
Chapitre IX
Write by EdnaYamba
Il s’éloigne. Je reste figée un instant, sans
bouger.
Chapitre 9
Victoria LECKA
C’est vendredi, le début de weekend, je n’ai pas
avancé dans la quête de Marcus. Mais il doit bien comprendre que voler ou faire
disparaitre des documents n’est pas aussi simple qu’on le croit.
On verra bien la semaine prochaine, pensé-je en
rangeant mes affaires.
La vérité est que je ne me sens pas pressée non plus
de trahir Harry.
Je soupire, un instant absente en repensant à ce
moment après le procès à l’hôpital. A ma crise de jalousie… qu’est-ce que j’ai
été bête !
Soudain des pas se rapprochent, je me retourne,
et la silhouette élégante de maitre Jackson apparait. Le tailleur
impeccablement coupé, son teint caramel illuminé par un maquillage sobre et
discret et les yeux pétillants de curiosité.
-
Victoria ? vous êtes
encore là ?
-
Je rentrais déjà chez moi
maitre Jackson.
-
Appelle-moi Tia, s’il te plaît.
Réservons les titres pour les salles d’audience !
Ses yeux m’observent.
-
Un accident ménager ?
m’empressé-je dire alors qu’ils se posent sur mon bandage.
Elle ne relève pas ! elle plisse un
légèrement les yeux, comme si elle voyait plus.
-
Harry ne vous tyrannise pas
trop j’espère ?
-
Pas du tout, c’est plutôt un
plaisir d’apprendre à ses côtés, maitre Ndong est quelqu’un de brillant… de
juste. C’est vraiment quelqu’un de bien !
Ses yeux deviennent rieurs.
-
Dites-moi Victoria, voulez-vous
participer à un barbecue party chez moi demain ?
La question me prend de court. Je ne sais que
répondre.
-
Ce n’est même pas une question.
Je vous invite demain chez moi 14h. Soyez là ! je vous enverrai l’adresse,
je suppose qu’Harry a vos coordonnées.
J’hoche la tête, hésitante.
-
Vous passerez un bon moment
vous verrez. Ne rapportez rien d’autre que votre bonne humeur.
Je souris malgré moi.
-
D’accord. C’est juste qu’on ne
m’invite pas souvent à ce genre de trucs. Dans mon quartier à Belle-vue II…
bref merci.
-
A demain !
Elle me fait un clin d’œil complice, prend congé
et s’en va.
Je rentre à la maison. L’odeur des épices emplit notre petite cuisine. Ma Léontine est là, entourée de vapeur et de souvenirs. Anna aussi.
Je ne me rappelle plus la dernière fois que nous avons partagé un moment comme
ça. Ils ont toujours été rares, ces instants simples. Ma Léontine est une bonne mère,
mais elle a souvent été distraite, distraite par les absences de son mari, ou
par sa volonté de ramener du pain sur la table. Et puis dans nos quartiers, les
parents pour perdent vite le contrôle sur les enfants bien trop tôt. Trop vite.
Je noue mon pagne et je les rejoins bientôt dans
la cuisine. Ma léontine me désigne les tubercules.
-
C’est ainsi qu’une femme
épluche les tubercules. Regarde bien !
Elle joint la parole à l’acte pour nous montrer.
Je trouve Anna bien concentrée. J’envie sa capacité à faire comme si les
problèmes n’existaient pas. Nos regards se croisent, elle me sourit.
Du calme Vicky, on a bien le droit de souffler un peu !
Aucun son ne sort de sa bouche, mais je peux lire
dans ses pensées.
-
Quand vous serez des femmes au
foyer, on ne dira pas que votre vieille mère ne vous a rien appris !
Elle repose le couteau. Et se tourne vers Anna.
-
Bon elle, elle a déjà choisi
son voyou Gaspard. J’espère que toi au moins tu choisiras quelqu’un de bien.
Anna grimace et lui tire la langue. Moi, je reste
silencieuse.
Quelqu’un de bien.
Est-ce que j’ai seulement le droit d’aimer ?
Le droit d’aimer Harry.
Plus tard alors que Ma léontine est rentrée se
coucher. Anna et moi, nous nous retrouvons à veiller assises devant notre
porte.
La nuit est tiède. Le silence n’est pas pesant.
Il est plein de ce qu’on ne dit pas.
Je fixe le ciel, et je pense à demain.
À Tia.
Au barbecue.
Et à lui. Harry.
-
Alors et ce cabinet ? me
demande Anna. Tu t’y plais ?
Aujourd’hui Anna veut oublier tous nos soucis, je
me prête au jeu. Nous avons bien le droit à une pause avant l’averse.
-
C’est différent de tout ce
qu’on connait.
-
Et le grand maître NDONG...toujours
aussi implacable sur la ponctualité ?
Le ton se veut taquin mais ses yeux brillent d’un
intérêt sincère. J’espère que la nuit masquera le trouble que son évocation
provoque chez moi.
-
J’ai appris à le
connaitre…c’est un homme incroyablement droit et juste.
Anna se penche vers moi, frôle mon épaule.
-
Tu l’aimes bien hein ?
J’hoche timidement la tête. Elle cogne sa tête
contre la mienne.
-
Qui sait peut-être que tu auras
ton histoire à la cendrillon ! ou alors comme Quentin et Tam dans cat’s
eye ?
Elle m’arrache un sourire.
-
Dans tous les cas arme-toi
d’audace et essaie !
Samedi, 14H,
barbecue chez Tia Jackson.
Poussée par ce besoin de normalité provisoire ou
cet espoir que les choses peuvent être différentes, je me rends chez Tia.
Le soleil inonde la terrasse. Des rires fusent de
part et d’autres. Et parmi les personnes présentes, quelques visages que j’ai
pu rencontrer au cabinet et d’autres non. L’ambiance est chaleureuse et
détendue.
-
Victoria ! s’exclame Tia
en approchant. Tu es spelndide ! on est d’accord, qu’on peut se tutoyer
n’est-ce pas ?
Je souris. Anna a encore magnifié ma simplicité
avec ses doigts de fées. Elle est tellement douée pour ressortir le beau même
avec rien c’est-à-dire jean noir, chemise blanche fluide, mèches tirés. Il y a
toujours cette petite mèche rebelle mais j’ai abandonné le combat contre elle.
Elle est certainement bien là comme ça.
-
Viens que je te présente, il y
a ma sœur Linda, ma belle-sœur Armande et mon amie Layla ; Nos parents
sont assis de l’autre côté.
Je me sens tout à coup étrangère, intruse au sein
de ce qui me semble être une intimité familiale que je n’ai jamais connue
-
Tu as dû parfois les voir au
cabinet. Ne t’inquiète pas, ils t’accueilleront avec joie. Et puis si tu te
sens seule, il y a toujours moi et…Harry !
Elle guette ma réaction. Prise au dépourvu, je
baisse les yeux.
-
Il est là avec les autres. Tu
veux que je te l’amène ou tu veux faire semblant d’être surprise ?
Il est là polo bleue roulé sur l’avant-bras. Il nous fait dos, discutant avec d’autres hommes de la
même tranche d’âge.
-
On peut repousser l’échéance ?
je voudrais dire bonjour à tes amies.
Tia éclate de rire, me donne une tape sur l’épaule. Elle m’entraîne dans un
cercle de femmes complices. Leurs regards me détaillent, curieux et chaleureux.
Je crois que je viens d’entrer dans un joyeux complot dont j’étais la cible
sans le savoir.
Harry NDONG OSSAVOU
-
Je pense que l’invitée surprise
de Tia est arrivée, lance Peter dont le regard me fait face. Une charmante
demoiselle.
Invité surprise ?
Tia n’a pas osé. Non, elle en est bien capable.
Je ne me retourne pas de suite.
Je sens son parfum sans la voir. C’est bien elle.
D’abord ce barbecue totalement improvisé. Et
cette injonction : Tu as intérêt à
être là Harry. Sinon je viendrai te chercher moi-même.
Tia a tout manigancé
-
Eric, ta femme aurait-elle cédé
ses compétences en diners arrangés à sa sœur ?
Eric le mari de Linda, la sœur
de Tia qui avait passé son temps l’an dernier à faire des diners arrangés pour
sortir sa sœur du célibat, éclate de rire. Je me plains mais en vérité, une chaleur discrète me monte à la gorge. Elle est là, dans un
autre cadre.
Hors du cabinet.
Et rien que pour ça… je suis content.
-
A en croire l’expression de
ton visage, ça ne te déplait pas ! remarque Mitch perspicace. Voilà encore
quelqu’un qui va joyeusement jouer avec les flammes douces de l’amour.
-
Tant qu’elles ne brulent
pas, pourquoi pas ? Messieurs, je vais aller donner du sens aux petits
arrangements de Tia.
Je réponds en me détachant du groupe qui reste à me
charrier derrière.
Victoria LECKAT
Une avalanche de présentations , Linda, Armande, Layla,
puis les parents Jackson et Sima, et
déjà je ne retiens que des sourires, des parfums, des éclats de rires.
Mais, tout au fond du jardin, Harry se détache du groupe des hommes. Tia
m’adresse un sourire entendu. Je respire, ajuste la manche de ma chemise, puis
j’avance.
-
Salut, lance-t-il
enfin, si bas que je suis la seule à l’entendre.
-
Salut.
Je note le pli nerveux à la commissure de sa bouche ; il
remarque, j’en suis sûre, que je tiens le verre plus fort que je ne le dois pour
éviter à mes doigts de trembler.
-
Tu t’en sors ?
demande-t-il, un regard vers la foule.
-
Tia m’a gentiment
présenté à tout le monde, dis-je en souriant.
-
Alors tu es en sécurité, tout le monde ici est
chaleureux.
-
Même vous ?
demandé-je espiègle.
-
Même moi, la
preuve tu peux me tutoyer. Je ne suis pas le méchant loup qui veut dévorer le
gentil chaperon rouge.
Il rit doucement. La tension se fissure. Une musique en
fond, un vieux tube soul.
-
Viens,
propose-t-il, j’ai repéré un coin à l’ombre.
Nous contournons le jardin. Un banc se cache. De là, les
voix du barbecue parviennent atténuées. Je m’assieds. Il reste debout un
instant, mains dans les poches, à examiner un bouton imaginaire sur son polo.
-
Toi aussi, Tia a
dû te menacer pour que tu sois là ?
-
Pas vraiment, pas
dans des termes clairs, mais elle ne m’a pas trop laissé le choix non plus,
expliqué-je le sourire en y repensant. Et puis j’avais besoin d’un endroit où
la vie parait simple !
Il s’assoit à côté de moi sans toucher. Nos épaules,
pourtant, se frôlent presque. Je sens la chaleur de sa peau au travers du
tissu. Je m’éloigne un peu.
-
Tu me fuis ?
-
Non…enfin…je ne sais pas…
peut-être un peu…
Il se tourne vers moi.
-
Pourquoi ? tu voies
quelqu’un en ce moment, tu es en couple ?
Je secoue la tête. Il semble rassuré.
-
Alors pourquoi ?
Peut-être parce que je sais
que je suis amoureuse et que cet amour me fera mal.
Je ne réponds rien. Il s’approche encore.
-
Victoria, je ne veux pas que
tu crois que je profite de ma position !
-
Tu n’es pas comme ça… tu es
un homme juste. C’est moi qui ai peur. Je transporte des ombres…
-
On en transporte tous !
certaines sont juste plus lourdes que d’autres… dis-moi juste si tu ressens
quelque chose, ce petit flottement entre nous… ou si je suis seul à le
sentir ?
Mon cœur bat si fort.
-
Je le ressens aussi,
avoué-je.
Il se penche alors. Lentement. Il me laisse une seconde
pour me reculer. Je ne bouge pas. Ses lèvres rencontrent les miennes dans un
baiser doux, retenu. Une promesse. Une folie. Un piège peut-être. Mais pour un
instant, tout disparaît, rien ne compte. Il pose son front contre le mien.
-
On fait quoi maintenant ?
Je souffle, un sourire fragile aux lèvres :
-
On profite de ce moment…
avant qu’il s’effondre.
Quand on se lève pour revenir vers les invités, le monde
a changé de couleur.
Je sais, sans l’ombre d’un doute, que la suite sera compliquée.
Mais je suis
prête à tout risquer.