
Chapitre VIII
Write by EdnaYamba
Chapitre 8
-
Chéri, murmure Manuela encore
allongée dans mes draps, la tête posée sur mon épaule nue. Il serait peut-être
temps de faire passer notre relation à un niveau supérieur !
Sa voix est douce, presque lasse. Elle est restée
cette nuit. Ce n’est pas la première fois. Ces derniers temps, c’est devenu…
fréquent. Trop, peut-être.
Je ne réponds pas tout de suite. Mon esprit est
ailleurs.
Ses doigts parcourent mon torse.
-
Tu ne dis rien. Tu penses à
elle ?
Elle ne dit pas son nom. Elle n’a pas besoin.
Je me redresse lentement, surpris qu’elle l’ait formulé si directement.
-
À qui ? demandé-je, un peu
trop vite.
Je n’ai jamais fait mention d’une autre femme.
Elle sourit sans joie, tourne la tête vers le plafond. Je
voudrais lui répondre quelque chose de vague et de rassurant mais rien ne vient !
-
Peu
importe.
Ce n’est pas une accusation. Ce n’est même plus une
question.
Juste un aveu d’avoir compris d’être déjà de trop.
Je ferme les yeux. Elle lit en moi. Ou peut-être que je
ne fais même plus d’effort pour cacher ce qui me ronge. Mensonge. Je pense à
elle. À cette tension étrange entre nous, faite d’irritation et d’attraction
mal maîtrisée. Victoria. Victoria et ses retards. Victoria aussi jolie
qu’intelligente. Victoria et silences. Victoria et ce fichu pansement qu’elle
refuse d’expliquer. Victoria et notre baiser. Et voilà qu’elle hante même mes
draps. Un silence pesant s’installe.
Je me lève, enfile un t-shirt. J’ai besoin d’air et d’espace.
Et pourtant, tout me ramène à Victoria. Manuela soupire, se redresse, s’éloigne
du lit sans un mot de plus. Je la regarde enfiler sa robe, élégante, même dans
la colère contenue. Elle ne claque pas la porte. Elle n’est pas de celles qui
font du bruit. Mais le silence qu’elle laisse derrière elle est assourdissant.
Il est midi, l’heure de la pause quand Tia débarque sans
prévenir dans mon bureau.
-
Peter a une réunion d’affaires,
je n’aurai donc pas droit à mon traditionnel repas de FOODS et FOODS ce midi.
Ferme-moi ce dossier et allons manger !
-
Je devrais me sentir vexé que
tu ne penses à moi que parce que Peter est absent.
Je fais semblant de m’offusquer. Je referme mes
dossiers et je la suis joyeusement résigné.
Tia sourit, victorieuse, son sac à l’épaule,
prête à partir.
-
Allez, bouge-toi !
On descend ensemble, à pied. Les klaxons
bourdonnent, les passants se bousculent dans un ballet synchronisé et familier.
Le café est là, au coin de la rue. Une petite terrasse où on a nos habitudes.
Je m’installe face à Tia, un peu plus fatigué que
je ne veux l’admettre.
-
Tu sais que tu es cruelle, hein
? Je pourrais être en train de démêler une affaire sensible, et toi, tu
m’extirpes pour une salade tiède.
-
Faux. Tu étais en train de
relire pour la troisième fois un dossier déjà clos. T’as besoin de t’aérer. Et
de parler !
Elle me fixe. Son regard est doux, mais je sais
lire entre les lignes. Elle m’observe, essaie de comprendre ce que je cache.
-
Je parle assez au cabinet. Je ne
fais que ça, parler !
Je détourne les yeux. Mon regard s’attarde sur
une silhouette au loin. Une jeune femme traverse en courant. Teint mât, svelte,
décidée. Une seconde, je crois reconnaître Victoria. Je cligne des yeux : ce
n’est pas elle. Elle n’a pas cette mèche rebelle qui s’échappe toujours de son
chignon ni ce point de beauté droit au-dessus de sa lèvre supérieure. Pourtant,
mon cœur a battu un peu plus vite. Ridicule.
-
Harry.
La voix de Tia me ramène.
-
Tu vas me dire ce qui te
travaille ? Ou je dois appeler Manuella pour qu’elle le fasse à ma place ?
Je hausse un sourcil.
-
Je n’ai pas le droit d’être
calme ?
Je prends une gorgée d’eau.
-
Et d’ailleurs, Manuella n’est
pas dans le tableau.
Tia fronce les sourcils.
-
C’est nouveau, ça. Vous étiez
inséparables, il y a encore deux semaines.
Je hausse les épaules.
-
Inséparables est un grand mot. Elle est
brillante, oui. Belle, évidemment. Mais…
Je cherche mes mots.
-
Tu sais quand t’as l’impression
que tout est bien, sans que rien ne sonne juste ?
-
Tu as encore fui Harry ?
Elle dit ça en plantant sa fourchette dans sa
salade. Je souris malgré moi.
-
Exactement.
Un silence. Puis, Tia reprend, plus doucement :
-
Et Victoria ?
Je relève les yeux, surpris.
-
Quoi, Victoria ?
-
Elle t’intrigue. Ça se voit.
Je reste muet une seconde. Mon regard se perd
dans mon verre. Inutile de le cacher à Tia.
-
Elle est… différente.
Brillante, malgré son regard fuyant. Et je sens qu’elle cache quelque chose.
Comme une part d’elle qu’elle retient. Mais ce n’est pas professionnel d’y
penser plus que ça.
Mais en moi, une sensation étrange persiste :
comme un vertige doux, discret, mais tenace. Un pressentiment ou un désir.
Peut-être les deux.
-
Et pourtant tu y penses.
Elle marque un point. Je n’ai rien à répondre.
Victoria LECKA
Ils sont là.
Assis à une terrasse ensoleillée, en face du
cabinet. Lui, Harry, la tête penchée légèrement vers elle. Elle, Tia Jackson.
Ils rient, l’air complices. Une main posée sur la table, une mimique tendre.
C’est fluide entre eux. Facile.
Mon souffle se bloque, une seconde. Pourtant j’avance en suivant Etienne et
Marc Antoine qui m’ont invitée à la pause de midi .
-
C’est eux ! chuchote
Etienne.
Je hoche la tête.
Il observe la scène un instant, puis souffle
-
Je me demande s’ils n’ont
jamais été amoureux ces ceux-là ! ils sont trop proches !
La réflexion me pique. Pourtant, je sais que Tia
Jackson est amoureuse de son mari mais à l’instant où Etienne émet la réflexion,
un million de choses se bousculent dans ma tête. Et si lui Harry était amoureux
d’elle ? il a l’air si détendu.
Je ne suis rien. Juste une stagiaire.
Je repense à notre baiser de la veille. Mon cœur
palpite comme si je revivais cet instant. Ce matin, il ne nous a rien
confié directement. Clarisse a été notre intermédiaire. Des regrets ?
Peut-être que tout ceci hier n’était qu’un
mirage ! c’est peut-être mieux ainsi ou pas, pensé-je.
Quoique s’il met de la distance entre nous, il me
sera difficile de voler les documents de Marcus et le temps me presse.
-
Allons-y ailleurs, avant qu’ils
ne nous voient ! propose Marc Antoine.
Bonne idée !
Je prends la route du cabinet deux à deux, le
cœur encore alourdi par ce que j’ai vu. J’ai réussi à me débarrasser
d’Etienne et Marc Antoine après la pause.
J’ai besoin de cette minute seule.
Mon estomac se contracte quand je le vois à
l’accueil, accoudé au comptoir, parlant avec Hélène, la réceptionniste. Il se
retourne au son de mes pas. Nos regards se croisent.
Le sien glisse sur moi comme une lame douce. Il
s’attarde un peu trop longtemps.
-
Victoria.
Son ton est neutre. Il est trop neutre, Poli et
distant. Il se redresse, mains dans les poches, la mâchoire plus tendue
qu’elle ne devrait l’être. Comme s’il jouait à être détendu, mais que ça
coinçait quelque part.
-
Maitre Ndong, murmurée-je en
hochant la tête.
Je le dépasse pour rejoindre mon bureau, mais il
me suit.
-
Attends une seconde.
Je me fige. Il me tutoie pour la première fois.
Je me tourne, lentement.
-
Oui ?
Il semble hésiter.
-
Est-ce que ça va ?
demande-t-il.
Je me redresse, sur la défensive.
-
Je vais très bien. Et
vous ? votre déjeuner était agréable ?
Ma voix est légèrement montée dans les aigus malgré
moi.
Mince, je n’aurais pas dû ! Les mots
ont filé sans mon consentement.
Silence. Il me fixe. Un peu trop intensément.
Il fronce les sourcils.
-
Ce que je fais à l’extérieur du cabinet ne
regarde que moi, Victoria, dit-il, lentement.
Je hoche la tête.
-
Bien sûr. Vous avez raison.
J’essaie de le contourner, mais il fait un pas de
côté.
-
Est-ce que tu es jalouse ?
La question tombe douce et brutale. Mon cœur rate un battement. Il a dit ça bas.
Presque comme une provocation, mais je sens le fil tendu entre nous. Cette
chose qu’on ne nomme pas.
Je soutiens son regard.
-
Je ne suis rien pour être
jalouse.
Il ne répond pas tout de suite. Son regard reste
accroché au mien. Comme s’il cherchait une faille. Ou une confirmation.
Puis, il recule.
-
Retourne à ton poste, dit-il
doucement. Et repose-toi un peu. Tu en as besoin.
Il s’éloigne. Je reste figée un instant, sans
bouger.