Chapitre 8 : Une journée comme les autres
Write by Auby88
"De tout inconnu le sage se méfie.
La Fontaine ; Le Renard, le Loup et le Cheval"
Debout sur le trottoir, Cica hèle un taxi-moto. Elle salue l'inconnu devant elle et négocie le prix du transport. Sur la selle arrière, elle monte et l'engin démarre. Le vent soulève quelques mèches de son chignon.
A présent, Cica prend mieux soin de son apparence ; non pas qu'elle soit devenue coquette mais plutôt qu'elle est désormais mieux vêtue. Elle a troqué son foulard contre une coiffure qu'elle trouve bien rapide à confectionner au quotidien.
Chaque matin, il lui suffit d'enduire ses cheveux d'une bonne dose de beurre de karité ou autres pommades capillaires bon marché, puis de les nouer à l'aide d'un fil nylon ou d'un chouchou.
Son téléphone sonne. Elle décroche, mais n'entend rien. Il y a un réel vacarme sur la voie. Elle prie le conducteur de s'arrêter quelques minutes dans un endroit tranquille. Au bout du fil, se trouve le vieux. Il l'informe qu'il viendra en retard, ce qui annule leur répétition clandestine du jour même.
En effet, à l'insu des autres, Cica et le vieux se retrouvaient avant le début des répétitions. Avec son piano, il l'aidait à chanter sans détonner et, par la même occasion, lui enseignait les bases de cet instrument dont elle adorait toucher les notes. Il lui avait aussi appris à jouer quelques airs populaires, quelques comptines enfantines.
Assise à l'arrière de la moto, Cica semble déçue par la nouvelle. Elle s'est réveillée bien tôt pour ne pas arriver en retard au studio 8. Car en semaine, elle loge auprès d'amis de soeur Grâce qui résident non loin du studio et qui l'hébergent gratuitement. En contrepartie, elle aide la maîtresse de maison dans les tâches ménagères. Le week-end, elle saute dans l'un des minibus, qui pullulent dans la ville, en direction de l'orphelinat. C'est son endroit favori où elle arrive à se débarrasser de tout le stress amassé durant les répétitions.
- Merci grand frère et bonne journée ! dit-elle au conducteur quand il la dépose devant le studio 8.
Elle lui remet la somme convenue.
- Merci beaucoup, ma soeur. Tu es très courtoise ! Si seulement, tous mes clients pouvaient être comme toi !
Cica le gratifie d'un sourire et disparaît à l'intérieur du studio 8. Elle prend l'ascenseur — elle a réussi à comprendre son mécanisme de fonctionnement — et passe devant la secrétaire qui ne lui rend pas le bonjour qu'elle lui adresse poliment.
Elle continue son chemin, pousse la porte de la salle de répétition et hésite à y entrer. Il est là, son bourreau. Elle soupire longuement et entre finalement. Il lève brièvement la tête pour voir, lequel des membres s'est amené si tôt, puis replonge ses yeux dans son téléphone.
- Bonjour, monsieur Richmond.
Il répond sans faire attention à elle.
Elle part au fond de la salle. Sur une chaise qui traîne près des instruments, se trouve le livre de partitions. Elle le prend, s'assoit et l'ouvre. Par moments, ses yeux distraits se détachent de l'ouvrage pour se positionner sur l'homme qui lui fait dos. Il est devenu très différent de celui qu'elle a rencontré à l'orphelinat. Il ne sourit pas, du moins pas en sa présence, trouve toujours à redire sur ses prestations en usant de propos qu'elle trouve rudes et grossiers.
Elle s'est imaginé mille et un scénarios pour expliquer son soudain changement d'attitude envers elle.
« Comment un si bel et élégant homme peut être une brute ? »
Dans sa tête, trotte cette question à laquelle elle ne trouve aucune réponse. Alors, elle hausse les épaules, replonge ses yeux dans le livre mais finit par lever la tête à nouveau.
« Et si je m'étais trompée ? On m'a toujours enseigné de ne pas juger les gens sur leur apparence. »
Finalement, elle se décide à aller lui parler, se lève, quand une sonnerie — pas celle de son téléphone — retentit. Richmond décroche l'appel. Cica se rassoit et ne peut s'empêcher d'écouter ce qu'il dit à son interlocutrice. Il parle ouvertement, sans se soucier de qui peut l'entendre.
Elle paraît offusquée. Il discute de sujets coquins avec une femme qui, vraisemblablement, n'est pas sa fiancée. Elle s'oblige à se concentrer sur sa révision, mais n'y parvient pas. Elle préfère attendre dehors.
« Cet homme est définitivement une brute, un salaud ! » se dit-elle en ouvrant la porte.
Il n'entend pas le léger bruit. Il est fort concentré. C'est seulement quand elle voit arriver le contrebassiste Arsène, qu'elle regagne la salle.