Chapitre 7
Write by anomandaris
« Attends, Jeff, dit-il d’une voix haut perchée. Ton répondeur… il fonctionne ?
— Non, dit Jeffrey. Je comptais l’utiliser pour lancer un enregistrement de moi en train de me faire étrangler, mais on a coupé la lumière dans le quartier, alors j’ai dû…»
Tout en parlant, il s’était approché du répondeur et torchait vers le bas de la table, où était branchée la fiche. Ses iris noisettes restaient figés sur la diode rouge qui cligotait dans le noir, comme… comme… l’oeil d’une fée, pensa Nicolas. Pas une gentille fée.
« Merde, s’écria Jeffrey, c’est quoi ce bordel !
— Bordel ! Bordel ! Bordel ! »
Le répondeur répétait en boucle le dernier mot répété par le jeune en culotte hawaïenne, et Nicolas sentit ses jambes se pétrifier sur le plancher de la cuisine.
« Au secours ! Dit le répondeur, Nicolas, au secours ! Arrrrgh…. Bordel ! Bordel ! Imbécile ! T’as rien remarqué de bizarre sur les photos ? »
La suite se déroula comme en accéléré pour Nicolas. Il se voyait franchir en quelques secondes l’espace qui le séparait du côté de l’escalier de l’étage, puis se cogner dessus. Puis tourner à droite en un bond de bête traquée, pour se retrouver face à la porte d’entrée, que Jeff venait de fermer derrière lui.
« Au secours ! Nicolas ! Arrrrrrgh… Nicolas ! Ahahahahahaha ! »
Le ton du rire était sardonique. Nicolas s’arrêta devant la porte fermée et tourna la poignée. Il poussa la porte. Pas de réaction. Il s’essuya les mains moites et recommença, non sans lancer des regards furtifs dans son dos pour vérifier si persone ne descendait les escaliers de bois du couloir. Au bout de quatre essais infructueux, il se souvint qu’il fallait tirer la porte.
Au moment où il ouvrit la porte, il sentit quelque chose gigoter dans la poche de son jean. C’était humide et trempé, puisqu’il sentait un liquide ruisseler contre sa jambe gauche. Doucement, il plongea la main dans sa poche, et il sentit en effet quelque chose. De vivant.
Dans l’obscurité, il distingua des pattes palmées et sentit la chose se débattre entre ses doigts, à présent trempés. La chose coassa. Nicolas hurla en même temps que la grenouille, la jeta à terre et la laboura de coups de talons, jusqu’à ce qu’il ne distingue plus la forme trapue du crapaud.
Immédiatement après, comme si la silhouette de la bête morte refluait, il vit que c’était son portable qui était en miette, à ses pieds. Il le vit mieux à cause des bougies.
Sans chercher à savoir ce qui les avait allumées, il courut comme un rat jusqu’au portail, qu’il tira cette fois avant de le franchir. De l’autre côté de la route, assis à même le trottoir et éclairé par la faible lumière du crépuscule, Jeffrey l’observait. Une fois près de lui, il se rendit compte que Jeffrey avait le regard vide, perdu dans le gazon de la masure.
« Le singe… bredouilla-t-il quand Nicolas vint s’asseoir près de lui. Il y’avait un singe accroché à mon dos. »
Il gloussa d’abord, puis partit d’un rire tonitruand, sincère, jusqu’à se que Nicolas ne lui envoie son coude entre les côtes.
« Je crois qu’on a eu des hallucinations », dit tout haut Nicolas au bout d’un long moment, son ombre déjà invisible dans les ténèbres de la rue.
« Et moi je crois que non, dit Jeffrey. Il m’a mordu. » Et il montra son bras droit. Nicolas ne vit presque rien, mais quand il prit le milieu de l’avant-bras de son ami entre ses mains, il sentit un liquide poisseux entre ses doigts et ramena sa main à son nez. Il huma l’odeur cuivrée du sang.
Il se toucha le pied de pantalon trempé et le porta à ses narines. Mêlé à l’odeur du sang de son ami, il sentit l’odeur piquante de l’ammoniac. Merde, jura t-il, je me suis fait pipi dessus.
« Je sais pas ce qui s’est passé là dedans, mais c’était trop cool ! En même temps, se ravisa-t-il après avoir remarqué le regard noir de Nicolas, c’était aussi flippant. Et toi, qu’est-ce qui t’as fait hurler ?
— Un crapaud. Dans ma poche. C’était mon téléphone (Jeffrey rigola entre ses mains et évita le coup de coude de Nicolas) C’était pas drôle.
— Oh, si, s’esclaffa Jeffrey. D’ailleurs, personne ne va nous croire, mais j’ m’en fous ! C’était… C’est quoi ça, là haut ? »
Il pointait au-dessus de la fenêtre cassée du rez-de-chaussée. Nicolas suivit la trajectoire et vit pour une deuxième fois la fenêtre de l’étage éclairée par les bougies. Et le vieillard en gandourah blanc qui les épiait de ses orbites vides. Il souriait. Quand Mamoun Kassab disparut en même temps que les flammes de ses bougies, Nicolas scruta le visage de son à la lumière des lampadaires, à présent opérationnels, comme le courant venait de revenir.
Il ne riait, ni ne souriait plus.
« Merde, dit-il d’une voix étouffée.
— Eh oui, sourit Nicolas, merde, comme tu dis. »
Et les deux amis se relevèrent, l’un le pantalon plein d’urine et l’autre le bras ensanglanté.
« Et si on part au commisariat, souffla Jeffrey, qu’est-ce qu’on leur dit ?
— Et si toi t’étais inspecteur, et que deux ados venaient à ton bureau pour te raconter une histoire sans queue ni tête sur le fantôme d’un homme mort depuis quoi ? Quarante ans ? Est-ce-que tu les croierais ? »
Le reste de leur chemin se passa en silence. Mais une seule chose était sûre pour Nicolas. C’était la dernière fois qu’il parcourait le quartier Limber à pied.
Quant à regarder derrière son portail, à l’étage, ça relevait d’une réalité imaginaire.
FIN DE LA NOUVELLE