Chapitre 6
Write by anomandaris
Nicolas Gentle étouffa son cri et resta planté là, paralysé d’effroi. Ses yeux exorbités et sa bouche bée lui faisaient ressembler à une poupée de cire. Sa main restait tendue vers le spectre aux bras voilés dans le grand manche du gandourah, sa main droite pliée dans une attitude de défense. Il voulut cligner des yeux, sans succès. C’est alors qu’un détail dans l’attitude du spectre le remit en mouvement : il marchait trop lentement pour quelqu’un qui voulait s’en prendre à lui. De plus, il se dégageait de lui une odeur de vêtement neuf. Un déguisement. Et le Mamoun Kassab de l’étage avait un gandourah blanc, paraissait plus… mort que celui-ci, avec ses orbites vides. Les yeux bruns dans la tête squelettique de ce Mamoun Kassab étaient noisettes, comme ceux de…
Les dents serrées, Nicolas avança vers le crâne et lui colla un crochet du droit qui le fit vaciller sur une table collée au mur de gauche. Le crâne gémit et se massa la mâchoire, et lorsqu’il vit Nicolas faire un pas de plus dans sa direction, il croisa les bras sur sa figure et gémit :
« Nicolas, c’est moi, me frappes pas ! »
Nicolas se retint, plus parce que ses phalanges le brûlaient que par pitié, et d’un geste brusque, tira le masque de plastique de son ami, dévoilant un visage rond au teint clair, des yeux noisettes moqueurs… et une mâchoire rouge et boursoufflée. Près de son bras libre appuyé sur la table, un petit répondeur noir, repérable grâce à sa petitte diode DEL rouge.
« Donnes-moi une raison de ne pas te flanquer une correction ici, tout de suite, Jeff.
— Ça se terminerait par un match nul. »
Nicolas se ravisa, rassuré que ce ne soit qu’une blague titanesque de son ami. Mais il ne montra pas sa liesse et s’efforça de paraître énervé lorsqu’il dit :
« Tout ça pour me faire peur. Tu es donc si con que ça ?
— Pas du tout, se récria Jeffrey, assis sur la petite table ronde. Je voulais montrer au monde entier que la maison-cimetière du quartier Limber… (il écarta les mains d’un geste circulaire et emphatique) n’est pas hantée !
— Chut, s’inquiéta Nicolas, presque aussi inquiet qu’avant son entrée dans la pièce. Pas si fort. Les photos de la maison… ce n’était donc qu’un prétexte ?
— Du tout. J’ai pris les photos pour l’exposé depuis deux jours, en plein aprèm. Je voulais juste trouver un moyen de t’emmener avec moi ici la nuit.
— Dans ce cas, hasarda Nicolas, on peut se tirer d’ici ?
— Non ; J’ai pas eu le… temps de monter prendre des clichés de là-haut.
— Le temps ? Tu voulais pas dire le cran ?»
Le regard de Nicolas s’attarda sur la rangée de bouts de bougies collées à la corniche devant lui, et il se dit à nouveau que c’était malsain que personne n’ait pensé à retirer les corniches, lorsqu’on installa le courant dans la maison. Il s’apprêtait à prendre encore des clichés de la pièce lorsqu’il faillit s’étouffer devant son écran. La photo d’une des corniches s’affichait à l’écran blanc.
Les bougies, dessus, était grosses comme des poings. Et allumées.
«Putain, qu’est-ce-que c’est que ça ? S’écria-t-il enfin.
— Quoi ? » Il entendit Jeffrey se lever et sentit son épaule contre la sienne un instant plus tard.
« Ce sont des photos du couloir, hein ? Qu’est-ce qu’il y’a ?
— Imbécile ! T’as rien remarqué de bizarre sur les photos ? Comme par exemple… je sais pas, moi… les flammes ! »
Nicolas se demandait ce qui le retenait de donner une paire de claques à son ami, qui plissait les yeux au-dessus de l’écran du portable. Puis :
« Ah, oui ! Et ça veut dire quoi ? »
Il aurait aimé être aussi serain que Jeffrey, et c’est sans doute l’inconscience de son ami qui l’empêchait de paniquer dans la cuisine du sorcier. Quoi qu’il en était, il voulait sortir au plus vite de la maison-cimetière, et il le fit savoir d’une voix lasse et coléreuse à son ami au teint clair.
« D’accord, d’accord, capitula-t-il, mais laisses-moi ranger mon matériel de travail, au moins. »
Son sourire de circonstance mettait Nicolas dans une rage sourde. Tout ça pour une plaisanterie, merde. Il fourra ses mains dans ses poches et attendit que Jeffrey enlève son déguisement de faucheuse noir et son crâne de tête de mort. Il passa la main sous la table et en tira un sac à dos plein de poussière où il rangea son attirail. Il sortit son portable de sa poche et s’apprêtait à prendre la tête de la marche lorsqu’il s’arrêta près du seuil de l’entrée et claqua des doigts :
« J’allais oublier mon répondeur », dit-il.
Nicolas soupira et se tourna vers l’endroit où se trouvaait ledit répondeur, à un bout de la table, près du mur. Sa lumière rouge cligotait faiblement. Sa lumière rouge cligotait… Il n’y avait pas de courant dans tout le quartier… Sa lumière rouge cligotait…