Chapitre XXVIII
Write by Tiya_Mfoukama
Chapitre XXVIII :
« —Et tu trouves que c’est normal !
—Non ça ne l’est pas mais encore une fois, je suis convaincue qu’elle n’est pas l’auteur de cette piraterie !
—Et selon toi qui ça peut être ? Y’a personne d’aussi inconscient et immature qu’elle ! Elle nous a bien montré par le passé de quoi elle était capable !
—…je peux pas te laisser dire ça… Il y a une explication plausible… Il… »
Je fourre mes écouteurs dans mes oreilles pour ne plus rien entendre de la discussion animée qui se déroule en bas.
Je suis épuisée, aussi bien physiquement que mentalement. J’ai l’impression d’être au bout du rouleau, d’être vidée de toute énergie, de toute force. Mais paradoxalement, j’ai se besoin de crier, de m’exprimer, de dire ce que je ressens. J’ai le sentiment de faire face à une série d’injustices, et de ne pouvoir me défendre, parce qu’à chaque fois que je tente de le faire, les choses semblent s’empirer.
Je me sens acculée. Les mots ont fini par déserter ma bouche, et aujourd’hui, je ne parle plus, du moins plus avec la parole.
C’est fou comme ça change la vie de se taire et d’écouter. On prête plus facilement l’oreille à ce que l’on refusait d’entendre avant. Comme les soupirs de mon assistante, et ses innombrables coups de fils au père de ses enfants pour le supplier de récupérer ces derniers laissés chez la voisine, ou chez sa mère, pour le dorloter afin qu’il accepte le fait qu’elle ne rentrera pas à l’heure convenue, et qu’il devra lui-même réchauffer son plat déjà préparé. Oui on entend beaucoup mieux quand on décide de se taire…
Je récupère mon sac de sport posé aux pieds du lit, le dépose sur mon épaule, puis installe ma capuche sur ma tête avant de sortir de la chambre et emprunter les escaliers.
« —Tiya ! m’interpelle Emeraude »
Il n’y a pas de musique dans mes oreilles, mais je prétexte le contraire pour ne pas m’arrêter. Mais elle insiste et vient fermement m’agripper le bras pour m’obliger à faire volte face.
Je me retourne malgré moi, retire mes écouteurs, et arque un sourcil en signe d’interrogation.
« —Quoi ? j’ajoute avec un geste de la main.
—Tiya, il faut que tu leur expliques, que tu leur dises que ce n’est pas toi, que tu n’as rien fait ! elle me supplie.
—Pourquoi ?
—Comment ça pourquoi ?
—Tu penses que j’ai pu faire ce pour quoi il m’accuse ?»
Elle semble à la fois déstabilisée puis irritée par ma défense. Ce qui me rassure. A la voir me défendre avec véhémence, je commençais à croire que c’était pour se convaincre elle-même de mon innocence et non pour convaincre les autres. Si ça avait été le cas, elle aurait détourné le regard ou baissé les yeux, mais elle n’a fait ni l’un ni l’autre.
« —Tu peux arrêter de faire ton idiote deux minutes et de tout prendre à la légère ! elle crie les mains sur les hanches ! Ça va te couter quoi de dire la vérité !»
Mais quelle vérité je dois encore dire ! Je lui ai déjà dit ce qu’il en était ! Le jour même où il m’a accusée, je lui ai dit ! j’ai envie de crier. Qu’est-ce que je vais encore ajouté ?
Je suis fatiguée de toujours passer pour la mauvaise, l’immature capable de faire tout et n’importe quoi ! Je suis fatiguée qu’on m’impute tous les torts inimaginables. Je fais des efforts pour changer, vraiment j’en fais, mais j’ai l’impression qu’on ne voit rien et qu’on ne relève que mes défauts. Pourquoi je vais essayer de parler à une personne qui ne se rend même pas compte de mes efforts et qui passe son temps à relever mes manquements ? C’est épuisant et décourageant. Encore plus lorsqu’il n’y a personne vers qui se tourner pour vider son cœur.
Je n’ai plus ma Emeraude pour moi, comme avant. Aujourd’hui, je dois accepter que les choses changent et que je doive la partager avec un autre qui prendra un peu plus de place dans son cœur. Je ne peux plus lui faire part de cette frustration que je ressens, et qui me comprime la poitrine comme je l’aurais fait avant. C’est fini tout ça. Alors je garde tout, je soupire intérieurement. Et je me tais. Y’a plus que ça à faire.
« —Tu veux qu’elle dise quoi d’autre qu’on ne sache déjà ? intervient Dylan. Son silence est un aveu !
—Dylan, on est venus ici pour discuter et trouver une solution. lui rappelle Jesse.
—Et ce n’était peut-être pas une si bonne idée. le coupe Dylan. Parce que pour discuter il faut que tous les protagonistes soient présents. Elle a montré qu’elle s’en foutait prodigieusement de cette histoire et de toutes les retombées en restant dans sa chambre. Pourquoi ? Parce qu’elle a atteint son but ! Toucher son père à travers son entreprise, et tant pis s’il y a des dommages collatéraux !
—Je crois que je devrais y aller. lance Irène également présente. Vous avez besoin de vous réunir en famille.
—Y’a pas de famille là ! Ce que tu vois, est une grosse mascarade ! Pour des raisons purement monétaire et stratégique, j’ai du l’épouser alors que je ne la connaissais même pas ! Bien mal m’en a pris ! J’aurais du écouter toutes ces personnes qui me recommandaient de ne pas me marier sans même savoir qu’il s’agissait d’un mariage arrangé. Elles arrivaient à voir le gouffre dans lequel j’allais plonger sans m’en rendre compte, en emportant avec moi des années de travail…Tout ça pour se venger de son père.»
Il ponctue sa phrase par un haussement d’épaules et une expression sur le visage, qui le conforte dans son analyse. Pas un seul moment, pas une seule hésitation, pas un seul doute ne semblent flotter près de lui. Il est indubitablement persuadé que je suis à l’origine de la divulgation des documents de son entreprise. Et j’ai le cœur qui se serre, en le voyant là, debout devant moi, aussi convaincu, et intraitable. Je ne suis même pas certaine que parler puis changer quoi que ce soit.
Je me retiens de lâcher un énième soupir et entreprends de viser un écouteur à mes oreilles, quand il a ce sourire et ce hochement de tête, qui me confirme que ça ne servirait à rien de parler.
« —S’il te plait Tiya… murmure Emeraude, avec tristesse. »
Alors que je voulais continuer à garder le silence, je me vois déposer mon sac à terre, mon téléphone dessus et m’avancer vers eux.
Pour Emeraude, juste une dernière fois, parce que je sais qu’elle engage souvent sa personne pour me défendre et parce que je ne veux pas lui porter atteint plus que je ne le fais déjà, je décide de parler.
« —Okay ! vous voulez la vérité ? Bien. Je vais vous la donner en essayant d’être la plus concise possible. je commence en prenant un air sarcastique que je prends pour me donner du courage. Y’a un petit moment de ça, j’ai été affectée à un nouveau management qui m’a implicitement demandé de coucher avec lui sous peine de me rendre la vie difficile au boulot. Je pensais avoir mal compris jusqu’à ce que je me rende compte que la charge de travail que je recevais n’était pas seulement le fait d’une hausse d’entrée de clients. J’ai bêtement essayé de tenir, en bossant beaucoup plus tôt beaucoup plus tard que les autres, jusqu’à ce que je me rende à l’évidence. Je n’allais pas y arriver, rien n’était fait pour que j’y arrive. »
Je vois Emeraude faire de gros yeux, en fronçant les sourcils, mais détourne le regard pour le poser sur Jesse qui ne cille pas un instant, concentré sur mes propos. J’ai parlé à Emeraude du harcèlement que je subissais, mais elle se trouvait dans une situation assez prenante, entre Jesse et Héritier, et je ne me voyais pas lui emplir la tête de mes soucis. Alors quand, elle m’avait demandé où j’en étais dans mon histoire d’harcèlement, j’avais prétendu que tout était réglé.
« — Il y a quelques semaines. je reprends, toujours sur le même ton. J’ai reçu une convocation pour aller faire un « briefing » avec mon cher manager mais je savais pertinemment que ce n’était pas seulement d’un briefing dont il s’agissait, alors j’ai eu l’idée de le prendre à son propre jeu. Je me doutais qu’il chercherait forcément à me toucher donc j’ai entrepris de le filmer. Pour ça, il me fallait une caméra assez discrète pour ne pas qu’il la voie, et je me suis souvenue que Dylan était quand même un des dirigeants d’une boite fabriquant des téléphones. Je me suis rendue dans son bureau avec l’idée de trouver un téléphone. Le noir correspondait à ce que je recherchais, et je reconnais que le rose a attiré mon attention, de par sa forme et son esthétisme. Je les ai glissés dans mon sac au moment où tu venais parce que je me voyais assez mal t’expliquer que je venais de prendre pour une durée indéterminée, deux de tes téléphones.»
Au fur et à mesure de mon récit, son visage n’est plus aussi confiant qu’il y a quelques minutes. Ses sourcils froncés, ses mains enfoncées dans ses poches et la position qu’il adopte, me montrent qu’il commence à avoir des doutes sur ses convictions, mais qu’il n’est pas encore convaincu de mes propos, ce qui finit de me blesser.
J’en reviens pas de voir à travers ses yeux qu’il me croit toujours capable d’une telle chose, malgré mes révélations.
Je poursuis quand même mon histoire, plus pour Jesse qui se montrent plus réceptif…
« —J’ai passé une partie de ma soirée à apprendre les fonctionnalités des téléphones, que je trouvais extrêmement intuitif, et l’autre partie, je l’ai utilisé pour naviguer et utiliser les différentes fonctionnalités des téléphones. C’est ainsi que j’ai découvert la programmation vidéo vocale, que j’ai utilisé le jour du débriefing. Voilà toute l’histoire. Et si tu ne me crois toujours pas, je t’invite à regarder les vidéos se trouvant dans le téléphone. »
Je récupère mon téléphone, puis mon sac et sans faire plus attention au visage blême de Dylan, me dirige vers la porte d’entrée avant de retourner sur mes pas.
« —Oh, et pour information. J’ai été virée parce que je n’avais pas la preuve de mes allégations, puisque tu avais les téléphones avec toi. »
Sur ces mots, je sors de la maison, le cœur toujours aussi lourd.
*
* *
« Bam-bam-bam. Bam-bam. Bam »
Je tape aussi fort que je le peux sur le sac, sans m’arrêter malgré la douleur que je ressens. Mon corps entier me crier d’arrêter parce qu’il est épuisé et qu’il a besoin de se reposer, mais mon âme en redemande encore et encore. Chaque coup porté au sac est une évacuation, une libération. Une libération de tout ce que je retiens, de tout ce que j’emmagasine, de toutes ces regards de dédain portés sur moi, de tous ces mots injustes utilisés pour me qualifier, de tout ce que je ne suis pas et pourtant m’atteint.
« —Hey, Hey Tiya ! j’entends sans parvenir à donner le coup que je veux porter au sac. »
Légèrement désorienter, je pose le regard sur ce qui m’empêche de frapper dans le sac et vois les mains d’Omari sur mes poignets.
Je ne l’ai même pas vu, encore moins entendu arriver. Faut dire qu’il aime aussi se déplacer comme un félin. En faisant le moins de bruit possible.
« —Tu vas te faire mal là, arrête.
—J’ai besoin de me défouler. je dis en retirant mes mains de son emprise.
—Non Tiya, là c’est bon, je t’ai laissé te défouler mais il ne faut pas non plus exagérer. Viens avec moi, on va continuer sur le ring. »
Je m’éloigne de lui, me positionnant en face, puis refuse son invitation, en lui expliquant que je n’ai pas besoin d’aller sur le ring. Frapper sur le sac me convient parfaitement. Je suis seule avec moi-même et ça me suffit, je n’ai pas besoin de son intervention.
« —Ce n’est pas une proposition. il rétorque avec fermeté. Suis-moi sur le ring. »
Parce que je sais qu’il ne lâchera pas si je ne le suis pas, et qu’il m’empêchera de taper dans le sac comme je le veux, je le suis jusqu’au ring, et m’adosse aux filets.
« —Place toi.
—Omari… je soupire en levant les yeux au ciel. »
Je le vois monter sur le ring, en attachant une paire de gants puis sans que je ne m’y attende, porte un coup dans mes côtés.
Je me plis en deux sous la douleur et le regarde avec stupeur en essayant de comprendre son geste.
« —Mais ça ne va pas ! je crie presque.
—Place toi et monte ta garde sinon tu vas en recevoir pleins d’autres comme ça. il dit en enchaînant plusieurs coups au niveau de mes côtes.
—Omari ! J’hurle à m’en égosiller.
—Qu’est-ce qui ne va pas ? il me demande comme si de rien n’était, me donnant cette fois, des coups à l’abdomen.»
C’en est assez, je me dis furieuse. Malgré la douleur, et la conscience que je ne suis pas une adversaire à sa taille, je me rue sur lui et lui assène autant de coups que je peux. Je ne vise pas d’endroit précis, je le frappe avec la seule intention de lui rendre le mal qu’il m’a fait. Mes coups deviennent bien vite désordonnés mais je ne lâche rien et continue de lui donner des coups.
Il ne cherche même pas à se protéger de mes coups, comme s’il ne lui faisait rien, et je redouble d’effort pour qu’ils soient plus forts et pour qu’ils lui fasse mal. Je veux qu’il ait mal, qu’il ait autant mal que moi, qu’il ressente toute la peine que je ressens, qu’il ressente toute la peine qu’il me procure ! Je veux qu’il ait mal !
« —Tiya ! »
Je me suis confiée à lui, je lui ai fait par de mes appréhensions, je lui ai parlé de mon père et il s’en est servi contre moi !
« —Tiya ! »
Il m’a parlé de « Shine » de tout ce que ça représentait pour lui, de tout ce qu’il souhaitait à travers ce projet ! Et j’ai eu à cœur de le porter avec lui! Je me suis sentie privilégiée lorsqu’il m’a fait par de tous ses projets, j’ai eu envie d’être celle qui l’épaulerait. J’ai tellement pris à cœur son projet que je me suis remise au dessin pour l’encourager, le motiver ! Et lui… Et lui…..
« —Tiya… »
Je me sens comme totalement déchargée de tout, et me laisse choir au sol, le visage baigné de larmes.
Je lui en veux tellement. Dylan. Je lui en veux de ne pas avoir cru en moi. Je lui en veux de ne pas avoir vu à quel point je me suis donnée à lui. Je lui en veux de me traiter comme il le fait… Je lui en veux de me briser le cœur…
« —Hey Tiya….Laisse-toi aller, ça fait du bien. marmonne Omari en me berçant. Laisse-toi aller… »
*
* *
« —Ça va mieux ? me demande Omari en s’asseyant sur la table basse, une tasse de thé entre les mains. »
J’acquiesce avec un air espiègle et me positionne un peu mieux dans le canapé, repositionnant le plaid qui me couvre jusqu’à ma taille.
« —Je pensais pas qu’une fille comme toi mangerait autant. C’est dingue !
—J’avais faim. je dis pour ma défense en portant ma tasse à mes lèvres. »
Après ma crise à la salle, Omari a proposé de m’accueillir chez lui et me faire gouter un de ses plats.
Je ne me voyais pas retourner à la maison, surtout dans l’état où j’étais alors j’ai accepté. J’ai découvert qu’il était passionné de cuisine et préparait mieux que moi, comme 99,99% de la population j’ai envie de dire. Mais je l’ai quand même un peu aidé… En mangeant ce qui était de trop !
« —Je te remercie. je dis en déposant ma tasse. C’était très bon et j’ai passé un excellent moment.
—Tout le plaisir était pour moi. Je ne pouvais pas laisser une si belle femme affamée et en pleure.
—….
—J’ai bien compris que tu aimais ton mari, mais à un moment, il faut penser à toi et à ton bonheur. Tu as des défauts c’est vrai, mais tu as aussi beaucoup de qualités. Et peu importe ce que tu as, une chose est certaine, tu as besoin d’être heureuse. S’il n’arrive pas à voir tes efforts, il faut peut-être envisager, qu’il n’est pas… celui qui saura les voir. »
J’ai du brièvement lui faire mention de la cause de mon état quelques heures plus tôt, puis lui ai confié ce que je ressentais, sans tout déballer. Il a su m’écouter et n’a émis aucun jugement sur mes choix et mes comportements. Bien au contraire, il m’a apporté des conseils qui, aussi généraux soient-ils, m’ont fait du bien, ce que j’ai doublement apprécié.
« —…Et c’est toi qui saurais les voir ? je le questionne en levant les yeux vers lui.
—Je n’ai pas dit ça. il répond après avoir ri. Je dis surtout qu’il faudrait que tu penses à toi… mais si tu penses que c’est moi … »
J’éclate de rire devant son haussement de sourcils, et secoue la tête dépassée par son attitude.
Et dire que je le prenais pour un body buldé qui passe son temps à draguer tout ce qui bouge, alors qu’il est tout sauf ça.
A certains moments, je me dis qu’il y aurait pu se passer quelques choses entre lui et moi… ou qu’il pourrait se passer quelque chose, si le destin le permettait. Personne ne le sait…
« —….Tu me laisserais dormir ici ?
—Je te laisserais faire tout ce que tu veux princesse. »
Et c’est comme ça que je décide de passer la nuit chez lui…