chapitre 4 : l'appel
Write by leilaji
Chapitre 4 (like, commente et
partage si t’en as envie bien sûr. Ce n’est pas forcé !!! lol)
****Lorelei****
Quand je rentre après avoir
trainé sans but en ville, je trouve mon petit frère avec un jeune homme du
quartier que je vois parfois fumer une clope chez le boutiquier du coin. Je les
salue et le jeune homme me répond poliment puis retourne son attention vers mon
petit frère.
Raphael a pris l’habitude de
dialoguer avec les autres grâce à la messagerie des téléphones portables. Il ne
quitte quasiment jamais le sien, le garde toujours sur lui en mode vibreur ce
qui lui permet de l’utiliser dès qu’il rencontre une personne qui ne peut
dialoguer avec lui normalement. Je le lui ai acheté pour fêter son passage en
classe de 4e et je suis très contente de l’usage intensif qu’il en fait. Il
faut dire qu’il m’a couté la peau des fesses son blackberry.
Après un moment du régime «
envoi et réception de messages », l’autre lui remet un second téléphone et
prend congé de nous.
— Tu peux m’expliquer ce qui
se passe ? demandé-je intriguée par leur tractations muettes.
— Je
peux lire sur les lèvres mais je préfère quand tu fais l’effort de signer (parler en langue des signes)
avec moi, signe-t-il en me tendant le
téléphone quasi flambant neuf.
La lecture labiale est l’art
de lire sur les lèvres. Elle est habituellement enseignée aux personnes
malentendantes. En parlant, tout le monde fait des mouvements avec les lèvres,
la langue, la mâchoire… Grâce à un enseignant spécialisé, la personne qui
entend mal apprend à percevoir et interpréter ces mouvements. L’opération est encore plus complexe quand on
n’entend absolument rien comme mon frère. Alors pour lui faciliter la tâche et
l’aider à me comprendre, je parle et signe en même temps. Ça me permet aussi
d’améliorer mon langage et de le laisser me corriger quand je dis des énormités
sans le savoir.
En LSF (langue des signes
française)
— Je t’écoute…
— Je fais ses devoirs et il me
paie.
— Mais il est en classe de 3e.
Il passe son BEPC.
— Bah, je fais aussi les
devoirs de Franck si ça t’intéresse et lui est en classe de seconde… Bon
évidemment, ce ne sont pas les devoirs de maths mais de français. Lire un livre
et le résumer ce n’est pas très compliqué avec toutes les informations qu’on
trouve sur internet quand on se donne la peine de chercher au bon endroit.
—T’es sûr que t’as onze ans ?
Je suis complètement ahurie
par ce qu’il me raconte. Je sais que mon petit frère est doué. C’est un garçon
vraiment à part dans tous les sens du terme. Mais je ne savais pas qu’il était
doué au point de faire les devoirs de ses ainés.
—Quand je pense que moi je
galérais avec mes devoirs alors que pour toi, tout comprendre est si aisé !
Il s’assoit dans le fauteuil
de papa et me regarde tristement. J’aime bien le voir assis dans ce fauteuil. Ça
me donne l’impression de voir dès à présent l’homme formidable qu’il sera
demain. Pourvu qu’il ressemble à papa plus tard.
—Je peux peut-être tout
comprendre… mais l’ironie du sort c’est que je ne peux rien entendre Lola.
Ses mains tremblent légèrement
quand il signe cette phrase. Il a raison et ça me fait mal. Je m’assois sur
l’accoudoir du fauteuil à côté de lui et le prends dans mes bras pour le serrer
très fort contre mon cœur. Cet instant dure juste quelques secondes mais c’est
assez pour que lui et moi reprenions des forces pour nos combats individuels.
—Il m’a demandé de chanter du
Aretha Franklin et je n’ai même pas pu faire sortir une seule syllabe de ma
bouche, je lâche pour changer de sujet et lui faire comprendre que de mon côté,
la journée n’avait pas été plus brillante.
—C’est qu’un gros con s’il n’a
pas voulu t’entendre.
— Hé, t’as pas le droit
d’utiliser ce genre de mot à ton âge, si maman t’entendait, elle t’étriperait.
—Ouais mais elle ne pige rien
à la langue des signes alors si tu caftes, je ne ferai pas de recherches sur
mon phone pour te trouver des chansons d’Aretha.
—Laisse tomber, c’est trop
tard. Je vais essayer ailleurs.
Il prend dans mon sac, mon
ancien téléphone tout cabossé et en enlève la puce pour la mettre dans le
nouveau qu’il allume immédiatement pour me le faire tester.
Dès que l’écran s’éclaire du
logo de Samsung, Airtel (compagnie de téléphone mobile) nous envoie un message
signalant qu’un numéro a tenté de me joindre.
En LSF
—Je rappelle ?
—Non, laisse tomber, j’ai même
pas de crédit pour appeler. Montre-moi plutôt comment marche ce truc.
—C’est peut-être urgent !
insiste t–il.
Je lui arrache mon nouveau
joujou des mains et commence à le pianoter un peu n’importe comment. C’est la
première fois que j’ai un téléphone tactile. C’est assez déstabilisant d’avoir un écran et non des touches à
pianoter.
De son côté Raphael lance
l’appel depuis son téléphone et me tend son appareil. Au même instant, maman
débarque suivie par son mari qui avance d’un pas plus mesuré depuis son AVC.
C’est vraiment étrange de voir mon père, cet homme si fort qui a bâti cette
maison de ses mains ainsi diminué. Et qu’il se soit sorti de cette expérience
si terrifiante, encore plus doux et confiant qu’auparavant le rend bien plus
précieux à mes yeux. C’est lui le second homme de ma vie après Raphael. Il m’a
toujours tout donné. Ca y est quelqu’un a décroché, Raphael me tend son
téléphone.
—Allo ? Vous avez tenté de me
joindre au 07 04 .. ..
—Ah oui, mademoiselle Bekale !
Monsieur Valentine souhaiterait vous faire passer une audition samedi 08 à 7
heures 30 au studio Valentine.
Euh après avoir claqué la
porte et dit ma manière de penser ? Il n’est pas vexé ? Tiens donc ! Peut-être
qu’il y a beaucoup plus à découvrir derrière la façade « mannequin pour
publicité Dior » que je ne l’avais supposé.
—Euh d’accord, merci, dis-je
en essayant tant bien que mal de retenir ma joie.
—Merci à vous d’avoir rappelé.
—De rien.
Je raccroche bien après,
encore sonnée par ce que je viens d’entendre.
En LSF
—J’ai rendez-vous à 7 heures
30 ce samedi.
—Félicitations.
—Félicitations pour quoi ?
intervient maman très curieuse de savoir de quoi nous parlons.
—Lorelei va devenir chanteuse,
signe mon frère avec enthousiasme.
Mais maman ne décode rien.
Alors je le lui réexplique oralement. Sa colère tombe immédiatement.
—Chanteuse ? hurle t-elle en
fang. Je dis hein Lola, tu crois que j’ai souffert avec toi pour que tu
deviennes prostituée ? Chanteuse c’est un métier depuis quand ? Nzame ! Qui m’a
donnée une fille comme toi après tous mes sacrifices. Voici ton petit frère qui
a maintenant le même niveau scolaire que toi. Tu n’as pas honte ?
Ces mots durs et insultants me
vrillent les tympans. Mon frère se lève pour que mon père puisse s’assoir dans
son fauteuil et surtout pour empêcher une dispute entre ma mère et moi.
Et moi je regarde maman me
parler avec colère sans rien dire. Pourtant, elle me connait tellement bien.
Elle sait que je suis une vraie folle. Mais elle sait aussi que je ne lui
manquerai jamais de respect. Pourtant il y a vraiment des moments où elle
dépasse largement les bornes et je dois le lui faire comprendre pour notre bien
à tous les deux.
—Je n’ai pas dit que
j’abandonnais mon CAP de coiffure mais plutôt que j’allais essayer de
poursuivre mes rêves. C’est tout. Au lieu de m’insulter tu pourrais
m’encourager.
—T’encourager dans la bêtise ?
La vie ce n’est pas les films américains que tu suis là hein ma petite. Les
artistes passent leur temps à coucher avec les grands types. C’est ce que tu
veux faire de ta vie ?
—Maman arrête.
Mon petit frère se rapproche d’elle pour la
calmer. Ses yeux sont suppliants. Elle le repousse.
J’ai fait des erreurs c’est
vrai. Mais elle ne peut pas me les reprocher toute ma vie à tout bout de
champs.
Le mot pardon ne lui est-il
pas familier ? Elle qui prie tous les dimanches à l’église.
—Marie laisse la tranquille.
C’est papa qui vient de
parler. Je n’aime pas quand on se dispute devant lui à cause des hausses de
tension que ça lui cause.
—Tout ça c’est de ta faute, s’exclame
maman. Tu as passé ton temps à la pourrir. Et maintenant voilà le résultat.
Lola, si c’est ce que tu veux faire, tu quittes la maison.
—Quoi ?
—Tu as bien entendu.
—D’abord ici c’est chez papa
et c’est lui qui décide. Papa, parle à ta femme avant que je ne m’énerve.
—Samuel, tu as vu comment elle
me manque de respect ? dit-elle en fang.
Mon frère essaie de calmer le
jeu mais je ne m’occupe même pas de lui. Maman et moi c’est souvent tendu. On
ne s’y fait pas.
C’est l’hôpital qui se moque
de la charité ma parole ! Qui paie les factures ici ? C’est moi. La bouffe,
l’électricité, l’école de Raphael, les soins de santé de papa… Tout est à ma
charge parce que la pension de papa est bien trop misérable et que le fruit des
ventes de légumes de maman ne sert qu’à nous dépanner.
Sait-elle le nombre de fois
que j’ai dû laisser un type me draguer parce que j’espérais obtenir un peu
d’argent de lui pour payer les longues ordonnances qu’elle me ramène à chaque
fois de leur visite à l’hôpital ?
Est-ce que je n’en fais pas
assez comme ça ? J’ai 24 ans et j’ai pris mes responsabilité, ce n’est pas
comme si j’étais un poids mort pour ma famille.
Ce n’est pas suffisant que
chaque soir je me trémousse dans une boite de nuit enfumée à l’extrême, que je
serve des verres à des clients qui au final ne les boivent même pas, bourrés
qu’ils sont. Le salaire mensuel est de 150 000 francs mais avec les pourboires
et mon sourire je peux me faire parfois jusqu’à 100 000 francs de plus.
Et la première chose que je
fais quand je touche mon revenu c’est :
1/ payer la bouffe,
2/ payer l’électricité,
3/payer l’école de Raphael et
lui donner son argent de poche du mois
4/ payer les médocs de papa,
5/ mettre de côté mon argent
de taxi pour le boulot et l’école.
Et moi qui aime tellement les
fringues et la mode, je me prive quasiment de tout le reste. Je n’ai jamais de
crédit dans mon phone !!! Bordel !
Je ne vais pas sacrifier le
reste de ma vie à faire tout ce qu’elle demande parce qu’une seule fois j’ai
fauté et qu’encore aujourd’hui j’en paie le prix. Dans quelle bible est-il
écrit qu’il faut absolument avoir un bac + 15 pour réussir sa vie ? Surement
dans l’unique version que possède maman. L’école ce n’est pas mon truc. Il va
falloir qu’elle l’intègre une bonne fois pour toutes.
J’ai la musique dans le sang
et ça, elle ne pourra jamais me l’enlever.
Pour couper court, je dépose
un baiser sur le front de mon père qui la regarde avec sévérité et je pars
m’enfermer dans ma chambre.
Et je fais la seule chose que
je sais faire quand je déprime, j’enfonce les écouteurs de mon i-pod dans mes
oreilles et je m’envole là où personne ne peut m’atteindre.
Mais cette fois-ci, je ne
reste pas dans ma bulle bien longtemps. Ses mots me reviennent en tête comme la
litanie d’une méchante sorcière.
« Ton frère et toi avez
maintenant le même niveau scolaire ! N’as-tu pas honte ? »
Quel âge a Raphael ? Onze ans,
bientôt douze. Et moi j’en ai 24.
NON MAMAN, JE N’AI PAS HONTE !
PARCE QUE JE SUIS BIEN TROP OCCUPEE A ETRE FIERE DE MON FRERE. ET TU DEVRAIS EN
FAIRE AUTANT.
Je ferme de nouveau les yeux.
La voix de Whitney Houston me berce.
Quelques instants plus tard,
je m’endors les larmes aux yeux, incapable de m’empêcher d’avoir tout de même
un peu honte.
*
**
****La matinée des auditions.****
On cogne violemment à ma porte
et j’émerge tout doucement de mon sommeil. Je crois que j’ai rêvé de Monsieur Chocolat.
Monsieur Chocolat ?! WTF. Je
rejette les draps froissés comme si c’étaient ses mains qui me touchaient. Il
ne portait qu’un simple nœud papillon d’un blanc immaculé. Tout le reste de son
corps dénudé était flouté par les brumes de mon désir. Encore heureux que mon
cerveau même dans le sommeil se soit auto censuré. Il me souriait, d’un sourire
carnassier que je ne lui ai pas encore vu. Hum. Valentine Gabriel. Il n’y a que
les mecs d’ethnie myene pour porter avec autant d’élégance des noms venus
d’ailleurs. A-t-on idée d’être aussi classe ?
Brr ! Seigneur, mon cerveau
déraille complètement. Me voici en train de fantasmer sur un mec qui est très
loin pour le moment de ma portée. Je cligne des yeux, essayant tant bien que
mal de me remémorer le reste de l’étrange rêve. Mais plus rien ne me vient à
l’esprit. Hé ! C’est quoi ce semblant de déception que je ressens à l’idée
que ce n’ai été qu’un simple rêve ?
On cogne toujours à ma
porte. Finalement je me lève et vais
ouvrir. Mon petit frère me regarde en colère. Mais qu’est ce qui lui prend ?
En LSF
—Lorelei, mais que fais –tu
encore ici ? Tu abandonnes l’audition ?
What the fuck !!! L’audition.
Hier je me suis tellement
entrainée encore et encore que j’ai dormi à 3 heures du matin. Monsieur
Chocolat voulait du Aretha Franklin n’est-ce pas ? Et ben j’ai bien l’intention
de lui en donner une dose exceptionnelle ! Et c’est pour cela que j’ai
travaillé encore et encore … excitée d’avance à l’idée de le laisser bouche
bée.
—Quelle heure est-il ? je demande
en signant.
—Il te reste 38 minutes pour être
à l’heure.
Je le regarde. 38 minutes hein
! Ok. Je ne vais pas rater mon destin pour 38 petites minutes de merde.
D’autres à ma place auraient paniqué ou se seraient mises à pleurer mais je ne
suis pas comme ça moi. Quand j’ai une idée ou une envie en tête, je me
concentre dessus.
Maman dit que je suis têtue et
impolie.
Papa lui préfère me qualifier
de petite fille gentiment obstinée.
Quand à mon frère, il dit que
je suis la reine de l’excentricité.
Moi je dis juste que je suis
Lola Bekale, la go qui n’abandonne jamais.
Et aujourd’hui, Lola Bekale
veut chanter pour Monsieur Chocolat et lui faire ravaler cette espèce de dégout
qu’il a affiché en constatant mon ignorance.
En huit minutes, je fais une
toilette sommaire. C'est-à-dire que je me lave le visage, les aisselles et les
parties intimes à la quatrième vitesse, j’enfile le premier truc qui me tombe
sous la main et j’embarque mon sac à main avec moi en détalant.
En cours de route, il se met à
pleuvoir. Déjà que je n’ai pas pris le temps de me coiffer le matin, quand j’ai
enfin pu choper un taxi après 10 bonnes minutes d’attente, je ne ressemblais
vraiment plus à rien. En regardant dans le rétroviseur, je remarque que mon
tissage est tout emmêlé et que mon maquillage dégouline un peu. Ça me donne un
air de sauvageonne. Mais je reste relaxe. Même avec cette tête de déterrée, je
reste sexy.
Je sors mon portemonnaie de
mon sac. Je prends rarement des courses. Je dois avouer que je ne suis pas
encline aux dépenses exagérées mais cette fois ci, j’y suis bien obligée si je
veux arriver à l’heure.
Avec l’accident qu’il y a eu
vers la SEEG (société d’eau et d’électricité du Gabon), on se retrouve coincé
dans un embouteillage monstre. Plus aucune voiture ne bouge. Le ciel est contre
moi ou quoi ? Je regarde le taximen, qui sifflote tranquillement en écoutant la
radio. Ouais, il s’en fout, de toute manière que j’y arrive ou pas à l’heure,
il faudra que je lui donne 2 000 francs.
Je regarde mes Converse et
secoue mes pieds. Je fais contre mauvaise fortune bon cœur et descends de la
voiture après l’avoir payé. Je me mets à courir parce que je sais que je ne
suis plus très loin et que je peux y arriver à temps.
Plus que 3 minutes.
Le studio se trouve en face de
la BVMAC au centre-ville, je peux y arriver.
Après deux minutes de course,
j’ai les poumons en feu. Le sport comme l’école ce n’est pas vraiment mon truc.
Cette pensée me fait rire et j’accélère le mouvement avant d’être complètement
à bout de souffle. Quand j’arrive à l’entrée du studio. Un gros mec baraqué y
stationne debout avec une feuille en main. Monsieur Chocolat s’y croit vraiment
hein ? Il faut présenter patte blanche avant d’entrer ?
—Bon…jour…je viens… pour
l’audition… réussis-je à dire en m’accroupissant pour reprendre mon souffle.
—Vous êtes ?
—Lorelei Bekale.
Il parcourt sa liste un long
moment me regarde puis la parcours une nouvelle fois. Une telle attente ne sent
pas très bon ! J’ai le cœur qui s’emballe. Quoi il ne sait pas lire ou quoi ?
Il n’a qu’à me donner la liste et je coche moi-même mon nom.
—Votre nom n’est pas ici. Vous
ne pouvez pas entrer.
—Essayé Lola Bekale peut-être.
—Non il n’y a pas non plus de
Lola Bekale, répond-il après un bref instant.
C’est quoi ce plan ? Me dire
de venir et finalement oublier de mettre mon nom ! Oh bordel de merde ?
L’enfoiré là n’a pas fait ça exprès tout de même !
A suivre