CHAPITRE XXIV : Quand tout bascule

Write by dotou

Les jours suivants furent les plus heureux de leur existence. Ils se retrouvaient tous les soirs. Jamais ils ne se lassèrent l’un de l’autre. Cora rayonnait même si parfois Dean sentait à son regard qu’elle était envahie par les mauvais souvenirs, la réalité. Souvent après avoir téléphoné à ses enfants, elle avait l’air hagard, se sentait coupable d’être heureuse. Anna lui avait un soir confié que Steve ne restait presque plus à la maison. Mais un après-midi, elle eut Lucas au téléphone et il semblait excité.
- Tu as l’air très content, remarqua sa mère.
- Papa est entrain de jouer à cache-cache avec nous. Tu ne peux pas lui parler, ni à Anna et Liam. C’est à moi de les retrouver.
- C’est bien Lucas, je suis contente. Dans quelques jours je serai de retour. Embrasse papa, Liam et Anna de ma part.
- Je le ferai maman.
- Je vous rappellerai demain mon chéri et soyez sages, conclut Cora en déposant le combiné.
Elle fit part à Dean de ce que son fils lui avait confié lorsqu’ils se retrouvèrent dans la soirée.
- Je suis si contente. Peut-être que Steve s’est aperçu qu’il était sur une mauvaise pente !
- Je l’espère, sinon il perdra ses enfants. Il ne mesure pas la chance qu’il a de t’avoir auprès de lui, conclut l’homme un soupçon d’amertume dans la voix.
La veille, il lui avait encore réitéré sa proposition. Une fois de plus elle avait refusé en évoquant les mêmes raisons qu’il trouvait d’ailleurs justifiées. Mais ne disait-on pas que l’amour était égoïste ? Aussi ne se sentait-il pas coupable de la vouloir auprès de lui pour toujours. Il savait qu’après le départ de la jeune femme il souffrirait comme un damné et que le mieux serait de cesser de la voir, de la sentir, de lui faire l’amour. Mais toutes ces résolutions étaient au-dessus de sa volonté d’homme. Déjà plus, il ne pouvait se passer d’elle et il appréhendait le jour de son départ.
Ce jour-là arriva bientôt. Malgré l’insistance de Cadia, la jeune femme ne voulut pas qu’elle l’escorte jusqu’à l’aéroport.
- Tu veux être seule avec Dean, n’est-ce pas ?
- Maman ! S’écria Cora choquée malgré elle.
- Je sais que vous avez vécu beaucoup de choses ensemble depuis ton arrivée. Je n’ai pas estimé qu’il était de mon devoir d’intervenir. Vous êtes tous les deux adultes et avec le décès de ton père, je me suis rendue compte que la vie était trop éphémère. Je n’ai pas le droit de vous juger ni l’un ni l’autre. Mais ma fille, n’oublie pas que tu as des enfants et un mari ; même si je sens que cela ne va pas si bien dans ton couple comme tu voudrais me le faire croire. Que tout ce que tu as connu ici avec Dean ne soit pour toi qu’un interlude et n’empiète sur tes devoirs d’épouse et de mère !
- Merci maman ; je ne voulais pas t’inquiéter.
- Vous vous êtes toujours aimés et votre bonheur crève les yeux. C’était inévitable entre vous, je le sais. Il y a quelques temps, j’aurais été choquée. Mais aujourd’hui je ne peux pas me le permettre. Allez, va le rejoindre.
- A bientôt maman ! Sourit Cora en serrant sa mère contre elle.
- N’oublie pas de m’envoyer les enfants pour les vacances comme promis.
Aussitôt après avoir enregistré ses bagages, Cora revint auprès de Dean. Une hôtesse annonça l’embarquement. Ils tombèrent alors dans les bras l’un de l’autre sans tenir compte des gens qui les entouraient. Fiévreusement, Dean saisit les lèvres de son amante qui s’abandonna.
Le voyage se déroula sans encombre et elle prit un taxi pour retourner chez elle. Lorsque les enfants l’aperçurent, ils se ruèrent sur elle.
- Oh mes chéris ! Murmurait-elle en les embrassant chacun à leur tour. Vous m’avez tant manqué.
- Où est donc votre père, s’enquit Cora après les retrouvailles.
- Il est sorti, répondit Liam.
- Ah ! Il y a longtemps ?
- Il est parti dans l’après-midi. Il avait promis vite revenir, mais il n’est pas encore là, répondit sa fille.
- Mais il est déjà dix heures du soir, constata sa mère en secouant la tête.
- Tu crois qu’il restera à la maison maintenant que tu es rentrée, s’enquit Lucas à brûle point.
- Je l’espère mon chéri.
Cora prit une douche. Une demi-heure après, elle sentit les premiers effets de la fatigue.
- Je suis fatiguée mes amours. Il faut aller vous coucher maintenant. J’ai aussi besoin de repos.
- On dormira avec toi, conclut Lucas catégorique.
Steve en revenant aux alentours de minuit usa de ses clés. Trouvant la maison endormie, il se maudit une fois de plus d’être rentré si tard. Il trouva ses enfants blottis contre leur mère. Il observa le visage de sa femme adouci par le sommeil. Il éprouva le besoin de l’embrasser, ce qui ne lui était plus arrivé depuis longtemps. Il se pencha vers sa femme et effleura ses lèvres. Cora qui à ce moment rêvait murmura :
- Dean…Mon amour.
Steve sursauta comme piqué et s’écarta. L’air hagard, il se dirigea vers le séjour. Prostré, il s’assit machinalement et laissa ses pensées dériver. Après le départ de sa femme, elle lui avait tant manqué qu’il a réalisé qu’il n’avait jamais cessé de l’aimer. Pour sauver son foyer, il a compris qu’il lui fallait lutter. Une université de la place recherchait un professeur qualifié qui donnerait des cours en anatomie. Son profil était largement au-dessus des compétences requises, mais il s’en contenterait pour le moment. Heureux, il avait pris son embauche pour un signe du destin ; un nouveau départ dans sa vie. Il s’était juré de ne plus jamais baisser les bras et de tout mettre en œuvre afin de se racheter auprès de sa femme et de ses enfants et de lutter farouchement contre ce nouveau penchant pour l’alcool.
Ce soir-là, il était rentré avec un cœur nouveau et pestait contre lui-même d’être rentré si tard. Il aurait voulu quitter plus tôt ses anciens collègues qui s’étaient réunis chez l’un d’eux pour célébrer un anniversaire. Ceux-ci s’étaient opposés à son départ jusqu’à ce qu’il réussisse à s’éclipser avec la complicité d’un serveur. Une fois dehors, trouver un taxi n’avait pas été une mince affaire. Il avait été obligé de marcher durant plusieurs kilomètres avant d’en trouver un qui lui avait réclamé une somme exorbitante. Résigné, il s’y était engouffré priant pour que Cora soit effectivement rentrée en fin d’après-midi. Il espéra que la servante avait correctement pris soin des enfants. Ce soir, en trouvant sa femme endormie, il avait mesuré tout le mal qu’il lui avait fait et était prêt à s’agenouiller devant elle ; mais cette phrase murmurée par la jeune femme dans son sommeil avait tout anéanti.
A son réveil, elle constata que ses enfants dormaient encore. Elle se souvint alors que Steve n’était pas encore rentré la veille lorsqu’elle s’était endormie. Inquiète, elle s’arracha du lit et courut presque au salon où elle le trouva. S’approchant, elle découvrit sur la table basse deux bouteilles de whisky, l’une vide, l’autre entamée. Se penchant vers lui, une forte odeur d’alcool lui brûla les narines et la dure réalité s’imposa à elle : Steve s’était saoulé.
La même scène se déroulait maintenant presque tous les soirs. Steve rentrait saoul. En quelques mois, il était devenu méconnaissable et passait tout son temps dans le bar du quartier. Cora qui s’inquiétait pour sa santé essayait en vain de dissimuler les bouteilles d’alcool qu’il s’approvisionnait. Il avait maintenant cet aspect défraîchi et bouffi des grands buveurs. Mais ce qui inquiétait le plus son épouse était cette nouvelle violence qui ne le quittait plus. Un soir, alors que la jeune femme était rentrée après avoir raccompagné un client, Steve l’accueilli avec une gifle :
- Alors, c’est le nouveau ? Après tous les autres et ton frère, c’est sur lui que tu as maintenant jeté ton dévolu ?
- Mon frère ? Que veux-tu insinuer ? Demanda Cora le cœur soudain battant, ignorant la cuisante douleur à la joue.
- Oui, ton supposé frère. Ne me mens pas Cora, je le sais.
Incapable de nier, elle se tut, l’abandonnant à sa rancœur.
Dès ce jour, leurs rapports déjà tendus se désagrégèrent. Bien que vivant ensemble, ils menaient chacun leur vie. Cora se jeta à corps perdu dans le travail tandis que Steve trouva refuge dans l’alcool. Il prenait un plaisir évident à la torturer et il lui arrivait de la traiter d’incestueuse. La vie était devenue insoutenable. Cora essayait au maximum de préserver l’innocence de ses enfants, ce qui n’était pas toujours facile. Elle savait que la situation n’irait qu’en se dégradant mais n’avait pas le cœur de le quitter. Mais le jour où Steve frappa violemment Lucas qui était un peu trop turbulent, elle sut qu’elle devait réagir. La jeune femme alla chercher ses enfants après les classes et les confia à Célifa, son ancienne camarade de classe. Elle voulait une fois de plus instituer le dialogue, instaurer un tant soit peu la paix dans son ménage. Mais Steve la violenta. Au bout du rouleau elle s’écria :
- Steve, je te demande le divorce. J’en ai assez. Depuis plus de deux ans, je vis l’enfer, mes enfants aussi. Tu n’es pas le seul qui ait vu sa vie se briser à cause d’un banal incident. Mais toi, tu es un homme faible. Je vais te quitter avant que tu ne nous détruises mes enfants et moi. Demain, je contacte mon avocat et j’introduis une demande de divorce.
- Pour pouvoir rejoindre son supposé frère et vivre avec lui dans l’inceste, ricana Steve. Je t’ai toujours sous-estimée. Je te prenais pour une femme loyale, mais il suffit que je devienne invalide pour que tu me tournes le dos. Eh bien, va-t-en si c’est ce que tu désires ! Mais ce sera sans mes enfants.
- Jamais ! Tu m’entends ? Ce sont mes enfants.
- Les miens aussi, figure-toi.
- Certes mais tu seras incapable de les éduquer. Regarde-toi, tu es une loque. Trente six ans seulement mais tu ressembles déjà à un vieil homme.
Touché, Steve saisit une statuette et la jeta contre le mur avec violence. Mais aussitôt son geste accompli, il se recroquevilla, la main sur la poitrine. Oubliant ses ressentiments, son épouse se lança vers lui tandis qu’il s’effondrait.
- Qu’est-ce que tu as Steve ? S’affola la jeune femme.
- Mon cœur ! Balbutia son mari le visage congestionné.
- Mais tu n’as jamais souffert du cœur !
- C’est vrai, je n’ai pas voulu te dire que je souffrais du cœur depuis plus d’un an.
- Oh pourquoi me l’avoir caché ? Et tu ne suis aucun traitement, fit Cora tout ressentiment envolé.
Steve eut une autre crise cardiaque aussitôt après son arrivée à l’hôpital et tomba dans le coma. Après deux jours passés aux soins intensifs, il décéda. Lorsque le médecin, avec tact lui apprit la nouvelle, elle resta immobile, les yeux hagards.
- On a fait tout ce qui était possible Madame Lawson. Il était déjà trop atteint et souffre même d’un début de cirrhose de foie.
Cora d’un pas lent sortit de l’hôpital. Elle avait décliné l’offre du médecin qui voulait la faire raccompagner. Dehors, elle s’adossa à sa voiture le cœur torturé. Elle savait qu’elle aurait dû pleurer, crier. Mais il fallait maintenant panser ses blessures et celles de ses enfants, se montrer forte. Le plus dur fut de leur annoncer le décès de leur père. Elle s’attendait à des larmes, des cris, mais ceux-ci réagirent très différemment sans doute habitués à voir Steve, non comme le père qu’il avait été pour eux durant les premières années de leur vie, mais comme un étranger qu’ils étaient arrivés à craindre.
Cora téléphona à Cadia et Dean. Dean, qu’elle n’avait plus revu depuis les moments de leur folle passion. Ils s’appelaient souvent et jamais il ne cessait de lui rappeler ses sentiments. Ces quelques semaines passées avec lui demeuraient inaltérables. Elle le chargea de porter la nouvelle aux parents du défunt.
Vieux à présent, les parents de Steve n’avaient pas pu se déplacer. Ce fut Kassir et Amanda qui firent le déplacement sur Abidjan. Dean aussi. Les obsèques se déroulèrent dans la plus grande simplicité. Dès le lendemain, les deux représentants de la famille Lawson repartirent non sans avoir souhaité du courage à la jeune veuve.
- Ne te laisse surtout pas abattre. Pense aux enfants ma chérie, ils n’ont plus que toi maintenant lui rappela Amanda.
Ils n’ont toujours eu que moi, pensa Cora avec amertume.
Dean qui s’était installé chez Cora essayait d’apporter une note de gaîté dans l’atmosphère. Les enfants, sans doute à cause de leur jeune âge se détendirent rapidement. Très tôt sevrés d’une tendresse masculine, ils s’attachèrent à leur oncle adoptif. Pour ce dernier, se trouver auprès de Cora et lui offrir son assistance suffisait à son bonheur. Durant les trois semaines qu’il passa auprès d’eux, il ne fit aucune allusion à leur relation. Cora quant à elle se contentait de recevoir son aide avec gratitude. Dix jours après l’enterrement de Steve, il suggéra à la jeune femme d’emmener les enfants avec lui.
- Maman serait heureuse de les recevoir et ainsi tu te reposeras. Tu as besoin de décompresser Cora.
- Tu as raison, ce sont les vacances ; mais je me sentirai tellement seule sans eux.
- Rien ne t’empêche de venir avec nous.
- Si, mon travail ; je ne l’ai que trop délaissé ces derniers temps. Je compte m’y jeter corps et âme.
- Mais pas à un rythme trop acharné. Tu me le promets ?
- Oui chef.
- J’annonce la nouvelle aux enfants ?
Cora hocha affirmativement la tête. Ceux-ci prirent la nouvelle avec enthousiasme.
- Mais maman sera seule, remarqua Anna. Je ne veux pas qu’elle reste toute seule.
- Ne t’en fais pas pour moi ma puce. Je vous appellerai tous les jours.
- Promis ?
- Juré !
 

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