Chapitre 46

Write by Auby88

Aurore AMOUSSOU

Au niveau de l'ilôt central de la cuisine, je suis. Aujourd'hui, je prépare une pizza. J'en emporterai tout à l'heure à Femi. Arabella et moi passerons toute une semaine chez lui. Par moments, mon attention se dirige vers l'évier.


- Tata Sèna, je veux t'aider à laver les plats.

- Non Arabella, laisse. Tu es encore trop petite. Va plutôt regarder tes dessins animés.

- Arabella ! interviens-je. Laisse Tata Sèna tranquille et file au salon.

- Mais moi, je veux aider. Tu ne veux pas que je t'aide alors laisse-moi laver…

- Arabella ! insiste-je.

- Ecoute ce que ta maman dit.

Elle n'écoute ni l'une, ni l'autre. D'un petit tabouret, elle s'empare et monte dessus pour atteindre l'évier.

- Arabella, tu risques de tomber !

- Non, maman. Je fais attention.

J'inspire profondément pour ne pas laisser la colère m'envahir. Est-ce qu'un enfant de son âge sait faire attention ? Pourquoi les enfants ont-ils toujours tendance à croire qu'ils peuvent agir comme des adultes ?

Je ne dis plus rien. Il faut parfois les laisser apprendre par eux-mêmes. Je continue à pétrir ma pâte tout en épiant Arabella.

Elle a les mains dans l'eau de rinçage et ses pieds sont étirés au maximum. J'ai bien peur qu'elle tombe. Elle, par contre, semble bien heureuse de "jouer" ainsi avec l'eau.

Pour moins m'inquiéter, je détourne mon visage et m'efforce de rester concentrée sur ce que je fais. Peine perdue. Le cri que j'entends à l'instant m'en empêche. C'est Arabella. Elle vient de tomber par terre, entraînant avec elle une casserole sale posée sur le sol.

Je fais semblant de n'avoir rien vu. Je n'ai qu'une envie, celle de la réprimander sévèrement. De l'eau répandue sur le sol, la femme de ménage la tire et essaye de la réconforter. Ses vêtements sont mouillés et elle s'est égratigné le genou.

En pleurs, elle vient se coller contre moi. Plutôt que de la réconforter comme à mon habitude, je la gronde :

- C'est bien fait. Allez, va t'en jouer ailleurs. Cela t'apprendra à n'en faire qu'à ta tête. Je t'ai prévenue, pourtant tu ne m'as pas écoutée ! Allez, sors d'ici ! achève-je en haussant le ton.

Elle pleure de plus belle. Je reste ferme, je l'ignore complètement.

Elle finit par me délaisser pour les bras de sa mémé qui, sûrement alertée par les cris de sa "protégée", s'est hâtée de venir.

- Qu'est-ce que tu as, ma toute belle ?

- Je suis tombée et je me suis fait mal au genou.

- Oh, ma choupinette. Laisse-moi voir ça !

- Tu es juste tombée ? rétorque-je. Dis plutôt que tu l'as bien cherché.

A ma mère, je raconte les faits.

- Tu as toujours mal ? demande-t-elle à sa petite fille.

- Non.

- C'est bien. Mais la prochaine fois, obéis à maman. C'est compris ?

- Oui mémé. Toi tu es la meilleure.


Oui, j'imagine. Ah les enfants ! Parce que je l'ai reprimandée, je suis devenue la méchante de l'histoire.

- Allez, va en haut avec tata Sèna pour changer tes vêtements.

- D'accord, mémé, répond-t-elle en lui laissant une bise sur la joue.


A moi, elle ne prête aucune attention avant de quitter la pièce avec la femme de ménage. C'était bien prévisible.

- Aurore, commence maman, tu as été bien trop dure avec elle tout à l'heure. Ce n'est qu'un enfant.

- Un enfant qui n'en fait qu'à sa tête !

- Tu exagères. Elle est juste hyperactive, c'est tout !

- Tu prends toujours sa défense !

- Non, je n'agis pas toujours ainsi. Je la gronde de temps en temps, mais seulement quand c'est nécessaire. Aujourd'hui, elle voulait faire une bonne action mais s'y est mal prise. A force de lui faire des remontrances dans des cas pareils, elle finira par s'embrouiller puis par ne plus vouloir aider.

- Je n'y avais pas pensé, dis-je en me mordant la lèvre.

- D'ailleurs en matière de bêtises enfantines, toi tu étais la reine. Tu veux que je te rafraîchisse la mémoire ?

- Non, maman ! rétorque-je. J'ai compris. Je vais la voir.

- Ok, je t'aide.

Je n'ai pas voulu que maman me ramène au passé. Mais c'est vrai que petite, j'étais une peste. Tout en regagnant la chambre d'Arabella avec maman, je repense à mes bêtises d'enfant : la fois où j'ai coupé les cheveux de ma poupée barbie pensant qu'ils repousseraient un jour — la fois où je me suis enfermée à clé dans la salle de bain sans pouvoir l'ouvrir, laissant ouvert le robinet sans pouvoir le fermer tellement j'étais stressée ; ce jour-là il a fallu l'aide d'un menuisier pour me libérer de ma "prison" — la fois où j'ai délibérément versé l'eau par terre pour ennuyer la femme de ménage — tant et tant​ d'autres fois. Une vraie peste ! C'est confirmé ! (Rire)


Quand je pense que maman a dû supporter tout cela, sans parler de mes caprices d'adolescente puis de "femme" !

Combien j'ai été ingrate avec cette grande dame ! Si je pouvais retourner dans le passé, j'effacerais chaque geste impoli dont j'ai fait preuve, chaque mot dur que j'ai eu, envers elle. Etre mère n'est vraiment pas facile ! Je m'en rends compte jour après jour. Sauf que moi, je n'ai pas toujours la patience de ma mère.


Nous venons d'arriver devant la chambre d'Arabella. Elle a fini de se changer. Elle accourt vers sa mémé.

- Ma princesse est là ?

- Plutôt que de me répondre, elle croise ses bras et me boude.

Rien qu'à voir sa mine, je souris.

- Tu n'aurais pas envie de deux gros cornets de glace à la vanille qu'on achèterait en allant chez papa ?

Elle secoue la tête fermement.

- Tu n'en as vraiment pas envie ?

- Non, mémé.

 Je creuse mes neurones et pense à quelque chose qui peut-être l'intéressera.

- Est-ce que tu veux toujours AIDER ?

Elle tourne un oeil vers moi.

- Aider qui ? A faire quoi ?

- J'aimerais bien que tu m'aides à préparer notre sac, celui que nous emporterons chez papa. Tu pourras choisir tes vêtements et même les miens ! Tu es d'accord ?

Elle regarde sa mémé, comme pour avoir son assentiment.

- Tu devrais accepter la proposition de ta maman. Et puis, c'est une activité bien saine.

- Alors, d'accord ! achève-t-elle en souriant grandement. Maman, on commence quand ?

- Tout de suite, ma puce. Le sac est dans ma chambre. Allons-y.

- Je peux monter ?

- Bien sûr !

Maman la met sur mes genoux. Je lui donne un long bisou sur sa joue.

- En route, princesse.

Elle pouffe de rire.



Des heures plus tard. Chez Femi.

Arabella joue dehors. Femi et moi sommes au salon. Il vient d'engloutir la dernière part de pizza.

- Appétissant ! Tu t'améliores vraiment, tu sais. Au moins, je suis rassuré. Ma femme sait enfin cuisiner ! dit-il en souriant.

Il vient de m'appeler "sa femme". Cela me fait bizarre. Mais je n'insiste pas là-dessus. Car même si nous ne sommes pas légalement mariés, je suis bien sa femme et nous avons une fille. (Sourire)

- Mais j'aimerais que tu me fasses plus de plats locaux.

- Je m'y attelle, t'inquiète. Ce soir, tu seras épaté.

- Ah bon !

- Oui. Tu mangeras du bon "mantindjan" avec de la pâte noire, comme tu aimes. J'ai fait mes courses en conséquence.

- Miam ! Miam ! fait-il en se frottant les mains. Je vais voir Arabella et je reviens tout de suite.

- D'accord, dis-je en prenant le magazine posé sur le guéridon en marbre.

J'entends ses pas qui se dirigent vers l'arrière-cour.


* *

 *

Quelques minutes plus tard.

J'entends d'autres pas qui viennent vers le salon. Je lève la tête.

- Mon fils, tu es là ?

Cette voix venant du dehors, je la reconnais. C'est celle de la mère de Femi. Mon sang semble se glacer dans mes veines. Je ne m'attendais pas à la revoir aujourd'hui. Néanmoins, pleine d'espoir, je m'adresse à elle en souriant.

- Bonjour maman !

- Qu'est-ce que tu fais là, toi ?

Son ton est menaçant. Là, ça commence mal. Je suis déboussolée. Je ne parviens pas à lui répondre. Mes mâchoires se crispent. Je n'ai qu'une envie : fuir d'ici.

- Ce n'est pas à toi que je m'adresse ?

Je ne dis mot.

- Infirme et muette ! C'est la totale !

Je suis comme tétanisée.

- Femi ! continue-t-elle de crier.

- Bonjour maman !

Femi vient de nous rejoindre.

- Qu'as-tu à crier ainsi mon prénom ?

- Tu peux me dire ce qu'elle fait ici ?

- Elle, c'est Aurore.

Près de moi dans le canapé, il vient s'asseoir.

- Je me fiche de savoir comment elle s'appelle !

- Tu devrais aussi t'asseoir maman, dit-il avec calme.

- Je n'en ai pas envie. J'attends que tu me répondes.

- Je t'en prie, maman.

Elle s'assoit et me fixe méchamment. Femi me prend la main.

- Nous nous sommes remis ensemble.

- Quoi ! Tu n'as vraiment aucune honte, jeune femme ! Tu fends le coeur à mon fils, tu te barres avec sa fille puis tu oses reprendre avec lui !


Les larmes me montent aux yeux. Je voudrais riposter, lui dire que c'est aussi de sa faute, mais je me ravise.

- Cela ne s'est pas passé ainsi et tu le sais bien ! réplique son fils. De toutes façons, ça relève du passé.

- Quand je pense que tu jurais à qui voulait l'entendre que tu ne la reprendrais plus. Tu es vraiment un homme sans parole, Femi ! Dis-moi jeune femme, qu'as-tu fait à mon fils pour qu'il soit comme un toutou avec toi ? Tu l'as envoûté, n'est-ce pas ?

Je secoue juste la tête.

- Mais parle, bon sang ! Dis quelque chose au lieu de laisser mon fils parler à ta place.

- Maman, s'il te plaît ! reprend Femi. Pense à ta santé avant tout.

- Ma santé ! Si elle te préoccupait tant, tu ne me ferais pas un coup pareil. Si je savais que tu me réservais une si mauvaise surprise, je serai restée chez moi.

- Tu es venue de ton propre chef, sans même me prévenir ! Reconnais-le.

- Et alors ? Je dois prendre rendez-vous avant de voir "mon fils" ? Il vaut mieux que je m'en aille.

- Mais tu viens à peine d'arriver !

- Femi, ne m'énerve pas ! Plutôt que de prendre uniquement parti pour ta mère, tu es là à …

Sa phrase, elle ne la finit pas. Arabella vient d'entrer dans la pièce.

- Mémé !

- Ma petite-fille bien-aimée ! La chair de ma chair !

Elle semble bien heureuse de voir "ma" fille. Elle entame un panégyrique en yoruba pour louer Arabella. Pour moi, tout ceci est insensé ! Comment peut-elle autant adorer Arabella et me détester moi, qui l'ai mise au monde ? Comment ?

Tout ça, c'est trop pour moi. Je dégage ma main de celle de Femi, attire mon fauteuil vers moi et m'y assois. Femi tente de m'empêcher de quitter la pièce en posant son bras sur le fauteuil. Je trouve quand même le moyen de m'en aller...


* *

 *


Dans la soirée.

Nous sommes attablés avec la mère de Femi. Elle a finalement décidé de passer plus de temps avec Arabella ! Elle rentrera demain matin à Porto-Novo. J'ai passé toute la journée dans la chambre à coucher, laissant Femi et Arabella en bas avec elle. Je ne suis descendue que pour faire la cuisine et mettre la table.


Mon coeur bat fortement tandis que Femi ouvre la soupière pour servir sa mère. A ce moment-là, j'aurais préféré qu'elle refuse d'être servie.

Le premier à porter le repas à sa bouche, c'est femi. Je remarque qu'il mange malgré lui.

- Pouah ! fait la mère de Femi en recrachant sa première bouchée. La boîte de sel est tombée dans la sauce ou quoi ? Et la pâte, non seulement elle n'est pas cuite mais elle est aussi pleine de grumeaux. Hmm ! C'est ça là, toi tu veux épouser ?


J'ai juste envie de pleurer. Heureusement qu'Arabella dort déjà, sinon je me serais sentie bien honteuse d'être ainsi dévalorisée devant ma fille.

- Ce n'est pas bien grave, maman ! intervient Femi. Tout le monde peut se tromper. Viens Aurore, nous préparerons autre chose.

Elle tape ses mains.

- Hmm ! En plus, c'est mon fils qui fait la cuisine ici !

- Aurore ! Tu viens ?

Mon esprit est ailleurs. Sur mon épaule, Femi pose une main.

 - Aurore, je t'attends. Allons à la cuisine.

- D'accord.



Dans la cuisine avec Femi.

- Je suis désolée. D'habitude, je réussis ce mets. Mais aujourd'hui j'étais stressée.

- J'imagine. En tout cas, je l'ai déjà dit. Tout le monde peut se tromper.

- Qu'est-ce que ta mère va penser de moi à présent ?

Il ne répond pas. Cependant, je ne reconduis pas ma question.

- Aide-moi à couper les oignons et les tomates pendant que je mettrai les pâtes à cuire.

- D'accord, dis-je.

Je m'empare du couteau mais ma main tremble. Il s'en rend compte.

- Laisse, je vais m'en charger. Ce sera prêt tout à l'heure. Essaie de te détendre.

Je hoche timidement la tête. Vers les casseroles, il se retourne.


* *
 *

Le lendemain

Femi vient de quitter notre chambre à coucher. Je suis réveillée depuis mais j'ai fait semblant d'être endormie pour​ ne pas devoir lui parler.

J'entends des voix dans la cour. Je sors du lit, glisse dans mon fauteuil puis me dirige vers la fenêtre. J'aperçois Femi et sa mère qui entrent dans la voiture.

Je soupire. Je me sens si triste, si seule. Je suis en froid avec mon homme. L'âme en peine, je repense aux évènements de la veille.


Flashback. La veille, tard dans la nuit.

Je suis étendue sur le lit. Je peine à m'endormir. Après l'incident avec le repas, je suis montée en chambre, laissant Femi et sa mère au salon. Je n'ai pas eu le coeur à manger les pâtes qu'il a faites, ni à supporter sa mère​.


J'entends la porte s'ouvrir. C'est Femi.

- Mon amour ! Tu dors déjà ?

- Non, dis-je​ en me relevant pour m'adosser contre le lit.

- Tu n'as vraiment pas faim ?

- Je n'ai pas faim.

- Ok. Je vais prendre une douche.

Il me parle en souriant. Je m'efforce de lui rendre son sourire. Je me demande pourquoi il semble si calme, si détendu quand moi je suis tant troublée. Aujourd'hui, je n'ai pas eu l'impression qu'il partageait vraiment ma souffrance. Il s'est juste contenté d'être neutre entre sa mère et moi.


Il se ramène quelques minutes plus tard, tout nu comme un ver. A la manière dont il vient tout près de moi, je devine ses intentions. Comment peut-il penser au sexe à un moment pareil, à ce moment où je me sens mal ? Je le trouve bien égoïste. D'habitude, j'adore faire l'amour avec lui, mais ce soir je n'ai pas la tête à ça. Je n'en ai pas envie.


SECONDE CHANCE