CHAPITRE XVII

Write by Samensa

KARIM

Je regarde les hommes menotter Maya. Sur son visage, se peint une stupéfaction sans nom. Et c’était mon objectif. Qu’elle ne sache même pas ce qui lui tombe dessus.

Hier, avec le détective, nous avons longuement discuté sur son cas. J’ai été stupéfait d’apprendre qu’elle avait travaillé et continue d’avoir des relations avec l’organisation de Marc. J’ai toute suite mis en doute sa parole quant à sa grossesse. Nous nous sommes donc rendus à l’hôtel et avons pu avoir la vidéo de la chambre. Je ne sais pas si je dois remercier le gérant d’être un sale pervers pour avoir mis des caméras dans les chambres mais toujours est-il que grâce à lui, j’ai eu la preuve qu’il ne s’était rien passé. Ensuite, c’est sans problème, qu’une autorisation m’a été accordée pour avoir son historique d’appels et SMS. N’eût été mon sang froid, je l’aurai tuée hier en rentrant rien qu’en pensant au fait qu’elle a permis à Marc de rentrer chez moi et de menacer Safi. Mais il fallait que je reste calme pour pouvoir la confondre ce matin.

Les hommes l’envoient dehors et la font monter dans la voiture. J’espère seulement qu’ils arriveront à lui faire dire la cachette de ce scélérat.

Près de moi, Safi frisonne.

-Waouh, c’est fou comme les gens peuvent être méchants. Et pourtant, je ne lui ai rien fait de mal.

-Tu sais ma chérie, la méchanceté gratuite est partout de nos jours.

-C’est plutôt de la sorcellerie.

-Ecoute, ne te tracasse pas avec cette histoire s’il te plait. Je la serre contre moi. D’accord ?

-D’accord… Allez, allons-nous apprêter, on va être en retard chez le médecin.

-Tu as raison.

J’ai pris rendez-vous ce matin avec le gynécologue pour commencer le suivi de sa grossesse. Comme il ne peut pas déplacer son matériel jusqu’ici, nous devons obligatoirement nous rendre dans ses locaux.

A l’hôpital, nous apprenons qu’elle en est à environ huit semaines et que tout va bien. Et comme le début de la grossesse semble la fatiguer, plusieurs médicaments lui sont prescrits. Sur le chemin du retour, je la taquine gentiment.

-Je suis quand même fort hein ! Il faut le reconnaitre.

-Parce que ?

-J’ai réussi à te mettre enceinte du premier coup !

-Mais qui te dit que c’est du premier coup ?

-Mon intuition.

-Ah toi et ton éternel égo…

-Qui t’a séduit, n’oublie pas de le souligner.

Elle fait la moue alors je la prends dans mes bras pour l’embrasser. Cette femme est mon tout. Chaque jour qui passe ne fait que renforcer mon amour pour elle. Vivement que toute cette histoire soit derrière nous pour qu’on puisse enfin vivre notre vie.

 

MIKE

Sur la table basse de ma chambre, sont posés tout un tas de documents légaux que des avocats m’ont envoyé. Elles ont toutes les deux décidé de divorcer de moi. Beaucoup diront, devant mon histoire, que je l’ai bien cherché mais qui sont-ils pour me juger ?

J’ai rencontré ma première femme quand j’étais encore au lycée. Malgré mes quatre cent coups, nous avons cheminé ensemble jusqu’à se marier un an après mon premier boulot. Quelques mois plus tard, je rencontrais ma seconde épouse. Quand je l’ai vu, j’ai toute de suite su que je la voulais dans ma vie. Je l’ai courtisé en lui cachant que j’étais marié et elle a accepté mes avances. Nous avons fait un mariage à quatre à la mairie. Ce n’était pas facile pour elle d’accepter mais quand j’ai su la convaincre grâce à des arguments ô combien sortis d’une histoire à dormir debout. Mais elle m’a cru. Pour cette dernière, je suis un homme de l’armée qui voyage beaucoup. Et comme elle ne vit pas à Abidjan mais dans le nord du pays, je ne risquais rien. Oui j’étais déjà marié à la mairie. Toutefois dans ce pays, tout est possible quand les bonnes pattes sont graissées.

Jongler entre les deux femmes de ma vie, j’ai réussi à le faire jusqu’à ce que cet imbécile d’avocat vienne s’y mêler. Actuellement, je suis en train de tout perdre. De commissaire, je passe à un simple agent de police avec de surcroit une mise à pied durant l’étude de mon cas par mes supérieurs ; je risque de me faire virer. Et avec les procès qui me sont collés, je serai ruiné avant d’avoir dit « ouf ».

J’avale le verre de gin posé à côté des dossiers. Le dixième ? Le vingtième ? Je ne tiens même plus le compte. Ma gorge me brûle tandis que j’ai les tempes en feu.

Il m’a complètement détruit. Totalement. Et tout ça pour cette pute de métisse.

 

MAYA

La vie en prison n’est pas de tout repos. A cause de ma grossesse, je suis placé dans des cellules qualifiées de meilleures malgré la crasse qui y est. A mon arrestation, ils m’ont demandé des informations sur Marc. Dieu seul sait que je leur aurais tout dit si je savais quoi que ce soit. Malheureusement, je n’en ai aucune idée. Depuis trois mois, cet idiot sait que je suis ici et enceinte de lui mais ne lève aucun doigt pour me faire sortir.

Un des gardiens me fait signe que j’ai reçu de la visite. Je suis conduite dans les box de discussion. Maman m’attend assise sur une chaise. Et à sa mine, rien de bon ne s’annonce.

-Bonjour maman.

-Maya ma fille, tu vas bien ?

-A ton avis ? Dis-je en lui montrant ce qui nous entoure. Ecoute, dis-moi pourquoi tu es là pour qu’on en finisse le plus tôt possible.

-Un peu de respect ! Je suis la seule à venir te voir dans ce trou perdu alors ne fais la maligne avec moi.

Et elle a bien raison, elle est la seule.

-Maman, de grâce dis-moi ce que tu me veux.

-Je suis venue te dire qu’on ne pourra plus t’envoyer de l’argent régulièrement.

-Pardon ?

-Dorénavant, on ne pourra plus t’envoyer de l’argent chaque semaine.

-C’est une blague ? Maman, ça veut dire quoi ?

-Tu sais que depuis que tes comptes sont gelés, ton père et moi prenons tout en charge.

-Mais vous avez de l’argent non ?

-Plus maintenant

-Maman, dis-moi ce qui se passe au lieu de tourner autour du pot.

-Nous sommes au bord de la ruine. Safi a repris son héritage.

J’écarquille les yeux d’étonnement.

-Karim a réussi à nous faire plier. Et nous avons dû payer en plus des dommages et intérêts. C’est vraiment dur de joindre les deux bouts.

-Maman, tu me mets dans la merde là.

Je tremble rien qu’en pensant à ce que je subirai de la part de autres détenues. C’est grâce à l’argent que je n’ai pas trop de problèmes ici. Je paie les filles pour qu’elles me foutent la paix mais si je n’en ai plus, je suis quasiment morte.

 

KARIM

Je regarde la femme à mes côtés dormir. Couchée sur le côté, son ventre bouge au rythme de sa respiration. Elle entame son sixième mois de grossesse. Grossesse qui n’a pas été de tout repos pour les débuts. Elle a été malade quasiment tout le temps. Pour une première grossesse, gémellaire de surcroit, elle a du mal à supporter. Oui, nous attendons des jumeaux. Pour l’instant, les sexes sont inconnus car elle veut que ce soit une surprise.

Dans notre vie, tout va pour le mieux. C’est comme le beau temps après la pluie. Mais ne dit-on pas que le calme précède souvent la tempête. Et c’est bien ce qui me fait peur. C’est trop calme comme si toutes les menaces ont été effacées d’un coup de chiffon. Bien trop facile.

Safi ouvre les yeux et me regarde en souriant.

-Salut toi.

-Salut bébé. Comment tu te sens ?

-Grosse, lourde et affamée. Dit-elle en tournant sur son dos. Quelle heure est-il ?

-16 h30.

-Mais Karim, je t’avais dit de me réveiller avant 15h. J’ai rendez-vous avec la couturière !

Elle se met rapidement debout, fait sa toilette et vient changer de vêtements devant moi.

-Je t’accompagne ?

-Non, je vais avec le chauffeur. Au moins lui il ne me presse pas quand j’ai envie de papoter.

-Papoter ? Parler pendant deux heures d’affilées, c’est papoter ? Dans ce cas, vas avec le chauffeur. J’ai mieux à faire.

-Je le savais.

Elle m’embrasse rapidement et sort de la chambre.

 

SAFI

Je finis chez la couturière aux environs de 19h. Je demande au chauffeur de m’emmener dans une pâtisserie du coin car j’ai une envie folle de glaces et les pots à la maison sont tous finis.

Il gare sur le parking mal éclairé. Je lui demande de m’attendre dans la voiture car je ne durerai pas.

Dans la pâtisserie, je prends plusieurs pots de glace puis je me rends au comptoir. Une envie pressante se fait sentir. Je dépose mon paquet sur une table puis me dirige vers les toilettes que la caissière m’indique gentiment.

Ces gens ont vraiment un problème avec la lumière ou quoi ? Même le couloir est mal éclairé. Je suis en train de ruminer intérieurement lorsque je heurte une forme dans le noir et manque de m’étaler. Heureusement que je trouve appui sur le torse d’un homme.

-Oh mon Dieu ! Merci monsieur, sans vous je…. Mike ?!?

L’homme qui se tient devant moi est bel et bien Mike. Karim m’a tout raconté à son sujet et je sais qu’actuellement, il est loin d’être un agneau.

-Que fais-tu ici ?

Nerveuse, je pose la main sur mon ventre rebondi pour me rassurer. Il ne dit rien. Il me regarde de ses yeux injectés de sang. Son odeur : un mélange affreux d’alcool et de drogue. J’ai travaillé dans un bar, je m’y connais.

-Bonsoir Safi.

Sa voix rauque me fait trembler d’effroi. J’ai peur mais je reste calme, à cause de mes bébés.

-Bonsoir Mike.

-Ça fait vraiment longtemps. Tu es toute belle avec ton ventre.

Il me touche les cheveux.

-Il doit être heureux, n’est-ce pas ?… Ah Safi… Tu sais que j’aurai pu te donner tout ce que tu voulais. Mais tu n’as pas voulu. Et ton petit avocat et toi avez gâché ma vie en retour.

-Mike, je …

-Chuut ! Tais-toi.

Il pose ses doigts sur ma bouche. Je déglutis, dégoutée. J’essaie de me rebrousser chemin mais il me saisit le poignet.

-Je n’en ai pas fini avec toi. Reste là !

- Lâche-moi !

J’essaie de me débattre pour m’en aller. Quelques secondes plus tard, je me retrouve couchée à terre. J’ai horriblement mal au ventre car je n’ai pas pu amortir ma chute en tombant. Je rampe pour sortir de là. Il me suit en marchant après moi. Dans la pâtisserie, des voix, des rires, de la musique. Je prie pour qu’il vienne à l’idée de quelqu’un de s’aventurer par ici. Mon souffle se coupe lorsque je reçois un coup dans le ventre. Un deuxième coup part avant que je n’ai le temps de me rendre compte de ce qui se passe.

-Alors maintenant, appelle le pour qu’il vienne te sauver !

Avec la douleur, je n’arrive pas à me recroqueviller comme je le veux.

-Il est où hein ? Un autre coup de pied part.

Cette fois-ci, je me retourne rapidement et le reçois dans les cottes. Mes larmes coulent. Soudain des pas se rapprochent. Mike s’enfuit immédiatement. Une femme entre dans le couloir et pousse un cri en me voyant.

Bientôt, je suis entourée de personnes qui me soutiennent pour me faire sortir de là. Dès que je suis debout, je m’aperçois avec horreur que le sol et mes vêtements sont tâchés de sang. J’éclate en sanglots. Non, pas mes enfants. Seigneur, non.

Surement attiré par le remue-ménage, mon chauffeur fait son entrée. Son visage se décompose littéralement en me voyant. J’ai mal, très mal. Je me sens au bout de lâcher prise et de sombrer. Mais je refuse d’abandonner mes bébés. Je lutte contre l’envie de fermer les yeux et de me laisser aller dans la torpeur.

-Appelle Karim ! Appelle Karim !

C’est tout ce que j’arrive à prononcer. Je demande aux gens de m’emmener à la voiture pour que je sois conduite à l’hôpital. On ne peut pas se permettre d’attendre une ambulance car elle ne se pointera pas ici dans moins de 10 minutes comme dans un film.

Couchée sur la banquette arrière de la voiture, je garde les yeux ouverts et continue de prier Dieu de sauver mes enfants.

 

KARIM

Dans la bonne humeur, je discute avec Bintou. Je viens de la trouver en train de suivre une novelas sur la première chaine de télévision. Je la charrie un peu sur le fait que ces séries n’apportent rien de bon à qui que ce soit. Je ris en la voyant se débattre avec les arguments pour me convaincre.

Mon téléphone sonne : le chauffeur. Je décroche l’appel, le sourire toujours aux lèvres. Ce sourire s’efface quand il m’annonce la nouvelle. Safi. Nos bébés.

Bintou est étonnée quand elle me voit me lever brusquement et prendre les clés de la voiture.

-Karim, ça va ?

-Non, Safi est à l’hôpital.

-Quoi ?

-Appelle maman et retrouvez-moi à l’hôpital. Je vous enverrai le nom tout de suite.

J’arrive très vite à l’hôpital. Le médecin présent m’annonce qu’elle est dans un état critique. Il ne veut pas me laisser la voir. Aussi, je pique une crise, menaçant de brûler la clinique quand il me demande de l’argent avant de commencer les soins. J’ai juste envie de lui taper dessus. Est-ce l’argent qui me manque ? C’est quoi ce système pourri ? L’argent est plus important que la vie humaine ?

Je paie la somme qu’il demande pour les premiers soins et appelle des connaissances à la polyclinique de Cocody pour que Safi soit rapidement transférée.

Ma mère arrive bientôt accompagnée de Bintou et essaie de me calmer lorsque je me mets à frapper le mur de mes poings.

Bordel ! Personne ne comprend que j’ai juste envie de savoir qu’ils vont bien ?

 

 

 

MON AVOCAT, MON PROT...