Chapitre XIX
Write by Tiya_Mfoukama
Chapitre XIX
« — Pour la campagne de com’ on continue toujours avec la même boite ? me demande Betty ?
— oui malheureusement. je soupire un peu agacé. Je t’avoue que j’aurais préféré passer par une autre boite, mais aucune ne m’a semblé meilleure.... Le souci avec « Com’Congo » c’est qu’ils ne me paraissent pas assez….
— Original ?
— Oui, c’est ça…. Quand on y regarde de plus près, pour l’application « Ba’dia » ils n’ont rien fait d’original. Toute la com’ s’est faite grâce aux jeunes influenceurs sur les réseaux sociaux. Et eux, ils se sont contentés de relayer l’information.
— Je suis d’accord avec toi. C’est vrai qu’ils n’ont pas eu grand-chose à faire. »
Soupir.
Rien ne se passe comme je le veux.
Je n’arrête pas de subir les modifications et les conséquences qui s’imposent. Je n’ai pas eu l’occasion de sortir « Shine » V2 – et l’occasion ne se présentera pas de sitôt – j’aurais au moins aimé pouvoir garantir à « Shine » V1 une entrée remarquée sur le marché. Mais j’ai le sentiment qu’avec « Com’Congo », « Shine »V1 ne connaitra pas le succès qu’elle mérite.
« —Tu as au moins trouvé le logo ? »
Je secoue la tête négativement, et lui réponds que non.
Pour chacune des gammes que j’ai eues à sortir j’ai réalisé un logo atypique qui avait une signification pour moi et qui rendait les produits de la gamme plus originaux. A 3 mois de son lancement je n’ai toujours rien trouvé pour « Shine ». Et sa sortie d’usine est prévue pour dans 1 mois et demi. C’est là la preuve que tout va à vau l’eau. Je devrais peut être faire une exception et ne rien faire pour cette fois. Et je soumets l’idée à Betty.
« —mauvaise idée … très mauvaise idée ! elle me dit en contournant mon bureau pour se placer en face de moi. Une gamme de téléphone sortie de chez Buaka entreprise sans logo, ça n’a aucun sens. Je comprends que tu sois stressé et particulièrement agacé que tous les plans que tu avais initialement prévus tombent à l’eau mais nous savons tous les deux que tu réussiras toujours à faire de cette gamme un franc succès. Tu devrais prendre le temps de lâcher un peu prise afin de revenir dessus un peu plus tard. »
Elle n’a pas tord. En faire un franc succès j’ai quelques doutes mais ce qui est certain c’est que j’irais jusqu’au bout de ce projet et advienne que pourra.
« —T’as raison, je vais prendre un peu de recul. De toutes les façons, je n’avais pas prévu de rester cette après midi. j’annonce en avisant l’heure sur ma montre. J’avais des choses à faire, et maintenant je suis pas certain d’être au point partout…. C’est dans l’air...
—Dylan ! me réprimande Betty. »
Je souris devant son air acariâtre, puis me lève de mon siège et réunis les documents se trouvant sur la table, en un tas que je laisse sur un côté de mon bureau, avant de saluer Betty et quitter les locaux de l'entreprise.
En me rendant vers ma voiture, j’envoie un message à Jesse pour l’avertir de mon arrivée un peu tardive. Je n’avais pas le projet de le voir avant demain soir, mais ce matin, après la discussion que j’ai eue avec Tiya, la veille, je me suis dit qu’il serait beaucoup plus prudent de passer le voir et « prévenir » plutôt que « guérir ». Je voudrais éviter que demain soir, durant le diner d’anniversaire de Tiya, je me retrouve à gérer une situation incommodante au lieu de faire la fête. La situation est déjà compliquée en elle-même, et il ne faudrait pas l’envenimer. Ce diner, c’est la partie deux de mon plan et je tiens vraiment à ce qu’il soit réussi, que Tiya puisse se détendre.
Ses derniers semaines, elle est rentrée épuisée du boulot, avec un charge de travail plus volumineuse qu’à l’accoutumé mais ne s’est jamais plein, pas même une fois, et n’a à aucun moment reporté la frustration qu’engendrait tout ce travail sur moi ou qui que ce soit. J’ai été impressionné de la voir prendre sur elle, et toujours faire en sorte d’aplanir les choses, surtout avec moi.
Plus les jours passent et plus la Tiya que je découvre me plait, et j’arrive à envisager, un avenir avec elle. Elle reste quand même une vraie tête de mule et m’épuise toujours autant lorsqu’elle a envie de me tenir tête, mais ça reste gérable. Je me surprends même à apprécier ces moments où elle joue les teignes. C’est aussi ce qui fait son charme…
Sans grande surprise, je retrouve Jesse affalé sur une chaise autour de la table se trouvant sous la véranda.
Ensemble de jogging, poche monstrueuse sous les yeux et barbue broussailleuse, il a la dégaine négligée du parfait dépressif. Fallait s’y attendre, c’est le genre à totalement s’investir, tout donner et se laisser atteindre.
J’en veux à Emeraude de l’avoir mis dans cet état même si elle n’en a pas conscience, et me demande s’il ne sera finalement pas plus judicieux de prétexter une annulation, pour lui éviter de souffrir d’avantage.
« —Laisse-moi deviner, tu étais en train de partir quand une tâche importante t’es tombé dessus et tu n’as pas pu te résoudre à partir sans t’assurer qu’elle allait être faite. Je me trompe ? il me demande en se grattant la barbe.
—T’es pas très loin de ça. je réponds en prenant place le canapé en face de lui. Je devais faire un point avec Betty.
—La pauvre, ça ne doit pas être évident pour elle de travailler avec un acharné du boulot comme toi. J’espère que tu la laisses partir en vacances et la rémunères correctement ?
—Je prends soin de mon assistante, t’en fais pas pour elle. Par contre toi….Ça va ? »
Il acquiesce en hochant la tête, et se force à étirer ses lèvres pour leur donner l’aspect d’un sourire. Il parait aussi crispé et faux que le rire gras qui l’accompagne.
C’est déstabilisant de le voir dans cet état, lui qui s’est toujours montré fort mentalement, malgré sa tendance à se laisser affecter. Il m’a toujours habitué à le voir accuser le coup, puis se relever et repartir comme si de rien n’était mais là…Il est complètement avachi, à le regard vide d’expression et ne semble pas être disposé à avancer.
« —Tu devrais arrêter de te mettre dans un état pareil, soit tu vas la voir et tu tentes d’arranger les choses, soit tu décides de laisser tomber et au quel cas, tu fais tout pour avancer, mais rester comme ça…. Ça ne peut pas continuer !
—….. Je suis persuadé que tu dois résumer le couple que je formais avec elle à une simple relation, mais ça allait au-delà. il me dit après de longues secondes de silence. C’était pas une relation aussi simple qui demande quelques semaines, des sorties avec des potes et des filles par si par là pour l’oublier. Non, c’était bien plus que ça.
—Elle sera là demain soir, et probablement avec son…. Enfin t’as compris…. Je me dis qu’il serait peut-être préférable que…. Enfin… Pour t’éviter de….
—Tu me demandes de ne pas venir ?il tranche sèchement.
—Non, non, non ! T’es le bienvenue ! C’était une simple proposition…pour….pour toi. je bégaie.
—T’en fais pas. Je saurai me comporter, si c’est de ça dont tu as peur.
—Non mais Jesse, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Je…
—Il faut vraiment que je finisse de bosser et pour ça je dois être seul. il me coupe en prenant ses fusains. On se voit demain. Passe une bonne soirée. »
Je l’ai contrarié, ce n’était pas mon intention mais…il n’y a plus rien à ajouter.
« —….Okay. A demain. je lance en me levant. »
Espérons que tout se passera bien.
*
* *
« —C’est bon pour toi Murielle ?
—Il n’y a pas de problèmes, tout sera prêt. elle me confirme en souriant.
—Qu’est-ce qui sera prêt ? me demande Tiya en descendant les escaliers.
—Rien d’important. »
Elle hausse ses épaules puis arrive à mes côtés en soupirant. Tout comme Jesse, elle aussi n’a pas l’air bien. Mais je me laisse deux heures pour changer la donne.
« —On est vraiment obligé d’aller manger dehors ? Puis regarde l’heure, il est à peine 18h, je n’ai pas très faim.
—Et après tu diras que je ne propose rien… je réponds sur le même ton qu’elle emploie.
—Okay. elle soupire. Allons-y. »
Nous rejoignons le restaurant dans un silence et une atmosphère pesante que je ne cherche pas à dissiper. Tout comme elle, je prends des airs nonchalants, et me montre presque désobligeant, à une différence près, elle essaie autant que faire se peut de se contenir. Tout le contraire de moi, qui volontairement, montre des signes de lassitude.
« —T’as fini ? je lui demande après une trentaine de minutes dans le restaurant.
—J’ai fini comment ? On vient à peine d’arriver ! »
Je pousse un gros soupir, et me laisse retomber lourdement sur ma chaise, en balayant la pièce du regard, me mettant à pianoter sur la table pour montrer mon impatience.
« —Tu es sérieux là Dylan ?
—Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? »
Elle me lance un regard sidéré puis marmonne dans sa barbe avant d’installer la lanière de son sac sur son épaule et m’annoncer qu’on peut y aller. A mon tour je marmonne, assez fort tout de même pour qu’elle puisse entendre « c’est pas trop tôt », et je la vois serrer sa mâchoire. Elle est littéralement en train de fulminer et si je la regardais assez longtemps en plissant des yeux, je suis certain que je pourrais apercevoir des flammes sortir de ses oreilles. C’est tout simplement hilarant et je dois prendre sur moi pour ne pas éclater de rire. Parce que tout ceci n’est qu’une mise en scène –un peu machiavélique je dois l’avouer – pour exécuter la première partie de son anniversaire, que j’ai pris le temps d’organiser pour elle. J’avais la possibilité de la jouer moins rustre et plus galant, mais j’ai eu envie de la titiller un peu, comme elle pouvait le faire au début de notre relation.
« —Si t’avais pas envie qu’on sorte, tu pouvais aussi ne rien faire. Personne ne t’a obligé. elle siffle entre ses dents en mettant sa ceinture.
—Voilà pourquoi je ne fais rien. Tu ne sais même pas apprécier ce que je fais ! Tu passes ton temps à te plaindre ! je grogne en démarrant la voiture.
—Je passe mon temps à quoi ? Non mais Dylan tu es vraiment sérieux ?! Je suis fatiguée, je voulais me reposer tranquillement en lisant un livre ou en glandant devant la télé, mais tu m’as proposé de te suivre au restaurant! J’aurais pu te dire non, mais je suis quand même venue ! Durant tout le trajet aller, alors que je ne me sentais pas d’humeur à faire la conversation, j’ai essayé de discuter avec toi mais c’est à peine si tu me répondais ! Et quel genre de réponse ! Des phrases monosyllabiques ! Je prends sur moi parce que j’imagine que t’es aussi crevé que moi et j’essaie de voir le bon côté des choses, en profitant du repas, mais là encore, t’as pas pipé mot et on est à peine restés trente minutes ! Alors excuse-moi mais si je n’arrive pas à apprécier ce que tu fais, c’est parce que ce que tu fais, c’est de la merde !
Elle crie presque sa dernière phrase et moi je suis au bord de la crise de rire. Il devient de plus en plus difficile pour moi de garder cet air condescendant à souhait, mais je prends sur moi, rien que pour voir sa tête lorsqu’elle découvrira le vrai programme de la soirée. Et le temps d’un instant, je prie intérieurement pour que le programme ait sur elle l’effet escompté parce que si ce n’est pas le cas, je vais passer une très mauvaise soirée. Mais je balaie vite cette idée de ma tête, puisque pour organiser cette soirée, j’ai fait appel à la personne qui la connait le mieux Emeraude, et je doute qu’elle m’ait induite en erreur…
« —Pourquoi est-ce que tu sors Ismaël n’est pas là ?elle me demande lorsque que nous sommes devant le portail.
—Non, je lui ai donné sa soirée. je réponds en allant ouvrir le portail. »
Une fois ouvert, je remonte en voiture, puis avance le véhicule dans la cour, et avant qu’elle n’est le temps de sortir, je la verrouille.
« —Mais Dylan, qu’est-ce que tu fais ?
—Attends, je reviens ! je lance en allant refermer le portail.
—Dylan ouvre-moi la porte !
—Attends, je te dis !
—Dylan !
—…Deux minutes… »
Je mets plus de temps qu’il ne faut pour refermer le portail, puis reviens vers la voiturer en trainant des pieds et au moment de lui ouvrir la porte, je sors mon téléphone et me mets à envoyer quelques messages sous son nez.
« —Non mais Dylan, tu te FOUS de ma GUEULE ! Tu tiens vraiment à ce que je m’énerve ce soir ?
—Et pourquoi tu voudrais t’énerver mon cœur ? je dis le nez dans mon téléphone
—….tu sais quoi …. Je n’ai plus envie de discuter…. Je… pfff…. N’importe quoi…. »
Là je la sens à bout et plus autant disposée à jouer, alors avant qu’elle n’atteigne le seuil de non retour, je déverrouille sa portière et la retiens par le bras lorsqu’elle veut passer devant moi.
« —Okay, je sais que je n’ai pas été d’une superbe compagnie ce soir mais…Tiya !
—Lâche-moi Dylan !
—Non, je ne vais pas te lachermaintenant écoute-moi !
—Je n’ai pas envie de t’écouter! Je suis fatiguée et je ne veux qu’une chose, aller me reposer alors lâche moi !
—Okay! Je te lâcherai et te laisserai même tranquille si là maintenant tu fermes les yeux et me laisse t’emmener te guider.
—J’ai pas envie de jouer Dylan, je suis vraiment épuisée et…
—Je sais…. Je sais. je répète doucement alors que je la sens faiblir. Bébé, ferme juste les yeux, je te guide et ensuite tu feras ce que tu voudras. D’accord ?
Elle pousse un lourd soupir, puis après un moment d’hésitation finit par fermer les yeux et je vois sur son visage à quel point elle est épuisée. Je souris bêtement en la regardant, et dépose un baiser sur sa joue avant de me placer derrière elle et la guider par la taille.
« —Fais attention, on va monter les deux petites marches du perron. je lui murmure à l’oreille. »
Je la guide jusque dans la maison, et lui retire ses talons dans le SAS, avant de me repositionner derrière elle.
Une fois dans le salon, je me félicite d’avoir laissé Murielle s’occuper de la décoration, je ne pense pas que j’aurais réussi à faire mieux qu’elle. Je suis même convaincu que je n’aurais pas pu. On s’y croirait presque…
Je m’éloigne d’elle, et vais me placer près de la table basse, puis me racle la gorge et lui dis :
« —Ce soir à minuit, ce sera ton anniversaire, et tu as décidé de le fêter lors d’un diner. Aujourd’hui, je voulais non pas fêter ton anniversaire plus tôt mais célébrer la personne que tu es. Joyeuse, grognon, pleine de vie mais surtout entière et spéciale. Je me suis longtemps demandé ce que je pourrais bien faire, et grâce à deux femmes hors pair, j’ai eu l’idée de t’offrir ça… Tu peux ouvrir les yeux. »
Elle ouvre les yeux, balaie la pièce du regard avec une expression indéfinissable sur le visage, mais la raideur de ses traits laissent présager qu’elle n’est absolument pas emballée par l’idée. Moi qui pensais que j’allais marquer de gros points ce soir…
« —Tu n’aimes pas hein ?
—…..
—Je suis désolé. Je voulais vraiment faire un truc qui te plaise. Emeraude m’a dit que tu étais une fan des bollywood, et que tu aimais autant les décors que les films. Je me suis dit que ce serait sympa de te faire voyage sans prendre de billet mais… »
La fin de ma phrase est écrasée par ses lèvres sur les miennes. Elle m’enlace fortement puis se met à trembler et à hoqueter.
« —Hey…ça va ?
—je te remercie. elle me répond simplement, des trémolos dans la voix. Merci… »
Et voilà, le nez enfui dans ses cheveux, je reconnais que c’est juste pour ce moment, celui-ci , là, à l’instant que j’ai pris le temps d’organiser tout ça. Juste pour pouvoir l’avoir dans mes bras aussi simplement, juste pour la sentir, juste pour la voir telle qu’elle est, juste pour pouvoir confirmer que j’aime ce qu’elle est, sa vulnérabilité, sa ténacité, son brutalité, tout ce qu’elle est…
« —Je dois t’avouer un truc ?je chochotte à son oreille. je déteste les films indiens tout comme les télénovelas, mais je suis prêt à sacrifier de ma personne ce soir. Choisis ce que tu veux voir et on le verra.
—Y’a même des cheese naan ? elle me demande toujours blottie contre moi, mais le regard vers la table basse.
—Oui, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je te pressais au restaurant. Je voulais à tout prix éviter que tu manges, afin que tu puisses goûter aux mets indiens.
—….je suis désolée d’être aussi peu explicite, c’est parce que je n’ai pas les mots sauf merci.
—J’attends rien de plus. »
Elle se hisse sur la pointe des pieds et dépose de nouveau ses lèvres sur les miennes avant de se tourner vers la table et se transformer en petite fille dans une boutique de bonbons.
A mon gros désarroi, on passe toute la soirée à enchaîner, film sur film, dilemme chantonné, sur dilemme chantonné, chorégraphie sur chorégraphie. Puis alors que j’avise l’heure pour espérer justifier ma pseudo fatigue par elle, je constate qu’il est 2h04.
« —Hey, il est 2h04, c’est officiellement ton anniversaire. Joyeux anniversaire madame Buaka. »
Elle relève la tête de l’écran, puis me regarde pendant de longue seconde avant de me dire :
« —Merci chéri. »
*
* *
« —Qu’est-ce que tu fais ? »
Les yeux mis clos, une moue boudeuse sur le visage et les cheveux légèrement ébouriffés, Tiya pénètre dans mon bureau à pas lent. Je la regarde traverser la petite distance qui sépare la porte d’entrée du canapé où elle va s’installer, les genoux recroquevillés sous elle-même.
Je souris niaisement. C'est toujours aussi étrange de la voir emplie de douceur et de calme quoi qu’elle tente inconsciemment d’infirmer à travers sa petite moue.
« —J’essaie de faire en sorte qu’au moins une de mes idées de base puisse se concrétiser. Je l’informe en reportant mon attention sur ce qui est sensée représenter un peu plus de trois ans de travail.
—Comment ça ?elle murmure d’une voix à peine audible.
—J’essaie de bosser sur le logo de la gamme “Shine”. »
Et je ne suis pas certain que la phrase “ J’essaie de bosser” soit la plus adéquate. Je gribouillonne. Je tente, je m’enfonce serait plus pertinent.
Pour toutes les gammes précédentes, j’ai dessiné les logos qui ont fini par faire la différence. C’était ma façon à moi d’estampiller mon travail et ma petite reconnaissance, le nom de mon père étant celui qui trône sur chacune de mes réalisations.
Je me suis investi comme un fou pour “Shine” et ce logo que j’étais sensé avoir dessiné devait être encore plus personnel et atypique que tout ceux réalisés jusqu’ici. Mais pour le moment il n’est rien. Il n’est rien qu’un contour floue que j’ai du mal à apercevoir à travers la brume épaisse qui noircit mes idées.
« —T’as pas une agence créa dédié pour le faire?
—Si, mais… ça ne s’est jamais fait. »
Je lui énonce les raisons qui me poussent à créer moi-même ce logo, la signification qu’il a pour moi, et toute l'histoire de “Shine”...
« —Mais quand j’y pense, c’est une réaction un peu égoïste de ma part. Ça c’est peut-être toujours fait de cette façon, mais les choses sont faites pour être changés. Je vais peut-être le laisser entre les mains de l'agence. Ouais, je vais faire ça. je rajoute doucement... Enfin bon. Je dois t’ennuyer avec tout ça. Va dormir, profite, c'est ton jour.
—Tu sais ce que tu devrais faire ? Tu devrais prendre des vacances, des vrais et non les quelques heures que tu grappilles ici et là et que tu appelles vacances. Tu en prends des vrais et tu fais le vide.
—T’as peut-être raison.
—J’ai pas peut-être raison, j’ai raison. elle affirme en se levant de canapé pour s’approcher de moi. Maintenant dépose ton crayon et viens dormir.
—Vas-y, je te rejoins dans quelques minutes.
—Désolée, mais j’ai envie de retrouver mon sommeil maintenant, j’ai donc besoin de mon oreiller.
Elle arque un sourcil plein d’audace comme elle la toujours fait quand elle est déterminer à avoir quelque chose puis me tend sa main pour m’inviter à capituler avant qu’elle n’use de « tactiques » déloyales pour me pousser à faire ce qu’elle veut. Ce que j’accepte.
« —Je ressemble à un oreiller ?je demande en me levant.
—Ton torse est ferme mais depuis que tu as un peu grossi, il a cette pointe de moue qui le rend idéal pour bien dormir.
—J’ai grossi ? Et tu parles de mon tact ? »
Elle éclate de rire argumente qu’elle est une femme et que c’est différent avant de joliment dévier la conversation.
*
* *
—Tiya ! On va finir par vraiment être en retard ! j'hurle assis sur le bord du lit
—Oh ça va hein, je t’ai demandé deux minutes !
—C’était il y a une heure !
—tsssss ! »
Je soupire en regardant l’heure. 20h10, et on a donné rendez-vous à tous ses invités à 20h. D’ici à ce qu’elle finisse et que l’on prenne la voiture, nous y serons si dans une heure.
Mon téléphone dans la main, je continue à échanger avec Kyle, également invité, qui me tient au courant de ce qu’il se passe au restaurant.
Kyle : 20h11
« Alors ? »
Moi : 20h11
« Tjrs ds la douche. Désespérant. Qui est là ? »
Kyle :20h12
« Femme c’est ps la peine koi ! Sinon Tt le monde est là. »
Je fronce légèrement les sourcils devant ce dernier message. Si tout le monde est là, ça veut dire que Jesse et le compagnon d’Emeraude également. Je ne sais pas où il est assis, s’ils ont eu à discuter, s’ils ont tous deux compris que ce soir ils devraient faire profil bas et pleins d’autres interrogations. J’aurai aimé tous les accueillir et leur rappeler à ces deux là particulièrement ce que j’attends d’eux pour la soirée, mais je suis coincé ici… A essayer de comprendre ce qui la pousse à mettre plus de temps que moi dans la salle de bains. J’ai fait un tour au bureau cet après-midi, je suis revenu, elle entrait dans la salle de bains. J’ai eu le temps de continuer un peu mon travail pendant une heure avant d’envisager de me préparer. Elle était encore dans la salle de bains. Il y a un peu plus de quarante cinq minutes, je lui annonçais que j’étais prêt et que l’on pouvait y aller. Elle est sortie de la salle de bains une serviette nouée autour de sa poitrine, une autre en turban sur sa tête, pour me demander deux petites minutes. Depuis j’attends….Et j’essaie de comprendre.
« —Voilà, je suis prête. elle lance en sortant de la salle de bains. »
Elle passe devant moi, en marmonnant, le visage inexpressif, et se dirige vers ses talons.
« —T’étais en train de me presser et maintenant tu restes assis sur le lit ! Après c’est pour dire qu’on est en retard à cause de moi ! »
Ne pas s’énerver, surtout pas s’énerver.
Je prends sur moi pour ne pas commenter ses propos. Au stade où j’en suis, il serait difficile pour moi de contrôler les phrases qui sortiraient de ma bouche et sa pourrait facilement se terminer en prise de tête option, "on annule tout et on reste à la maison chacun dans son coin".
Je me contente de me lever calmement, et d’aller lui ouvrir la porte de la chambre.
Le trajet se fait beaucoup plus rapidement que ce que j’imaginais. Les routes de Brazza se sont fluidifiées comme si elles comprenaient que la suite de la soirée, dépendait d’elles.
« —Enfin les voilà !lance Kyle.
—Il est 21h10 ! J’avais raison ! s’écrit Emeraude en tapant dans ses mains. J’aurais du parié ! »
Des réponses accompagnées d’éclat de rire fusent de toute part abondant dans le sens d’Emeraude ou pas, transformant le restaurant privatisé en joyeuse cacophonie.
« —Très drôle. grogne Tiya, en se penchant vers Jesse pour lui faire la bise.
—Joyeux anniversaire.
—Merci Jesse ! Au moins toi ! les autres là. »
Je remarque que Jesse a fait tailler sa barbe, et à l’air moins sombre que d’habitude, ce qui n’est pas plus mal. Emeraude et son compagnon sont stratégiquement installés à l’opposé exact de Jesse, et je les félicite tous intérieurement pour avoir su s’organiser.
La soirée se déroule parfaitement bien entre les petites anecdotes, les vannes à profusion, la musique de fond et les éclats de rire de Tiya soulignés par son sourire éclatant. J’ai l’assurance qu’elle gardera un bon souvenir de cette soirée et c’est tout ce que je voulais.
« —En tout cas, cette soirée était agréable et je pense qu’on aurait pu en profiter un peu plus si Tiya était venue à l’heure. Dit Kyle. Mais la beauté de ta compagnie arrive à faire oublier l’attente passée.
—Parle pour toi. je lance, l’air indifférent. Plus de deux heures juste pour mettre une robe !
—Une robe qui la met magnifiquement en valeur. Ajoute Emeraude.
—Merci bébé.»
Tiya se penche vers Emeraude, puis elles s’échangent un baiser aérien à quelques millimètres des lèvres de l’une et de l’autre. Ce qui m’a toujours fait soupiré et semble également en faire autant avec Héritier qui attire Emeraude vers lui.
« —C’est à moi tout ça. Pas touche. grogne Héritier attrapant Emeraude fermement par la taille.
—Tu devrais alors lui donner un autre nom. »
Les regards convergent tous vers Jesse, et un silence s’installe sur la table.
« —Pardon ?
—T’as passé toute la soirée à la tenir, la tripoter comme s’il s’agissait d’une vulgaire chose et tu viens finalement de confirmer qu’elle était alors donne lui un autre nom.
—Jesse, s’il te plait. je dis pour apaiser l’atmosphère ambiant qui semble avoir dégringolé.
—Je ne la considère pas comme une chose, c’est ma femme ! rétorque. Elle s’exprime librement, la preuve en est, elle a librement décidé de rester avec moi plutôt qu’avec un autre.
—Héritier. intervient Emeraude.
—Elle a effectivement décidé de rester avec toi, mais son choix n’était pas libre. La pitié l’a imploré pour toi.
—Jesse, je ne te permets pas ! Crie Emeraude.
—T’as vraiment envie de finir ta vie avec ça ? Tu penses même réussir à finir ta vie avec ? Combien de temps tu penses pouvoir tenir ? Tu vas te mentir longtemps ? Ça use énormément, tu le sais. »
Malgré mes interventions, Jesse continue à énumérer ses interrogations faisant fi de toutes les personnes autour de lui. Moi qui pensais que cette soirée aller bien se terminer. J’interpelle de nouveau Jesse qui poursuit son listing, plus dru, plus cassant, à l’endroit d’Héritier. C’est quand ce dernier se lève d’un bond de sa chaise que je décide de réellement intervenir. Je demande à chacun d’entre eux de se calmer, mais leurs esprits respectifs sont échauffés. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, ils se retrouvent tous les deux en face l’un de l’autre, avec Emeraude et moi-même au milieu pour les dissuader de se battre.
« —Et tu penses qu’elle serait assez stupide pour choisir un jardinier ? Tu crois qu’elle va vivre de quoi ? De roses et de pâquerettes ? Elle a besoin d’un homme un vrai, qui prenne soin d’elle et sache répondre à ses besoins. C’est avec ton terreux que tu pensais y arriver ? »
Je sens les muscles de Jesse se contracter sous ma main, et je demande instantanément à Emeraude de calmer Héritier. Je connais bien mon frère et il est ce que l’on appelle un faux calme. Il est extrêmement long à la colère, mais une fois qu’il a atteint le seuil de non retour, il devient incontrôlable et même moi, je deviens impuissant face à lui. Anticipant l’altercation devenu inévitable, je demande l’aide de Kyle pour m’aider à gérer Jesse.
« —Elle n’avait rien à foutre avec un minable comme toi. T’étais qu’une distraction en attendant mon retour. Tiens pour le service. »
Héritier plonge un de ses mains dans sa poche, en ressort une liasse de billet de banque neuf qu’il balance au visage de Jesse.
La réponse de Jesse ne se fait pas attendre. Même avec toute la volonté du monde, il nous aurait été difficile à Kyle et à moi-même de retenir le coup de poing de Jesse parti décocher la mâchoire d’Héritier. Il a été suivi par une série de crochets visant principalement son visage, avant d’Emeraude ne tente de protéger Héritier en faisant barrage avec son corps, et ne se prenne un coup de poing.
« —Ahhhhhhhhhhh ! Mon Dieu ! »
Ses cris ont eu le mérite de calmer Jesse et Héritier, affolés par le sang se répandant à grosse gouttes.
« —Oh mon dieu Emeraude ! hurle Tiya en se ruant sur elle.
— Emeraude je…je suis désolé… je ne voulais.
—Fais voir ton visage, fais voir. lui ordonne Tiya en lui retirant ses mains de son visage. Oh bon sang ! Merde ! »
Toute la partie gauche de son visage s’est retrouvé instantanément boursoufflé…
« —Em’. Bébé je suis désolé.
—Jesse, tu ferais mieux de t’en aller. lui balance sèchement Tiya.
—Je suis…
—Jesse vas-t-en ! hurle Tiya. »
Je le tire vers la sortie, demandant au passage à Kyle de raccompagner Tiya et je ramène Jesse jusqu’à chez lui. Ce qui je faisais pas parti de mon plan initial.