Chapitre 6

Write by Meritamon

Diarri, dans les hauts plateaux du Fouta-Djallon, Guinée.

 

Serena Hann somnolait lorsque la Range-rover quitta la grande route pour une route pavée de pierres blanches, autour de laquelle des flamboyants centenaires déployaient leurs branches chargées de bourgeons rouges. La nuit noire leur donnait un aspect de vieilles silhouettes menaçantes. La route qui s’étendait comme un long ruban sans fin se déroulait blanche sous la lumière des phares.

Bientôt, apparut une immense bâtisse à deux étages, avec une architecture de style colonial très marquée. La maison était incrustée comme un bijou à l’orée d’un bois avec son toit en ardoise, ses murs de briques peints en blanc et trouées par de grandes fenêtres bleues profond. Autour de la maison, courrait une large véranda surmontée de colonnes, sous laquelle il faisait bon se reposer quand il faisait chaud. Les larges marches devant le perron accueillaient les visiteurs.

Cette maison attirait comme un aimant les passagers de la voiture et semblait opérer sa magie sur eux. Serena, fascinée, le cœur battant, se dit que quiconque avait construit cette maison possédait un grand sens de l’esthétisme et du fonctionnel. Pourtant, elle s’arrangera à ne pas afficher son admiration devant son père et se composera un visage impassible et froid. Une prison demeurait une prison peu importait son charme ou son confort. Elle allait passer les prochains mois dans cet endroit éloigné de la civilisation.

Avec appréhension, elle vérifia pour la énième fois le réseau sur son téléphone et soupira de découragement. Trois mois sans internet, sans réseau cellulaire. Ça va être long!

Le véhicule s’arrêta devant le perron, dans une allée de graviers blancs.

La maison semblait silencieuse, ses occupants devaient être en train de dormir. Un chien de garde finit par aboyer sur la véranda. D’enivrantes bouffées odorantes qui venaient d’un parterre de fleurs embaumaient l’air. Et les grillons crissaient dans la nuit.

Des pas se firent entendre. Une lumière apparut en même temps que deux hommes qui, silencieusement, aidèrent à décharger les bagages des visiteurs. Sans dire un mot, ils conduisirent Serena et son père dans la maison éclairée par des lampes-tempête.

-         Il n’y a même pas d’électricité dans ce patelin, murmura la jeune femme contrariée. Sa voix résonna dans le hall d’entrée dominé par un escalier en fer forgé.

-         Chut… On se passera de tes commentaires Serena, avait répliqué son père.

-         Tout ce que je peux dire, c’est bravo! Une prison avec des barreaux m’aurait fait moins d’impression, continua-t-elle de critiquer en regardant autour d’elle, dédaigneuse.

Serena eut alors la désagréable impression d’être observée. Elle leva les yeux et croisa des yeux marron clair qui la jaugeaient, sans aucune chaleur dedans, froids. Le regard appartenait à un homme qui se tenait sur la marche la plus élevée de l’escalier. Il la scrutait attentivement, non sans insolence.

L’homme descendit les marches, la tête haute, le regard déterminé et fier. Arrivé à sa hauteur, Serena cacha son trouble car l’homme était d’une stature imposante. De sa taille, il les dominait son père et elle. La jeune femme se composa alors une attitude glaciale quand l’inconnu daigna la saluer d’un bref signe de tête, comme si elle ne comptait pas, alors qu’il serrait la main de son père.

-         Bienvenue sur nos terres, monsieur Hann. Nous vous attendions. Avez-vous fait un bon voyage? Demanda-t-il poliment, sans plus de chaleur.

-         Bonsoir, vous devez être Tahaa… Le voyage a été un peu mouvementé mais les paysages étaient enchanteurs. Nous ne sommes plus habitués de nous déplacer ainsi.

Malick se tourna vers Serena.

-         Voici ma fille, Serena Hann. Elle est un peu fatiguée par le voyage. Je suis heureux que vous acceptiez de l’accueillir dans votre domaine, selon les termes de notre accord.

Donc, il y avait eu un accord, constata Serena Hann.

Combien Malick Hann payait cet individu pour devenir son geôlier, pensa Serena, indignée qu’on l’échange de cette manière comme une vulgaire marchandise. Combien valait la tranquillité de son père?

Elle préféra garder un silence éloquent et resta de marbre. De toute façon, elle n’avait pas envie de discuter tant elle était lasse. Ses membres étaient endoloris par le long périple, ses paupières tombaient de sommeil et elle priait intérieurement de prendre un bain, de préférence chaud.

Dès le premier regard échangé, Serena avait su qu’elle n’aimerait pas cet homme. Déjà, l’air arrogant et supérieur qu’il affichait l’irritait. Absolument désagréable ce Tahaa Badr !

Un sourire narquois flottait en permanence sur ses lèvres d’une sensualité troublante. Serena, jusque-là, indifférente aux hommes, ne tarda pas à remarquer sa beauté féline, ses traits racés, ses yeux clairs qui ressemblaient à une coulée de miel…

La chemise en lin aux manches négligemment relevés qu’il portait, découvrait une peau brunie par le soleil et la vie au grand air. Et comme il lui manquait des boutons à sa chemise, un torse puissant se révéla aux yeux de la jeune femme. L’homme avait une belle voix grave qui résonnait dans le vestibule qui, en d’autres temps l’aurait charmée, mais pas aujourd’hui. Tout son aspect évoquait une autorité naturelle.

Tahaa héla un employé de maison et lui laissa des instructions pour le confort de ses invités.

-         On vous conduira dans vos chambres. Vous pourriez vous y rafraîchir. Vous trouverez la salle à manger par-là, fit-il en désignant un long corridor.

Serena Hann sans lui jeter un autre regard, ne se fit pas prier une seconde fois et emboita le pas au domestique. Elle ne pouvait supporter une seconde de plus la présence de l’individu. Sa chambre, spacieuse et confortable avait un lit antique en acajou qui trônait au milieu de la pièce. Une moustiquaire avait été déployée à son intention. Elle soupira de soulagement en voyant qu’elle avait sa propre salle de bains qui ne manquait pas de confort. Plusieurs lampes en fer forgé prodiguaient une douce lumière, donnant à l’ensemble un effet apaisant.

Le domaine n’était pas branché au réseau public qui approvisionnait l’électricité, enfoncé et isolé dans la campagne, loin des grands axes routiers. Le système d’énergie solaire qui approvisionnait la grande maison avait aussi subit une panne. Une boule d’anxiété se logea dans le creux du ventre de la jeune femme. Son père allait l’abandonner ici! Dans ce pays inconnu, dans cette région et avec cet homme aux manières rudes qui lui avait semblé antipathique. Jay Patel, celui qui l’avait mise dans le pétrin en lui fournissant la drogue, s’en sortait royalement de son côté. Ses parents l’avaient envoyé gérer leur hôtel aux Seychelles; le paradis, comparé à la brousse ici, pensa-t-elle amèrement.

Le plus difficile pour Serena fut que Chacha et Noura, ayant reçu leur congé de l’hôpital et qui continuaient leur convalescence chez elles, l’avaient tout simplement bannie. Elles lui avaient envoyé un message commun pour lui demander de s’éloigner d’elles. Ce qui avait mis le cœur de Serena en miettes malgré ses excuses affligées, les fleurs et les cadeaux expédiés tous les jours à l’hôpital. Peut-être qu’avec le temps et l’éloignement, les choses allaient s’arranger? Elle se mit à espérer, follement. Peut-être que c’était pour son bien que son père l’envoyât dans ce pays, que lui-même, connaissait très peu.

****

 

 -         Je désire m’entretenir avec vous, Monsieur Hann. Ça ne sera pas long, seulement pour comprendre la situation, fit courtoisement Tahaa Badr en invitant le riche homme d’affaires dans un petit cabinet de travail aux murs chargés de rayons de livres.

Il avait besoin d’une mise au point. Leurs échanges s’étaient faits rapidement par téléphone.

Oui, il avait des terres qui étaient assez enclavées et isolées. S’il acceptait d’héberger une personne pour quelques temps? On lui avait dit qu’il sera payé en retour, de façon très convenable.

Qui fallait-il héberger?

-         Quelqu’un de ma famille, avait seulement répondu Malick Hann. D’autres détails vous seront bientôt communiqués.

Les informations sur la date et l’heure approximative d’arrivée lui avaient été transmises par la suite. Puis, plus rien, pendant quelques jours.

Il croyait même avoir rêvé à cette étrange conversation, lui Tahaa.

Et là, l’un des hommes les plus riches de ce continent, se trouvait sur ses terres, pour lui demander d'accueillir sa fille unique.

Puis, Tahaa avait attaqué la discussion sans une autre forme de procès.

-         Combien de temps comptez-vous laisser votre fille à Diarri?

-         Trois mois, si possible, afin que la poussière retombe. Le cabinet de relations publiques que j’ai engagé estime que c’est le temps qu’il faut pour que l’opinion publique oublie les écarts de conduite de Serena. Avec le juge dans l’affaire dans laquelle elle a été impliquée, j’ai réussi à négocier pour elle une peine à l’extérieur et non dans les cellules d’une prison.

Tahaa comprit que quand il disait négocier, cela voulait dire dans son langage : payer, soudoyer, corrompre… acheter la paix.

-         Est-elle comme on la dépeint? Capricieuse, rebelle? Demanda Tahaa.

-         Elle n’était pas comme ça il y a quelques temps, se défendit l’homme d'affaires.

« Je l’ai bien élevée, ça je peux vous le garantir, avait ajouté fièrement Malick Hann. J’ai été exigeant pour sa réussite scolaire. Elle a eu le meilleur encadrement qu’il puisse exister. Je suis convaincu que ma fille se trouve dans une phase en ce moment où elle a tendance à se rebeller contre l’autorité. Le psychologue qui la suit, m’a confirmé qu’il s’agissait d’un processus normal d’auto-affirmation »

Un psychologue? De l’auto-affirmation… quelles conneries. Cette prétentieuse gosse de riche avait besoin d’être maîtrisée, jugea durement Tahaa.

-         En dehors de ça, c’est une gentille fille quand elle veut coopérer. Je peux comprendre que sa présence sur votre domaine puisse susciter une inquiétude de votre part, voire un malaise...

Une lueur d’ironie passa dans les yeux clairs de Tahaa.

Il n’était pas inquiet pour lui, mais plutôt pour la demoiselle Hann. Ici, dans cette région éloignée du Fouta-Djallon, elle perdait son statut et les privilèges auxquels elle était habituée; elle n’était personne.

-         En somme, vous vous débarrassez d’elle, fit Tahaa Badr, très amusé.

Cette réflexion mit Malick Hann, un peu en colère.

Mais pour qui se prenait ce jouvenceau pour lui parler de la sorte? L’homme d’affaires se contrôla. Il n’était pas en situation de marchander, puisqu’il était venu jusqu’ici alors autant continuer de traiter avec ce Tahaa Badr s’il voulait s’assurer qu’il garde Serena. Malick se ressaisit et dit fermement :

-         Non, c’est faux. Je veux que ma fille réfléchisse à son avenir. Je veux la protéger… d’elle-même d’abord, de son impulsivité. C’est une jeune femme désorientée.

Il regarda autour de lui et fit ce constat :

-         Je vois que vous n’avez pas d’enfants, Tahaa… lorsque vous en aurez, vous comprendrez que les enfants sont une extension de nous, les parents. Tout ce qui leur arrive, nous atteint d’une certaine façon. Moi, je n’ai que Serena dans cette vie... 

Il soupira en dissimulant l’émotion qui l’avait envahi et se reprit.

« Mon ami et associé Charles, affirme que vous êtes un homme d’honneur, qu’on pouvait compter sur vous, pour la discrétion et le reste… ».

-         S’il le dit, peut-être que c’est vrai, répondit Tahaa, mal à l’aise.

Aussi, je ne pourrais me lancer des fleurs, ça serait prétentieux. Cependant, nous avons un code d’honneur dans ma famille, qui est de respecter la parole donnée.

 

Malick Hann jaugea son interlocuteur. Cette détermination franche dans son regard. Peut-être fallait-il lui faire confiance, pensa-t-il.

-         Comme je vous le disais au téléphone, votre prix est le mien. Vous la gardez dans votre domaine pendant trois mois, en sécurité, et vous serez récompensé. Considérez cette offre comme une opportunité. Si j’ai bien compris, vous devez beaucoup d’argent...

Avec satisfaction, Malick Hann vit Tahaa se crisper. Il suffisait de lui rappeler sa situation financière précaire pour lui rabattre son caquet à ce jeune homme, il suffisait de gratter un peu son armure pour connaître ses failles, constata le financier.

-         L’entente que nous avons conclue est d’effacer ma dette.

-         Je la respecterais. Et si tout se passe comme prévu, c’est-à-dire que ma fille soit canalisée pendant un moment, le temps que ses frasques soient oubliées, je m’engage à aller plus loin et vous apporter un soutien financier permanent. Même si l’agriculture n’est pas un domaine de choix dans lequel mes clients voudraient investir en premier, je pourrais convaincre quelques personnes de miser sur vos terres.

Il y eut un silence lourd dans la pièce. Les deux hommes se jaugeaient et réfléchissaient en même temps.

Tahaa se dit qu’il n’avait rien à perdre après tout. Avec un peu de chance, ces trois mois passeront très vite. Certes, l’adaptation de la demoiselle Hann ne sera pas aisée. Il y aurait sûrement des ajustements à faire avec elle, une mise au point importante.

 

Tahaa Badr se leva et arpenta le cabinet, il tendit la main à Malick Hann.

-         Marché conclu monsieur Hann, dit-il.

Cependant, je tiens à vous prévenir que la vie sur ces terres n’est pas facile. La vie des champs, le travail de tous les jours, tout cela est rude et contraignant; aussi, je suis de nature à exiger que quiconque sur mon toit y mette du sien. Je ne pourrais pas faire d’exception pour votre fille. Elle devra travailler comme tout le monde. Et je crains qu’elle ne puisse trouver le même train de vie qu’elle menait, ici dans notre monde de la brousse.

Alors, Malick fit ce qu’il avait à faire :

-         Je vous donne carte blanche concernant ma fille. Traitez-la sur le même pied que toutes les personnes ici, si vous jugez cela nécessaire. Dans mon cas, vous avez mon accord.

-         Alors, votre fille est la bienvenue dans cette maison. Conclut Tahaa.

« Il est temps de prendre votre douche et dîner. Je ne vous accaparerais pas longtemps ».

 

-         Parfait. Un premier montant est déjà déposé dans le compte que vous m’avez communiqué. Un autre montant suivra à la fin du mois, et ainsi jusqu’à la fin du contrat. Et puis, j’enverrai une équipe de techniciens pour actualiser votre système d’énergie solaire. Il faut bien accommoder un peu Serena…

Taha se contenta de hocher la tête poliment. Il demeura songeur quand Malick Hann monta se rafraîchir. Son frère cadet, Amara, le rejoignit sur la véranda, un verre de vin dans les mains.

-         Cet homme vient nous fourguer sa progéniture dans les bras. On n’est pas une crèche, pesta Amara, désapprobateur.

-         Nous avons besoin de son argent, dit Tahaa fermement. C’est tout ce qui me motive.

En tant que frère aîné, il devait assumer son rôle de leader de la communauté, saisir les opportunités et prendre les décisions qu’il fallait. Même les plus farfelues. Tant de personnes dépendaient du domaine. Que deviendraient alors ses employés? Toutes ces familles et ces villages environnants sans le travail que leur prodiguait le domaine agricole?

-         Est-ce que notre père est d’accord avec tout ça? Tu l’as au moins mis au courant? S’enquit encore son frère.

-       Pas encore. Père m’a donné tous les pouvoirs concernant le domaine de Diarri, il sera d’accord avec ma décision. La version officielle est que cette fille est en vacances ici. Personne ne doit découvrir sa véritable identité. Son père y tient.

Amara eut un sourire narquois.

-         Comment l’as-tu trouvée, la fille?

-         Une petite prétentieuse, c’est tout.

-         Elle est quoi? Américaine? Kenyane? Guinéenne en partie?

-         Aucune idée. Elle a été élevée par son père, elle a reçu une éducation essentiellement occidentale, je le crains. Mais on aura tout le loisir de la connaître, fit Tahaa.

Même si ses pensées se bousculaient à présent, en proie au doute, il lui fallait garder la tête froide. Avait-il fait une erreur en acceptant que cette fille séjourne dans son domaine? Était-elle aussi instable que le prétendait la rumeur? Se lancer dans cette aventure méritait-il tout l’argent qu’on lui proposait? Seul un avenir très proche pouvait le lui dire. Le voilà qu’il vendait son âme pour le domaine.

Il y avait eu autre chose aussi, même si Tahaa ne voulait pas se l’avouer; dès l’instant que son regard avait croisé cette fille, il avait ressenti cette furieuse envie de la dompter et la posséder.  

Il aimait le danger et il avait envie de jouer avec ce feu. Tahaa était également convaincu que Serena Hann représentait un paquet de problèmes, s’en approcher c’était se brûler inévitablement, c’était se noyer dans l’eau noire de ses yeux et être happé dans son délire.

L’homme se fit un effort sur lui-même et se convainquit après avoir vaincu sa voix intérieure, qu’il allait donner un autre sens à la vie de la demoiselle Hann.


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Et voilà les amis! un autre chapitre qui aurait pu s'intituler: La rencontre :-). J'écris au fur et à mesure et je fais beaucoup de corrections pour être capable de vous livrer l'histoire. Bisous. À très vite!

ps: la maison sur la photo du chapitre est une maison créole qui se trouve à l'île Maurice. 
L' héritière