Chapitre XXIII
Write by Tiya_Mfoukama
Chapitre XXIII
Mais qu’est-ce que je voulais dire ?
Pfff, fait chier !
Ça ne sert à rien d’essayer de travailler, rien ne veut rentrer, tout est mélangé. Je viens d’écrire trois fois le même début de phrase, soit une demi-heure à bugger sur trois lignes. En réalité une puisque c’est la même chose.
-Autant fermer cette connerie.
Je rabats fortement l’écran de mon pc et sors de mon bureau. Je vais aller marcher, courir, me défouler un peu. Faire autre chose que rester assis ici à rien faire !
J’ai besoin de me défouler, d’évacuer tout ce qui vient de monter en moins trois heures. Un footing à 23h dans les rues de Brazza ?
Pas le choix, je me vois pas rappeler Peny. J’ai besoin d’évacuer autrement.
Je suis déjà en jogging, je vais passe par ma chambre, enfiler une paire de basket, attraper mon ipod. La musique à fond dans les oreilles m’aidera à ne pas réfléchir. Parce que j’ai besoin de tout sauf réfléchir actuellement.
Me vider l’esprit, juste me vider l’esprit.
Le couloir à beau ne pas être éclairé, j’arrive à discerner la silhouette de Mayéla, tentant discrètement d’accéder à sa chambre.
Je tends la main vers l’interrupteur se trouvant à l’entrée de mon bureau pour éclairer une petite partie du couloir.
-Bonsoir !
« AH »
Elle pose la main sur sa poitrine et je peux entendre les battements saccadés de son cœur d’où je suis.
L’air soulagé, elle souffle à plusieurs reprises, pour reprendre un rythme cardiaque régulier.
-Bonsoir. Tu m’as fait peur.
-Désolé, c’était pas le but… Tu viens d’où ?
Elle lève un sourcil interrogateur, vers moi puis bredouille, je ne sais quoi en farfouillant dans son sac.
Elle se fout de ma gueule ou elle se fout de ma gueule ?
-J’ai pas entendu ce que tu as dit.
-Parce que je n’ai rien dit. Excuse-moi mais je suis fatiguée, ma journée a été longue.
-Et le rendez-vous avez ton avocat l’a allongée ? Complété-je
Elle soupire en baissant la tête puis esquisse un petit sourire en coin avant de relever ses yeux vers moi.
Donc, cette histoire d’avocat est belle et bien vraie.
-C’est ça. Confirme-t-elle une fois pour toute.
-Et on peut savoir pour quelle raison tu es partie voir un avocat ?
-Pour finaliser avec lui la requête pour le divorce.
Elle le dit calmement, avec le ton lasse qui l’accompagne lorsqu’elle est fatiguée, mais dans ses yeux, je vois de la détermination.
-Tu veux divorcer ?
-Oui. Enfin tu me diras. Lance-t-elle sur un ton sarcastique. On en reparle demain. Bonne nuit.
Elle passe devant moi, laissant derrière elle, son parfum vanille et coco que je retrouve souvent sur les vêtements de Salomé.
« On en reparle demain. Bonne nuit » ? Vraiment ?
Je voudrais l’interpeller pour lui demander de me répéter ce qu’elle vient de me dire, parce que je ne suis pas certain d’avoir entendu. Mais elle se retrouve bien trop vite dans sa chambre, et verrouille tout aussi vite sa porte.
Elle a vraiment dit qu’elle voulait divorcer ?
Je me gratte la mâchoire, pas certain d’avoir bien entendu.
Elle n’a pas dû dire ça. J’ai dû mal entendu. C’est même certain, j’ai mal entendu.
Le divorce est inconcevable chez Mayéla. Elle est très croyante, et voit d’un mauvais œil le divorce, puis côté famille, elle a tellement peur du regard des membres de la sienne, qui jugent constamment ses actes, que je la vois très mal aller devant eux pour les informer qu’elle veut divorcer. Et le plus important, c’est que le divorce implique une séparation. Elle pourrait avoir des répercutions sur Salomé, tout ce qu’elle ne supporterait pas.
Ouais, j’ai dû mal entendre, me dis-je en allant vers ma chambre. Elle n’a pas parlé de divorce.
Convaincu d’avoir mal entendu, je renonce à aller courir et vais m’allonger dans mon lit pour dormir. Mais je n’y arrive pas.
On dirait que Morpheus ne veut pas de moi.
Fatigué de compter des moutons imaginaires, de garder les yeux rivés sur le plafond, je finis par me lever, remettre mes chaussures puis prendre mes clés de voiture et rouler jusqu’à chez Gui-Gui.
J’ai toujours les clés de chez lui et je m’en sers pour ouvrir son portail et sa maison.
Je vais dans la cuisine me préparer un petit dej’ en faisant exprès de faire un maximum de bruit.
-On peut savoir pourquoi tu viens réveiller les honnêtes gens ? Grogne-t-il en apparaissant dans l’embrasure de la porte.
-…
-T’es conscient qu’il est … 4 heures du matin ?
-Mayéla veut demander le divorce. Lancé-je avant de prendre une gorgée de café.
-Ah.
-Tu le savais ?
-Non. Lance-t-il en prenant une chaise.
Je suis ses mouvements, pas très convaincu de ses propos. Je sais qu’ils sont proches, qu’ils ont développé une relation « similaire à celle d’un grand frère et une petite sœur » si je me fis à ses paroles.
Quand je sais ce qu’il ressent pour elle, je me demande souvent comment il fait pour croire à son mensonge mais comme il ne tente rien avec elle. Je rentre dans le jeu et laisse passer. Excepté ce soir.
-Je ne m’adresse pas à mon pseudo beau-frère qui va forcément chercher à protéger sa pseudo petite sœur, mais je m’adresse à mon meilleur ami, mon frère depuis toujours. Elle t’a parlé d’un divorce ?
-Peu importe à qui tu t’adresses Ari, la réponse est toujours la même. Non, elle ne m’a rien dit. Et si ça avait été le cas, je te l’aurais dit, tu le sais. Mais toute façon, tu ne devrais pas être surpris.
-Elle me parle de divorce et je devrais pas être surpris ?
-Tu baises ta première femme, alors qu’elle est là, sans jamais la toucher. Tu l’ignores royalement la plus part du temps, et quand tu te rappelles de son existence, c’est pour l’insulter, et tu es surpris qu’elle demande le divorce? La vraie surprise c’est qu’elle ait tenu pendant une année.
-…
-T’as quand même pas cru que t’allais avoir le beurre, l’argent du beurre et la crémière toute ta vie. A force de tirer sur la corde, il faut pas s’étonner quand elle se casse.
-J’ai l’impression que ça te fait jubiler.
-Non Shomari. Ça ne me fait pas jubiler. Je trouve ça dommage que tu aies laissé cette histoire aller aussi loin. Il t’aurait suffit de mettre ta fierté de côté et reconnaitre que tu l’aimais. Aujourd’hui tu serais pas en train de paniquer à l’idée de la perdre mais tu serais avec elle.
-Mais qu’est-ce que tu racontes ?
-Tu peux la faire à l’envers aux autres mais pas à moi. Si ce n’est pas parce que tu as peur de la perdre, dis-moi ce que tu fous chez moi à une heure aussi matinale ?
-….
-C’est bien ce que je me disais.
*****
J’en ai marre de porter les cheveux longs. Je dois constamment les brosser chaque matin et chaque soir. Quand je suis fatiguée, je me force quand même à m’asseoir devant ma coiffeuse pour les brosser. Des pointes à la racine pour ne pas les emmêler encore plus. Mais là, ça me fatigue vraiment. J’ai bien envie de me faire une coupe courte mais je ne sais pas. Je les ai jamais portés court. Je ne suis pas certaine que ça m’aille.
S’il me reste encore du courage, et de la force après mon rendez-vous, je le ferai peut-être.
Encore faudrait-il que j’ai la force d’aller jusqu’au rendez-vous.
-T’as déjà fait le plus gros Mayéla. Ce n’est que la fin.
Et quelle fin !
Je pensais vraiment pas que je le ferai, que j’y arriverai et pourtant. Je l’ai fait. J’ai enfin osé demander le divorce et informer les parents de ma décision. Ça a pris du temps mais je l’ai finalement fait. Tout le monde est au courant et il ne reste qu’à laisser le processus s’enclencher.
Je ne m’imaginais pas à 28 ans, divorcée avec un enfant et m’apprêtant à retourner dans ma petite maison, mais, je n’avais plus le choix, c’était nécessaire. Voire vital.
J’étais déjà âgée de 9 ans lorsque ma mère s’est remariée. J’étais consciente que son mari n’était pas mon père, et avais l’impression qu’il me faisait la faveur de remplacer le mien, le défaillant, celui qui m’a abandonnée. Pour cela, je faisais toujours en sorte de le rendre fier de ne jamais le décevoir. D’exceller à l’école, dans mon travail, dans ma vie en général. Je crois qu’il n’avait pas idée de la pression que j’avais sur les épaules.
J’assimilais, et inconsciemment, j’assimile encore toujours, le fait d’avoir un père au mérite.
Il faut être méritant pour avoir un père, surtout quand celui qui nous a été donné a préféré partir. Il faut montrer au nouveau qu’en nous acceptant comme enfant, il n’a pas fait le mauvais choix, qu’il ne sera pas perdant, ni déçu.
C’est ce qui m’a fait tenir aussi longtemps dans cette maison. Son regard à lui, mon père, et ce qu’elle ressentirait, elle, ma fille. Je voulais que jamais elle ait le sentiment qu’elle doive mériter la présence de son père dans sa vie. Et en la séparant de lui, j’avais peur d’être à l’origine de ce sentiment. Il l’avait déjà rejeté une première fois, lorsqu’elle était encore dans mon ventre et j’avais peur que la séparation soit un prétexte pour la rejeter une nouvelle fois. Mais la nuit où Wani a eu une grosse fièvre, que j’ai vu Shomari complètement paniqué, abandonné tous ses dossiers pour rester près d’elle, j’ai compris une chose ; Il avait autant besoin de Wani, qu’elle avait besoin de lui.
Après avoir pris conscience de ce fait, j’avais été apaisée, soulagée pour ma fille. Je comprenais qu’elle ne subirait jamais ce stress, cette angoisse, cette pression que j’avais subie puisqu’elle était certaine, d’avoir un père, son père présent pour elle.
Je me contentais de cette connaissance pour supporter un peu plus ce mariage – si on pouvait l’appeler comme ça – jusqu’à ce que j’assiste à une scène, assez particulière chez Elodie des semaines plus tard.
Nous avions décide de passer l’après-midi ensemble, et parce qu’elle devait préparer la valise d’Eric, qui voyageait quelques jours plus tard, nous nous étions retrouvées exceptionnellement dans sa chambre. Je l’écoutais distraitement me parler des frasques d’une de nos collègues, qui entretenait une relation avec deux hommes, en bouquinant un livre, tandis qu’elle mettait les vêtements d’Eric dans une valise.
Elle en était à me raconter comment la collègue s’était faite surprendre par les deux hommes, lorsque je l’ai vue, glisser dans la trousse de toilettes d’Eric, deux paquets de préservatifs encore emballés. Sur le coup, j’ai été assez étonnée parce que je me suis imaginée qu’elle comptait partir avec lui, sans même me le dire au préalable, donc je lui en avais fait la remarque sur un ton faussement taquin. Et quelle ne fut pas ma surprise de l’entendre me dire « qu’elle ne comptait pas partir mais qu’elle s’assurait qu’il ait au moins de quoi se protéger là-bas, durant son séjour»
Ses mots me surprenaient, et de peur de mal les interpréter, je lui avais demandé de m’expliquer sa phrase.
-Comment-ça « qu’il puisse se protéger là-bas » ?
-Ma chérie, je suis consciente qu’il ne va pas aller là-bas pendant pratiquement un mois et ne pas avoir de relations sexuelles. Alors je lui achète des préservatifs pour qu’au moins il ne me ramène pas de maladies.
J’étais choquée de ses propos mais ça semblait tellement normal pour elle que je lui ai demandé comment il se faisait qu’elle cautionne ça.
-Je ne cautionne pas mais je me protège. S’il me ramène une maladie, je fais comment ?
-Mais en mettant des préservatifs dans son sac, tu l’encourages ! C’est comme si tu lui disais « oui trompe moi »
-Mayéla, les hommes trompent, c’est dans leur nature et on ne peux pas changer ce fait. Je tiens à ma santé alors je fais en sorte que lorsqu’il me trompe, il soit prudent.
Complètement ahurie, je l’avais repris en lui affirmant que tous les hommes ne trompaient pas, pas ceux qui craignent Dieu en vérité. Ce à quoi elle avait répondu par un gros éclat de rire, bien gras.
-Ahhh ma chérie, ta naïveté m’étonnera toujours. Si tu te bases sur le sexe pour estimer la crainte qu’on les hommes à l’égard de Dieu, laisse-moi te dire que le niveau est égale à la crainte que tu as face à un chaton. Ils n’ont pas peur dèh ! Quand il s’agit de pine et de mougou, ils n’ont plus peur de personne !
-….
-Un homme qui ne trompe pas, c’est utopique, mais un homme qui te trompe et sans que tu le chasses, est un homme qui te respecte.
Non, non, non !
Je n’étais absolument pas d’accord avec elle. Jamais, je ne pouvais assimiler le fait qu’un homme qui me trompe en cachette soit une marque de respecte à mon égard. Un homme qui me trompe, en cache ou au vu est au su de tout le monde, n’était pas, n’est pas et ne sera jamais un homme qui me respecte. Et j’ose croire qu’il y a vraiment des hommes sur cette terre qui craignent Dieu en vérité.
Cet échange avait eu sur moi un effet catalyseur et m’avait emmené à une remise en question.
Il m’a fait pensé à ma vie, mes principes, mes valeurs, aux préceptes religieux auxquels j’ai toujours cru et que j’avais pour je ne sais quelle raison, complètement oblitérer ces dernières années.
Je n’avais pas d’attentes particulières concernant l’homme qui partagerait ma vie si ce n’est qu’il soit respectueux à mon sens et qu’il craigne Dieu.
Ce qui était très loin d’être représentatif de Shomari.
C’était avec effroi que je me rendais compte qu’en l’épousant, j’avais oublié l’essentiel et que je ne pouvais me plaindre de ce que je vivais dans cette union.
Et quand, quelques jours plus tard, j’ai assisté à une dispute entre Serge et Kala, j’ai compris qu’il était temps pour moi de partir.
Depuis la naissance de Wani, Kala était déterminée à divorcer. Elle m’avait fait part de son choix et l’avait également partagé avec Serge qui sur le coup n’avait rien dit. Elle en avait conclu que son silence valait acceptation et se préparait lentement mais sûrement à la séparation.
Lorsqu'elle recherchait un endroit où vivre après leur séparation, je lui avais naturellement proposé de s’installer chez moi, dans la petite maison où j’habitais avant d’emménager chez Shomari. Cadeau de mon père, qu’il a bâtit de ses propres mains.
Elle avait accepté et s’était ainsi que je l’aidais quelque jours plus tard à déménager ses affaires.
Alors que nous venions de passer toute la journée à transporter ses innombrables bagages, et étions complètement éreintées, Serge s’était présenté, les mains dans les poches, vêtu d’un ensemble jogging, avec un groupe de jeunes. Après de courtes salutations et présentations, il s’était tourné vers le groupe de jeunes et leur avait demandé, dans un calme olympien, de reprendre toutes les affaires de Kala et les installer de nouveau chez eux, avant de se tourner vers moi, et demander de mes nouvelles comme si de rien n’était.
Kala était choquée, d’ailleurs nous l’étions toutes les deux, et semblait plus énervée qu’autre chose.
-Serge, on peut savoir à quoi tu joues ? demanda-t-elle, irritée.
-A quoi je joue ? Répéta-t-il l’air faussement agar. Je ne comprends pas ?
-Qu’est-ce que tu fais ici ? Pourquoi, tu viens prendre toutes mes affaires ? On a passé toute la journée à tout faire venir !
-Oh ça ! Ricana-t-il. Non mais chérie, tes affaires n’ont pas leur place ici, et tu le sais. Je voulais tout remettre à la maison, mais je suis tombé sur mes petits cousins et ils ont gentiment proposé de nous aider
Les yeux de Kala s’étaient arrondis sous la surprise, tout comme sa bouche.
-Mais Serge ? Tu fais quoi ? On a parlé du divorce …
-Erreur. La coupa-t-il. TU as parlé du divorce, moi je n’ai rien dit. Puis tu m’as informé de ton déménagement, mais là aussi je n’ai rien dit. C’est à mon tour de t’informer que nous rentrons à la maison et tes affaires aussi.
-Mais pourquoi tu fais ça ! Cria-t-elle ! Il n’y a plus d’enfant pour camoufler cette mascarade ! Je t’offre l’occasion de partir de ce mariage, de refaire ta vie avec une autre personne !
-Je t’ai demandé quoi que ce soit ? Je t’ai dit que j’avais besoin de refaire ma vie ?
-Serge…
-Non Kala, ce n’est pas comme ça que ça se passe. Je l’ai dit une fois et je ne vais plus me répéter alors écoute une bonne fois : Je me suis marié une fois et je n’ai pas l’intention de divorcer. Tu sais que je t’aime et que c’est la raison pour laquelle je t’ai épousé alors ne me parle pas « d’enfant pour camoufler » une mascarade que tu es la seule à voir. Il faudra bien plus que ça pour me parler de divorce. Tu as fait des choix et posé des actes discutables dans le passé mais, tu ne sembles visiblement pas comprendre la leçon : la fuite n’est pas une solution ! Tu as perdu le bébé, mais ce n’est pas une fin en soit. Des enfants, on en aura d’autres ! Alors arrête de te lamenter et penser que c’est le résultat de tes erreurs passées. Ça ne l’est pas. Je suis prêt de toi, et je veux simplement t’aider. Ça prendra le temps que ça prendra mais, on surmontera ça.
-….
En entendant Serge parler, une phrase m’était venue en tête « moi aussi ».
Je me suis dit que moi aussi j’avais le droit d’entendre un homme me dire « je t’aime », me réconforter lorsque je suis au plus mal, ou que je doute de moi. Moi aussi j’avais le droit à un homme qui me prendrait tel que je suis sans me juger ni regarder mon passé.
J’estimais aussi avoir droit à ma part de bonheur sur cette terre. Toujours être cantonnée au rôle de celle qui doit se taire, accepter toutes les souffrances tandis que les autres profitaient du bonheur m’essoufflait.
Je tentais de comprendre, pourquoi ce rôle de victime m’était toujours attribué sans jamais avoir de réponses.
Un soir en rentrant, totalement épuisée, je surfais sur internet plus par habitude inconsciente qu’autre chose, et je suis tombée sur un post où il était écrit « soyez vrai avec vous-même, vous trouvez des réponses ».
Ce soir là, j’avais décidé d’être vraie avec moi-même, de répondre sincèrement aux questions que je me posais, et j’avais bel et bien obtenu mes réponses.
En étant totalement honnête avec moi, j’ai découvert que je m’appropriais constamment le rôle de la victime, et que si je souffrais c’était de mon propre fait.
Je me suis longtemps menti à moi-même, sur les raisons qui me poussaient à me marier avec Shomari. J’ai affirmé que je le faisais pour ma fille, pour qu’elle ait une vie stable et même si c’était vrai, ce n’était pas la seule motivation qui m’animait. La vérité était, que j’aimais et j’aime toujours Shomari, en dépit de tout. J’espérais, je priais à en pleurer pour qu’il change, qu’avec le temps il se rende compte de son erreur me concernant, qu’il prenne conscience que l’on formait une famille Wani, lui et moi, et qu’il n’en tenait qu’à lui de la réunir.
Je voulais lui donner du temps, parce que selon moi, c’était la seule chose dont il avait besoin, alors je restais silencieuse.
Je m’encourageais en me disant que ce n’était qu’une question de semaines, lorsqu’il m’arrivait d’entendre Pénélope gémir, de jours lorsque je le croisais sortant de la cuisine quand j’y entrais. D’heures ces moments où je les regardais à la dérobée Wani et lui. De minutes, les rares fois où nous nous retrouvions tous les trois dans la chambre de Wani lors de son couché. De secondes, quand de façon inexpliquée je me retrouvais perdue dans son regard…. Mais ce n’est jamais arrivé. Le temps passait et ne changerait rien, du moins pas comme je l’espérais.
En réalité, la personne qui avait besoin de temps c’était moi. J’avais besoin de temps pour me faire à l’idée que ça ne changerait pas, que tout était fini le jour où je lui ai appris que j’étais enceinte, et que mes blessures intérieures aussi guérirons mais qu'il fallait que tout cela cesse.
Le lendemain, je suis allée voir un avocat, pour m’informer sur les procédures de divorce.
« Bizz, bizz »
Je porte mon attention vers mon téléphone qui vibre. La petite diode blanche qui clignote m’informe qu’il s’agit d’un message.
Je dépose ma brosse puis prends mon téléphone.
C’est un message d’Elodie
Message Elodie :
Alors ?
Je souris en rédigeant un « pas encore ».
Elle voulait qu’on aille déjeuner ensemble ce midi, mais je lui ai expliqué que mon père souhaitait me voir.
Depuis que je leur ai annoncé que j’allais divorcer, je ne l’ai pas vu. Ma mère oui, je l’ai vu et même entendu, à plusieurs reprises. Elle était clairement contre, mais ça n’avait pas d’importance pour moi. Pas autant que l’avis de mon père que je connaissais déjà.
Lui, par honte, par crainte de son regard, je n’ai pas cherché à le voir. Je le savais déçu, de mon choix sans même le regarder. Je ne voulais pas connaitre le degré, de déception qu’il éprouvait.
Mais il m’a appelée, il y a trois jours, après trois semaines sans nouvelles. Il s’est enquit de l’état de Wani, puis m’a demandé mon programme du week-end, particulièrement de mon samedi.
Message Elodie :
Gros merde, je suis certaine que ça va bien se passer.
Je voudrais être aussi certaine que toi.
Je pose brosse, puis regarde mon aspect une dernière fois dans le miroir, même si je m’en moque un peu, puis enlève des plis imaginaires sur le chemisier que je porte, avant de sortir de ma chambre.
Je vais dans la cuisine où je trouve Wani sur sa chaise haute, en train de pencher sa tête vers l’avant, la bouche grandement ouverte pour accueillir la cuillérée que lui tend Nathalie. Ce moment semble solennel. Mais avec Wani, tous les moments semblent solennels lorsqu’il s’agit de nourriture.
Je dépose un baiser sur sa petite tête fournie en cheveux, ce qui me vaut une grimace assimilable à un rictus. Madame n’aime pas être dérangée quand elle mange.
J’informe Nathalie que je ne devrais pas tarder à revenir et sors de la maison.
Après avoir galéré pour trouver un taxi, puis négocier avec lui pour le prix, j’arrive avec une quinzaine de minutes de retard au rendez-vous. Moi qui voulais arriver en avance.
Je le retrouve attablé dans un coin du restaurant, un peu à l’écart, avec un verre d’eau devant lui. Je me fais la réflexion qu’il parait aussi discret qu’il en a l’air.
Après un signe discret de la main pour répondre au sourire en coin qu’il me donne lorsqu’il me voit, je m’avance vers lui, d’un pas peu assuré.
-Bonjour papa.
-Bonjour.
Je m’assieds, sans lui serrer la main, ni lui faire la bise où encore le prendre dans mes bras. On ne fait pas ça, ce n’est pas …notre truc.
-Excuse-moi pour le retard.
-Ca arrive à tout le monde.
-….
-Ca va ?
-Oui et toi ?
-Oh, je vais comme l’âge me le permet d’aller.
-…
Je n’aime pas lorsqu’il me répond comme ça. J’ai toujours un pincement au cœur parce que j’imagine qu’il souffre et ne me le dit pas.
Un serveur vient se présenter à nous et comme toujours, mon père abaisse ses lunettes pour regarder le serveur avant de les remonter sur son nez retroussé.
-On a pas encore choisi, mais emmenez lui un Fanta. Tu prends un Fanta ?
-Oui, oui.
-Elle prend toujours ça, depuis qu’elle est toute petite. Dit-il à l’intention du serveur. Merci
Le déjeuner, se passe assez bien, mieux que ce que je pensais. Nous parlons de tout et de rien, sans évoquer le divorce. D’ailleurs, il ne laisse rien transparaitre à ce sujet. J’ai beau essayer de le sonder du regard, de décrypter ses gestes, je ne vois rien. Ce qui n’est pas plus mal.
Le déjeuner finit dans l’atmosphère simpliste et décontractée dans laquelle il a commencé et alors que je pensais que nous allions nous séparé, il me propose de faire une petite marche pour digérer.
Sous le soleil de midi de Brazzaville ce n’est pas l’idéal, mais je comprends qu’il veut me parler.
Je le suis docilement, regardant les taxis former des embouteillages, des passants négocier des produits vendus par les vendeuses sur les trottoirs, d’autres cherchant le meilleur moment pour traverser. Je souris en voyant un passant hésiter à traverser
-Toi, c’était impossible de te faire traverser. Lance mon père en suivant mon regard. Il fallait toujours que tu attrapes la main de quelqu’un. Souvent c’était la mienne. Jusqu’à tes 12 ans quand même ! Ricane-t-il.
-….
-Mais ça me faisait plaisir, parce que tu me montrais à quel point tu étais prudente. Quitte à passer pour une gamine, tu savais que tu ne pouvais pas le faire seule, alors tu venais demander de l’aide. Tu venais me demander de l’aide à moi ton père.
-….
-En grandissant, tu venais de moins en moins vers moi … Mais j’étais toujours ton père.
-…
-Et quand tu as pris ton envole, tu n’es plus venue vers moi… mais je restais ton père. Tu sais que je suis ton père ? Mayéla ?
- Oui papa
-Tu dis oui papa mais est-ce que tu as conscience que ce n’est pas qu’une appellation ? Je t’ai connue, tu avais cinq ans, et quatre ans plus tard, j’épousais ta mère. Quand je l’ai épousé, je n’ai rien laissé l’appartenant. Tout ce qu’elle avait devenait maintenant à moi. Ces responsabilités étaient maintenant les miennes. Tu es devenue mon enfant et il en était de ma responsabilité de faire ton éducation, d’être présent pour toi, d’être un père !
-….
-Ce n’est pas un rôle que j’ai accepté d’endosser pendant quelques années, mais pour une vie. En grandissant tu as eu moins besoin de moi, c’est peut-être la raison pour laquelle tu ne m’as pas sollicité, mais ça n’enlevait pas le fait que j’étais là. Et je serai toujours là.
-….
-Bon, si c’est pour réparer un meuble, mais yeux et ma force ne sont plus comme avant. Tu sais quand j’étais fort et que je pouvais soulever l’arrière des voitures qui s’embourbaient dans la boue, mais, je ferai toujours en sorte d’être là. Okay ?
-Oui
C’est en répondant que j’ai senti ma voix chevrotante, et compris que je pleurais.
De soulagement, de joie, parce qu’il venait de me faire comprendre qu’il m’aimait.