre tiennent mon visage en coupe. N’importe quelle main, n’importe quelle bouche,  plutôt qu’une nuit de souvenir avec celles du pasteur de maman.

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