Chapitre 7

Write by Auby88

Des jours plus tard.

Aurore AMOUSSOU


Je viens d'arriver devant l'Agence de mannequinat. L'une de mes infirmières m'accompagne. J'aurai besoin d'elle pour prendre l'ascenseur, monter des marches avec mon fauteuil ou autres.


J'ai décidé de reprendre ma vie en main. Je me suis trop isolée du monde extérieur. J'ai mis trop de trucs en suspens. Il est temps que j'aille véritablement de l'avant. Je n'ai pas encore totalement accepté mon état, mais je me dois de continuer ma vie. Du moins, je me dois d'essayer.


Tout à l'heure, je verrai la Directrice. J'ai rendez-vous avec elle. Je souhaite réintégrer l'agence. J'espère qu'elle acceptera car le mannequinat est tout pour moi. C'est toute ma vie. Je ne sais faire que cela.


Tandis que j'arrive dans le hall où se trouve le bureau de la directrice, je tombe sur Rita qui vient dans ma direction. Elle marche fièrement sur ses talons. Je respire profondément pour garder mon calme. Je me suis réveillée de bonne humeur ce matin et je compte demeurer ainsi.

- Bonjour Aurore !

- Bonjour Rita ! dis-je en m'efforçant de sourire.

- Qu'est-ce que tu viens encore faire ici ? A ce que je sache, l'agence ne recrute pas de mannequin infirme.

- Je n'ai pas d'explication à te donner ! Passe ton chemin.

Je me retiens pour ne pas l'appeler par un mot grossier.

- Je vois. Bonne journée donc. Tu diras Bonjour à Steve de ma part.

- N'y pense même pas ! finis-je par crier tandis qu'elle disparaît dans l'ascenseur.

Cette fille est vraiment une salope. Heureusement, Steve n'aime que moi.

Je reprends mes esprits et vais sonner au bureau de la directrice.

- Entrez !

Je demande à l'infirmière de m'attendre et je m'introduis dans la pièce.


- Aurore ! Cela m'a fait énormément plaisir de recevoir ton appel. Je me réjouis de te voir avec une si bonne mine aujourd'hui.

- Merci madame.

- Alors, de quoi veux-tu qu'on discute ? Je t'écoute.

- Eh bien, je …  voudrais … réintégrer l'agence.

Elle ouvre grandement les yeux. Je devine aisément qu'elle est surprise par ma requête.

- Aurore, tu sais bien que …

- Oui, madame. Pour travailler ici, je me dois d'être en bonne condition physique. Mais comprenez-moi, je n'en peux plus de rester oisive. Je ne sais rien faire d'autre que défiler. Le mannequinat, c'est toute ma vie !


En parlant je suis au bord des larmes. Je vois qu'elle compatit avec moi.

- Aurore, je te comprends mais je ne peux pas te reprendre. Je suis vraiment désolée.

- Mais j'ai entendu dire que certaines agences travaillent avec des mannequins … "handicapés".


J'ai tellement mal quand je prononce le mot "handicap" même s'il est celui qui correspond à mon état actuel.

- En effet, Aurore. Mais ce sont des agences européennes, américaines et autres. Mais pas béninoises. Du moins pas encore et moi, je ne suis pas encore disposée à prendre des mannequins dans ton état. Tu sais bien que la concurrence est très rude dans notre domaine. Nous nous devons donc d'être toujours compétitives. Tu vois ce que je veux dire ?


Je hoche faiblement la tête et inspire profondément.

- Je m'excuse de vous avoir volé votre temps, pour rien au final. Bonne journée, madame.

- Porte-toi bien, Aurore. Tu veux que je t'aide ?

- Non ! dis-je immédiatement. Je peux me déplacer toute seule.

- D'accord, cependant je te raccompagne quand même. Le poignet de la porte reste un peu haut pour toi.


Je ne l'écoute pas vraiment. Des larmes coulent de mes yeux. Je les essuie vite du revers de la main. Je la laisse m'ouvrir la porte et me hâte de sortir de son bureau. L'infirmière vient à ma rencontre.

- Mademoiselle ! Laissez-moi vous aider.

- NON ! Dis-je en haussant le ton. Je peux … me débrouiller toute seule.

- Comme vous voudrez !

Elle n'insiste pas, sûrement de peur de m'énerver.


Je m'étire au maximum pour atteindre le bouton de l'ascenseur. A l'intérieur, j'appuie le bouton du rez-de-chaussée. Je sors de l'ascenseur, avec l'infirmière qui me suit. Je traverse le hall, atteins la porte d'entrée que le vigile m'ouvre puis je continue mon chemin. Là, je me rends compte qu'il y a quelques marches qui conduisent au trottoir.

Je suis déçue et abattue. Jamais plus, je ne serai indépendante. Je me résigne à me faire aider par l'infirmière​. Piètre vie que la mienne !


* *

 *

Durant les heures qui suivent, je demeure triste. Steve est au boulot et je ne peux pas continuellement le déranger avec mes problèmes. Cela pourrait finir par l'agacer.

J'ai demandé aux infirmières de prendre leur journée. En cas de besoin, j'appellerai l'une des servantes de la maison...

La porte de ma chambre est entrouverte. J'entends des pas. Je retourne mon fauteuil et me retrouve face à cette femme que je n'attendais pas.



*********

Madame Suzanne ZANNOU


J'avais besoin de revoir la face de cette diablesse. J'avais besoin d'explications sur la mort de ma fille. J'avais besoin de voir, avec mes propres yeux, ce à quoi ressemblait Aurore aujourd'hui. J'en avais terriblement besoin.

Je savais que Claire n'était pas là, que chaque lundi après-midi, elle allait à l'Eglise. Je n'ai eu aucun mal à entrer dans la maison, car le portier me connaît bien. Pour lui, je suis encore une amie de la maison.


Enfin, je la vois. Elle est condamnée pour le restant de ses jours à rester dans ce fauteuil roulant. Je la reconnais à peine. Bien fait pour elle.


- Maman, je…

L'entendre m'appeler ainsi me répugne.

- Ne m'appelle plus jamais ainsi, meurtrière !

Elle lève vers moi des yeux ébahis.

- Non, je ne l'ai pas tuée. C'était un accident.

Elle fond en larmes. Cela ne m'attendrit pas.

- Si. Tu es la seule coupable dans tout cela, Aurore. J'avais défendu à ma fille de sortir cette nuit-là, mais tu l'as convaincue de te suivre. Tu n'es qu'une mauvaise fille, Aurore AMOUSSOU. Malheur sur toi et tous les tiens !

- Je ne savais pas que ça se terminerait ainsi !

- Parce que tu n'es qu'une inconsciente, une écervelée. Je parie que tu avais bu, n'est-ce pas ?


Elle me regarde sans dire mot. Elle éclate en sanglots. Je m'agrippe aux bras de son fauteuil et lui hurle dessus.

- J'attends une réponse.

- Oui.

- Et pourquoi as-tu pris le volant en étant saoule ? Pourquoi Aurore ? Pourquoi as-tu fait ça ?


Elle secoue la tête. Je devine qu'elle n'a aucune réponse sensée à me donner. Tandis qu'elle continue de cogiter probablement sur ma question, je passe derrière elle. Avec rage, je pousse violemment son fauteuil en avant en prenant soin de l'incliner.

Aurore pousse un long cri avant de se retrouver sur le sol, face contre terre. Le fauteuil repose sur ses jambes. Elle continue de crier en tentant désespérément de libérer ses jambes. Je la regarde sans avoir la moindre compassion, la moindre pitié pour elle. Je me sens libérée. Je la regarde prendre appui sur ses bras et tenter de  ramper. Sans succès.


- Bella était tout ce qui me restait et tu me l'as prise. Tu lui as toujours fait croire que tu l'aimais beaucoup, que tu tenais énormément à elle. Alors qu'en réalité, tu avais juste besoin d'une personne que tu pouvais facilement manipuler, que tu pouvais dominer.

- Non… c'est… faux ! Bella… était.. comme… ma… soeur. Je… souffre… autant… que… vous.


Faiblement, elle articule ses mots.

- Je… vous... en prie. Aidez-moi… à… me… relever.


J'hésite un peu, puis finis par m'approcher d'elle. Je dégage le fauteuil, mais la laisse au sol. Je n'ai aucune envie de la toucher, tellement elle me dégoûte.

- Merci, l'entends-je dire.

- Ne te réjouis pas trop vite, petite. Je ne t'aiderai pas à te relever. C'est là ta place, petit ver ! A terre et immobile ! J'espère ne plus jamais te revoir.
- Aidez-moi, s'il ... vous ... plaît !


Je me fiche de ses supplications. Je la regarde une dernière fois, puis sors de sa chambre très satisfaite. Pourtant dehors, je regrette mon acte, mais je n'ai aucune envie de remonter l'aider. Les employés de la maison ou sa mère finiront bien par la trouver.

Je soupire longuement. Mes pensées vont à nouveau vers Bella. Je pensais que faire du mal à Aurore m'aurait totalement soulagée, mais je me suis trompée. Rien ne me ramènera ma Bella. Rien. A la case départ, je me retrouve. (Soupir)



*********

Aurore AMOUSSOU


Péniblement, je prends appui sur mes bras et me mets à ramper vers mon fauteuil. J'essaie à plusieurs reprises de m'y asseoir, mais échoue.

J'appelle à l'aide, mais personne ne m'entend. Mon téléphone est sur mon lit. Je me traîne vers le lit, mais n'arrive pas à saisir le téléphone. Finalement, j'abandonne.

Je reste là à compter les minutes. A un moment donné, je sens l'envie d'uriner. Elle devient si pressante que je ne parviens pas à la retenir longtemps. Tandis que le liquide chaud s'écoule entre mes jambes, je sens le relent d'ammoniac envahir la pièce ainsi que mes narines. De mes yeux, coulent des larmes.



********

Madame Claire AMOUSSOU

Je viens d'arriver chez moi. Je monte voir Aurore. En approchant de sa chambre entrouverte, je sens une forte odeur qui me pique les narines. Je me dépêche d'entrer et la trouve sur le sol.

Je me précipite vers elle, la soulève du mieux que je peux et la conduis dans la salle de bain. Elle ne s'y oppose pas. Je remarque qu'elle fuit quand même mon regard. Ses yeux sont tout rouges.

J'ôte ses vêtements, la nettoie puis la remets dans son fauteuil.


- Aurore, qu'est-ce qui s'est passé ? Où sont les infirmières ?

- Je leur ai donné leur journée. A présent, laisse-moi seule ! me rétorque-t-elle.

- Je suis ta mère. Parle-moi.

- Je n'ai rien à te dire. Va-t'en !

- Aurore !

- Va-t'en maman, Va-t'en ! Hurle-t-elle. Je n'ai besoin de la pitié de personne. Je veux, je veux juste mourir.

- Aurore, calme-toi.

- Sors d'ici, je t'en supplie !

J'essaie de la toucher.

- Ne me touche surtout pas. Laisse-moi tranquille !


Là, je sens qu'elle fait encore une crise. Je me demande bien ce qui s'est passé. Elle semblait pourtant de bonne humeur ce matin. Tandis que je suis devant sa porte, j'entends des bruits d'objets qui échouent avec violence sur le sol.

"Mon Dieu ! murmure-je. Donne-moi la force de l'aider. Mais comment faire si elle me rejette autant, si elle ne me dit rien ?"

Je vais dans ma chambre prendre mon téléphone pour contacter la seule personne capable de l'aider.



*******

Steve ANIAMBOSSOU


Quand la mère d'Aurore m'a contacté, je me suis précipité chez eux. J'ai demandé une permission pour une urgence familiale et j'ai conduit comme un fou pour me rendre à Abomey-Calavi. Heureusement, la circulation n'était pas trop dense...


- Où est-elle, maman ?

- A l'intérieur.

J'ouvre la porte et la vois, assise dans son fauteuil, tête baissée.

- Aurore !

Elle lève des yeux perdus vers moi. Elle semble complètement absente. Je m'accroupis face à elle.

- Aurore !

Des larmes coulent en continu de ses yeux.

- Parle-moi. Dis quelque chose. Qu'est-ce qui t'es arrivé, Aurore ?


Sans dire mot, elle se jette à mon cou et pleure de plus belle. Je la serre tout contre moi. Dans ses cheveux, je passe une main. Nous demeurons silencieux.

Elle finit par se détacher de moi et accepte de me parler. Elle me raconte son entrevue avec la directrice de l'agence de mannequinat, la manière dont son ex-collègue Rita s'est encore moquée d'elle et la visite surprise que lui a rendue la mère de Bella.

Je n'arrive pas à croire que madame ZANNOU a pu être autant cruelle avec elle. Elle me fait promettre de ne rien dire à sa mère. Elle n'a pas envie de créer plus de problèmes entre les deux familles.J Je tente de la réconforter du mieux que je peux.


- Tout mon monde s'écroule, Steve. Je m'efforce d'accepter ma nouvelle vie, mais je n'y parviens pas. En plus, mon passé ne cesse de me rattraper. J'ai juste envie de mourir.

- Ne dis pas cela, Aurore ! Tu n'es pas seule. Autour de toi, il y a des gens qui t'aiment. Ta mère, par exemple, qui est là derrière cette porte et qui se soucie beaucoup de toi. Et il y a aussi moi.


J'évite d'ajouter "moi… qui t'aime" parce que c'est faux. Je l'aime encore certes mais juste comme le ferait un ami et non comme le ferait un petit-ami.

- Ma mère ne m'aime pas. D'ailleurs, elle ne m'a jamais aimée. Elle a toujours passé son temps à me faire des reproches. Je parie qu'intérieurement, elle se réjouit de mon sort comme tant d'autres personnes.

- Ne parle pas ainsi de ta mère, Aurore. Une mère est sacrée. Tu n'imagines pas tout ce que je donnerais pour encore avoir la mienne à mes côtés.

- Moi, j'ai juste besoin de toi. Plus que jamais. Ne m'abandonne pas, s'il te plaît ! Je ne le supporterai pas.

- Ne t'inquiète pas. Je serai toujours là pour toi.


Je suis mal à l'aise. Je viens de lui faire une promesse que je doute pouvoir tenir. Toutefois, je ne peux l'abandonner maintenant. Elle est si fragile. Elle se sent si seule. Pauvre Aurore ! Pauvre de moi !




SECONDE CHANCE