Chapitre 5

Write by sokil

Chapitre 5 : Saignements du cœur

Je définirais le mot « Famille » comme toutes les personnes d’un même sang, ayant parfois le même ancêtre. C’est ce qui caractérisait bien la famille Danga. Ils étaient si nombreux que j’avais du mal à les identifier tous. Placide prenait toujours le temps de bien me situer par rapport à tel membre, oncle, cousin, tante et j’en passe. Son père lui même était issu d’une grande famille, une dizaine de frères et sœurs dont chacun put avoir à son tour sa propre progéniture, et pas des moindres ! Je ne me m’y retrouvais jamais et j’avais conclu que les Danga, famille paternelle de Placide pouvaient constituer à eux seuls plus de la moitié de toute une localité. Il suffisait juste qu’il fasse les présentations et qu’il m’explique le lien de parenté et cela suffisait amplement.

- Tiens ! Jaïda ! Je t’ai déjà parlé de Constant ? Mon jeune oncle ?

- Non ! C’est le frère de ton père ?

- Ah non ! C’est plutôt un cousin éloigné à mon père, mais on a grandi ensemble...

- Je vois !

Ou encore…

- Demain dimanche en allant manger chez ma mère, on aura une petite assise ; mes grandes nièces ont décidé de dilapider la fortune de leurs parents décédés l’année surpassée.

- Tes grandes nièces ? Hum ! Là je suis vraiment perdue !

- C’est simple ; ce sont les filles de mon grand cousin, le premier fils du frère aîné à mon père…Tu vois non ?

- Je vois… Sans voir !

Je les voyais tous les uns les autres défiler à chaque fois, et c’est ainsi que je pus comprendre ce que voulait dire le mot « famille », surtout chez nous en Afrique. Avec Priscilla je ne m’étais plus posé la question lorsqu’il me la présenta en tant que sa « cousine », ce qui était tout à fait normal à mes yeux ; qu’elle soit cousine directe ou indirecte, je ne cherchai pas à savoir, encore moins lorsqu’il voulut me situer.

- Euh… En fait elle est du côté de ….

- Laisse tomber, vous êtes déjà assez nombreux comme ça !

Elle avait fait son apparition cet après midi là, toute en beauté et rien que l’expression du visage de toute la maisonnée m’avait rassurée ; encore plus lorsque j’entendis tout le monde l’appeler par son petit nom, « Petite Fleur ». Je l’avais aussi acceptée comme tout le monde. Pour tous, elle était par-dessus les apparences, humaine, très sociable et avec le cœur sur la main. Le bon samaritain en quelque sorte qui du jour au lendemain avait gravit les échelons dans la société par des moyens que tout le monde ignorait y compris moi. Elle nous aveugla tous et nous ne jurions que par elle. Le visage de Placide était plus qu’illuminé, le mien aussi. Il avait fait les présentations avec un naturel sans pareil qui ne la frustra pas, tout au contraire, elle me fit un de ces grands sourires et une bise sur la joue avant de me la caresser de sa main toute parfumée.

- Ooooh ! C’est donc toi ! Toi la femme de mon frère ? Jaïda ! Il me parle tout le temps de toi ! Ravie de te connaitre…

- Moi de même, j’entends aussi parler tout le temps de toi et de tout ce que tu fais !

- Non c’est rien !!! Tu sais la famille c’est sacrée hein ! Alors quand on peut il faut savoir la ménager ! N’est ce pas Pla-Pla ?

- Pla-Pla ?

- Ahhahah j’aime l’appeler comme ça ton mec !

- Il ne m’a jamais dit ça !

- Ne t’en fais pas il y a un temps pour tout ! Je l’appelle comme ça depuis qu’on bosse ensemble…

A cette époque là, nous étions tous à ses pieds. Je ne voyais rien ! Je venais de commencer à bosser dans un grand cabinet d’avocats réputé de la ville, grâce à qui ? Priscilla ! Placide avait pu être confirmé six mois après, et il fut promu à un poste plus prestigieux, il avait la côte, et ce grâce aux bons soins de cette chère Priscilla. Fini le temps de la dèche et de la galère, finie la vie au campus dans ce studio devenu si miteux à nos yeux, vive la bonne vie, la grande vie, le petit luxe, le confort et j’en passe. Nous vivions tout simplement nos rêves, nous vivions dans une sorte de petite aisance. On s’y plaisait sans se soucier du reste ; du reste ? Je m’étais une fois de plus bouché les oreilles et j’avais fermé les yeux. Je ne voyais pas ou alors je refusais de voir. Je crois qu’à cette époque j’étais assez naïve pour le deviner ; même mon instinct élevé ne m’alerta pas. Je savais que nous faisions tout le temps des jaloux tout autour de nous ; Placide et moi c’était comme les deux doigts de la main, inséparables ! Notre relation était si forte et si avancée que personne n’osait s’interposer entre nous, personne, sauf elle ! Elle avait le don pour ça, elle avait cette poigne là, Priscilla.

Chose que je trouvais normal ! Après tout c’était grâce à elle que nous étions arrivés à ce niveau de vie. Placide lui devait beaucoup et sa disponibilité envers elle était considérée dans notre couple comme une sorte d’éternelle reconnaissance. Ils étaient collègues de bureau, et ils travaillaient dans le même service ; elle était en quelque sorte son patron. D’après ce que je savais, elle vivait seule dans un appartement de luxe et possédait deux véhicules derniers cris, deux 4x4 rutilants neufs qu’elle s’était permis de s’offrir lors de ses multiples missions en Europe. Sa vie de célibataire endurcie lui donnait cette impression de faiblesse si bien que Placide était tout le temps sollicité par elle ; il lui rendait des petits services à gauche à droite. Toute la horde de domestiques qu’elle possédait ne lui suffisait pas ; Placide était devenu en quelque sorte son homme de main, son homme à tout faire. J’avais cru dur comme fer, au point de le pousser à aller même souvent s’excuser auprès d’elle lorsqu’il n’avait pas pu lui rendre un quelconque service; il ne fallait pas blesser « Petite Fleur ».

Une forme de dépendance psychologique avait fait place dans nos têtes ; mon travail évoluait bien malgré le salaire insignifiant que je gagnais ; mais au moins j’étais active et j’avais l’esprit occupé en permanence. « Petite Fleur » aussi occupait en permanence notre environnement, mais ce n’était pas encore au stade où elle le pourrissait, cet environnement. C’était palpable bien que gérable. Elle ne passait pas une semaine sans faire des apparitions impromptues sous forme de surprises disait elle ; ramenant tout le temps des petits présents, elle disait qu’elle le faisait de bon cœur et que la solitude la pesait parfois. Profitant souvent de l’absence de Placide qu’elle avait commissionné pour toute une journée, ou alors lorsque ce dernier avait ses propres choses à faire, elle venait squatter chez nous sous prétexte qu’elle s’ennuyait et qu’elle voulait passer sois disant bon temps avec moi… Si j’avais su ! Je ne savais pas et à l’époque rien ne m’alertait. J’étais bien loin de la réalité. Au départ je l’aimais bien au fond, et sa pseudo gentillesse qu’elle me rendait si bien ne faisait que raviver ce que j’appelle aujourd’hui ma bêtise. Je lui laissais assez d’espace, beaucoup trop d’espace ; je la ménageais en même temps, en tant que « belle sœur », craignant de perdre toute l’estime que nous avions auprès d’elle.

- Jaïda… T’as pas à t’en faire… Je comprends, je ne suis pas du tout fâchée, loin de là ! Je sais que ton gars est en même temps hyper occupé surtout au travail et qu’il a parfois besoin de prendre l’air ; alors s’il est indisponible, ce n’est pas grave, on remettra ça à demain d’accord ? Je vous aime bien ! Vous êtes ma famille, mais nous sommes plus que ça, nous sommes comme des frères maintenant !

- C’est vrai ! Tu es une femme si gentille !

- Je n’ai personne dans ma vie et j’ai trouvé en vous des personnes si intègres et chaque fois que je vais chez sa mère qui est ma tante, je suis toujours bien reçue !

- Oui… Tu seras toujours la bienvenue là bas !

- Voila !

- Tu sais qu’il fait aussi des business dehors, donc ça lui prends aussi du temps !

- Pas de problème, je vais m’en aller… Je l’appellerai plus tard !

- Ça marche ! Si tu as un autre souci n’hésite pas, nous sommes là !

- Merci… Tu es trop bien comme femme, il te mérite ! En plus de ça tu es très belle ! Je suis sûre que tu en fais pas mal de jalouses n’est ce pas ?

- Bah ! Je ne regarde pas ça !

- Hum ! Seul son regard compte pour toi ! Et tu as raison… Mais tu devrais quand même faire attention, on ne sait jamais ! Il peut sortir comme ça et tarder à rentrer ! Et moi à ta place, je serai verte !

- On se connait, je lui fais confiance et c’est réciproque !

- Bien dit !

Pour la première fois cette nuit là, Placide avait découché ! Me faisant un sang d’encre et repensant à tout ce qu’elle m’avait dit au sujet de lui et de sa possible trahison ne m’avait jamais effleuré l’esprit ; mais cette nuit là, j’étais hyper inquiète ; ce n’était pas dans ses habitudes. Je ne daignai pas l’appeler, jouant les compagnes dignes et qui ne se plaignent pas. Mon cœur fut sur le point de lâcher et au même moment, mon téléphone sonna, c’était lui. Sa voix était plutôt calme et sereine.

- Allo ? Jaïda chérie ! Je ne vais pas rentrer tôt !

- Allo ? Placide !!! Mais tu as vu l’heure ?

- Oui chérie je sais… Je sais j’arrive ! Je suis avec Priscilla, t’inquiète ! Elle m’a appelé… Elle a un souci… Je vais t’expliquer !

Je fermai quand même l’œil à moitié, pensant qu’il me mentait, persuadée qu’il était plutôt ailleurs. Je n’étais pas du tout satisfaite, et comptait bien lui passer un savon…

- Placide ! C’est la première fois que ça nous arrive ! Tu n’as jamais découché, jamais !

- Je t’ai dis que Priscilla a eu besoin de moi ! Elle m’a appelé de toute urgence vers les 22h, elle voulait qu’on parle d’un de ses projets !

- Je te crois pas ! Elle était ici et elle est partie aux environs de 22h justement !

- Non ! Il était 21h 45 quand elle est partie d’ici ! Elle me l’a dit !

- Et où est la différence ?

- Prends le téléphone et appelle là ! Je n’étais avec personne d’autre qu’elle !

- Et c’est quel genre de projet dont vous devriez seulement parler à 3h du matin? Si c’est ce que tu veux me faire croire !

- Justement c’est top secret, je t’en dirai plus lorsque ça sera confirmé !

- Quoi ? Tu te fou de moi ou quoi ? Tu penses que je vais gober ça ? Menteur !!!

- Ecoute ! Ne te fâche pas comme ça ! Je ne suis jamais renté à une heure pareille et si je l’ai fait c’était à cause de l’urgence.

- Je n’ai même plus envie de discuter… A force d’y penser j’ai les maux de tête !

- Couche-toi, et tout ira mieux demain !

- Bonne nuit !

- Eh ! Mais où vas-tu ?

- Dans la chambre d’amis ! Je ne reviendrai que lorsque tu m’auras dit ce que tu faisais à 3h du matin dehors et avec qui !

- J’étais avec Priscilla, on parlait business !

- C’est ça ! Et moi je suis la reine d’Angleterre ! Bonne nuit !

J’étais sortie en claquant la porte ; trop énervée ! Je ne sais pas si c’est le fait qu’il était avec Priscilla ou bien avec une autre qui me mettait en rogne, mais c’était plus le fait qu’il ait découché et se mette à me raconter une histoire qui ne tenait pas debout. Sa version des faits m’irritait assez pour que je boude pendant plusieurs jours. Il tenta plusieurs fois une approche sans succès !

- Lorsque tu sauras réellement ce qui se passe, tu comprendras que ton attitude n’est pas digne !

- Et la tienne ? Passer la nuit dehors penses tu que c’est digne ?

- Ne prends pas ça mal ! De toutes les façons ça n’arrivera plus, c’est promis!

Les choses finirent par se calmer lorsque je reçus un appel d’elle un jour en matinée, je venais d’arriver au cabinet.

- Allo ? Jaïda ? C’est moi « Petite Fleur » ! Tu as une minute ? Je suis là en bas de l’immeuble ! Si tu as le temps descends, j’aimerai qu’on parle, c’est très important…

Nous devrions avoir une petite réunion de concertation, mais comme elle me fit comprendre que c’était urgent, je trouvai une excuse avant de m’éclipser. Elle m’attendait effectivement, dans son véhicule ; lorsqu’elle me vit elle sourit un peu et me fit signe d’entrer ; elle arborait des lunettes de soleil et mâchait un chewing gum dont elle faisait sans cesse éclater les bulles, sans oublier la lime qu’elle tenait, faisant semblant de se polir les ongles.

- Entre ma chérie !!! Bonjour ! Ça va ?

- Je vais bien !

- Comment va Maître ?

- Il va bien ! Il va en mission au Rwanda après demain ! Nous sommes en pleine réunion !

- Ohhhh sorry ! Je vais l’appeler ce soir ! Je n’ai pas envie de le voir aujourd’hui ! Mais je tenais à te voir toi ce matin!

- Qu’il y a t’il de si urgent ?

- Je sais c’est de ma faute ! Je n’aurai pas dû appeler Pla-Pla l’autre jour, je m’en veux ! Maintenant il est plus courroucé que jamais, et ça fait plusieurs jours qu’il m’esquive ! Je m’en veux, tout est de ma faute...

- Je ne lui parle pas !

- Tu devrais ! C’est à cause de moi que vous êtes en froid, alors je venais m’excuser… Ça n’arrivera plus !

- J’ai compris !

- Je suis soulagée ! Tu peux l’appeler à l’instant ? Et lui dire que tout va bien ? Nous avons aussi une petite réunion tout à l’heure et j’aimerais que l’ambiance soit bonne, il est très tendu ces jours ci à cause du fait que vous vous êtes disputés la dernière fois ! Ça ne doit plus arriver !

- Je vais le faire… C’est passé !

- C’est tant mieux. Maintenant file ! Tu m’as dit que vous avez réunion, je ne voudrais pas que Maître s’en prenne aussi à toi, à cause de moi !!!

- Je file… A bientôt !

Nous n’en avions plus reparlé et j’avais fini par oublier ! J’avais fini par ne plus chercher à savoir quel était le but de cette rencontre entre Placide à et Priscilla à une heure si tardive. Mon aveuglement et mes réactions lentes vis –à - vis de leur entente n’avait fait que renforcer leurs liens. Notre couple semblait au beau fixe depuis ce petit incident ; Tout était rentré à la normale malgré sa présence intempestive ; mais nous trouvions cela normal bien qu’elle faisait assez d’efforts pour ne plus appeler Placide ni à chercher à le voir à des heures indues. Tout se passait en journée, et je pensais tout simplement que c’était ça la famille, le fait de se sentir proche d’une cousine, d’un oncle ou d’une tante… Moi j’avais complètement oublié la mienne, le seul membre qui me restait, tante Sidonie. J’avais encore ça en travers de la gorge et je ne me sentais toujours pas prête à aller la voir. La distance avait bien fait sa place entre nous si bien que même son contact ni ses nouvelles, je ne les avais plus ; je venais de changer de téléphone et elle ne figurait plus parmi ma liste de contacts.

Je n’arrivai pas à réaliser, je venais de le confirmer ; le mot « famille » prit encore plus de sens lorsque ce matin là, je me levais toute tremblante et anxieuse ; je n’avais pas bien dormi, j’avais hâte d’être au lendemain ; Placide était encore endormi et je comptais bien le lui dire si ça se confirmait. Assise aux toilettes et comptant les minutes, je me fis des films, je pensais à tout, à lui, à nous ! Si cela se confirmait, mon rêve, je pense qu’il serait sur le point de se réaliser ! « La famille », ce mot prit encore plus son importance dans mon esprit. Tic tac tic tac ! Les minutes s’égrènent… d’une main tremblante, je retournai le tube ; j’avais pris soin de bien lire la notice avant ! Un trait c’est négatif et deux c’est positif…

- Oh mon Dieu !!! Placiiiiide !!!

Je me levai, toute excitée, il dormait encore…

- Qu’est ce qu’il y a ? Pourquoi tu jubiles comme? Il est 6h du matin !

- Regarde !!!

- Quoi ? C’est… Un test de grossesse ? Ne me dis pas que…

- Si si !!! Je suis enceinte ! On va avoir un bébé !

- Chérie… Je… je… On va fonder une famille ?

- Oui !!!!!

L’émotion était à son comble ! Je portais la vie, nous allions être parents pour la première fois ; nous avions décidé de rester assez discrets et de l’annoncer le moment venu. Six semaines plus tard et contre toute attente, il prit les devants un soir…

- Épouse-moi ! Tu… Tu le veux bien ?

- Oh Placide ! Comment pourrai-je refuser ? Oui je le veux !

- A présent, je peux dire que nous formons une grande famille, la vraie, celle des Danga…

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