Des retrouvailles mitigées
Write by Gioia
***Blair Gueye***
Je me regarde dans le miroir pour la quinzième
fois sûrement.
-Blair tu vas rentrer dans le miroir là si tu
continues hein, se moque papa.
-Je veux juste m’assurer que je suis présentable
papa.
-Il n’y a pas plus présentable que toi ma
fille. Tu es très bien comme ça.
-Mes cheveux? Ils sont bien faits ?
-Ce sont les cheveux naturels B, comment ça
bien fait ?
-Bref tu ne comprends pas. Bon j’y vais là. Tu
es sûr que maman peut passer huit heures seule ? je m’inquiète encore
parce que dans le passé, on a souvent coordonné nos emplois du temps pour qu’elle
ne soit pas seule pendant plus de cinq heures.
-Mais oui. Au besoin, elle m’appellera j’en
suis sûr et puis je ne fais que la demi-journée aujourd’hui. Si tu n’es pas
trop gênée je vais te déposer à moto ?
-Voyons papa, même si c’est à pied je te
suivrai.
-Dans ce cas, le carrosse de madame est avancé,
s’amuse-t-il en me prenant la main alors que je riais.
Nous sommes arrivés sur place et en plus de
moi il y avait deux hommes. Un monsieur nous a rencontré et il a envoyé les
deux hommes à la mécanique. Une femme est venue me chercher pour me conduire à
la comptabilité. Je n’ai pas eu le temps de bien regarder les alentours hier.
Mais il faut dire que la société est vachement plus grande que ce à quoi je
m’attendais. La dame en question, Mandy Ayé, m’a expliqué très brièvement ce
qui était attendu de moi avant de me donner plein de fichiers de dépenses à entrer
dans leur base de données.
-L’ancienne commis comptable est en congés de
maternité et il y a encore beaucoup de désordre ici. Je suis ta superviseure
donc si tu as une question tu peux venir me voir. En attendant, je vais à la
mécanique.
C’est tout, elle ne m’a même pas vraiment
montré comment fonctionne leur base de données. J’ai seulement reçu les accès
pour me connecter et bye comme ça ? Elle m’a donné et elle était partie.
Elle m’a laissé seule pour une première journée face à 95 tableaux de 20
fichiers Excel à retranscrire dans leur base de données et madame ne s’est pas pointée
jusqu’à la fin de la journée. A 17h, je n’étais même pas sûr si je pouvais
partir mais bon c’est l’heure de fin selon les infos que j’ai eu des ressources
humaines donc moi j’y suis allée. En sortant j’ai reconnu les deux gars de ce
matin. Ils se plaignaient de la sévérité de l’ingénieur mécanique en chef. Selon
leurs dires, le bruit court que peu de mécaniciens sont retenus à la fin de la
formation. J’ai envoyé une prière silencieuse à Dieu pour le remercier de ne
pas être sous un patron pareil.
Le lendemain mme Ayé m’a soumis au même manège.
J’étais seule et perdue dans les tâches. À un moment, j’ai fait le tour pour la
trouver en vain. Je me suis même perdue et retrouvée aux ressources humaines.
On m’a appris qu’elle était sûrement avec l’ingénieur Ehivet mais je ne
pourrais pas le voir maintenant. Le nom a fait sursauter mon cœur. Il ne court
pas les rues un nom comme ça mais bon les chances que ça soit lui sont de
combien? Je suis retournée à mon poste et j’ai appelé une camarde de classe
Edith au renfort, pour qu’elle m’aide à trouver dans quelle catégorie classer
des bons d’approvisionnement. Elle n’était pas plus fixée que moi. Madame Ayé n’a
daigné pointer le bout de son nez qu’en après-midi.
-Bon madame Gueye, j’ai quelques rendez-vous
donc je vais m’absenter encore un peu.
-Euh madame s’il vous plaît j’ai vraiment
besoin d’aide là. Il y a des choses que j’ignore comment classer ainsi que
plein de reçus manquants ou illisibles. Que dois-je faire ?
-Mais fait comme on t’a appris à l’école. Ou
tu n’as pas étudié en comptabilité ?
C’est quel genre de réponse ça ? Je me suis
demandée intérieurement.
-Etudier est différent de travailler madame.
Chaque compagnie a son procédé interne et je veux m’assurer de faire comme il
faut.
-Miss c’est seulement un stage de six mois et
non un concours d’état. Ce que tu peux, tu fais parce que moi je n’ai pas le
temps. Je suis très occupée. En passant, les deux dernières heures qui te
restent tu dois aller à la mécanique pour apprendre un peu ce qu’ils font.
-Quoi ? Mais je ne suis pas mécanicienne.
-Ordre du DG. Tout le monde doit avoir une
idée globale de comment fonctionne le service entier ici, elle m’annonce et
sort en trombe alors que je digérais à peine la nouvelle.
Faut pas que le type là vienne gâter l’image
que j’ai des Ehivet hein. Je me suis présentée sur les lieux. Et franchement je
me demandais si j’étais vraiment dans un garage. Non mais la taille, les
voitures d’abord et puis les équipements. Tout le monde était en uniforme. Ils ont
même une secrétaire, des ordis et tout. Comme quoi il y a les uns les autres et
les oh lala.
-Patientez un peu, Mr Ehivet est en conférence,
m’informe la secrétaire.
Je suis sortie pour me rincer encore l’œil. Ce
que les mécaniciens faisaient m’intéressaient pas mal donc je me suis dirigée
vers une voiture qui ressemblait à une vieille Volvo. Mais le genre de vieux
que les collectionneurs ont souvent. Ça porte des masques ici et manie des
machines qui me semblent étranges. J’ai reconnu un des deux types d’hier sortir
d’une voiture et discuté un peu avec lui.
J’entends derrière des pas et une femme,
disant M Ehivet puis une voix grave répondre, « je t’ai dit de m’appeler
par mon prénom ». Je me suis retournée quand elle a dit « OK Mr
Ludovic ».
Le bruit autour sonnait comme des
bourdonnements dans mes oreilles et je n’étais plus physiquement dans mon
corps. C’est Ludovic ? Il ne peut pas avoir deux Ludovic Ehivet non ? Je veux
dire Ludovic est un prénom assez courant mais couplé au nom de famille ? C’est
juste que ce Ludo est complètement différent de mon Ludo. Enfin son teint est
toujours plus clair que le mien. Pas si grand de taille ; il doit faire dans le
mètre 72-75. Mais les muscles sortent d’où ? Même si ce ne sont pas des gros
muscles, bah ce sont quand même des muscles quoi ! Mon Ludo était mince voir
chétif en dernière année surtout. Mon esprit est revenu rapidement dans mon
corps quand je l’ai vu s’avancer vers moi et me tendre la main en souriant.
-Excusez mon retard, vous êtes la nouvelle stagiaire
à la comptabilité ? Je suis Ludovic Ehivet.
Je le regarde surprise, cherchant dans son
regard une trace d’amusement mais non. Il ne semblait vraiment pas me
reconnaître.
-Blair Gueye, je m’annonce et l’observe un peu
amusée.
Combien de temps s’est écoulé ? Je l’ignore.
Mais j’ai clairement vu son visage se refermer comme le granit.
-Miss Gueye suivez-moi, dit-il en marchant
rapidement vers les autres mécanos sans pour autant m’attendre.
J’ai fait aussi vite que je pouvais.
-Vous allez rejoindre Ulrich et Bill ici
présents, dit-il en désignant les deux acolytes recrutés en même temps que moi.
Vous êtes ici pour avoir une brève idée de ce que nous faisons. Assurez-vous de
suivre et d’être attentive. Je déteste me répéter, il finit d’une voix qui me
donne presque la chair de poule. Pas une bonne chair de poule, le genre de
chair qui me dit que si je n’obéis pas j’aurais….Madame quand je parle j’aime
qu’on me réponde. Est-ce clair ? il m’interrompt dans mes pensées.
-Oui Ludo, j’obtempère sans réfléchir.
-Ça sera M Ehivet pour vous et que je ne vous
reprenne plus à ce genre de familiarité. Ici ce n’est pas la maison de votre
père, dit-il sarcastique ce qui provoqua quelques rires.
J’étais tellement gênée. J’ai juste serré les
lèvres mais je continuais à le regarder. Il a commencé à faire la ronde des
différents sites. Il regardait et commentait le travail tout en corrigeant au
besoin. Je ne suivais rien vu que je comprenais à peine. Les deux autres
prenaient des notes au fur et à mesure. Moi j’étais perdue à observer Ludo. Il
doit toujours m’en vouloir pour ce qui s’est passé il y a dix ans. Je n’ai
toujours pas de preuves pour m’innocenter mais je dois encore m’expliquer. Je
ne suis pas mesquine et je n’aurais jamais fait ça à quelqu’un. À plus forte
raison un ami qui comptait tant pour moi. J’espère qu’on pourra redevenir amis
surtout que je n’en ai plus vraiment à part Edith. Il s’est arrêté brusquement
et s’est retourné vers nous.
-Nous en avons fini pour aujourd’hui. Une question avant. Quelqu’un peut me dire
comment réparer un système ABS défaillant ? Gueye ?
Mais il n’a même pas attendu que Bill ou Ulrich
se proposent.
-Non lu... M Ehivet, je passe mon tour.
-Madame, ici ce n’est pas un jeu pour que vous
décidiez de passer votre tour. J’ai parlé pendant trente minutes et vous ne
pouvez pas me dire quoi faire d’un système ABS défaillant ? Savez-vous au moins
ce que c’est ?
ABS ? Je connais ABCD. Quelle affaire de
voiture on vient me mettre dessus ici ?
-Monsieur moi ce que je connais c’est la
comptabilité pas les voitures. Donc excusez ma franchise mais je n’ai rien
retenu de ce que vous avez dit.
-Ce n’est pas de la franchise mais de la
bêtise. Ici, on attend de chaque employé qu’il connaisse le minimum de ce que
fait la société. Tout le monde y est passé. Ressources humaines, commercial et
manager. Si vous n’obtenez pas mon approbation votre stage sera écourté.
-J’aimerais bien vous y voir, je rétorque
piquée au vif. Pourriez-vous vous me dire ce qu’est un amortissement en terme
comptable vous peut-être ?
J’ai bien entendu les murmures d’étonnement
mais il m’a soûlé avec sa remarque. Personne ne m’avait parlé de cette partie
quand j’acceptais le stage alors c’est quoi ce ton condescendant qu’on me sert ?
Celui qui me prend de haut, m’offre un petit sourire. Pas un beau en tout cas.
-Insubordination au premier jour à ce que je
vois. Je le répète Miss Gueye, ici ce n’est pas la compagnie de votre père ou
votre petit terrain de jeu. Vous n’êtes pas satisfaite ? La porte vous attend.
D’autres sont prêts à travailler et je ne perds pas mon temps avec ceux qui ne
savent pas ce qu’ils veulent. Est-ce que je me suis fait comprendre ?
Le « oui » que je lui ai servi, m’a
été pénible à dire. J’ai dû grincer des dents pour le sortir.
-Ceci est votre premier avertissement et je
n’en donne pas un deuxième dit-il en s’en allant.
-Ma belle, il faut seulement supporter et
écouter oh, Bill me conseille un peu plus tard. Mr Ehivet c’est la petite
révélation du garage. Il parait que depuis son intégration ici, la clientèle
externe du garage s’est grandement élargie. Des clients viennent d’un peu
partout d’Afrique de l’Ouest. Il a contribué à l’excellente rigueur et réussite
qu’on attribue au garage alors il se prend beaucoup. Je peux te passer mes
notes si tu veux mais accroche-toi. Une Jolie fille comme toi ne peut pas
partir au premier jour.
-Pfff jolie fille et puis quoi ? ajoute Ulrich
qu’on n’a pas sonné. C’est ta chance que ça soit lui le patron parce que moi là
tu n’aurais même pas une deuxième. Tu pensais qu’en portant la robe moulant ton
gros derrière il allait baver sur toi ? On vous connaît vous les filles de
Babi.
-Moi je ne te connais pas donc fais gaffe à
comment tu me parles sinon tu ne me sentiras pas passer, je lui retourne sans perdre
une seconde. On ne va pas m’intimider ici pff !
Je remercie Bill pour sa sollicitude et retourne
enfin à nos bureaux. En sortant de la section mécanique, devinez qui je trouve en
plein bavardage animé avec la secrétaire de Ludo. Mme Ayé. En gros ce qui
l’occupe et elle vient pas m’aider quoi. Tranquille. Bouleversée par les
événements de la journée, je suis rentrée directement à la maison. Papa était
encore dehors, mais maman portait ses habits de sortie, signe qu’elle avait un
programme, mais je ressentais le besoin de parler à quelqu’un donc je l’ai
approché.
-Maman est ce que tu as une seconde ?
-Oui oui.
-Je…
-Tu sais je suis allée au club aujourd’hui et figure-toi
que j’ai vu ton petit ami. Pourquoi tu ne mettrais pas une de mes belles robes
et je te passe mon sac Channel pour qu’on aille visiter les Koutouan ?
-Quel petit ami ?
-Comment ça quel petit-ami quand je parle des Koutouan ?
le frère de Clarence, Arthur. Il semble qu’il est rentré pour les vacances.
-C’est un ex maman. Un très lointain même dans
mon historique de relations. En plus je n’ai rien à lui dire. Aujourd’hui j’ai
eu quelques soucis au bureau. Tu vois je...
-Hum je
ne pense pas que mes robes classent t’iront, elle dit tout en sortant une de son
armoire. Il faut franchement que tu diminues quelque tes cuisses et ton
derrière B.
-Maman, je suis là parce que j’ai besoin de
parler là !
-Mais, n’est-ce pas ça qu’on fait ?
-Pas de tes vêtements ou tes sacs de marque
que tu continues de garder jalousement alors qu’on ne vit plus dans ce cercle.
Je veux te parler de ma journée au bureau.
-Si ça te chante de gaspiller ton potentiel
dans un bureau où tu es payée des miettes et on te crie dessus tu veux que je
fasse quoi ? elle répond en haussant les épaules.
-Lol, attend tu es sérieuse ?
-Oui oui! Moi je vois plus grand pour toi ma
fille. Avec cet Arthur tes problèmes seront finis. Tu retrouveras une vie
semblable à celle d’avant. Et nous pourrons fermer le clapet à la maman de Clarence
qui ne fait que me prendre de haut. Ce garçon t’a aimé avant Blair. Les
sentiments reviennent vite entre ex. Tu vas voir. Ne te décourage pas.
Comme elle s’en foutait clairement de ma vie
je l’ai laissé dans son délire et J’ai regagné ma chambre pour causer avec mon
oreiller. Le lendemain je suis partie plutôt que d’habitude. Même avant
papa. J’espérais voir Ludovic pour qu’on
s’explique parce que c’est faux que je vais travailler dans ce climat moi. Son
animosité va réveiller la mienne et je ne veux moi même pas voir ça. J’arrivais
à pied quand il descendait de voiture. Nous nous sommes croisés devant
l’établissement et on se regardait sans rien dire. Il allait partir quand j’ai
parlé.
-Ludo il faut qu’on parle.
-Mr Ehivet miss.
-On n’est pas encore dans la compagnie donc
ton histoire de monsieur qui te monte à la tête met la en sourdine pour le
moment s’il te plaît, dis-je alors qu’il me regardait surpris. Je n’ai rien
fait il y a dix ans Ludo je te promets. Tu as été un ami important et pour moi
l’amitié est sacrée. Jamais je ne piétine ceux que j’aime et….ça peut sonner
bizarre parce qu’on était que des gosses mais je t’appréciais beaucoup. En
plus....
-Je ne sais pas quel âge tu as aujourd’hui
mais j’en ai 24. Crois-moi que le cadet de mes soucis c’est de ressasser des
trucs d’il y a dix ans. Si ta tête est encore coincée au lycée ça n’engage que
toi.
-Dans ce cas, pourquoi tu es si sec et
condescendant avec moi ? demandai-je sincèrement peinée.
-Condescendant parce que je t’ai posé une
question à laquelle tu n’as pas pu répondre ? Tu t’attendais à quoi ? Que je te
déroule un tapis en criant oh mon amie marche dessus ? Écoute j’ai d’autres
chats à fouetter et le monde ne tourne pas autour de toi B, dit-il sur un ton
sarcastique en rentrant dans le bâtiment.
Il m’a appelé B alors qu’il avait dit jadis
qu’il ne ferait jamais parce que ça ressemblait à Bitch. Au moins le message a
le don d’être clair.