Chapitre XII

Write by EdnaYamba

Chapitre 12

 

Victoria LECKA

J’ai encore dormi une fois de plus chez Harry. Là dans l’obscurité de la nuit, allongés sur son canapé gris graphite au salon, je veux profiter de nos derniers instants.

-          Je n’ai pas de tenue de rechange. Je vais devoir faire un saut à la maison avant d’arriver au cabinet. Vous n’y verrez pas d’inconvénient à ce que je sois en retard n’est-ce pas maître Ndong ?

Je le taquine. Il sourit. J’aime voir l’éclat de son regard quand il est heureux.

-          Je pourrais faire semblant de te convoquer dans mon bureau pour te reprocher tes retards encore une fois et en profiter pour te voler un ou deux baisers.

-          Je croyais que tu étais intransigeant sur les retards et la discipline.

-          On peut faire un peu d’entorse à la règle quand il s’agit d’amour.

Il m’embrasse.

Puis il caresse mon épaule nue.

-          Tu vis seul depuis longtemps ?

-          Depuis assez longtemps oui…J’ai déménagé ici quand j’ai obtenu le poste chez Robert Jackson.

-          Tu sembles très proche de la famille Jackson. Tu parles très peu de la tienne.

-          Ma famille est restée en France. C’est là-bas que je suis né, issu des amours entre deux étudiants gabonais qui ont fini par se marier. Toute ma famille y vit, ma sœur et mes deux frères. La famille Jackson, c’est ma famille du cœur. J’ai rencontré Tia quand nous étions encore étudiants à la fac de droit et sa famille m’a tout de suite adopté.

Je l’écoute et une question me brûle les lèvres.

-          Tia et toi êtes si proches. N’avez-vous jamais été amoureux ?

Il éclate de rire, d’un rire franc.

-          Il n’a jamais été question d’amour entre Tia et moi. Aussi curieux que ça puisse paraître, ça ne nous a jamais effleuré l’esprit. Ça aurait presque ressemblé à de l’inceste.

Étrangement, je me sens soulagée.

-          J’avoue que j’étais un peu jalouse de votre complicité… tu es si différent quand tu es avec elle.

-          C’est plus un lien fraternel qu’autre chose. Tia m’a vu dans la période la plus horrible de ma vie...Sa présence et la bienveillance de sa famille m’ont sauvé !

Le ton qu’il emploie laisse paraître un sujet sensible. Il ne s’épanche pas plus et je ne le questionne pas plus qu’il ne faut.

-          Et puis Tia est très amoureuse de son Peter maintenant. Quant à moi…il y a toi !

C’est la danse folle dans mon cœur. A demi-mot, je comprends ce qu’il veut dire. J’entrelace mes doigts dans les siens et je les porte à mes lèvres.

-          Et toi, parle-moi de toi Victoria !

-          Il n’y a pas grand-chose à dire. Ma mère est morte quand je n’étais qu’une petite fille, j’ai été élevée par sa voisine. Elle venait de recueillir aussi la fille d’une de ses cousines, Anna. Et depuis que nous sommes petites ça a toujours été Anna et moi contre le reste du monde. Ce sont eux la famille. Les gens que je protégerai quoiqu’il m’en coûte.

-          Vous devez partager un lien fort Anna et toi ?

-          Je ferai n’importe quoi pour Anna.

Même si ça signifie te perdre. Même si ça me laisse vide. Je ne pourrais pas vivre si je la laissais tomber.

-          Assez parler Harry, garde-moi juste dans tes bras. Sers-moi fort !

C’est presqu’une prière.

-          Ça va ? Me demande-t-il.

-          Oui, je veux juste profiter de cet instant !

 

                                                        ***

Je file de l’appartement d’Harry au petit matin. Quand j’arrive à Belle-vue II, je salue les mamans commerçantes déjà sorties pour étaler leurs marchandises. Je sais déjà que je serais le sujet de leurs commérages du jour.

Gaspard m’intercepte.

-           Marcus s’impatiente.

 Je retrouve Anna dans la chambre. Ma Léontine est allée très tôt au marché. Une chance sinon j’aurais passé un sale quart d’heure. Anna m’observe souriante.

-          Tu as encore découché, Vicky ! Tu étais avec lui ?

Je me laisse tomber sur le lit, les larmes pleins les yeux. Fatiguée.

-          Eh Vicky, qu’est-ce qu’il y a ?

-          Rien, je suis juste fatiguée.

-          Ne me mens pas. Je te connais.

Elle se rapproche de moi et me prend dans ses bras. Je laisse éclater ma peine, tout ce que je retiens depuis plusieurs semaines. Elle fronce les sourcils.

-          Je n’en peux plus, Anna…Je me sens prise au piège.

-          Tu n’es pas obligée de le faire, Vicky !

-          S’il t’arrivait quelque chose, je ne me le pardonnerai pas !

Elle me prend dans ses bras et me serre fort dans ses bras.

-          Regarde-moi Vicky !

Je refuse. Elle insiste, ses mains sur mes joues mouillées.

-          Tu n’es pas seule. Tu n’as jamais été seule. Et je ne veux pas que tu continues à te sacrifier pour moi. Marcus, c’est ma faute. C’est moi qui t’ai embarquée dans cette merde. C’est moi qui…

Je la coupe.

-          Tu ne réussiras pas à me faire changer d’avis ! j’ai décidé de le faire, je le ferai !

-          Tu l’aimes hein ? Harry ?

Je baisse les yeux. Anna soupire.

Dehors, on entend le bruit des enfants qui vont à l’école. La vie continue, normale, légère. Nous, on est figées dans cette chambre pleine de secrets.

-          Excuse-moi, je suis un peu à bout ! Dis-je en me ressaisissant.

Harry est un rêve…les rêves ne durent pas longtemps. Anna est ma chair.

J’essuie mes larmes, prête à m’armer de courage.

-          Si Anna, je ne pourrais jamais te laisser tomber ! Laisse-moi me changer ! ce soir, je vais voler les documents de Marcus.

Elle soupire. Elle me sait déterminée. Elle aurait fait la même chose à ma place.

 

Harry NDONG OSSAVOU

Je ne l’ai pas retenue ce matin. Je l’ai regardée filer, fine silhouette dans la lumière pâle du petit jour, avec ce pincement étrange au cœur. Comme si elle partait pour quelque chose de grave.

Je devrais me concentrer. Une pile de dossiers m’attend. Des appels à passer. Des conclusions à relire. Un rendez-vous avec Aaron.
Mais tout me semble flou.
Sa voix me hante, légère et douce, quand elle me taquinait sur mon intransigeance.
Sa peau contre la mienne cette nuit.

Elle était ailleurs, je l’ai senti. Présente, mais tendue. Comme si un secret l’empoisonnait de l’intérieur. Je m’en veux presque de ne pas avoir insisté. De ne pas l’avoir forcée à parler. Je repense à notre conversation sur le canapé. Elle m’a parlé d’Anna. De cette loyauté féroce. De cette solitude dont elle s’est drapée comme d’une armure. Et moi, je commence à comprendre que ce n’est pas juste une attirance. Pas une aventure. Elle me touche trop profondément pour que je reste indifférent.

Clarisse m’arrache à mes pensées.

-          Maitre Ndong, le coursier est en bas. Il vous attend.

La cassette est enfin là.

Je prends mon téléphone et laisse un message à Aaron.

« J’ai la cassette. Je te l’apporte ! »

Je me lève, les nerfs à vif. La journée ne fait que commencer, et déjà, je sens que quelque chose est en train de glisser, lentement, vers l’irréversible.

Il est 10h quand je sors de mon bureau pour rejoindre Aaron.

Je l’aperçois devant l’ordinateur. Je ne résiste pas à l’envie d’approcher. Je prends au passage une tasse de café que je dépose sur son bureau. Elle lève les yeux, surprise. Ils ont une lueur…Triste.

-          Mlle LECKA, vous allez bien ?

-          Oui, répond-t-elle.

Je murmure tout bas pour qu’on ne nous entende pas.

-          On dîne ce soir ?

-          J’ai quelque chose à faire avec Anna… Une autre fois !

Je vois de l’hésitation passer dans ses yeux.

-          Bien sûr.

J’effleure discrètement sa main et je m’en vais.

Je récupère dans le hall, le paquet envoyé par SOUNA, la casette issue de la caméra de surveillance. En espérant qu’elle nous apporte quelques informations sur les voleurs.

Je retrouve Aaron Meviane à l’extérieur des locaux de la direction générale de contre-ingérence et de la sécurité militaire « B2 » où il a été affecté en qualité d’inspecteur. C’est l’un des organes militaires le plus craint. Ses agents sont doués et compétents.

-          Merci Aaron pour ta disponibilité !

-          Voyons Harry, c’est tout à fait normal. Alors de quoi s’agit-il ?

Je lui expose tout le dossier Souna sans omettre le moindre détail, des preuves en ma possession, aux annotations personnelles.

-          C’est bien plus qu’une transaction immobilière. Et elle fait écho à un événement de mon passé.

-          Raconte- moi tout Harry ! c’est nécessaire que tu n’oublies rien !

 
JUSTICE ET AMOUR TOM...