Chapitre XXVII
Write by Tiya_Mfoukama
Chapitre XXVII
« —Irène ?
—Oui, je suis prête ! je l’entends crier depuis sa salle de bains.
—Déjà ? je m’interroge plus pour moi-même qu’autre chose. »
Mais non, elle n’est pas prête, je rectifie intérieurement en enfonçant un peu plus dans le canapé. Elle m’a dit qu’elle était prête comme la majorité des femmes le crient alors qu’elles n’ont même pas encore mis leur robe. Dans une voire deux minutes, elle va venir me demander de lui accorder encore quelques minutes « juste pour pouvoir terminer » son maquillage. C’est bien un…
« —On y va ? elle lance en me sortant de ma rêvasserie.
—T’es vraiment prête ? je lui redemande estomaqué.
—Mais oui comme tu peux le voir. elle me répond comme si j’étais un grand malade. Je n’ai pas envie qu’on arrive en retard.»
A l’énoncé de cette phrase, une petite diode fait tique dans ma tête, et je me souviens. Je me souviens à quel point elle avait horreur d’arriver en retard. C’était selon elle, un comportement africain qu’elle voulait faire mentir. « Il faut toujours un début à tout, et je veux bien être la première qui fasse mentir ce cliché. »
J’avais été impressionné la première fois qu’elle m’avait dit ça et sur l’instant je pensais qu’il s’agissait de ses remarques pleines de sens que les femmes sortent pour amadouer leur potentiel partenaire. Elles s’y tiennent pendant les débuts de leur relation, puis lorsque la zone de croisière est enclenchée, elles finissent par dévoiler leur vrai visage. Mais pas elle, pas Irène. Dès le début elle m’a dit ce qu’il en était la concernant et s’est toujours évertuée à se montrer franche et tel qu’elle a toujours été. Dans les bons comme dans les mauvais moments. Je crois que c’est en parti pour cette raison et surtout pour la façon dont elle faisait part de son point de vue, différent du mien, qui avait fini de me faire tomber il y a dix ans de cela. Et aujourd’hui, on dirait que le cycle est en train de se répéter.
« —Tu peux m’aider à mettre ça, s’il te plait ? elle me demande en me tendant un pendentif. »
Je la fais se tourner sur elle-même puis lui installe son pendentif avant de déposer un baiser au creux de son cou. Elle frissonne et étouffe un gémissement avant de s’éloigner de moi comme si de rien n’était. On a tacitement conclu qu’il ne se passerait rien entre elle et moi, mais ils nous arrivent encore d’échanger des regards, des touchers légers, des caresses ou des baisers qui se veulent aériens.
Mais toujours après chacun de ces moments, s’en suit un instant de flottement entre elle et moi, des regrets qu’elle ressent parce qu’elle se voit comme une voleuse, une briseuse de foyer « et c’est tout ce que je ne suis pas » comme elle le dit souvent. Je prends de la distance pour respecter l’état dans lequel elle se trouve, tout en restant près d’elle. Sauf que depuis quelques jours, c’est différent. Elle semble de plus en plus réceptive et de moins en moins disposée à se retirer, pour mon plus grand plaisir.
« —Allons espionner l’ennemi, même si cela ne nous servira à rien! elle lance alors que nous rentrons dans la voiture. »
Je secoue la tête devant la sienne, pas très fair-play pour le coup, mais j’arrive à la comprendre. Elle a bossé comme une acharnée et est certaine de l’impact qu’aura son travail et moi également. Nous allons à cette présentation organisée par Tecno, une marque de téléphone chinoise assez bien implanté en Afrique et qui a la même cible que nous.
Le but de ce déplacement n’est pas de comparer notre produit qui va bientôt sortir mais plutôt de faire de la vieille concurrentielle et voir notre niveau d’avance face à eux, parce qu’une chose est certaine, nous avons de l’avance.
« —Tu es prêt ? me demande Irène une fois arrivée sur le lieu de la présentation.
—Comme jamais. je réponds sur de moi. »
Nous suivons un groupe de personnes semblant se diriger au même endroit que nous puis passons les barrières de sécurité avant de nous retrouver dans la grande salle où se déroulera la présentation. Je reconnais quelques visages amicaux que je vais saluer tandis qu’Irène à mes côtés note les détails qui selon elle devrait être revus.
« —C’est inadmissible de faire des erreurs pareilles. Ce n’est même pas digne d’un débutant encore moins d’un stagiaire ! Ca relève de l’amateurisme. elle poursuit en me montrant la faute d’orthographe plus que visible, présente au troisième mot de la première ligne du catalogue reprenant le déroulement de la présentation.
—Et bah, c’est une chance pour nous, parce qu’on sait qu’on fera plus attention.
—C’est certain. »
Moins d’une heure après notre arrivée, La salle où nous sommes plutôt bien positionnée se retrouve noire de monde et bien vite, les lumières se tamisent afin d’inciter tout un chacun à faire preuve de silence avant que le présentateur ne monte sur le podium.
Durant les deux heures qui suivent la présentation, je vois tout mon enthousiasme, mon optimisme, mon travail, les heures de sommeil en moins, la fatigue, les migraines s’envoler comme s’il ne s’agissait de rien. Je me bas avec moi-même pour garder un visage neutre, tandis qu’à l’intérieur je suis littéralement en train de bouillir. Un cocktail de plusieurs sentiments, dont la rage et la colère, est en train de se former en moi, et je n’ai qu’une envie : exploser.
« Shine » V1 représente plus de dix-huit mois de travail acharné, un investissement monstre qui m’a demandé beaucoup de sacrifices sur plusieurs plans, autant professionnel que familial et à quelques jours de sa présentation au public, je le vois servir de « brouillon » à l’équipe de Tecno pour vendre leur nouveau Smartphone. J’en reviens pas, et pourtant, c’est bien mon projet que je vois défiler sur les différentes diapositives et qu’il intitule, comme pour me narguer « ce que les autres pourraient vous proposer VS… »
*
* *
Je m’attendais à tout mais pas à ça..Vraiment pas. C’est tellement…
Assis sur une chaise le regard absent, j’essaie d’accuser le coup mais, là. C’est trop me demander, c’est trop me demander.
« —Dylan, je t’en prie, ressaisie-toi ! murmure Irène à mes côtés. »
Elle glisse une de ses mains dans la mienne et la seconde caresse doucereusement ma joue, pour m’inciter à rester positif mais c’est peine perdue.
« —Ça va aller, ce n’est rien…. »
Elle n’a pas idée de ce que ça représente et de l’ampleur des dégâts. Pourtant, je ne suis pas de nature pessimiste mais là….
« —J’ai besoin de prendre l’air. je lance, en me levant d’un bond.
—Je t’accompagne.
—Non, là… j’ai besoin d’être seul…. M’en veux pas mais…
—Je comprends, ne t’en fais pas. Vas-y. »
Sans jeter un regard en arrière, je roule dans la ville sans destination précise mais avec la seule ambition de prendre de l’air.
Après avoir fait le point, avec l’équipe, il s’avère que c’est tout le dossier « Shine » V1 qui a été présenté, et nous nous retrouvons donc à quelques semaines du lancement de la présentation, sans rien à présenter. Tout a déjà été fait et ridiculisé par la concurrence.
Je me demande comment ? Comment ils ont réussi à avoir notre travail ? Qui le leur à donner et comment ? Parce qu’il ne peut s’agir d’autres choses. En effet, ce n’est pas un travail qui a été fait de façon similaire mais il s’agit bien d’un piratage de données.
Je connais notre logiciel de sécurité, parce que je l’ai personnellement choisi après plusieurs études, et je le sais infaillible, d’autant plus que tout n’était pas encore informatisé, il y avait des parties que j’avais laissées en version papier afin de pouvoir les retoucher. La fuite ne peut donc pas être due à un piratage de données informatique. Il ne reste que la thèse selon laquelle une personne à volontairement transmis tout le travail de mon équipe. Mais reste à savoir qui, pourquoi et comment…
En repassant chaque membre de l’équipe en tête, j’essaie de trouver qui serait susceptible de faire une chose pareille, mais je ne trouve personne. Je les sais tous intègre, passionné par leur travail et incapable de faire une chose pareille. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je les ai sélectionnés pour faire partie de mon équipe. Sans le savoir, ils ont tous eu a passer plusieurs tests de confiance, où de grosses sommes d’argent leur étaient offertes s’ils venaient à vendre des secrets industriels et aucun n’a échoué. Et au délà de cas ; à force d’évoluer avec ces personnes, passer du temps avec eux, des amitiés ont fini par se créer, dépassant le cadre professionnel et le lien hiérarchique. C’est peut-être ce qui m’a porté préjudice aujourd’hui…. J’ai toujours cru qu’une équipe entretenant une réelle amitié pouvait être beaucoup plus productive qu’une équipe de collaborateurs obligés de travailler ensemble malgré l’inimitié ou l’animosité qui peut régner entre ces membres…
Mais là encore, je n’arrive pas à me faire à cette idée. Je n’arrive pas à me dire que ça peut être l’un d’entre eux.
Je me rends compte que j’ai roulé jusqu’à la maison lorsque je reconnais la rue adjacente à la mienne.
Je vais me réfugier dans mon bureau, le seul endroit qui sait accueillir, peu importe l’état dans lequel je suis.
Prenant place derrière mon bureau, je bascule ma tête en arrière et essaie de faire le vide dans ma tête, sans y parvenir. Pire encore, je vois défiler les prochaines les prochains jours, dans une ambiance noire, étouffante et incertaine. Entre réunions de crise, investisseurs, partenaires et collaborateurs inquiets. Les prochains jours seront assurément mauvais…
« —Ahhhhhhhhhhhhhhhh C’est pas vrai ! Quand ? Comment ? Mais pourquoi tu ne m’as rien dit ! Je veux tout savoir ! AHHHHHHHHHH je suis trop contente pour toi ! »
Les cris de Tiya me poussent à ouvrir les yeux et m’asseoir correctement sur mon siège. Je passe une main lasse sur mon front et laisse trainer mon regard un peu partout….jusqu’à ce qu’il tombe sur un de mes tiroirs, celui de gauche. Celui qui contenait pendant plusieurs jours tout le dossier « Shine » V1 et que j’ai trouvé ouvert après le passage de…Tiya….
Non, non…non…..non… Elle ne peut pas faire une chose pareille….non. Lorsque nous étions dans les premiers mois de notre mariage, j’aurais pu me dire que oui, mais aujourd’hui… non… non… Pourquoi ferait-elle une chose pareille ? Pour se venger de moi ? Ça n’aurait pas de sens ! Nous n’avons aucun problème, excepté le manque de communication mais non….. Il n’y a aucun souci entre elle et moi, je me répète intérieurement…..Par contre avec son père… Ils entretiennent de très mauvaise relation et elle avait me semble-t-il juré de se venger de lui, mais….non, elle ne peut pas….elle….
J’essaie de visualiser ses mouvements ces derniers mois, sa façon de se comporter, et il est vrai qu’elle s’est faite beaucoup plus discrète, tellement discrète que j’ai eu l’impression de vivre seul…. Et à chaque fois que je la croise, elle passe son temps à m’éviter…probablement par culpabilité face à moi… Non, non, non….. non, c’est trop gros, c’est…..Oh Tiya….
Je me lève de mon siège et rejoins la chambre de Tiya où comme toujours elle est allée s’enfermer. Tout en essayant de garder mon calme, je pénètre dans la pièce sans me présenter et lui demander à parler. Elle est dos à moi et sursaute lorsqu’elle me fait face, cachant dans son sac, ce qu’elle avait quelques secondes plus tôt entre les mains.
« —Tu pourrais au moins toquer avant d’entrer !
—Je ne vais pas passer par quatre chemins. je la coupe en balayant d’un revers de la main ses propos. Je vais te poser une question qui nécessitera une réponse positive ou négative et rien d’autre, je te demande de simplement répondre : as-tu communiqué le contenu de « Shine »V1 à la concurrence ? »
Elle arque un sourcil l’air de ne rien comprendre, puis croise ses bras sous sa poitrine en me demandant de répéter ma question.
« —Tu m’as très bien entendu. Est-ce que tu as communiqué…
—Non mais cette question, je l’ai bien entendu. Mais la question pour laquelle tu veux que je réponde par oui ou par non, tu peux la poser ou plutôt la reposer ?
—Tiya, ne joue pas avec moi, pas aujourd’hui. Je ne suis pas d’humeur. je siffle entre mes dents.
—Oh excuse-nous monsieur « je ne suis pas d’humeur », je ne voulais pas t’heurter mais ta question est tellement stupide que je me demande si elle mérite réellement une réponse. »
Voilà une chose que je ne supporte pas avec Tiya, cette manière qu’elle a de répondre. Elle donne l’impression d’emprunter tout le dédain et le sarcasme du monde pour le concentrer dans ses réponses et leur donner ce goût amer qui déforme les visages et incite à perdre patience.
« —Il y a quelques semaines, quand je t’ai surprise dans mon bureau, qu’est-ce que tu étais en train de faire ? »
Une lueur de panique passe dans son regard qu’elle tourne vers son sac avant de me répondre d’un ton faussement détaché :
« —Je ne vois pas de quoi tu parles. »
Je comprends que si je veux des réponses, il va me falloir fouiller dans son sac. Ce que je ne vais pas hésiter à faire. Je me précipite vers la chaise où elle l’a posé en même temps qu’elle mais ne réussit pas à le prendre le premier.
« —Ce n’est pas ton sac, mais le mien et je t’interdis de fouiller dedans ! elle hurle en passant son sac derrière elle. »
Sans faire cas de ses propos, je vais vers elle et tente de lui reprendre son sac des mains.
« —Dylan, ce n’est pas à toi, MERDE Dylan ! TU FAIS CHIER !»
Je réussis à m’emparer du fameux sac et répands son contenu sur le lit. Je n’y vois rien de spécial, excepté deux prototype de « Shine » V1 que je gardais dans mon tiroir avec le dossier et que je ne retrouvais pas …. Maintenant je sais pourquoi …
« —Tu fous quoi avec ça ! je tonne en désignant les deux téléphones !
—Ce sont mes affaires ! elle hurle en réunissant ses effets éparpillés sur le lit. Et tu n’as pas le droit d’y toucher !
—Je viens de te poser une question !
—VAS TE FAIRE FOUTRE ! »
Je sens monter un coup de sang. Je suis parcouru de tremblement et prends sur moi pour ne pas craquer. Je ferme les yeux et joins mes mains afin de pouvoir me canaliser, mais avec Tiya, ça devient l’expérience la plus difficile au monde.
« —Récupère tes putains de téléphones et casse toi ! elle hurle en balançant les téléphones dans les escaliers. »
Je m’imagine, le temps d’un instant en faire de même avec son corps. La balancer dans l’escalier, et pourquoi pas contre le mur pour lui remettre ses idées en place. Mais à peine ses pensées dessinées dans ma tête, je regrette de les avoir pensé et comprends que je suis sur le point d’arriver dans une zone de non retour. L’état dans lequel je suis accompagné des phrases qu’elle hurle en rangeant ses affaires m’obligent à quitter la pièce avant que les choses ne s’enveniment.