Chapitre 5

Write by Meritamon

Hauts-plateaux du Fouta Djallon, Guinée.

Une averse venait de détremper la piste rougeâtre, glissante, remplie d’ornières. De temps à autre, le puissant 4X4, s’y enfonçait, en dérapant de ses hautes roues, malgré la prudence et la diligence avec laquelle le chauffeur, pourtant expert, les évitait.

Le paysage luxuriant de l’arrière-pays guinéen défilait sous les yeux des passagers de l’auto. Une brise fraîche emmenait avec elle une odeur de bois brûlé et entrait par les vitres ouvertes de la voiture. Les hautes herbes vertes bruissaient sous le vent. Au loin, s’étendait une vaste forêt mystérieuse et impénétrable d’où s’échappait parfois le cri de quelque animal nocturne.

Des montagnes millénaires se dressaient fièrement et semblaient être des géantes endormies qui allaient se réveiller d’un moment à l’autre.

Les deux passagers, le père et la fille avaient gardé le silence tout le long du voyage.

     -         Ce voyage est sans fin! C’est le bout du monde, avait fini par maugréer la jeune femme, excédée, quand est-ce qu’on arrive dans ce trou perdu?

Son père avait répliqué sèchement.

      -         On arrivera quand on arrivera, Serena!

Sur ce, Serena s’était emparée d’une cigarette dans son sac qu’elle alluma. C’était sa 10ème cigarette depuis qu’ils avaient quitté Conakry, voilà plus de huit heures. Elle en tira de longues bouffées en sachant pertinemment que cela déplaisait profondément à son père. Malick Hann, bien entendu, ne tarda pas à réagir, scandalisé.

     -         Arrête de t’empoisonner avec cette saleté, en plus de nous enfumer!

La jeune femme l’ignora délibérément en regardant d’un air morne le paysage qui défilait devant ses yeux. Elle détestait fumer, mais c’était dans sa nature de provoquer son père. Elle pianota sur son téléphone et émit un juron lorsqu’elle perdit le réseau.

     -         Fuck! Putain de réseau.

     -         D’abord, tu surveilles ton langage. Ensuite, on n’en serait pas là si tu t’étais tenue tranquille. Tu devrais plutôt avoir honte et te repentir. Tes amies Chacha et Noura se trouvent à l’hôpital par ta faute! Tu les as mises en danger de mort en conduisant de façon irresponsable.

Bien entendu, Malick Hann était déçu.

Serena ne voulut pas qu’on lui rappela ce souvenir douloureux. Cette nouvelle culpabilité qui venait encore de s’ajouter sur ses épaules. Elle s’en voulait énormément d’avoir mis ses amies en danger.

Au retour du club, les choses avaient dérapé. Des flashs la ramenèrent à la fameuse soirée. Les filles avaient dansé, elles avaient aussi bu beaucoup de champagne au compte de Serena. Puis, le beau Jay Patel, le frère de Noura, s’était pointé et s’était joint à elles.

     -         Tu m’évites, lui avait-il reproché.

Oui, elle l’évitait.

Elle évitait le garçon depuis leur retour de voyage d’Amsterdam, il y avait un mois. Jay lui avait proposé un week-end d’expériences sensorielles dans cette ville où les drogues étaient légales. Elle avait d’abord hésité en se souvenant qu’il avait eu des sentiments pour elle par le passé et qu’elle l’avait rejeté. Pourtant, en bon perdant, Jay lui avait proposé de rester bons amis. Ce qu’elle avait accepté parce qu’elle appréciait sa compagnie. Il la faisait rire. Il était aussi très malin. Disposant de beaucoup de liquidités, c’était son idée à lui de mettre leur argent en commun, de l’investir en achetant des blocs d’actions qui rapporteraient de l’argent une fois revendus au bon moment. Serena avait alors embarqué dans l’aventure et vit là une occasion de s’émanciper du contrôle de son père.

Jay et elle créèrent en secret leur propre club d’investissements. Ils y firent adhérer, moyennant une cotisation annuelle, d’autres gosses de riches, qui avaient des capitaux mais n’avaient aucune idée de comment faire fructifier tout l’argent que les parents leur donnaient.

De par sa proximité avec Malick Hann et son Oncle Charles, Serena eut accès aux informations financières privilégiées et aux données de la Bourse qu’elle subtilisa pour son propre compte. Elle se mit à dupliquer, à une très petite échelle, toutes les stratégies financières de son père.

Elle avait, par le passé, étudié tant de profils économiques de pays, souvent contre son gré, qu’elle connaissait intuitivement les secteurs d’activités qui rapportaient de l’argent, les entreprises émergentes. Bref, Serena se découvrit du flair pour les affaires et le mit à profit.

Jay Patel, quant à lui, s’occupa de la partie fiscale, comment contourner les lois pour ne pas à avoir à payer des impôts. C’était illégal, mais tant de personnes le faisaient de toutes les façons, qu’il ne leur fût pas difficile de placer de l’argent gagné, à l’abri, dans des comptes Offshore aux îles Caïmans.

Malheureusement, Jay Patel n’était pas seulement qu’ambitieux, il était aussi amateur de drogues de toutes sortes et voulut initier sa jeune partenaire d’affaires.

     -         Amsterdam? J’ai commencé ma session de cours à Londres, avait protesté la jeune femme.

     -         Tu es inscrite dans quel programme?

     -         Finances.

Elle aurait pû voir son sourire dans le téléphone.

Évidemment, Finances, le contraire l’aurait surpris. Le choix de Malick Hann. Elle suivait les traces de son père.

Puis, Jay d’insister avec sa façon désinvolte.

      -         Ramène tes fesses, Sa Majesté. Tu apprécieras Amsterdam.

Comme elle s’ennuyait de ses amis, Serena avait pris le train et l’avait rejoint pour le week-end. Ils avaient flâné dans la ville, s’étaient offerts une croisière sur les canaux de la ville à bord d’une péniche. Ensuite, il y eut les drogues qu’ils avaient achetés ensemble, le cocktail de différentes drogues partagé à jeûn dans une chambre d’hôtel; puis, le trip psychédélique qui avait suivi. L’euphorie ressentie d’abord, les couleurs éclatantes qui défilaient sous leurs paupières lourdes, leurs sens exacerbés aux sons, à la lumière et au toucher. Jay avait fait le pitre sur le balcon de leur chambre en narguant les passants; Serena riait sans raison, des larmes coulaient sur ses joues. Peut-être qu’elle pleurait aussi, de joie mêlée à une infinie tristesse. Et, un engourdissement avait suivi, une anesthésie comme chez le dentiste.  La jeune femme s’était sentie détendue. Adieu la pression, adieu le stress causé par son père et son désir de la voir lui succéder, de devenir la meilleure, adieu la culpabilité quasi quotidienne et oppressante.

La culpabilité d’avoir choisi son père à la place de sa mère lorsqu’on le lui avait demandé douze ans plutôt, dans le cabinet feutré du juge, à New York.

Veux-tu rester avec ton père ou ta mère?

La maudite question. L'origine de tout son mal-être.

Tous les adultes dans la pièce, ses parents et les avocats, furent accrochés à ses lèvres alors que tétanisée elle regardait le sol, une bouffée d’angoisse dans la poitrine.

Et le juge de répéter la question, patiemment.

      -         Mi Hija… ma fille... avait supplié sa mère, angoissée.

Serena avait d’abord tranché, ne voulant pas choisir.

       -         Avec Nanny Robinson. Je veux rester avec ma Nanny Robinson.

       -         Quoi? C’est absurde! Serena, ma chérie…

       -         Qui est cette Nanny Robinson? Avait demandé le juge.

       -         Personne… je veux dire, ce n’est que la nounou, celle qui s’occupe d’elle, avait répondu son père, déçu.

 

Il l’avait regardé, furibond. Serena!

Lorsque la question lui fut poser une dernière fois, elle avait fait ce que son père lui avait demandé. Ce qu’il lui avait forcé de répondre alors que sa mère s’effondrait au sol, en larmes.

Serena vivait avec ce poids sur ses épaules depuis des d’années. La drogue lui permettait d’oublier, ne serait-ce qu’un instant, la douleur d’avoir trahi celle qui lui avait donné la vie.

Sur le lit, où ils étaient allongés, alors qu’ils planaient ensemble sous l’effet des Shrooms (champignons magiques), les mains de Jay Patel avaient commencé de la toucher, de la caresser. Ses doigts fébriles avaient vite fait de la dénuder.

     -         Non… avait-elle dit en le repoussant. Elle essaya de cacher avec ses mains sa nudité aux yeux fous de désir de Jay.

Serena ne voulait pas de contacts charnels.

     -         Je te kiffe Serena, tu le sais. Je t’ai toujours kiffé… J’ai envie de toi, avait-il supplié, en voulant l’embrasser.

     -         Lève-toi tout de suite, Jay! Eut-elle la force de crier.

Elle s’était rhabillée avec difficulté, encore engourdie sous l’effet des drogues. Elle mourrait de soif alors que sa gorge était sèche. Pourquoi la chambre tournait aussi vite?

 Jay Patel était déçu qu’elle se dérobe à lui.

     -         Qu’est-ce qui te prends?

     -         Je ne supporte pas qu’on me touche… Ne le prends pas personnel…

     -          Ha… c’est ton truc de virginité? Le pacte à la con? Dit Jay, méprisant.

     -         Ce n’est pas qu’un pacte à la con comme tu dis… c’est un principe de vie… Tu ne peux pas comprendre.

     -         Foutaises! Je pensais que tu étais une rebelle, que tu voulais défier ton tyran de père.

     -         Sans lui répondre, Serena se dirigea vers son sac de voyage, y fourra ses affaires personnelles, chercha son passeport et vérifia l’heure du train sur son téléphone.

Il y avait eu une dizaine d’appels de son père qu’elle venait de manquer. Sa boite vocale était remplie de messages inquiets et furieux. Malick Hann était à Londres pour un meeting d’affaires, il était à sa résidence universitaire et ne la trouvait pas.

Une panique la gagna aussitôt.

Comment va-t-elle prendre le train vers Londres dans son état? Elle était complètement défoncée. Elle allait se faire contrôler et peut-être se faire arrêter. Puis, son père qui allait péter un câble…

Dans le train, elle s’était mise à pleurer de toutes les larmes de son corps et à se faire vomir pour sortir les substances folles de son corps, enfermée dans les toilettes; son délire avait continué, puis une profonde noirceur l’avait envahie. Jay lui envoya un nombre incalculable de textos pour savoir où elle se trouvait et s’excuser.

« Je pensais qu’on était amis, que tu ne tenterais rien avec moi… je me trompais. » lui avait-elle répondu.

 

Dans le club à Nairobi, la soirée de l’accident, Jay Patel était revenu à la charge en la coinçant cette fois près du bar. Les hauts parleurs gueulaient de l’afrobeat. Il avait exhibé une pilule et lui avait demandé de tirer la langue.

     -         Goûte à ça

     -         C’est quoi?

Une lueur de malice était passée dans les yeux.

     -         Quelque chose pour s’éclater.

     -         Je ne veux plus prendre de drogues.

     -         MDMA, ou ecstasy, avait-il précisé. Tu vas seulement planer, je te jure.

Elle avait hésité, puis s’était rappelé du délire à Amsterdam, de la sensation ressentie, de l’euphorie et son revers, la tristesse, le dénuement.

    -         Ça va te faire du bien, Serena. Tu vas te sentir ailleurs, dans une autre dimension. Tu avais aimé la dernière fois.

     -         Où trouves-tu de la drogue?

     -         J’ai mes fournisseurs, lui dit-il, l’air mystérieux.

Pour la rassurer, Jay prit un comprimé et l’avala.

     -         À toi, maintenant. Tu me remercieras après. Ouvre la bouche.

     -         Ça me fait peur, avoua-t-elle.

     -         Toi, Serena? Tu n’as peur de rien. Tu le sais.

Il l’avait dit avec son sourire charmeur. Quelques heures plus tard, Serena se retrouvait au fond d’un fossé, après avoir perdu le contrôle de la voiture qu’elle conduisait à vive allure, intoxiquée.

Les médecins avaient dit qu’elle avait eu beaucoup de chance, de s’en être sortie avec des blessures mineures. Les séquelles furent plus importantes pour Chacha et Noura qui reposaient à l’hôpital avec plusieurs fractures et des hématomes.

Son oncle Charles courut partout pour gérer la nouvelle crise, surtout calmer les familles Njue et Patel, et le choc de la drogue trouvée dans le sang de Serena.

Elle avait affronté la colère de son père et la déception de Charles, qui, les yeux cernés de fatigue, avait cherché un plan de sauvetage. Il avait d’abord pensé à renvoyer la jeune femme dans son université de Londres, mais il savait qu’elle parvenait toujours à s’en échapper.

Une idée avait enfin germé dans son esprit torturé. Il l’avait repoussé tellement qu’elle lui semblait absurde. Et l’idée de s’imposer et de ne plus le quitter. Il convainquit Malick Hann d’abord réticent,  qui finit par lui donner son accord. L’homme d’affaires avait trouvé la jeune femme enfermée dans sa chambre d’où elle ne sortait plus.

     -         J’ai à te parler Serena. Tu m’écoutes jusqu’au bout sans m’interrompre, avait-il commencé, le regard sévère.

« Après avoir ouvert les portes de cette respectable maison au scandale, après avoir salit notre nom dans tout Nairobi et surtout de m’avoir brouiller à jamais avec les familles Njue et Patel, j’ai pris la décision, pour éviter le pire, de t’exiler.

Serena s’était redressée :

     -         Où ça?

     -         Tu le verras assez vite. Fais tes bagages. Nous partons cette nuit même.

     -         Si je refusais? Tenta-t-elle de se rebeller.

Malick Hann connaissant trop bien sa fille, s’attendait à cette réaction.

    -         Si tu refusais? Ta chambre sera alors un cadre idéal pour le repentir. Tu seras enfermée ici aussi longtemps qu’il le faut.

Serena avait tressailli involontairement à cette idée. Elle n’avait pas le choix de se conformer aux nouvelles directives. Elle était devenue la personne que tout le monde cherchait à éviter. Personne ne voulut plus la fréquenter. Commençait pour elle une vie de paria.

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Coucou à tous! je vous propose un nouveau chapitre. La semaine a été difficile avec la pandémie qui se propage partout. Que Dieu nous aide et nous protège. Prenez soin de vous et de vos familles!  À très vite.

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