Chapitre 4

Write by Lilly Rose AGNOURET

 

Chapitre 4

 

Jeudi 13 mars 2003.

 

La douleur qui transperce mon cœur est drue, lancinante, mortifère. Impossible de regarder devant moi car ma vision est brouillé par le flot de larmes que je ne parviens à contrôler. Je pleure comme une enfant. Les mots apaisants de Christian, mon chauffeur de taxi, n’ont aucun effet sur moi. Il est désolé pour moi et tente de me faire comprendre que pleurer ainsi ne me mènera nulle part. Mais que faire d’autre quand son monde s’est effondré d’un coup ? Que faire ?

Je lui demande de me conduire au bord de la mer car je ne sais où aller. Je n’ai pas envie de rentrer dans cette maison saccagée dont les murs ne m’ont vraiment jamais garder en paix. Je n’ai nulle part autre où aller car à part l’appartement de Jalil, aucun autre endroit à Libreville n’est tout à fait chez moi. Les seuls amis sur lesquels j’ai toujours compté sont Christian, ce chauffeur de taxi rencontré au hasard dans les rues de Libreville 10 ans plus tôt ; et Pedro, un des voisins à Venez Voir, qui faisait partie des aînés du quartier. Il a été l’épaule sur laquelle je me suis souvent appuyée quand grandir auprès de celle que Dieu m’a donné comme mère, me paraissait pénible. Ce sont là, les seules personnes au courant des bonheurs et des travers de ma vie. Ma petite sœur Lauryne n’est plus au Gabon. Ce n’est pas elle que j’irais ennuyer avec cette histoire que moi-même j’ai du mal à situer dans mon cœur. JALIL M’A FAIT CA !!! Et je n’arrive même pas à définir ce « ça ». Et je pleure. C’est la seule chose dont je suis capable.

J’avance dans la mer, habillée dans ma belle tenue. Et Christian me crie : « Je viendrai te sortir de l’eau s’il te viens à l’idée de t’enfoncer et de te laisser avaler définitivement par la mer. »

Alors que je m’apprête à balancer au loin mon téléphone portable que je tiens en main, celui-ci sonne. Au bout du fil, la voix qui au lieu de me ramener à la vie me précipiterait plutôt vers la mort. J’aimerais ne plus entendre cette voix. J’aimerais faire disparaitre cette voix. J’aimerais pouvoir tordre cette voix. Et elle est toute excitée au téléphone.

« Amour, ma tendresse, mon rossignol, je viens de faire un tour dans la maison. Cette sauvage que j’ai épousé a vraiment mis son désordre. C’est une folle. J’en ai eu le frisson. Rien que de penser que tu t’es retrouvée face à une brute pareille, mon cœur a failli lâcher. »

Et le type parle. J’ai envie de lui dire : Nyama tais-toi et fous moi le camp. Mais je n’ose pas. Je l’écoute et dis simplement :

« Je suis épuisée, tu sais. Je suis abattue. Tellement abattue que je ne sais même plus dans quelle direction regarder. »

Nyama vocifère encore et encore et en arrive à dire :

« Tu es ma reine, mon tout, mon élixir, ma cordillère des Andes, mon bouton de rose. Tu vaux dix mille fois cette empotée d’Alphonsine. Elle n’est rien, sinon du caca de mouton, devant toi. Que pense t-elle ? Qu’elle peut nous séparer toi et moi ? Mais ça fait bien longtemps qu’elle n’a plus droit à la parole cette vieille touque ! »

Il parle, insulte l’épouse, la mère de ses 4 enfants. Il l’envoie au diable puis me dit :

« Elle n’a aucun pouvoir. Le pouvoir c’est toi qui l’a entre tes jambes. Ma vie dépend de toi. Elle n’est bonne à rien d’autre que grapiller les quelques miettes de fric que je peux bien jeter dans sa direction, comme on jette un os à un chien. Je viens de la menacer en lui disant que si elle se permet un autre esclandre, je lui enlève cette dotation de 200 mille francs qu’elle reçoit chaque mois pour ses besoins personnels. »

Bien. Une pensée me fait frémir car dans mon compte en banque chaque mois est virée la somme de 850 mille francs, alors même qu’il paie de sa poche les factures d’électricité et d’eau. C’est donc à cet écart en Cfa  que l’on reconnait la valeur d’une femme dont on dit qu’elle est son souffle de vie. Je n’ai même plus envie de réfléchir. Cela ne me mène à nulle part de l’écouter quoiqu’il ait à dire. Il en disant conclut :

« J’ai fait virer hier 50 millions de francs sur ton compte car je savais que cette folle agirait de façon inconsidérée en apprenant qu’elle ne m’accompagnera pas au Canada. C’était pour moi l’assurance que cette truie ne mettrait pas les mains dessus pour nous empêcher d’être heureux loin d’elle. Donc, tu as là, la garantie que tu es réellement la femme de ma vie. Oh, que je t’aime Marlène Azizet. Tu me rends tellement fou que je suis en érection au moment où je te parle. Oh ! oh !oh ! Tu me rends fou. »

J’ai envie de répondre à Nyama qu’il n’a besoin de personne pour le rendre fou car il est né avec des problèmes psychologiques. Je m’abstiens de tout commentaire. Il me dit alors :

« Tu peux passer voir Médard à la banque. Je lui ai dit de mettre 10 millions de francs à ta disposition pour que tu puisses dès demain matin appeler une société pour venir nettoyer la maison de fond en comble et redécorer le tout à ton gout. Vu comment cette truie a pissé sur tes fauteuil et éventré ton matelas à coup de couteau, il vaudrait mieux complètement remeubler le tout. Sommairement, certes. Vu que nous partons bientôt au Canada. Cette maison, tu pourras la louer meubler pour deux ans. Je t’aime ma colombe. »

Je raccroche et prends de l’eau de mer de mer dans les mains pour me laver les oreilles histoire de les « désinfecter » après tout ce que je viens d’entendre. Je sors de l’eau et reviens vers Christian qui me demande si je vais mieux.

« Jamais plus ça n’ira mieux ! », lui dis-je.

Je remonte dans le taxi. Malgré mes vêtements mouillés, je décide d’aller en direction de la banque. J’y arrive et avant d’y entrer, je vais dans un prêt à porter, y abandonne ma tenue pour une robe toute neuve. Je sors de là et traverse la rue vers la banque. Quand j’y arrive, il me faut juste 10 minutes pour être introduite dans le bureau de Médard, le conseiller clientèle et ami de longue date de mon cher Théophile Nyama. Il me reçoit avec sourire et déférence. Nous avons une relation particulière depuis qu’il s’est mis en couple avec ma cousine Lydie qui est devenue officiellement sa troisième épouse il y a à peine 6 mois. Bref… Il me met à l’aise en m’offrant du thé et nous commençons à parler.

« Mon chéri m’a dit que tu m’attends. »

« Oui, oui. Il a pris rendez-vous pour toi. Voilà ton relevé de compte, les fonds ont bien été virés. Il faut juste quelques minutes à la caisse pour compter les billets. Dix millions ça fait beaucoup.

« D’accord. Mais il me faut aussi faire des virements en France payer le reste de la scolarité de ma petite sœur Lauryne ainsi que son loyer pour une année supplémentaire, comme convenu avec son bailleur et par la même  lui envoyer des sous pour les 6 prochains mois. Comme ça c’est réglé. Il n’y aura plus de souci. »

Comme il ne me connait pas d’esprit perfide, c’est en toute confiance qu’il me fait signer ces trois ordres de virement d’un montant total de 10 millions de francs à destination de la France. Ensuite, je lui demande de mettre en place un placement à long terme car, soit disant, je, n’ai pas envie de jouer avec tout cet argent. Il s’active alors pour m’ouvrir un compte DAT, dans lequel l’argent sera bloqué pour 5 ans. En sortant de la banque, j’ai 10 millions de Francs partis en France, 10 millions dans mon sac, et 20 millions bloqués pour 5 ans. Je suis dans le taxi quand une petite voix me conduit à revenir dans la banque. Je passe un ordre de transfert via Moneygram à destination de l’Afrique sud. Voilà comment 10 autres millions disparaissent de mon compte UGB.

C’est décidé, je quitte le Gabon ce soir, même sans Jalil à mes côtés. Mais avant cela, j’ai des comptes à régler. Je remonte dans le taxi et demande à Christian de me ramener à la maison. Ne n’y prends rien d’autre que mon carnet de vaccination et mes documents bancaires. Je laisse cette vie derrière moi. Je prends soin d’emballer tous mes sous-vêtements dans un sac poubelle. Je vais dans le jardin, met le feu dans mon barbecue et fais bruler le tout. Voilà, je m’en vais sans même prendre la peine de me retourner.

Remontant dans le taxi, j’appelle mon ami Pedro et lui demande où il se trouve. Nous nous retrouvons donc dans un petit troquet au quartier Lalala car il y traine.

« Voilà. Comme convenu. Deux millions. Réduis-moi cette maison en cendres. Et je t’attends à l’aéroport à 21h pour te donner les clés du bonheur. »

« Hum ! Frangine t’as bien réfléchis ? »

« Y a rien à réfléchir. Cette maison doit disparaitre. Je veux que cette femme se retrouve à dormir dans la rue, s’il le faut. Que cette maison brule. »

« Ok. Ce sera fait. Je sais qu’elle est en déplacement à Port-Gentil et qu’elle rentre dimanche. »

« Brûle et je t’attends à l’aéroport comme convenu. Et motus et bouche cousue. »

« C’est entre nous la sœur. »

Il s’en va avec ses sous en poche. Je remonte dans le taxi et décide d’aller m’enfermer dans une chambre à l’hôtel Tropicana, très proche de l’aéroport jusqu’à l’heure du départ pour l’aéroport. Je tends une enveloppe d’un million de francs à Christian et lui dis :

« Merci pour tout. Et bien sûr tu ne sais pas où je suis. »

« Qui d’autre que Pedro et Jalil est au courant de notre amitié ? Tes secrets sont les miens. Mais prends soin de toi. »

 

Il s’en va et je reste dans l’hôtel tranquille jusqu’au moment où Bebette, la voisine de ma mère à Venez Voir, m’appelle en criant : « La maison à bruler, ooooh ! Il faut venir. »

« La voiture est au garage ! », lui dis-je. « Je cherche un taxi et j’arrive ! Mais que font les pompiers ??? »

« Comme si les pompiers connaissent notre quartier ! Ecoute-moi celle là ! », me lance t-elle.

Je raccroche, souris un grand coup et vais prendre une bonne douche, toujours sourire aux lèvres. Cette maison qui représentait pour moi le fruit de ce pacte diabolique signé entre ma mère et son imbécile de patron, qui a réussi à faire de moi sa chose, cette maison qu’il lui a faite construire pour la remercier de m’avoir « donné » à lui, cette maison de quatre chambres, deux salles des bains et cuisine, au sous-bassement relevé pour éviter les inondations subies pendant ma petite enfance, oui, cette maison est tombée. Ce n’est pas moi qui vais pleurer. Je veux que cette femme dorme dehors et aie le temps de se repasser sa vie en boucle dans la tête en pleurant.

Il est 21h. Mon enregistrement est fait. Je me cache dans un coin de cet aéroport international Léon Mba de Libreville. J’ai la crainte au fond de moi d’être repérée par quelqu’un qui me connaitrait. Arrive alors Pedro à qui je remets les clés de ma villa.

« Je te la laisse. Tout le monde sait que tu es mon frangin. Restes-y. habites-y. Considère cette maison comme la tienne. »

« Azizet, ma frangine, tu es sérieuse ? »

« Oui ! »

« Et si le big boss Nyama arrive je lui dis quoi ? »

« Tu lui diras d’aller se faire foutre. Adieu ! »

Je sais que le frère de Nyama est le DG de l’Immigration. Il saura bien sûr apprendre à son frère, après enquête, que j’ai quitté le pays pour l’Afrique du Sud mais je n’en ai que faire.

C’est le cœur plein d’appréhension que je m’en vais en salle d’attente. Assise là, je compte les minutes jusqu’au moment de l’embarquement.

C’est en me levant pour l’embarquement, que je remarque le couple à l’extrême gauche. Jalil et sa toute nouvelle épouse, Victoire, vont donc en lune de miel en Afrique du Sud ! Si tout fonctionnait normalement dans ma tête, j’irais lui taper à l’épaule pour qu’il me dise quelle partie de mes économies sur 9 mois, il a utilisé pour financer son mariage et cette lune de miel. Neuf mois à économiser pour un rêve qu’il s’apprête à vivre avec quelqu’un d’autre ! Peut-être devrais-je penser à un châtiment pour ces deux là. Mais vu comment mon cœur se serre et devient douloureux depuis l’instant où je les ai remarqués, je préfère ne pas me focaliser sur eux. La dernière personne que j’appelle avant de monter dans l’avion est ma petite sœur Lauryne.

« Ton loyer a été payé pour la dernière année d’étude qu’il te reste. Ton école d’ingénieur aussi. Je t’appelle dans deux semaines. Prends grand soin d’économiser et de ne pas t’amuser avec l’argent que j’ai fait virer dans ton compte cet après-midi. Théophile et moi c’est fini. Donc il va falloir agir avec intelligence. »

« D’accord Ya Marlène. Mais pourquoi 2 semaines ? »

« C’est le temps qu’il me faut pour réfléchir à mon avenir. Je suis au bout du rouleau. »

Le temps pour moi de raccrocher avec l’intention d’arrêter définitivement mon téléphone, et la voix cassée de ma mère résonne au bout du fil alors que je lui ai fait l’honneur de répondre :

« Marlène, oh Marlène, on m’a appelée oooh ! Ma maison a brulée. Je suis foutue. Je suis par terre. Je suis morte. »

Je ne prends même pas la peine d’être affligée pour elle. Je lui réponds :

« Et c’est quoi mon problème là dedans ? »

« Mais Marlène, je n’ai plus rien ! Tout, j’ai tout perdu. »

« Maman, je m’en fous. Va au diable ! »

Je raccroche sans plus de cérémonie et arrête mon téléphone alors qu’il sonne avec insistance et que l’écran s’illumine en indiquant le nom de l’appelant : Théo.

Il peut toujours courir pour m’entendre ce Nyama.

~~~

La nuit a été courte. Le jour arrive et le business reprend sa place dans mon esprit. Vêtue d’un beau tailleur couleur bleu ciel, je chausse de hauts talons et me mets un sopçon de parfum. Je suis fin prête à me rendre sur les lieu de mon rendez-vous de ce matin pour dignement représenter le Glam Fashion Squad, la boite montée avec ma chère copine Salima. C’est elle qui m’envoie un message vocal  me disant que tout va bien à Londres et me demandant de la tenir au courant heure par heure de mes démarches ce jour. Je lui réponds d’un smiley avant de ranger mon Iphone dans mon sac à main et de sortir de la chambre.

Je rencontre deux hommes d’affaires américains dans l’ascenseur. Nous échangeons deux trois mots et nos cartes de visites. Les relations, c’est ainsi qu’elles se nouent : toujours engager la conversation dans les ascenseurs ou dans les salles d’attente.

Il est 7h 45 quand je m’annonce à l’accueil d’Inter Services Gabon. La jeune dame qui me sourit en me disant que je suis attendue au 3ème étage en salle de réunion, ne me reconnait pas. Pourtant, le fait de la voir là habillée dans sa belle tenue en tissus africain, soulève en moi un frisson. Il s’agit de Merveille, la fille ainée de ce cher Théophile Nyama. Une fille extrêmement brillante qui est entrée en terminale à 15 et a décroché son baccalauréat avec mention Très bien. Elle avait un brillant avenir devant elle. Elle devait intégrée une prépa math sup en France. Mais voilà ! Je me suis arrangée pour que jamais elle n’y aille et finisse à l’Université des sciences et techniques de Masuku, à l’est du Gabon. L’argent prévu pour payer ses études a servi à payer celles de ma petite sœur qui elle aussi, âgée de 19 ans, venait d’avoir son bac scientifique. Ma sœur Lauryne a pris tranquillement l’avion pout Nantes pour y intégrer une école d’ingénieurs. Il a suffit de faire preuve de beaucoup d’habileté pour arriver à ce résultat, cet imbécile de Théophile Nyama n’ayant pour seule préoccupation que de me satisfaire autant que je le satisfaisais au lit ! Beurk ! J’ai juste envie de vomir en y repensant. Mais au moins aujourd’hui, j’ai une sœur ingénieur qui travaille pour les laboratoires L’Oréal à Paris. Le sacrifice de ma dignité et de mon intégrité physique et morale ont permis cela. Parce que j’avais à cœur de détruire cet idiot de Nyama, en empêchant ses enfants d’éclore, donc de garantir la paix et la sérénité durant ses vieux jours.

« Mme Merlie Anderson ? »

« Oui, c’est bien moi. Mais appelez-moi Merlie Azizet, j’ai repris mon nom de jeune fille il y a quelques moi. »

« D’accord, c’est noté. Venez que vous conduise en salle de réunion. Tout le monde vous y attend. »

Je me lève et avance tranquillement, ma sacoche en main. J’entre dans la pièce dans laquelle sont réunies plusieurs personnes. L’assistante qui me conduit, me présente à tous.

« Madame Merlie Anderson est là ! Je vous laisse. »

Ils sont une dizaine dans la pièce. Pourtant, l’électricité qui nait à la base de ma colonne vertébrale et remonte jusqu’à ma nuque, me fait comprendre que dans la pièce, il y a un intrus. Il y a cet intrus, seul capable de faire naitre cette réaction en moi. Je tourne la tête vers ma droite alors qu’une jeune femme d’à peine 28 ans, noire, avec de longues tresses qui lui tombent dans le dos, me dit :

« Je suis Josiane Orézano, directrice Marketing. Laissez-moi vous introduire à toute l’équipe en commençant par le big boss, Jalil Ratanga. Chef, mais où donc sont passés tes manières ! Cette dame vient de loin et c’est ça l’image que tu veux donner de la boite et du Gabon ! »

Le chef invectivé se lève, vient vers moi, me tend la main. Sans me départir de mon calme, je réponds à la main tendue et lui dis :

« Enchantée de faire votre connaissance, Mr Ratanga. »

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