Chapitre 5

Write by NafissaVonTeese

Précédemment

Fama s’était découverte, avec stupeur, la capacité de lire dans les pensées des autres. Avant même de digérer cette choquante nouvelle, elle avait été obligée d’en encaisser une seconde : celle de ses présentations à la famille de son petit ami Seydina, le soir même. Elle accepta, mais avec beaucoup d’appréhensions.

***

 

C’est à pas nonchalants et complètement abandonnée à des pensées confuses que Fama avait rejoint l’île nord. Juste avant de quitter le pont Faidherbe, elle s’était arrêtée pour laisser un léger vent venant de l’ouest, s’abattre sur son corps las et fatigué. Elle se sentait tout d’un coup seule, considérablement seule, malgré le fil de voitures et les visages inconnus qui empruntaient ou quittaient le pont. La tension qui l’habitait à cet instant n’avait autre cause que sa recherche effrénée, mais sans grand succès, d’une excuse à servir à son père pour pouvoir passer la soirée chez Seydina, sans encombre.

 

Elle avait 25 ans oui ! Mais et alors ? Des années, elle pouvait en avoir des centaines, mais tant qu’elle vivait sous le toit de son père, elle devait se conformer à ses règles. Et « demander sa permission avant de poser le pied dehors » en faisait partie. Il était hors de question qu’il apprenne l’existence d’un homme dans sa vie, d’autant plus qu’il allait certainement être dévasté si jamais il découvrait qui était cet homme en question.

 

Faire avaler n’importe quoi à n’importe qui, était bien le boulot de Fama. Alors pourquoi elle avait beau chercher une excuse convaincante pouvant justifier une absence nocturne, sans être capable d’en trouver? Elle mit cela sur le compte de son ventre vide. Sa réflexion était certainement brouillée par la faim qui hantait son estomac. Qui pouvait réfléchir le ventre vide ?

 

C’est les yeux rivés sur les eaux du fleuve peu agitées, qu’elle décida de presser le pas. Elle avait encore quelques heures pour trouver une solution. Et des solutions, elle en trouvait toujours.

 

***

Les heures s’étaient succédées avec une ferveur qui semblait uniquement destinée à narguer Fama. Il était déjà 18h passée d’une bonne vingtaine de minutes, et elle était toujours retranchée dans sa chambre, à genoux au bon milieu de son lit, les yeux fixés sur le papier peint à carreaux jaune poussin couvrant les murs. Toutes les stratégies auxquelles elle avait pensé étaient vouées à l’échec. Le problème dans les villes comme Saint-Louis, était que tout le monde connaissait tout le monde et parlait de tout le monde. Elle pouvait prétendre être invitée chez une copine quelconque, mais avec l’énorme risque que son mensonge la rattrape dès le lendemain, quand une vieille commère frapperait à leur porte tôt le matin, pour balancer sans retenu à ses parents qu’elle avait aperçu leur fille à l’autre bout de la ville.

 

« Saleté de petite ville » jura t’elle avant de distinguer l’ombre qui se dessinait sur le pas de la porte. En apercevant sa mère postée là, à la regarder d’un air presque narquois, elle lâcha un soupire puis s’effondra sur son lit.

 

-         Je peux toujours envoyer un texto à Seydina pour lui dire que j’ai une affreuse migraine et que je ne pourrai finalement pas dîner chez lui; avait-elle lancé, plus pour elle-même que pour sa mère.

 

La bonne femme avait bien remarqué que sa pauvre petite était au pied du mur. Elle ne le laissa pas paraître, mais elle éprouvait de la peine pour elle.

Elle était venue se poser auprès d’elle, cherchant les mots qu’il fallait. Son statut de mère lui imposait d’effacer toutes les peines de ses enfants rien qu’en claquant les doigts. Ce soir là, ses 25 années d’expériences en qualité de mère ne lui serviraient à rien, car elle n’était plus en face d’un enfant, mais d’une femme amoureuse et visiblement malheureuse. Et personne ne lui avait apprise comme gérer ce genre de situation.

 

Le désordre qui régnait autour d’elle attira son attention. Des bouts de vêtements pendaient de l’armoire qui était restée ouverte, des feuilles de papiers froissées se mélangeaient à une bonne dizaine de paire de chaussures qui trainaient sur les carreaux. Apparemment, rien dans cette chambre, n’était à sa place et cela aurait pu se comprendre si l’occupant des lieux était un homme. Elle aurait voulu faire la remarque à sa fille, mais en la voyant complètement désemparée, elle préféra se taire. Mais elle ne pouvait pas la laisser ainsi, il fallait qu’elle fasse quelque chose.

 

-         Tu tiens vraiment à ce petit blanc ?

 

-         Maman ;  s’écria t’elle; tu sais que tu es raciste ?

 

-         Je ne le suis pas, mais ton père oui. Alors si ce n’est pas du sérieux avec lui, tu devrais t’en séparer dès maintenant pour éviter les histoires.

 

Fama s’était retenue de répondre. Elle fixait maintenant le plafond, le cœur lourd et indécis. Elle tenait à Seydina, mais au point de s’attirer des ennuis avec son père au caractère volcanique; ça elle en était moins sûre.

Sa mère elle, était prise d’une impression injustifiée de culpabilité. Elle se sentait coupable de ne pouvoir rien faire pour tirer sa fille de cette situation inconfortable. Et le silence qui régnait désormais dans la pièce mettait encore plus l’accent sur son mal être. Elle prit alors une décision qui allait certainement plus tard retomber dessus, mais arrangeait au moins les choses au moment présent. Elle bondit du lit et avec une pincée d’excitation dans la voix, elle lança à Fama :

 

-         Efface-moi cette tête d’enterrement ! Il ne faut surtout pas que tes futurs beaux-parents pensent que leur fils va épouser une vieille fille aigrie et désespérée.

 

-         Ma s’il te plait, je n’ai pas le cœur à plaisanter. Laisse-moi tranquille.

 

Fama voyait la blague de sa mère comme étant de très mauvais gout, avant de comprendre, grâce à l’expression qu’elle affichait, ce que ses propos signifiaient réellement. Un timide sourire se dessina aussitôt sur le visage de Fama quand elle se demanda si la mère était sérieuse.

 

-         Oui ; avait-elle dit, comme si elle avait lu dans ses pensées.

 

-         Et papa ?

 

-         Je m’en occupe ; avait-elle lancé avec un clin d’œil. Il commence à se faire tard alors prépare toi. Pendant ce temps je vais mettre un peu d’ordre dans bordel !

 

-         Ma, t’es grossière ! avait-elle répondu en éclatant de rire.

 

Dix minutes plus tard, Fama avait quitté la douche, et en rentrant dans sa chambre, elle la trouva complètement changée, comme remplacée par une autre plus spacieuse et claire. C’était confirmé, le rangement n’était pas son truc, mais bel et bien celui de sa mère. Elle avait réussi à faire en dix petites minutes, ce qu’elle n’aurait jamais pu réussir en dix jours. Elle aurait dû en avoir honte, mais au contraire, elle n’en avait rien à faire. Elle s’y retrouvait dans son désordre.

 

Fama était tellement surprise par ce changement soudain qu’elle n’avait presque pas remarqué la présence de sa mère. Elle était pourtant bien là, le dos contre mur et les yeux rivés sur le vieux bouquin que Fama avait ramené de son voyage à Dakar.

 

-         Oh Ma, tu sais lire ; avait lancé Fama, l’air démesurément enjoué, en s’avançant vers elle.

 

-         Non je fais semblant ; répondit-elle en ne quittant pas des yeux la page dans laquelle elle était plongée.

 

Cela intrigua Fama. Elle avait ce bouquin depuis près de 24 heures et pourtant, elle ne se souvenait même pas de l’avoir une seule fois ouverte. Qu’est-ce qui pouvait bien s’y trouver qui intéressait autant sa mère ? Elle s’avança jusqu’à elle et jeta un coup d’œil dessus mais à sa grande surprise, elle ne vit rien d’autre que deux pages vides. Son regard avait quitté le bouquin pour parcourir le visage de sa mère, et elle semblait complètement submergée par ce qu’elle voyait.

 

-         Mais il y’a rien !

 

Elle ne reçut aucune réponse. Le seul geste qu’exécuta sa mère, était de tourner la page pour passer à la suivante. Sur celle-ci non plus, Fama ne vit aucune inscription. C’était bizarre mais elle n’avait pas le temps de s’occuper de cela. Elle allait voir ça à son retour. Aussitôt qu’elle s’était retournée pour se rendre à son armoire à vêtements, la voix de sa mère la freina :

 

-         Je t’ai déjà sortie une robe.

 

Fama remarqua aussitôt l’étoffe posée sur son lit avant de reconnaitre sa petite robe taille haute à col v et de couleur rose bonbon, qu’elle avait depuis plus d’un an mais qu’elle n’avait jamais voulu mettre, parce-qu’elle la trouvait finalement trop rose.

 

-         T’es un ange Ma ; avait-elle puisé de son cœur. Le jour où je quitte cette maison, je m’amène avec moi !

 

Elle avait juste quitté la pièce, emportant le livre dans ses mains, sans réagir à la pique lancée par sa fille.

 

C’était habillée et maquillée, que Fama était fin prête à rejoindre son prince.

Aussitôt qu’elle avait franchi la porte de sa chambre, elle tomba nez à nez sur son père.

 

« Enfoiré de Karma ! », avait-elle pensé à haute voix. Le vieil homme le dévisagea pendant des secondes sans mot dit. Il n’était pas le seul, ses amis avec qui il avait passé la journée étaient aussi tous plantés là, à la regarder comme une étrangère. L’un d’eux, remarquant certainement la tension qui commençait à s’installer, se décida de briser le silence.

 

-         Waouh ! On dirait un rouleau de papier toilette géant !

 

Tous se regardèrent avant d’éclater de rire, le père de Fama y compris, exceptée le dindon de la farce.

 

-         Et tu vas où déguisée comme ça ; avait-il demandé. Aux toilettes ?

 

Les rires avaient repris de plus bel. Ça ne pouvait pas être son père, lui-même, qui enfonçait le clou. Fama les trouvait pathétiques, mais elle était restée de marbre, plus inquiétée par l’excuse qu’elle pouvait bien servir, que par les blagues de mauvais gout de vieux des générations précédentes, qui limitaient la mode à un pagne coupé en grand boubou.

 

C’est sa mère qui l’éloigna du bord du gouffre, en lui tendant le vieux bouquin aux pages vides qu’elle refusait de quitter des yeux quelques minutes plus tôt ; puis elle dit :

 

-         Elle va chez son grand-père.

 

Fama était restée perplexe, son père de même, et cela se voyait sur son visage. Jamais au plus grand jamais elle n’avait vu de livre trainer chez son grand-père. Elle se demanda même sur le coup, si celui-ci avait été une seule fois dans sa longue vie, dans une l’école. Elle pensa que sa mère n’aurait jamais pu trouver une autre excuse aussi bidon. Mais à sa grande surprise, le pauvre vieux avait marché. Il demanda même à sa fille de passer le bonjour à ses grands-parents en passant.

 

Ahurissant ! Fama s’était permis de lancer un énorme sourire à sa mère, en se disant qu’elle savait maintenant d’où est-ce qu’elle tenait sa capacité à raconter des histoires.

 

Le groupe de vieux était passé devant elle et Fama les suivit, sans oublier de lancer un bref salut de la main, à sa sauveuse.

Il avait suffit qu’elle franchisse la porte de leur maison pour être convaincue que le sort s’acharnait. Son cœur s’était arrêté, puis s’était remis à battre quand elle vit son père, la mine déconfite, fixant Seydina des yeux.

 

« Putain, qu’est-ce qu’il fout là ?! »

NafissaVon Teese

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