Chapitre 44
Write by Auby88
Edric MONTEIRO
A pas lents, j'avance dans les couloirs de la Clinique. Depuis une semaine, j'y passe mes nuits.
- Bonsoir, monsieur Edric !
- Bonsoir Suzanne ! répliqué-je poliment à la jolie infirmière qui me sourit largement.
Un peu trop d'ailleurs. Et ce n'est pas la première fois. C'est presque comme si elle m'envoyait des signaux. Dommage pour elle ! Je suis en pause sexuelle.
- Mon père dort déjà ?
- Non, monsieur Edric. Ce soir, il est encore plus grincheux que d'habitude. J'ai toujours du mal à croire qu'un homme aussi aimable, aussi souriant, aussi gentleman que vous puisse être né d'un père pareil !
- Il n'est pas toujours ainsi, Suzanne. C'est son état de santé actuel qui affecte son moral ! répliqué-je face à ce commentaire que je trouve un peu osé.
- Hmmm ! En tout cas, vous êtes bien différent de lui. C'est sûr.
Je mime un bref sourire en direction de cette infirmière trop hardie, puis avance vers la salle d'hospitalisation 3.
- Bonsoir papa ! commencé-je gaiement.
- Il ne manquait plus que cet imbécile pour me gâcher la soirée !
Je souris, tire une chaise et m'assois près de lui.
- Tu sembles te porter beaucoup mieux, ce soir. C'est bien.
- Tu ne croyais quand même pas que j'allais finalement te faire le plaisir de mourir. Avoue que c'est ce que tu attends !
Il croise ses bras et me regarde méchamment.
- Mes actes par le passé ont peut-être pu te faire croire cela, mais c'est faux. Je tiens beaucoup à toi. Je te l'assure.
- Vraiment ?
- Oui, papa.
- Si tu m'aimes tant, alors dégage de ma chambre, connard. Tu me pollues l'air !
- Désolé, papa. Mais toi et moi nous resterons collés jusqu'à ce que tu quittes l'hôpital. Et même…
- Tu n'as rien à faire, c'est certain, monsieur Bon à rien !
C'est difficile à croire, mais c'est pour mon père que je suis revenu au pays. J'ai immédiatement débarqué à Cotonou quand Eliad m'a informé que papa était très malade depuis plus de deux mois. Évidemment, il ne voulait pas que j'en sois informé.
- Au fait, papa, l'auditeur interne commencera son étude dès demain.
- Allez au diable, toi et ton auditeur !Je n'ai nullement besoin de votre aide.
- Ton entreprise va mal, papa. Très mal ! Je ne peux laisser toutes tes années de sacrifice tomber vainement à l'eau !
- Hypocrite !
- Tu as toujours voulu que je m'intéresse à la société. Voilà, je le fais.
- Épargne-moi ta fausse dévotion. Tu n'en veux qu'à ma fortune. Tu t'es precipité à mon chevet quand tu as appris que j'étais très malade, en pensant que j'allais mourrir pour que tu puisses hériter de mes biens. Admets-le, sale voleur !
- C'est faux !
- Laisse-moi te dire que je vivrai longtemps encore... Et même quand je mourrai, tu n'auras rien de moi. Pas même pas un iota.
- Ta fortune ne m'a jamais intéressé, papa. J'ai suffisamment d'argent pour vivre décemment.
- Si elle m'avait écoutée, ta mère ne t'aurait pas laissé tout cet argent que tu dilapides avec les prostituées et l'alcool !
- Tout cela relève du passé. J'ai changé.
- Une addiction reste une addiction ! réplique-t-il en ricanant.
Je ne tente pas de le contredire. Ce serait une perte de temps d'essayer de convaincre mon père que je ne fréquente plus les filles de joie et que je ne suis plus accro à l'alcool. Je préfère aborder un sujet plus sérieux.
- Au fait, j'ai appris que tu envisageais ouvrir le capital de la société.
- Oui. Pourquoi cet intérêt soudain ? demande-t-il en me regardant bizarrement.
- Je souhaiterais acquérir toutes les parts sociales qui seront émises.
- Je te vois venir. Tu veux me prendre mon entreprise ?
- Non, ce n'est pas mon intention.
- Menteur. Sache que je ne te veux pas comme associé.
- Que tu le veuilles ou pas, je le ferai. J'aurai pu agir dans l'anonymat, mais j'ai tenu à ce que tu le saches. Et puis, si j'agis ainsi c'est pour que tu puisses demeurer l'associé unique de ton entreprise. J'achète les parts sociales pour te les céder ensuite. Soit pour leurs valeurs d'achat, gratuitement ou pour un franc symbolique. On décidera ensemble de l'option la plus convenable pour l'entreprise.
Je lis de l'étonnement sur son visage. Eh oui, je me documente de plus en plus sur tout ce qui concerne la gestion d'entreprise.
- Je ne veux pas de charité ! lance-t-il quelques secondes plus tard.
- Il n'est pas question de charité, mais de devoir en tant que TON fils, objecté-je calmement.
- Celui que je considère comme mon fils, c'est Eliad. Et tu ne lui arrives même pas à la cheville !
- Il ne sert à rien de vouloir me comparer à Eliad car nous avons des personnalités différentes... Je le considère comme mon frère. Tu le considères comme ton fils. C'est bien. Mais le seul qui partage le même sang que toi, c'est moi. Et ça ne changera jamais, papa.
- Insolent ! Je maudis le jour de ta naissance.
- Tu devrais arrêter de crier autant. Ce n'est pas bon pour ta santé.
- Comment veux-tu que je calme quand tu me margues ouvertement ?
- Je n'ai rien fait de tel, papa. C'est plutôt toi qui prends mal chacun de mes propos.
- Sors d'ici !
- Tu devrais te reposer à présent ! Tu te sentiras beaucoup mieux demain.
- Tu ne me donnes pas d'ordre, impoli !
- D'accord. Alors calme-toi, je ne dirai plus un mot. Mais ne me demande pas de sortir, parce que je ne le ferai pas.
Je me lève de la chaise et vais m'asseoir dans le fauteuil qui me sert de lit ici. Je sors mon manuscrit et commence à relire mes écrits.
- Tu ne sais faire que cela, RATE ! Ecrire des histoires tellement nulles que personne n'a envie de les publier. Comment Dieu a-t-il pu me donner un fils pareil ? Un inutile qui quand il ne court pas derrière les prostituées ou les bouteilles d'alcool, passe tout son temps dans les livres…
J'entends ses mots durs mais n'y prête pas attention. J'ai tellement passé les mois précédents à booster mon mental que les insultes quotidiennes de papa ne me font plus rien.
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Des jours plus tard
Maëlly FREITAS
Aujourd'hui, je me sens beaucoup mieux. Je me sens prête à sourire à la vie. Quelqu'un toque à ma porte. C'est maman.
- Entre maman, dis-je avec plein d'enthousiasme.
- Que tu es belle, ma chérie ! Cette robe tailleur rose poudré te va à ravir ! Enfin, je reconnais ma fille.
- Merci, maman. Papa et toi m'avez tant soutenue ces derniers temps. Que serais-je sans vous à mes côtés ? Je vous serai éternellement reconnaissante.
- C'est notre devoir, Maëlly ! T'es prête ?
- Oui, maman.
- Tu veux que je vienne avec toi ?
- Non.
- En es-tu sûre ?
- Oui maman. Merci quand même.
- Mais tu m'appelles dès que tu en ressens le besoin. Et je viendrai aussitôt.
- Oui, mon héroïne, ma "Wonder Woman".
Je lui fais une grosse bise puis quitte mon duplex…
J'inspire profondément avant de me diriger vers le devant de la salle. J'ai été invitée à animer une conférence télévisée sur le leadership féminin. Depuis lors, c'est la première fois que j'ai accepté de revenir devant les écrans.
- Levons nous pour accueillir miss Maëlly FREITAS !
Une pluie d'ovations. Rien que pour moi. Comme avant. Mon égo monte en flèche. Je me sens si fière. Je me sens si puissante. Je me sens invincible. Comme avant.
Me revoilà, moi la grande Maëlly FREITAS, prête à montrer à tous que je reste une gagnante quelles que soient les circonstances. J'ai chuté, mais je me suis relevée.
- Miss Maëlly, bonjour.
- Bonjour monsieur le journaliste, répliqué-je gentiment à l'homme.
Comme à l'accoutumée, il fait une brève introduction avant de me passer la parole. Je me positionne bien dans le canapé, regarde droit devant moi et commence.
- Merci monsieur le journaliste... Nous ne saurons débuter sans donner une définition du mot leadership... Le leadership est un terme angliciste qui… euh... qui…euh…
Je perds le fil de mes pensées. Oui, j'ai tout oublié. Etrange ! Pourtant je me suis préparée pendant des jours. Pourtant, ce n'est pas la première fois que je viens parler de leadership.
Tous, en particulier le journaliste, ont les yeux rivés sur moi.
Je ne contrôle plus rien. Je ne comprends plus rien. Je n'arrive plus à émettre le moindre son. J'ai la gorge nouée. Et je suis stressée. Encore plus quand mes yeux se posent sur le monde devant moi ou sur les projecteurs braqués sur moi.
- Coupez ! murmure l'homme. Miss Maëlly, vous allez bien ?
Je transpire à grosses gouttes malgré l'air climatisé. Qu'est-ce qui m'arrive ? Pourquoi perds-je confiance en moi ainsi ? Et ce n'est pas la première fois !
- Miss Maëlly FREITAS, reprend l'homme, vous…
Je ne l'écoute pas. Je suis plutôt préoccupée par le public qui jacasse. Ils parlent encore de moi. Ils se moquent sûrement de moi. Pourquoi dois-je passer par tout ça ? Je me lève aussitôt.
- Miss Maëlly, que se passe-t-il ? attendez.
Le journaliste essaie de m'arrêter.
Je le pousse violemment, et cours aussi vite que je peux pour sortir du studio de télévision. Toujours en courant, je traverse la route pour atteindre ma voiture garée de l'autre côté de la voie. Mon esprit est si troublé que je ne prends pas la peine de regarder à gauche et à droite. Je veux juste fuir d'ici...
J'entends des gens crier "Attention", puis me retrouve au sol dans les bras d'un homme qui me serre fortement contre lui.
- Que se passe-t-il ? Pourquoi vous me… Toi, sale traître ! Lâche-moi ! rétorqué-je en découvrant le visage de cet imbécile d'Edric.
Depuis quand est-il rentré, celui-là ?
Il s'exécute sans dire mot. Je me dégage de lui, me lève, tente de m'en aller mais il retient mon bras.
- Enlève tes sales mains de moi, pervers !
Il me regarde droit dans les yeux, ce qu'il était incapable de faire avant.
- Arrête de faire la gamine, Maëlly !
- Mademoiselle, intervient un passant, vous devriez plutôt remercier ce gentil monsieur, car sans son aide un camion vous aurait déjà écrasée !
- Je ne t'ai rien demandé, toi ! lancé-je à l'inconnu. Alors continue ton chemin.
- Mon frère, renchérit un autre, tu aurais dû laisser cette ingrate accomplir son destin en finissant sous les roues du camion. Ça ferait un souci en moins pour l'humanité. Car de pestes comme elle, on n'en a pas besoin.
- Tu es qui toi, pour t'adresser ainsi à moi ? Tu sais qui je suis ?
- Qui ne connait pas la fille au mariage raté-là ? intervient une autre.
- Salope ! hurlé-je en tentant de m'agripper à elle.
Malheureusement, cet idiot d'Edric m'en empêche.
- Toi, lâche-moi !
- Tu es en train de te donner en spectacle. Viens, on s'en va !
- Je ne vais nulle part avec toi ! rebiffé-je.
La foule se met à me huer. Je profère des insultes à tous vents. Edric me tire par la main et m'entraîne de force derrière lui...
- Je ne monte pas dans ta voiture !
- Tu n'es pas en état de conduire la tienne.
- Tu te prends pour qui au juste ? Un bon samaritain ? Tu n'es qu'un misérable et Dieu sait combien je te hais. Je n'ai pas oublié le sale coup que tu m'as fait... Tu as beau le nier, je sais que c'est à cause de toi qu'Eliad m'a abandonnée.
- Pense ce que tu veux.
Il m'oblige à rentrer dans sa bagnole.
- Mets ta ceinture.
- Non ! m'opposé-je en criant sur lui. Je ne reçois pas d'ordre de toi, monsieur le raté !
Il se penche vers moi.
- Ne me touche surtout pas, sale pervers !
Il ne m'écoute même pas. Il me met la ceinture de force et démarre sans m'adresser un seul reproche ou me donner une réplique …
- Sale macho ! Qu'est-ce que tu faisais là ? Tu me suivais, c'est ça ?
- Non. J'étais là par hasard. Et puis, j'ai mieux à faire que te suivre.
- Toi, un vagabond ! Un raté comme ça ! Qu'est-ce que tu peux bien avoir à faire ? Ah oui, j'oubliais : sauter les putes, vider des bouteilles d'alcool ou faire semblant d'écrire.
- Ne gaspille pas ta salive, Maëlly. Tes insultes ne me font ni chaud ni froid aujourd'hui !
Ce qui me révolte à l'instant, c'est qu'il ne joue pas. Il dit la vérité. La sérénité que je lis sur son visage n'est pas un leurre. Edric semble avoir changé, avoir plus d'assurance en lui.
Je n'ai d'autre choix que de me taire. Parce que près d'un homme aussi calme, aussi sûr de lui, la ridicule c'est moi...
De retour chez moi.
- Merci mon fils ! s'extasie ma mère. Merci de m'avoir ramenée ma fille ! Nous nous faisions du souci pour elle. Merci de tout cœur.
C'est tellement écoeurant pour moi de voir maman s'humilier devant cet imbécile.
- Allez, entre mon fils.
- Non, merci, je suis juste venu raccompagner Maëlly.
- J'insiste, Edric.
- D'accord, maman
Du coin de l'œil, j'épie Edric qui discute avec maman, avec un verre de jus d'orange en main. J'ai toujours du mal à le reconnaître. Il a une telle confiance en lui, une telle prestance que je me sens négligeable près de lui. Son visage s'illumine à chaque fois qu'il sourit. Je l'avoue, il est encore plus beau qu'avant.
Qu'est-ce que tu racontes Maëlly ? Lui, c'est ton pire ennemi. Tu ne dois pas t'attendrir face à lui. Jamais. Et puis, tes yeux ne devraient se poser sur aucun autre homme. Sauf Eliad.
Eliad ! Hmmm ! Intérieurement, je pousse un long soupir en pensant à lui. Je me dois de l'oublier mais je n'y arrive toujours pas. Mais je ne compte plus faire de folies, le concernant, pour ne pas contrarier à nouveau mes chers parents.
- Au fait, Edric, ton père va mieux ?
- Oui, maman. Dans quelques jours, il pourra sortir de l'hôpital.
- C'est une bonne nouvelle. J'espère que vous vous entendez mieux.
- Pas vraiment. Mais je ne perds pas espoir.
- Il est des haines qui ne disparaissent jamais ! lancé-je en direction d'Edric en espérant le vexer.
Mais rien. Il n'y prête même pas attention.
- Maëlly !
- Ok, maman, je me tais.
- Ça ira, mon fils. Mais quoi qu'il en soit, tu dois te sentir fier car tu as pris soin de ton père. Tu as laissé tes activités en Martinique pour venir t'occuper de lui.
Je le vois sourire à nouveau. Je l'avoue, je n'y suis pas indifférente. Mais ça je ne l'admettrai jamais.
- Quand est-ce que tu repars en Martinique ? Très bientôt, j'espère ! demandé-je avec un sourire ironique au coin des lèvres.
- Je n'en ai aucune idée, Maëlly.
- Tu…
Il ne me laisse pas finir ma phrase.
- Maman, ce fut un plaisir de vous avoir revue. Mais là, je dois m'en aller.
- J'espère que tu reviendras nous voir.
- Si le temps me le permet, oui.
- Hmm, commenté-je, comme si tu avais quelque chose à faire ?
- Maëlly ! s'insurge maman, tandis qu'Edric poursuit la conversation comme si de rien n'était :
- Aurevoir Maëlly, Aurevoir Maman. Très bonne journée à vous.
Il parle en gardant son sourire. Le mien disparaît aussitôt de mon visage. J'évite son regard. Maman le raccompagne. Je rêve, c'est sûr, ce n'était pas Edric...
- Maëlly ! Tu as remarqué comment il a changé ?
- Bof ! Pas vraiment. De toutes façons, Edric reste le dernier de mes soucis.
- Je vois... Dis-moi, qu'est-ce qui s'est passé à la télévision ?
- Je ne sais pas, maman. Je n'ai rien compris. J'ai paniqué. Juste comme ça. Et j'ai tout oublié. Je crois que je suis en train de perdre toute confiance en moi.
- Peut-être parce que que tu te mets trop de pression, tu mets la barre trop haut. Essaie d'avancer progressivement.
- Mais je veux redevenir la Maëlly forte et pleine d'assurance que j'étais avant.
- Ça viendra ma fille. Ne sois pas pressée. Vas-y doucement. Tu as compris ?
Je ne partage pas l'avis de maman, mais j'acquiesce.
A quoi servirai-je encore si je ne peux pas redevenir la grande miss Maëlly FREITAS ? Je serai vue pas tous comme une R-A-T-E-E. Et cela je ne le veux pas, car même Edric que je traitais de RATÉ ne semble plus en être un. Piètre vie que la mienne ! (Long soupir)