Chapitre 3

Write by leilaji

The love between us


Chapitre 3


Je ne pensais pas qu’il était possible qu’il puisse regarder une femme avec autant d’insistance et oublier que je suis juste à ses côtés. Il a lâché ma main, comme pris en flagrant délit de tromperie. Je vois dans ses yeux de la surprise et comprends que ça fait longtemps qu’il l’a vue. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle ait autant changé. Il a l’air estomaqué par sa beauté naturelle. J’ai du mal à avaler ma salive mais je me reprends rapidement en battant des cils pour retrouver ma morgue habituelle. Idris a toujours été un fan de belles femmes.


— Je crois que ta beauté vient de lui clouer le bec. Idris ! On bloque le passage je te signale. 


Il ouvre la porte et on entre sans plus perdre de temps. Le lieu est accueillant et bien décoré. C’est le genre d’endroit qu’Idris adore parce que les bars miteux c’est pas son truc. Contrairement à lui, les lieux un peu feutré et guindé, je n’ai jamais réussi à m’y accoutumer. Premièrement parce que c’est souvent trop cher et je déteste me vider les poches pour de la bouffe et deuxièmement parce que les gens ont toujours tendance à me regarder avec curiosité quand j’entre aux bras d’Idris. On s’installe près de l’entrée. Une bonne odeur de pâtisserie fraichement enfournées flotte dans l’air. Les clients présents bavardent gaiement entre eux. Après nos commandes et un silence gênant, je me décide à me jeter à l’eau pour lui, histoire de briser la glace.


— Bonjour Zeina, je suis Manu, une amie d’Idris, je lui dis en lui tendant amicalement la main.

— Enchantée de faire ta connaissance.  

— Moi aussi. Je ne vais pas rester longtemps. Je prends mon thé et je vous laisse en tête à tête t’inquiète. 

— Oh ça ne me dérange pas que tu sois là. Tu sais ça fait des années qu’on ne s’est pas vu Idris et moi. Je suis un peu intimidée.


Je me tourne vers le concerné tandis qu’il remue avec application son café trop sucré sans nous prêter aucune attention. A croire que c’est moi qui l’ai emmené ici sans le prévenir. A quoi il joue ? 


— Je crois que lui aussi est un peu intimidée.

— C’est qu’il n’a pas changé alors, dit-elle avec un petit rire de gorge tout ce qu’il y a de plus adorable. Il a toujours été réservé quand on était petits. 

— Ca c’est l’ancien Idris. La version 2.0 est tout à fait capable d’être charmant avec les femmes quand il le veut bien, j’ajoute en poussant de l’épaule Idris pour qu’il lève la tête. 


Il ne réagit pas et trempe son croissant dans son café avant de le mâcher avec application. Ok. Je m’éclaircis la voix, cherche un sujet de conversation utile qui pourrait faire sortir Idris de cette réserve inhabituelle. 


— Parle moi un peu de toi Zeina, j’espère qu’il n’y a pas un petit ami qui va venir nous assommer s’il nous trouve avec toi. 

— Non, je n’en ai jamais eu, répond-elle candidement. Les petits amis ce n’est pas vraiment le genre de ma famille. On saute cette étape et on se marie.

— Donc, Idris est sur ta liste de mari potentiel ? 

— Ma liste ? Oh, ce n’est pas comme ça que ça se passe. Je n’ai que mon père et une sœur ainée, ils décideront.


Elle joue le jeu et on bavarde toutes les deux gaiement comme d’anciennes amies. Je découvre qu’elle est une cousine éloignée d’Idris, qu’elle a 22 ans et qu’elle vient de finir ses études supérieures dans un domaine que je ne connais pas. Elle est fan de make-up et de cuisine européenne. Elle me fait un compliment sur ma coupe de cheveux très originale et moi, je ne sais pas quoi détester en elle. Surtout qu’Idris ne lui facilite pas la tache en gardant le silence. Je vois bien qu’elle essaie de bien faire, de ne pas end ire trop ou trop peu. 

Lorsque mon téléphone me signale qu’il est 8 heures 30, je fais signe à Idris que je dois partir. J’ai une longue journée de boulot qui m’attend. Il se lève pour me raccompagner alors que je ne lui ai rien demandé. Je m’excuse auprès de Zeina qui me fait la bise et me demande mon numéro de téléphone avant de me souhaiter une bonne journée. Cette fille c’est une perle.


Une fois devant ma voiture, une petite Toyota Carina retapée par mes soins, je laisse exploser ma colère. 


— T’es vraiment qu’un gros crétin. A quoi tu joues ? 

— A rien. 


Il n’ajoute rien mais je le sens en colère, sans trop comprendre pourquoi. Je prends sur moi et essaie d’être la plus responsable de nous deux. D’habitude c’est moi qui boude comme un bébé et c’est lui l’adulte. 


— Alors parle lui. Elle est venue pour toi je te rappelle. Elle est belle, intelligente, gentille, vierge, voilée. Que veux-tu de plus ? 

— Ce que tu viens de dire est tellement rétrograde que je ne sais même pas comment te répondre. 

— Je pensais que c’était ce que vous aimiez vous les musulmans. 

— Quoi on en est encore là ? C’est maintenant vous les musulmans ! Tu n’as rien compris pendant toutes ces années ? 

— Ce que j’ai compris c’est que celle que ta mère a choisi pour toi correspond parfaitement à ton idéal féminin. 

— Tu ne la connais même pas. Comment peux tu savoir si elle correspond à mon idéal féminin.

— Le peu que j’ai découvert aujourd’hui plairait à n’importe quel homme. 


Il fourre ses mains dans ses poches et regarde au loin en s’adossant contre la portière de ma voiture. C’est tout Idris ça, décider que je ne peux encore partir et bloquer le passage. Puis il ouvre la bouche et me regarde droit dans les yeux comme s’il allait me lâcher le plus gros secret de siècle mais semble se raviser aussi rapidement qu’il s’était décidé.


— Quoi tu es intimidée ? Tu crois qu’elle est trop bien pour toi ? Détrompe-toi. Elle ne trouvera jamais un mec comme toi. C’est elle qui a de la chance de t’avoir. Elle. Alors reste toi-même et c’est dans la poche. 

— Il ne s’agit pas de ça. 

— Ça va éviter à ta mère de devoir continuer à me détester. Je ne la connais peut-être pas mais toi je te connais et elle correspond parfaitement à tes conquêtes habituelles. A se demander si ce n’est pas elle que tu recherchais inconsciemment. 

— Mais d’où tu sors ça ? 

— Regarde-moi dans les yeux et dis-moi qu’elle ne ressemble pas à tes ex, le voile en plus évidemment !


Il baisse les yeux car il sait que je dis vrai. Je le serre dans mes bras et hume son parfum si familier. Il sort ses mains de ses poches et m’enlace. Je me sens toujours bien quand je suis dans ses bras. Je me sens forte et heureuse quand je suis dans ses bras. Je murmure contre sa poitrine, le fond de ma pensée. Je préfère le lui dire avant que lui le fasse.


— On doit tourner la page. De toute manière on savait que ça arriverait un jour. Tu veux une femme, des enfants, la totale quoi. Et moi, tout ça ne m’intéresse pas. Je ne veux pas être la gentille tata de tes enfants, tu sais que les enfants me détestent et que moi j’ai peur d’eux. Je ne serai qu’un boulet que ta femme trouvera insupportable quand je t’appellerai pour qu’on fasse une vidéo youtube ou qu’on danse au Club à Louis. Et je ne pourrai même pas lui en vouloir pour cela. 


Il éclate de rire et j’en profite cette fois ci pour m’éclipser. Je ne veux pas le voir retourner dans cette pâtisserie.


*

**


Ça va faire un mois qu’il tente de me voir. Je prétexte à chaque fois un truc super important à faire, du travail à rattraper au garage, des fournisseurs à payer, des clients à aider. J’ai aussi des nouvelles de Zeina. Elle m’envoie de temps à autre des messages sur whatsapp pour me raconter ses journées et ses découvertes. J’essaie de lui expliquer le fonctionnement de Libreville, les coins à ne pas fréquenter, où faire de bonnes affaires en matière de truc de fille. Quelque part au fond de moi, je sais que je ne le fais pas sans arrière-pensée. C’est une manière détournée d’avoir des nouvelles d’Idris. Ils se sont vus cinq fois déjà et elle ne tarit jamais d’éloges sur lui.


Aujourd’hui, elle m’a demandée de lui consacrer mon après-midi. Je ne sais pas comment refuser alors je dis oui. On se retrouve à la plage du Lycée Léon Mba pour boire de l’eau de coco et regarder les gens nager dans une eau dans laquelle je ne ferai même pas baigner mon chien imaginaire. 


— Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que si je veux gagner son cœur c’est à toi que je dois plaire et pas à sa mère ? me demande-t-elle tout de go. 

— Tu me donnes plus d’importance que j’en ai. Pour Idris, sa mère est sacrée, je réponds en faisant ouvrir mon coco pour en manger la chair.

— Peut-être. Peut-être pas. Je peux te poser une question indiscrète ? 


Je me tourne vers elle et essaie de lire dans ses yeux ses intentions. J’ai bien envie de lui dire que toutes ses questions sont indiscrètes mais je me retiens. 


— Vas-y. 

— Qu’est-ce que ça fait ? 

— Quoi ? 

— D’être à part, de ne ressembler à personne d’autre que soi-même, de ne dépendre de personne… Moi, j’ai l’impression que tu peux trouver des milliers de versions de moi. Mais toi, je n’avais encore jamais rencontré une fille comme toi. Quand Idris m’a dit que tu dirigeais un garage, je n’en croyais pas mes oreilles. Ma sœur ainée aussi est comme ça, anticonformiste. Mais moi, j’aime le fait de me laisser guider par mon père. Et après, ce sera par mon mari. Ma sœur dit que je suis bête. Que je n’ai pas eu tous ces diplômes pour me retrouver sous la coupe d’un homme. D’ailleurs, elle ne porte même pas le voile depuis qu’elle est partie. Mais moi, je ne suis pas comme elle et elle a toujours été méprisante envers moi et mes croyances. Mais toi tu sembles être cool alors, je me permets de te poser la question.


Je n’ose pas lui dire le fond de ma pensée. Je n’ose pas lui dire que je troquerai bien cette liberté contre ses diplômes et sa beauté. Cette liberté, je ne l’ai pas réclamée, du moins pas consciemment. Elle m’est tombée dessus quand je me suis retrouvée seule. Elle m’a écrasée de tout son poids me laissant blessée sur le bord de la route. C’est pour survivre que j’ai dû l’apprivoiser. Parce que je ne voulais pas qu’elle me bouffe toute entière. J’ai quitté les bancs de l’école trop tôt et aucun homme ne m’aurait entretenu en payant pour coucher avec moi. Je n’ai pas eu le choix. Trop orgueilleuse pour mendier, pas assez belle pour être épousée, trop bête pour un travail de bureau où il faut des diplômes et savoir écrire sans fautes. 


Je n’étais pas libre, d’être qui bon me semble. Non, j’étais libre de crever de faim. Il a fallu que je grandisse et que je m’affirme pleinement. Et ici quand tu donnes des ordres à un homme, t’as intérêts à ne pas te laisser intimider quand il ne veut pas t’obéir. Mais comment est-ce qu’une femme comme elle pourrait le comprendre ? Le privilège des belles femmes c’est de ne pas avoir à marcher dans les chaussures des femmes ordinaires. 


Alors je réponds avec le plus de sincérité possible. 


— Etre à part c’est fun jusqu’à ce que les autres te rejettent pour ce que tu ne peux t’empêcher d’être. 


*

**


Qui connait Idris mieux que moi ? J’ai organisé cet enterrement de vie de garçon comme une pro et je me jette des lauriers tout naturellement. Puisqu’on ne se parle plus vraiment, il ne s’y attendait pas du tout. D’autant plus qu’on a décidé avec ses amis de faire cette fête chez Cédric plutôt que chez moi comme il aurait pu s’y attendre. Cédric est notre plus ancien ami commun. C’est celui qui lui avait conseillé de faire réparer la voiture de sa patronne chez moi. 

Comme j’ai eu de bonnes entrées, j’ai tout pris en charge et invité ses amis au dernier moment pour que la surprise ne fuite pas. La déco est nulle parce que bien évidemment, je n’ai aucun talent pour agencer les choses. Mais les boissons elles, sont topissimes. Je n’ai pas lésiné sur les moyens. Il n’y a pas d’alcool, mais des cocktails avec des noms sulfureux qui feraient rougir un auteur de roman érotique. N’empêche que je me suis gardé au frais quelques bouteilles de despé. Ses amis et collègues sont tous présents et j’ai pensé à contacter une agence de mannequins. Elles sont vêtues de mini-jupe ultra moulantes et servent les boissons et les amuse-gueules sur des talons aiguilles qui pourraient crever l’œil du diable en personne. 


Idris sourit à la ronde mais ne me quitte pas des yeux en buvant son coca glacé. Moi j’ai envie qu’il s’amuse mais j’ai l’impression qu’il n’a pas encore digéré ma décision de nous éloigner un peu l’un de l’autre. Je le fais pour son bien et parce que c’est dans l’ordre des choses. Même la bible dit que l’homme quittera sa meilleure amie et s’attachera à sa femme. Enfin, la bible le dit presque. 


La musique est vraiment bonne. Le mix proposé par le DJ qui est un de mes clients, donne envie de se lever et de bouger son popotin. Mais avec mes chaussures à talon, impossible de danser. Je n’arrive même pas à marcher avec alors danser c’est hors de question. J’ai failli me casser la gueule en descendant de voiture. Heureusement que personne ne regardait. 


Je ne sais pas si c’est mes récents échanges avec Zeina, mais j’ai soudain eu envie de ressembler un peu plus à une fille. Elle m’a invitée à sa fête prétextant que je n’avais pas de place parmi les garçons. Je lui ai répondu que je n’avais pas non plus ma place parmi les filles et elle n’a pas insisté. 


Idris se lève tout d’un coup alors qu’il n’a pas bougé de sa chaise depuis le début de la fête. Il me rejoint et j’ai l’impression de me recroqueviller un peu plus dans le large fauteuil. Je ne veux pas qu’on se dispute pendant sa fête. Son regard glisse sur la dentelle blanche nouée dans mon cou qui ne cache pas grand-chose du haut de mon corps, le slim taille basse et les talons hauts à lacet. Contrairement aux autres, il n’a fait aucun commentaire ironique en parlant bien fort pour que tout le monde se moque. Non. Lui s’agenouille devant moi et m’ôte mes talons sous le regard surpris de ses amis qui nous savent en froid. J’essaie de le dissuader de continuer mais il est aussi têtu qu’un margouillat qui veut gober une mouche.  


— Je croyais que tu me boudais. 

— C’est ce que je fais. 


Il se penche vers moi et murmure à mon oreille. 


— C’est la dernière. S’il te plait.


Il se redresse et me tend la main. Alors je l’attrape et inspire à fond pour ne pas sentir le regard curieux des autres me bruler la peau.  D’un signe de tête, il demande une chanson au DJ, qui montre le pouce en signe d’acceptation. 

Tout le monde s’écarte et nous fait de la place au milieu du salon. On se met en position. D’habitude il laisse un petit espace entre nos deux corps, mais cette fois-ci même l’aile d’un papillon ne pourrait passer. L’intro de la chanson débute et la voix de Fally Ipupa reconnaissable entre toutes coulent des hautparleurs. C’est sa chanson préférée. Celle qu’il met toujours dans le lecteur de la voiture quand on prend la route ensemble. Il est capable de l’écouter en boucle une journée entière et de recommencer le jour qui suit. Même si à présent cette chanson me tape sur le système, je me mets quand même sur la pointe de pieds et l’enlace. Il pose sa main gauche très bas sur mes hanches. Trop bas. Décontenancée, je plonge mon regard dans le sien. J’ouvre la bouche pour lui demander ce qu’il fait.


— Tais-toi ok. Tu vas tout gâcher. Danse avec moi. 


Sa voix est aussi rauque que s’il venait de se réveiller d’un mauvais rêve. Fally chante : Encore une fois je n'ai pas su trouver les mots /Je t'en prie, non ne pars pas/J'ai besoin de temps pour me jeter à l'eau /J'ai peur de me noyer dans tes yeux/Car tu me donnes des ailes/Quand j’atterris, le cœur affaibli /J'suis à l'agonie si loin de toi/Je tombe et quand j’atterris oh ma chérie/Laisse-moi me réfugier dans tes bras.


Je ne sais pas si c’est parce que je porte un genre de brassière en dentelle pour tout haut que j’ai l’impression de sentir des fourmillements parcourir toute ma peau. La pointe de mes seins touche sa poitrine par moment, en titillant la sensibilité à chaque fois. J’ondule des hanches et il ferme les yeux avant de nous faire décaler sur la gauche de quelques pas. Puis il s’arrête et passe sa jambe entre les miennes, m’obligeant à danser au ralenti l’intimité collée sur cette jambe. Tandis que la voix de Fally Ipupa me demande de le faire planer et de lui donner des ailes. 


Quand j’atterris le cœur affaibli/J'suis à l'agonie si loin de toi/Je tombe et quand j’atterris ooh ma chérie/Laisse-moi me réfugier dans tes bras


On a dansé des centaines de danse depuis qu’il m’a entrainée dans son amour pour la danse kizomba. Mais c’est la première fois que j’ai l’impression de danser avec un homme que je ne connais pas. Un homme qui me … désire ? Ça m’affole parce que je suis sûre de me tromper. Alors je le repousse violemment. 


Au même moment Fally reprend son couplet, me dit des choses que je ne veux pas entendre de sa bouche ou lire dans les yeux d’Idris. Je veux m’éloigner mais Idris saisit mon bras de force et me tire vers lui. Je me retrouve emprisonnée et les amis présents hurlent en applaudissant, pensant qu’il s’agit d’une phase de la chorégraphie. Je sens le cœur d’Idris qui bat tellement fort que j’ai l’impression qu’il veut sortir de sa poitrine pour se réfugier dans la mienne. Et Fally continue de chanter : Tu peux déposer ton cœur entre mes deux paumes/Je te livre le mien sur un plateau d’émeraude /Tu peux déposer ton cœur entre mes deux paumes/Je te livre le mien sur un plateau d’émeraude/


Oooh maman, reviens chérie, reviens bébé, reviens mon amour

Boulé koo, boulé koo, yo boudé ngai po nini

Boulé ko !


J’ai mis de coté toutes mes certitudes pour laisser la chanson prendre possession de moi parce que c’est ce que son regard me commande de faire. J’ai l’impression que sa peau enflamme la mienne dès qu’elle la touche. Les gens autour de moi disparaissent petit à petit. Je n’entends même plus le brouhaha des bavardages du salon. Il n’y a que la musique, son corps et le mien. 


Et on danse comme s’il n’y avait personne autour de nous. 


*

**


La soirée est désormais très avancée et je tangue sur mes jambes parce que j’ai bu bien plus que de raison mais si je ne suis pas encore complètement ivre. Tout le monde se demande comment des cocktails sans alcool peuvent me faire un tel effet. 

Il a dansé avec d’autres filles. Mais pas comme il a dansé avec moi. Et on a pas pu se reparler parce que personne ne veut lui lâcher les baskets. C’est tant mieux comme ça parce qu’en réalité j’ai peur qu’on se parle. Les paroles de la chanson ne me quittent plus. Et je ne sais quoi penser de cette soirée. Ça fait trois mois que je l’évite, que je me suis rapprochée de Zeina parce que c’est une fille géniale. On gagne à la connaitre.

Mais pour le moment, je ne pense pas à elle. Je pense aux paroles qui me hantent. Chaque goutte d’alcool avalée, semble décupler leur effet sur moi. J’ai l’impression que moi aussi j’ai désormais besoin de me réfugier dans ses bras. Idris est mon meilleur ami. Il n’a jamais été plus que ça. N’est-ce pas ? Ne suis-je pas tout simplement jalouse de la place que va désaimais occuper Zeina ? Peut-être est-ce pour ça que mon cerveau commence à me jouer des tours et à déformer la réalité autour de moi. 

Il faut que j’aille prendre l’air pour dessouler un peu. Lorsque j’ouvre la porte de la cuisine qui débouche sur la cours arrière que Cédric partage avec son voisin, je vois devant moi deux des jeunes filles conviées à la soirée comme hôtesses, qui papotent tranquillement entre elles. Avec un corps comme le leur moi aussi je glanderai au lieu de travailler. Je pense à signaler ma présence, lorsque je me rends compte qu’elles parlent de moi. 


— Si les deux là ne couchent pas ensemble, je ne m’appelle pas Patricia. Quand Fally chante Oooh maman, reviens chérie, reviens bébé, reviens mon amour. Boulé koo, boulé koo, yo boudé ngai po nini… Et que j’ai vu la tête qu’il faisait, je t’assure que j’ai eu la chair de poule.

— Kiééé. Tu as trop d’imagination. Tu as vu comment elle ressemble à un garçon. 

— Rho elle est juste fine. 

— Quoi ? Elle est fine mais musclée. Ses épaules carrées là, tu n’as pas vu ça ? 

— Moi je te dis qu’il y a un truc bizarre entre les deux. 

— Maman, c’est vrai qu’il n’est pas beau hein mais il a du charme. Moi-même là si ce n’était pas le fiancé, j’allais tenter quelque chose. Donc il peut se taper de vraies femmes. Celle là est trop vilaine pardon. Si elle pouvait un peu diminuer ses lèvres là, ça allait l’arranger… En plus j’ai vu une photo de la fiancée en question, maméééé : la beauté de la femme. Tu ne peux pas lutter. 

— Elle est bizarre c’est vrai. Peut-être qu’elle est lesbienne et que c’est pour ça qu’ils sont amis. Après tout je crois que c’est elle qui a organisé la fête alors qu’il n’y a que ses amis garçons. Elle doit être lesbienne. 

— Hum, les choses que les blancs ont emmenés. La femme africaine est voluptueuse. Les fesses et les seins en paquet…  Tu as vu son corps ? Tu couches avec elle c’est comme si tu avais des bâtons dans ton lit…


Elles éclatent toutes les deux de rire. Je crois que j’en ai entendu assez comme ça. Je me tourne pour retourner m’assoir dans un coin du salon et cogne sur le buste d’Idris. Il ne manquait vraiment plus que ça. Il a tout entendu. 


— Pourquoi t’es habillée comme ça ? 

— Je m’habille comme je veux Idris, c’est quoi ton problème ? 

— Mon problème c’est que tu es vulgaire comme ça. 


J’ai bien envie de lui dire d’aller se faire… mais les deux filles éclatent une nouvelle fois de rire en parlant de moi. 


— Bouge pas, attends-moi là, dit-il le plus calmement du monde. 


Je ne pivote pas pour voir ce qu’il fait. Je l’entends juste demander aux filles de dégager de la soirée. Elles réclament leur paie. J’entends « un putain » dans sa phrase et je devine qu’il commence à s’énerver. Je ne l’attends pas. 

Ce genre de truc ne devrait même plus me toucher. On me l’a dit toute ma vie et pourtant, ça fait toujours aussi mal. Ces filles en sont encore à devoir assister à des fêtes comme serveuses pour gagner leur vie. Moi malgré ma bêtise sur les bancs de l’école, j’ai repris le garage de mon père et aujourd’hui je n’ai pas besoin de petits boulots pour vivre. Je ne devrais pas me sentir rabaissée par elles. Et pourtant. Ca fait toujours aussi mal. Surtout quand Idris en rajoute une couche. Et si ça fait mal c’est parce que malgré toute l’assurance que j’affiche, il y a une petite part de moi qui se dit que c’est quand même vrai. Je ne suis pas sexy ou désirable comme ça. J’ai juste l’air vulgaire.


Alors que je glisse ma clef dans le contact on cogne à ma vitre. Ce n’est Idris mais Pierre de CFAO.


— Mais qu’est-ce que tu fous ici Manuella ? 


Il me sourit de toutes ses dents, et semble heureux de me voir. Je sens que je n’ai pas totalement dessoulé donc je descends pour bavarder un peu avec lui.  Il siffle et recule d’un pas pour m’admirer une fois que je me recule après lui avoir fait une bise. 


— Manuella ! Sérieux c’est toi.

— Si tu dis quoi que ce soit, je te frappe dans les couilles. 

— Moi je suis au garde à vous pour toi et toi tu me menaces. T’es super sexy ma belle. 


Je le regarde droit dans les yeux pour y déceler la moquerie mais il a l’air sincère. Je suis trop surprise pour réagir. Son regard glisse sur moi puis revient sur ma poitrine. 


— C’est gentil, je finis par murmurer.

— Tu fais quoi là ? 

— J’étais à une fête et j’aimerai bien rentrer chez moi maintenant sauf que je dois t’avouer que je ne suis pas sure de pouvoir prendre le volant.

— Je t’emmene si tu veux. Ma voiture est juste garée là à 10 mètres, dit-il en me la montrant du menton. 


C’est une superbe berline de luxe pas encore immatriculée. 


— Mais avant je veux que tu me rendes un service. 


A tous les coups, il va me demander de la réviser. 


— Prends un verre avec moi s ‘il te plait.

— Ok… je bredouille en regardant Idris se rapprocher de nous avec mes chaussures en mains. Mais on y va maintenant. 

— Pas de problème. 


Je ferme ma voiture et le suis tandis qu’Idris m’appelle sans que je ne me retourne.

L'histoire que vous lisez

Statistiques du chapitre

Ces histoires vous intéresseront

The Love between us