Chapitre XXIV
Write by Tiya_Mfoukama
Chapitre XXIV
Ce qu’il y a de plus dur dans les décisions, ce n’est pas le fait de les prendre mais de les assumer et jusqu’au bout. La peur des conséquences qu’elles peuvent occasionner nous pousse à réfléchir à plusieurs reprises avant de définitivement les prendre. Mais il n’empêche qu’une fois actées, on se questionne bien souvent sur elles. On se demande si c’étaient vraiment les bonnes, s’il n’y en avait pas de meilleurs, si on ne s’est pas trompé, si on ne court pas à la catastrophe etc.
Toutes ces questions, je suis en train de me les poser. Par rapport aux décisions que j’aie prises, et plus particulièrement, celle de divorcer.
Toutes les fibres de mon corps, ma raison, ma conscience me disent que c’était la meilleure chose à faire, qu’il n’y avait pas d’autres alternatives, mais mon cœur…
Mon cœur lui, me dit d’essayer encore. De lutter, de persévérer, d’espérer encore et encore car il finira par comprendre, par se rendre compte.
Assise sur le carrelage froid de ma chambre, je me serre de mon genou comme appuie pour poser ma main et soutenir ma tête. J’ai l’impression qu’elle pèse des tonnes et des tonnes. Chaque jour, elle devient un peu plus lourde. J’ai pourtant retiré mes extensions. Chez le coiffeur, il y a trois jours. Je les ai défrisés, et ils sont dorénavant lisses, fins tout en étant fournis et m’arrive aux épaules. Mais ça ne change rien, même défrisés, ils paraissent accentuer le poids pesant de ma tête. Ça fait plusieurs jours que je pense sérieusement à me couper les cheveux et enfin me débarrasser de ce poids. Je devrais peut-être le faire aujourd’hui. Tout comme je devrais parler avec Shomari.
C’est tellement dur, c’est tellement dur !
J’ai connu le meilleur de cet homme, je sais ce qu’il est capable de faire avec le cœur. Je connais la douceur de ses gestes le matin, le sourire qui se cache dans ses yeux pétillants de malice, la puissance de ses bras protecteurs, les bienfaits que procurent les murmures de ses paroles réconfortantes dans le creux de l’oreille après un moment de faiblesse.
J’ai connu le Shomari, le vrai ! L’homme compatissant, qui glisse discrètement quelques billets dans les mains d’handicapés qui font la manche, qui prend son pick up est fait monter à l’arrière des travailleurs fatigués d’une journée éreintante, attendant le bus, l’homme présent pour sa famille comme pour ses amis, l’homme rieur, légèrement moqueur, l’homme affectueux et j’en passe.
Tout ça !
J’ai connu tout ça de lui, et j’ai du mal à me dire que je ne le reverrai plus, que je renonce définitivement à lui.
« Toc, toc, toc »
J’essuie rapidement, les larmes qui cheminent sur mes joues, du revers de la main, puis présente à Elodie un sourire qui craquèle mes lèvres à mesure que je les étirent. Ces derniers temps, elles se laissent humecter par mes larmes salées qui ne tarissent pas.
Aujourd’hui, j’ai dû faire un effort pour ne pas craquer, pour ne pas pleurer. Ce n’est que maintenant, durant ce petit temps mort, seule dans la chambre que je me suis épanchée, juste assez pour pouvoir tenir…
-Ça va ?
-Ouais.
-….
Elle s’approche de moi, me regarde de cet air qui ne la quitte pas depuis plusieurs jours. C’est un mélange entre la pitié, la tristesse et je ne sais pas trop quoi. De la peine peut-être. Je ne la regarde jamais assez longtemps pour déchiffrer le troisième.
Ça fait mal de lire dans les yeux des autres de la pitié, ça n’aide pas, bien au contraire. Je crois qu’elle le sait et que c’est la raison pour laquelle, qu'il passe de façon furtif, et est très vite remplacé par un sourire.
Elle me rejoint sur le carrelage, me prend dans ses bras et je me retiens d’éclater en sanglots. Si je craque maintenant, je n’irai pas au bout, j’en suis certaine.
-Ça va aller ma puce, ça fait mal au début mais avec le temps la douleur s’estompe.
-….
Au bout de combien de temps ?
-Tu lui as parlé ?
-…. Non, pas encore. J’attendais le retour de Philomène, pour le dernier transport. J’irai avec lui, et j’en profiterai pour discuter.
-D’accord. Si tu as besoin de moi, tu sais que je suis là
-…
Pour toute réponse, je la serre avec la force qu’il me reste.
Les luttes mentales sont encore plus épuisantes, plus marquantes et plus profondes que les luttes physiques. Je l’apprends un peu plus chaque jour à mes dépens.
-Merci Elo.
-T’as pas à me remercier.
Oh que si, mais le simple « merci » n’est pas assez.
Je reste dans ses bras un long moment, jusqu’à ce que Philomène le chauffeur vienne déposer l’avant dernière partie de mes affaires.
Tout le week-end était dédié au déménagement de mes affaires vers mon ancienne maison, qui redevient de fait ma nouvelle demeure. Elle est petite mais fonctionnelle et nous ne sommes que deux Wani et moi. Elle devrait nous abriter pendant un petit moment. Quand j’estimerai qu’elle sera trop exigüe pour nous, je la mettrai en location.
Elodie et moi aidons Philomène et ses deux amis à décharger mes affaires de l’arrière du pick up et une fois fait, je m’installe à ses côtés pour le dernier trajet, après avoir payé et remercié ses deux amis qui nous quittent.
-C’était vraiment gentil de nous avoir aidé. Dis-je la vitre baissée. Il nous aurait fallu plus de temps si vous n’aviez pas été là.
-Y’a pas de quoi.
Je remonte la vitre puis mets ma ceinture de sécurité pendant que Philomène manœuvre.
Durant le trajet, il m’informe qu’il ne reste qu’un carton dans ma chambre et que tous les autres se trouvent dans la petite cour avant.
La distance entre sa maison et la mienne ne m’a jamais paru aussi proche pourtant, nous sommes à trente minutes voire plus en temps normal.
En arrivant, chez Shomari je l’aide à installer mes derniers cartons à l’arrière du pick up, puis lorsqu’il n’en reste plus que deux, je pénètre dans la maison, et file directement dans ce qui ne sera plus ma chambre d’ici une dizaine de minutes, sans passer par la cuisine d’où j’entends du bruit. Je ne suis pas spécialement pressée de me retrouver face à lui. Ça me laisse un peu de répit avant de l’affronter une dernière fois.
En ouvrant la porte de ma chambre, je suis frappée par la froideur qu’elle renvoie. Je ne l’ai jamais trouvé très accueillante, mais la voir aussi vide ne l’arrange aucunement. Plus rien ne garnit les commodes, armoires et mûrs. Totalement vidée de tous mes effets, elle est encore plus impersonnelle que jamais. Tous les vêtements ont été transportés chez moi, et les derniers cadres, décorations murales, se trouvent dans un carton posé au milieu de la pièce
Je le récupère, puis après avoir balayé la chambre une dernière fois du regard, je sors de là pour rejoindre la cuisine.
Contrairement à ce que je pensais, ce n’est pas Shomari mais Pénélope qui est en cuisine.
C’est bien la première fois que je la vois à cette heure-ci à la maison. J’imagine que maintenant qu’elle est seule avec Shomari, elle sera beaucoup plus présente…
-Bonsoir.
-Bonsoir.
-Je pensais que Shomari était là.
-Comme tu peux le voir, ce n’est pas le cas.
-En effet. Je vais y aller. Au revoir.
-…. J’espère pour toi que tu te bats plus dans la vie que tu ne te bats en amour.
-Pardon ?
-Dans cette histoire, je suis gagnante par abandon, et je ne vais pas m’en plaindre mais s’il m’avait regardé une seule fois comme il te regarde… je serais resté et je me serais battue.
Pexplexe, je fronce des sourcils ne comprenant rien à ce qu’elle est en train de me dire. Ça n’a aucun sens. Elle est gagnante par abandon mais que gagne-t-elle ? Shomari ? Elle l’a déjà gagné depuis bien longtemps, il n’y a aucun doute la dessus ! Et cette histoire de regard. Il y a bien longtemps que j’ai pu déceler un sentiment autre que la colère et le mépris envers moi, dans les yeux Les yeux de Shomari.
Elle doit faire référence à autre chose mais je ne saurais dire de quoi il s’agit.
Ses propos sont étranges et je n’ai vraiment pas envie de me plonger là-dessus et les décortiquer. De toutes les façons, je n’ai pas la tête à ça. La fatigue accumulée ses dernières 48 heures commence à se faire sentir. Il vaut mieux pour moi que je rentre.
Je secoue légèrement ma tête, puis sors de la cuisine sans rajouter quoi que ce soit.
Philomène est adossé à la portière du pick-up côté passager, son téléphone en main. Du menton, je lui indique le carton et hausse les épaules pour lui faire comprendre que je ne sais pas comment le placer. Il cale son téléphone entre son oreille et son épaule, puis me prends le carton des mains.
J’inspecte la cour pour m’assurer qu’il ne reste plus aucun carton avant d’aller m’installer sur le siège passager.
Ça y est, c’est bon, je viens d’accomplir la dernière étape. Il ne me reste plus qu’à attendre une dizaine de jours, afin que le divorce soit prononcé.
Tout va redevenir comme avant… ou presque.
Je fouille la ruelle du regard, à la recherche de la voiture de Shomari. C’est plus fort que moi. Je voulais le voir, avant de retourner définitivement chez moi, avant de ne plus être sa femme, avant de simplement être la mère de son premier enfant, avant qu’il ne soit que cet homme que j’aime, qui hante mes nuits par le seul fait de sa voix ou ceux des effluves de son parfum, et que je ne peux avoir, comme avant… ou presque.
La nuit est doucement en train de tomber, et la chaleur de la journée devrait laisser place à la fraicheur des débuts de soirées sauf que j’ai l’impression qu'elle ne fait qu’augmenter.
Dans l’habitacle de la voiture le climatiseur est en marche, mais je peux sentir les auréoles sous mes aisselles s'agrandir et imbiber ma chemise.
J’essaie de me ventiler en battant des mains, ce qui ne sert à rien, la température ambiante de la voiture doit avoisiner les 17 degrés, mais qu’à cela ne tienne, je continue de brasser de l’air, comme si cela pouvait changer quelque chose.
Je ne le vois toujours pas, il n’est pas là, et ne rentrera probablement pas tant que je serai là.
Il faut que je me rende à l’évidence, il s’en moque éperdument. Il ne s’agit de rien pour lui, si ce n’est la fin de son calvaire. J’étais le boulet qu’ils devaient trainer, sa femme et lui. Dorénavant, ils seront plus libres.
-Madame, vous allez bien ? Me demande Philomène en prenant place sur le siège conducteur.
-Oui.
-Ça n’a pas l’air. Dit-il, l’air inquiet. Vous êtes toutes pales et transpirez à grosses gouttes.
-Non, c’est rien. Ce n’est que le contrecoup de la journée. Demain matin, il n’y paraitra plus rien.
Je lui souris et passe une mèche imaginaire derrière l’oreille. Ma tempe est complètement trempée ! Je dégouline littéralement.
Je dois me relaxer. Si même le chauffeur que je connais depuis quelques semaines s’en rend compte, c’est que j’arrive au bout.
-Je dois remettre à mon client d’hier l’un de ses téléphones portables qu’il a oublié, ça vous dérange si nous passons par chez lui pour le lui remettre ? C’est sur notre route.
-Non.
-D’accord.
Je me laisse bercer par les ronronnements du moteur, et laisse mon esprit vaguer à travers les différents paysages qui s’offrent à moi. C’est mieux que de se concentrer sur ce qu’il se passe en moi actuellement…
Mieux qu’affronter un flot regroupant toutes ses émotions qui m’affectent sans que jamais je ne dise quoi que ce soit.
Je suis une bombe émotionnelle prête à exploser si je ne trouve pas une solution rapide pour me canaliser.
-On est arrivés. M’informe Philomène en coupant son moteur. Je vais l’appeler.
Je compte mentalement durant l’attente, en fixant mon regard sur un point se trouvant loin devant moi. Ça me fait du bien d’une certaine façon, mais ce n’est pas assez.
-Bonsoir ?
-…
Je me retourne vers la grosse voix qui vient de nous saluer.
J’étire encore une fois mes lèvres dans ce qui devrait ressembler à un sourire puis reporte mon attention sur le point se trouvant loin devant.
La route est déserte, personne ne s’y promène. Elle est complètement vide.
Une larme coule, suivie d’une seconde, d’une troisième… Je les essuie du revers de la main. Je lui avais dit que j’aimerais lui parler, ça ne devait pas l’intéresser. Pourquoi suis-je si étonnée ?
*****
01H54.
Depuis quand je tiens plus l’alcool ? J’en bois toujours avec excès et je tiens sans problème, mais aujourd’hui, j’ai eu du mal. J’ai eu un mal fou à boire. J’ai ressenti chaque gorgée des liqueurs ambrées que j’aie consommée me brûler la gorge.
Ma tête est en train de tourner, les mouvements en face de moi prennent des inflexions que je n’explique pas. Pas dans mon état. Faut que je rentre dormir. Je le sais, mais je ne bouge pas.
Ça va faire deux heures voire plus que je suis en face de chez elle, que je dois partir mais que je ne fais rien.
Elle voulait qu’on discute, elle me l’avait dit, en début d’après-midi. Je ne voulais pas, pas à ce moment là, alors je suis parti. J’ai fui. Mais là, je suis prêt, prêt pour discuter avec elle.
Je suis planté là comme un con, à attendre un signal qui ne vient pas.
Je voulais également lui parler. De quoi exactement, je ne sais plus trop. De Salomé, d’elle, de moi, de nous deux, de nous trois. Ouais c’est ça, je voulais lui parler de nous trois. Lui dire que je ne lui en veux plus, plus comme avant. Salomé est là, c’est la meilleure chose qu’il me soit arrivé. J’aurais pas dû coucher avec Peny, mais elle sait donner envie, et j’avais besoin de baiser. Mais je le referai plus si ça la dérange.
Non, pas si ça la dérange, je le referai plus tout court. Mais dans ce cas, il faudra qu’elle se montre coopérative. On a tous les deux merdés, on est quittes ?
Putain mais qu’est-ce que je raconte ?
Je veux juste lui dire trois petites phrases.
Même avec un gramme d’alcool dans le sang, je devrais y arriver. C’est important pour nous.
« Pardonne-moi Mwana, je suis un con.
Je t’aime.
Reviens. »
Ouais, je peux le faire. C’est pas trois phrases qui vont me dépasser !
-Vas-y !
Je m’encourage à vive voix. Ça sonne plutôt bien à mon oreille. Encore un doigt de cette liqueur contenu dans le petit sachet en papier marron, posé sur le siège passager pour me donner du tonus. Ça ne peut que me faire du bien !
J’ouvre la portière et me prends la brise du soir en pleine figure. Je titube.Elle était un peu trop forte pour une brise, mais là, je… je suis prêt ! Genoux fléchi position de combat, elle peut revenir, cette putain de brise, j’ai pas peur.
-Tu me mettras pas à terre !
« TU ME METTRAS PAS A TERRE ! »
Hein, hein ?
Qui ? Qui répète après moi ? Qui ose !
Je tournois dans tous les sens pour trouver la personne qui me singe, mais excepté un tournis et une vision encore plus abstraite, je vois personne.
Je laisse tomber, je dois me concentrer sur Mayéla, c’est pour elle que je suis là.
-T’as de la chance, p’tit con. Je t’aurais cassé la gueule !
Ouais, je lui aurais cas…ca…casser la gueule ! On me singe pas moi !
Je marche jusqu’au portail et toque doucement. FAUT PAS REVEILLER LA PETITE. JE DOIS SEULEMENT PARLER A SA MERE, MA FEMME. ELLE EST ENCORE MA FEMME !
Mais pourquoi elle met un temps à ouvrir ?
« TOC, TOC, TOC, TOC, TOC, TOC, TOC, TOC, TOC »
-Qui est-ce ?
-C’est.. Moi ! Moi Ton Mari !
-Quoi ?
-C’est OI.. Moi…moi ! Hic ! Shomari ! Ouvre, je dois t’parler !
Je m’éloigne légèrement quand j’entends la serrure. Je m’arrange un peu et époussette ma veste. Je suis présentable, toujours… Mais mes vêtements eux… C’est autre chose.
-Shomari ? Qu’est-ce que tu fais ici à une heure pareille ?
La lumière de son perron est assez élévée pour que je puisse parfaitement la voir… Et malgré tout l'alcool ingurgité, je vois que ses yeux sont bouffis et rougis. Elle a pleuré. Beaucoup.
Je n’aime pas savoir qu’elle a pleuré. Qui la fait pleurer ? Ce n’est pas important. Je vais lui sécher ses larmes. Je vais lui dire ce que j’ai à lui dire et elle va arrêter de pleurer.
-Je… y’a un con qui me singeait dans la rue… J’allais, hic… Tu sais…
-Shomari tu es saoul ?
-Non ! Hic … Je.. Mwana. Reviens-moi con. Pardon j’aime.
-Quoi ?
-Je…hic ! J’aime moi. Pardon con mwana… C’est si…
-Shomari tu empestes l’alcool. Rentre chez toi !
-Non ! YE..importante, dans l’affaire ! C’est…
-Rentre chez toi Shomari !
« BAM »
Non, Non Mwana, c’est pas ça !
Je voulais te dire que je t’aime ! Merde !
Je t’aime. Putain.