Conseil d'une mère

Write by belleetrebelle

Pour Armand, c’était une victoire stratégique majeure. Il avait gagné une alliée de poids, une voix qui porterait bien plus loin que la sienne dans le cœur de Chloé. Il se sentit soudain plus léger, plus confiant. Le plan était en marche. Non plus un assaut frontal, mais une manœuvre enveloppante, patiente et bienveillante. Il quitta la maison de sa belle-mère le cœur rempli d’un espoir renouvelé. La bataille pour sa famille était loin d’être gagnée, mais il venait de se rallier un général dont l’influence pouvait faire toute la différence.


Avant de prendre congé, Armand, inspiré par un mélange d’audace et de stratégie, se tourna vers sa belle-mère.

«Maman, encore une chose… Ce weekend, est-ce que… est-ce que vous pourriez garder Léna ? » Il vit une lueur de compréhension, puis d’approbation, dans le regard de la vieille dame. « Je pense qu’il est temps que Chloé et moi… que nous ayons un moment seuls. Pour parler. Sans distractions. »


Un sourire entendu fleurit sur les lèvres de sa belle-mère. Elle comprenait bien plus qu’il ne le disait. Ce n’était pas seulement pour parler.

«Aucun inconvénient, mon fils, » répondit-elle avec une douce fermeté. « C’est une bonne idée. Une très bonne idée. Laissez-moi ma petite-fille, et occupez-vous de réparer ce qui doit l’être. »


Rassuré et porté par cette bénédiction maternelle, Armand rangea les présents qu’il avait apportés – de l’huile rouge, du sucre du poisson et du thé – dans l’armoire de la cuisine, un geste simple qui scellait leur alliance. Puis, après des salutations chaleureuses, il demanda la route, le cœur maintenant léger et rempli d’une détermination nouvelle.


Le trajet jusqu’à l’appartement de Chloé lui parut à la fois interminable et trop court. Chaque feu rouge était une éternité, chaque embouteillage un supplice. Il arriva enfin, monta les escaliers et, prenant une profonde inspiration, sonna à la porte.


De l’autre côté, il entendit des petits pas précipités, puis la voix cristalline de Léna qui se mit à chantonner, excitée : « Papapapapapapa… ! »


Le son de ce babillage joyeux, cette petite chanson improvisée qui l’accueillait avant même que la porte ne s’ouvre, lui serra le cœur. C’était la preuve vivante, innocente et pure, de tout ce pour quoi il se battait. À cet instant, toutes les frustrations, toutes les disputes, semblaient s’effacer devant l’évidence simple et éclatante de cet amour paternel et de ce désir viscéral de retrouver sa famille, complète et unie.


Quand la porte s’ouvrit, il ne vit pas d’abord Chloé. Il vit les yeux rieurs de sa fille, ses bras tendus vers lui. Et il sut, avec une certitude absolue, que chaque épreuve endurée en valait la peine. Le weekend qui s’annonçait serait décisif.




Dès que Chloé le vit, ses yeux s’écarquillèrent de surprise. Elle ne l’attendait pas aujourd’hui. Mais avant qu’elle n’ait le temps de formuler une question, Armand, un large sourire aux lèvres, se pencha pour porter Léna qui tendait les bras.


« Ma princesse ! » s’exclama-t-il en la faisant tournoyer dans ses bras, la faisant pouffer de rire. Il la couvrit de câlins bruyants et exagérés, chaque baiser sonore sur ses joues potelées étant une petite déclaration de joie. Pendant ce temps, il fit entrer ses affaires d’un geste du pied, maniant le sac de voyage et les éclats de rire de sa fille avec une aisance retrouvée.


Une fois Léna calmée et posée au sol, occupée avec ses jouets, Armand se redressa. Son regard rencontra enfin celui de Chloé, qui l’observait, immobile, depuis l’entrée de la cuisine. On pouvait lire sur son visage un mélange de surprise, de méfiance, et une lueur d’espoir qu’elle ne parvenait pas tout à fait à éteindre.


Sans un mot, il attrapa derrière son dos le bouquet de fleurs qu’il avait caché – un mélange vibrant de roses rouges et de lys blancs, enveloppé dans du papier kraft.


« Pour toi, » dit-il simplement, en le lui tendant.


La surprise sur le visage de Chloé se transforma en une véritable stupeur, puis en un véritable sourire. Timide d’abord, il s’élargit malgré elle, illuminant son visage et faisant briller ses yeux. Ce sourire, qu’il n’avait plus vu depuis des semaines, frappa Armand en plein cœur comme un rayon de soleil perçant la grisaille.


Il ne put y résister.


En un geste vif, il lui reprit doucement le bouquet des mains et le posa sur la table de la cuisine. Puis, il se rapprocha, lui prit le visage entre ses mains et captura ses lèvres dans un baiser.


Ce ne fut pas un baiser tendre ou questionneur. Ce fut une prise de possession douce mais absolue, un baiser assoiffé, profond, où il « suça » ses lèvres comme un naufragé boit à une source après des jours dans le désert. C’était un baiser qui disait le manque, le regret, l’urgence et un amour qui refusait de mourir. Chloé, d’abord sidérée, se fondit dans ce baiser, ses mains remontant instinctivement pour se poser sur son torse, ses doigts se crispant sur le tissu de sa chemise.


Quand il se décolla enfin, tous deux étaient essoufflés. Il resta front contre front avec elle, les yeux dans les yeux, et la seule phrase qui put jaillir de ses lèvres, chargée de toute l’émotion qu’il portait en lui, fut un murmure rauque et sincère :


« Tu me manques, mon amour. »


Ces quelques mots, simples mais vrais, firent davantage pour leur réconciliation que tous les discours et toutes les stratégies du monde. Dans le silence de la cuisine, avec le doux parfum des fleurs qui commençait à emplir l’air, un nouveau chapitre, fait de douceur et de retrouvailles, venait de s’ouvrir.



La soirée qui suivit fut d’une simplicité et d’une douceur qui leur avaient cruellement manqué. Ils ne parlèrent pas de leur conflit, de Douala ou de l’avenir. Ils vécurent, tout simplement. Ils nettoyèrent ensemble les restes du repas, rangeant la cuisine en se frôlant dans l’étroitesse de la pièce. Ils jouèrent par terre avec Léna, construisant des châteaux de cubes que la petite fille renversait avec des cris de joie. Ils mangèrent un fruit, puis rangèrent encore les jouets éparpillés. C’était un ballet domestique et paisible, une reconquête silencieuse de l’intimité du quotidien.


C’est alors qu’Armand, en essuyant la table, lança doucement :

«Demain matin, je vais déposer Léna chez maman . Comme ça, toi et moi, on pourra sortir. Seuls. »


Chloé, qui pliait une couverture, s’arrêta net. Elle le regarda, intensément, cherchant dans ses yeux la véritable intention. Elle vit de la détermination, mais aussi une douceur qu’elle n’y avait plus vue depuis longtemps. Aucune pression, juste une proposition. Elle ne dit rien, mais inclina lentement la tête en signe d’acquiescement. C’était tout ce dont il avait besoin.


Plus tard, installés sur le canapé, il prit enfin de ses nouvelles, vraiment. Pas un « ça va ? » poli, mais un vrai intérêt pour son travail, pour sa fatigue, pour les petits tracas de sa vie à Yaoundé. Ils regardèrent un documentaire sur les fonds marins, et elle se laissa aller contre lui, sa tête trouvant naturellement sa place contre son épaule. C’était un contact timide, mais volontaire. Quand l’émission se termina, elle se leva pour coucher Léna, et il sentit son absence comme un froid soudain.


Le lendemain matin, Chloé dormait encore, épuisée par les émotions de la veille et le poids des semaines précédentes. Armand se leva à la lumière de l’aube. Il prépara silencieusement le sac de Léna, habilla la petite fille endormie avec une infinie précaution pour ne pas la réveiller. Il la souleva dans ses bras, son petit corps chaud et confiant blotti contre sa poitrine, et quitta l’appartement sur la pointe des pieds.


Une fois dans la voiture, il envoya un message rapide à Chloé :

«Ne t’inquiète pas. Je suis parti avec Léna chez maman. Repose-toi. Je reviens te chercher pour qu’on déjeune. »


Il ne voulait pas qu’elle se réveille dans un appartement vide et silencieux, prise de panique. Ce petit message était une bouée, une promesse de retour. Il conduisit vers la maison de sa belle-mère, le cœur léger. Le plan était en marche. Pour la première fois depuis bien longtemps, il allait avoir sa femme rien que pour lui, pendant toute une journée. Et il était déterminé à en faire une journée dont elle se souviendrait.

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