Desperate
Write by Tiya_Mfoukama
Chapitre I
Qu’est-ce qui m’a pris d’accepter ce dîner. Je pensais
vraiment pas qu’elle me voyait en « desperate » au point de me présenter CA !
Un mètre quatre-vingt cinq de charme encré dans le fin fond de son corps -
d’ailleurs je suis encore en train de creuser pour le trouver mais j’ai la foi,
je crois en Dieu – des boutons cratères sur le visage dont la grosseur est trop
suspecte, une bouche à faire pâlir le clodo du coin de la rue, et une haleine…
JISOS CHRISTOS ! De quoi faire retourner mon estomac, mon esprit et même ma
conscience.
Je pensais que les femmes étaient les seules à utiliser le logiciel Photoshop
et le contouring, cette technique de maquillage ou devrais-je dire de
transformation, venue tout droit des US, mais faut croire que non. Parce que
quand je pense aux multitudes de photos envoyées par Nina et lui-même et
regarde le spécimen qui se trouve en face de moi, j’ai envie de dire que soit ;
je me suis trompée de rencard. J’ai confondu mon rendez-vous avec un autre
Kevin, qui a le même âge, exerce le même métier, qui tient le même discours,
mais qui est super laid ! Pardon, on ne dit pas laid…Qui n’est pas à mon goût
–mais je me demande s’il peut même être du goût de quelqu’un – soit….soit j’ai
à faire avec un gros mytho qui m’a vendu du rêve comme Disneyland en vend aux
mioches.
J’aime me dire que la première option est la bonne, j’ai dû me tromper
de rencard.
J’analyse donc d’un coup d’œil, qui se veut discret, le resto dans lequel nous
nous sommes retrouvés, peut-être que le bon Kevin est là, en train de me
chercher…
-Ketsia, tu ne manges pas ?
Woh, woh, woh, c’est quoi cet hupper-cut frontal ! Tu ne peux pas parler sur les
côtés comme tout le monde ?
Je viens de perdre l’odorat là, c’est certain !
-Ketsia ? Ca va ?
Wéé mon ami ! C’est quoi !
Mais qu’est-ce qu’il a mangé lui avant de venir ? Trois mottes de merde ?
-Ketsia ?
Oh non, là, c’est trop !
-Kevin, Kevin, euh… Je me sens pas bien là, j’ai…. J’ai….
J’ai envie de mourir tellement ton haleine me fouette les narines. C’est trop
pour me gros nez épaté, il est très sensible, et là, sa sensibilité vient
d’être heurtée, bafouée, tout ce que tu veux en « ée ».
-J’ai un léger tournis et je sais qu’il va empirer d’une minute à l’autre.
-C’est peut-être dû au fait que tu n’aies rien mangé, t’es peut-être en manque
de glucides.
Ou en manque d’oxygène.
-T’as même pas touché à ton assiette.
Même avec toute la volonté du monde, je peux pas, mon plat à beau être
appétissant, l’air est trop….Humm, je peux pas !
-Non, non, je…Quand je suis prise de tournis, je peux pas vraiment manger, je
dois simplement aller dormir et laisser passer.
-Ah je vois. Fait-il visiblement peiné.
Han ! Ça me serre le cœur mais vraiment, je peux plus. Je supporte depuis une
heure déjà et même avec toute la volonté du monde c'est plus possible. Mes
narines vont bientôt saigner, et je sais que j’ai un déficit en facteur K, mon
sang ne coagule pas comme il faut, j’ai peur de perdre trop de sang et qu’on en
vienne à une transfusion sanguine. Je suis pas témoin de Jéhovah mais je suis
pas pour recevoir le sang d’une autre personne.
Les indiens cherokee disent que le sang, les organes, le corps d’une personne
en général, transportent l’esprit de son hôte. Partant de là, si on venait à me
transfuser le sang d’un shizophrène ayant un gène guerrier, je n’ose pas
imaginer l’impact que ça aurait sur….
-Ketsia ? Mince, tu commences même à piquer du nez.
Non mon ami, non. Je ne pique pas du nez, hélas, j’ai dépassé ce stade. Là je
fais une hémorragie interne nasale – ne cherchez pas dans un dictionnaire
médical, ça existe, j’en suis certaine.
Je vais devoir revoir mon point de vu sur la transfusion sanguine.
-On va y aller, c'est plus prudent. Excusez-moi. Lance-t-il pour interpeller un
serveur. On pourrait avoir l’addition s’il vous plait ?
-Oui, je vous emmène ça. Dit le serveur en retirant nos plats. Ça a été ?
Alors toi, je ne te laisserai pas de pourboire !
C'est ma mort que tu veux ? Pourquoi tu veux le faire discuter?
-Oui, ça a été merci. Répond Kevin.
-Je suis vraiment désolée Kevin. Dis-je alors que le serveur s’éloigne de notre
table. La journée n’a pas été de tout repos, encore moins la semaine. Je suis
en train de subir le contrecoup. C’est vraiment dommage que ça tombe lors de
notre diner.
-C’est pas…
-Mais on pourra en reprogrammer un. Le coupé-je avant qu’il ait le temps de
finir sa phrase. On pourra en programmer un autre et je t’assure que je ferai
en sorte d’être bien reposée, pour vraiment me concentrer sur toi.
-Y’a pas de…
-On pourrait même essayer de faire ça à la maison. Un diner fait-maison, ce
serait sympa hein. Je préparerai pour toi et tu pourras juger de mes talents
culinaire.
Je parle, je parle, je parle, sans m’arrêter essayant d’enchainer, de façon
logique tout de même. Mon seul but et qu’il n’ouvre plus la bouche jusqu’à ce
que le serveur revienne. J’ai pu faire un calcule mental –même en parlant oui,
c’est une spécialité chez moi –et il en ressort qu’il me faudra tenir encore
sept minutes entre le moment où l’addition sera payé et celui où nous nous
retrouverons dehors… Là où je pourrai respirer à plein poumon ! THE DREAM !
-Ah oui, tu cuisi…
-OUI, je cuisine, bon pas tout le temps hein, mais oui, je fais des bons petits
plats de chez nous. Tu sais à huit ans, j’étais assisse en cuisine avec ma mère
et je la regardais faire, mais je savais déjà faire la semoule. Quoique, ce ne
soit pas un exploit, j’ai une cousine éloigné angolaise qui préparait déjà des
vrais plats alors qu’elle n’avait que sept ans, mais elle venait du village, donc.
-Une cousine ango…
-Oui, oui, j’ai une cousine angolaise, mais je ne suis pas angolaise. En fait,
le petit frère de mon père a épousé une angolaise qui avait un enfant né de sa
précédente union. De fait, j’ai une cousine angolaise sans avoir de sang angolais.
Et si on regarde bien, j’ai des cousines un peu partout dans le monde.
L’avantage de la mixité. Chez nous, dans ma famille, on ne regarde pas les
origines, la religion, ou tout ce que tu veux, on regarde avant tout la
personne et son cœur. Et moi j’aime ça parce que ça me permet de découvrir
d’autres cultures, ça m’exorte à la réflexion, ça me permet de mieux comprendre
les personnes qui m’entourent, en quelques mots, je dirais que ça me pousse à
être une meilleure personne.
-Ah, okay. T’as l’air d’aller mieux. Constate-il.
-Voilà votre addition. Lance le serveur de retour.
L'heure de la délivrance à enfin sonner.
-Merci… Alors la douloureuse s’élève à combien. Chantonne Kevin. Oh ça va, je
m’attendais à pire. On fait moit-moit ?
On quoi ?
Really nigga ?
Genre je me prive d’oxygène, je me saigne le nez, je fais même une hémorragie
interne, parce que j’ai la délicatesse de supporter l’odeur nauséabonde de ton
haleine fétide là, et je dois PAYER ?
Okay mais là, ça va chier avec Nina, je vais pas la rater. Plan foireux comme
ça…Tsss. Heureusement que je marche toujours avec ma carte bleue.
-Oh non, je vais payer, je te dois bien ça. Proposé-je en souriant.
Plus pour la forme qu'autre chose.
-Okay.
HI ! Il a dit Okay ? Il n’a même pas fait semblant de vouloir payer sa part ?
Ah les africains de France ! Ils ne se gênent plus ! Si on était au pays, le
gars ne m’aurait même pas laissé sortir ma carte, par fierté et de peur que je
salisse sa réputation au près des autres femmes, mais ici … C’est la Fran-ceuuuh,
les femmes prônent l’égalité homme-femme donc elles peuvent et doivent payer!
Et c’est les gar-cons - la cédille à sauter toute seule- android qui pensent de
cette façon qui ne vont jamais prendre un grattoir pour récurer une casserole
ni même du Génie pour faire tremper leurs vêtements.
Mais je suis au dessus de ça, moi ! Alors je vais payer.
J’hèle le serveur, paie l’addition – ma carte aussi ne bloque pas pourtant
quand c'est pour le shopping ça ne sait qu'écrire "paiement refusé" –
et enfile rapidement mon manteau.
Il est encore en train de boutonner le sien quand je suis devant les portes
d’entrée en verre.
Je vais plus me gêner, puis l’air qui s’insinue à travers les petits espaces
entre les portes me fait doucement valser de plaisir. Je vais jouir parce que
je vais respirer de l’air pur !
Quand, il entre dans mon champ de vision, j’ouvre les portes et inspire une
grosse bouffée d’air par la bouche, un peu comme un plongeur resté trop
longtemps sous l’eau. Ça y est, je suis émoustillée !
-Il fait un peu froid là, t’es bien couverte ? Tu veux mon écharpe?
Hihi... NON !
-C’est gentil mais non merci, je suis bien couverte. Dis-je en arrangeant le
col de mon manteau. Bon, bah, c’est ici que nous nous quittons, j’ai été
contente de te rencontrer, enfin.
-Mais je peux te raccompagner, je suis en voiture et garé pas très loin d’ici.
Wahou, j’ai jamais autant aimé l’air qu’aujourd’hui. Je lui vois des pouvoirs
magiques, notamment celui de pouvoir éloigner l’odeur émanant de la bouche de
mon cher ami !
Quoi qu’il en soit, il est hors de question qu’il me raccompagne. J’ai quand
même payé nos plats.
Oui, ça me reste en travers de la gorge !
-Ouais mais non, t’habites loin si je me souviens bien, je vais pas te faire
faire un détour.
-Ça ne me dérange pas, et ça me permettra de me rassurer. Tu pourrais être
amenée à faire un malaise dans le métro.
-T’inquiète pas pour moi, je vais réussir à contrôler mon corps jusque là. Je
t’enverrai un message une fois arrivée.
-Tu sembles avoir la situation en main…. Ça m’a aussi fait plaisir de te
rencontrer. T’es plus jolie en vrai.
Je peux pas vraiment en dire autant de toi, mais t’as l’air bien aussi, si on
oublie ton problème d’halitose.
-Merci. Bon bah à la prochaine.
Je pars un peu comme une fugitive, sans lui faire la bise.
C’est pas cool, j’aurais pu prendre sur moi, mais ma politesse m’a un peu
abandonnée.
J’arrive une quarantaine de minutes plus tard chez moi, et m’empresse de
rédiger un message à Nina.
« Alors toi et tes plans foireux. C’était la dernière fois. Mais un petit
conseil pour ton bien ne tente pas de m’appeler pendant une dizaine de jours »
Et moins de dix secondes après l’accusé de réception du message, elle
m’appelle.
C’est une impression où les gens aiment faire l’inverse de ce qu’on leur
demande ?
-Ça c’est pas bien passé ? T’as fait ta compliqué c’est ça ? Non mais Ketsia
y’a un moment va falloir te revoir hein, je te trouve une perle comme on en
fait plus surtout ici et toi tu trouves le moyen de tout flinguer.
-….
Je regarde mon téléphone un peu sceptique. Elle est en train de me crier dessus
?
-Et lui, tu vas lui trouver quoi comme défaut ?
-…. Au-delà de sa supposée beauté, sur laquelle je ne m’arrêterai pas, j’ai eu
à supporter son haleine plus qu’incommodante. Mais attention, c’était pas le
genre d’incommodant où tu te tournes vers la droite ou la gauche et avec un
demi mètre d’écart tu peux supporter. Non, c’était le genre d’incommodant où
les habits s’imprègnent et où tu te demandes si tu vas un jour respirer de
nouveau l’air pur.
-Arrête, t’abuses. Pouffe-t-elle en riant.
-Non, j’abuse de rien du tout mais tu peux pas me comprendre parce que t’étais
pas là, toi. T’as pas eu à supporter. J’étais même sur le point de revoir mon
jugement sur la transfusion sanguine, tellement j’avais peur que l’hémorragie
provoquée me soit fatale.
-Mais qu’es-ce que t’es mauvaise langue. Ricane-t-elle.
-Hummm, je t’invite à dîner avec ton ami. Et prévois de l’argent hein, c’est le
genre à te faire payer. Bref, je n’ai pas été méchante, malgré tout ça mais je
veux plus le revoir, ni le sentir.
-T’es nulle, t’es en train de sous entendre qu’il t’a fait payer ?
-Je ne sous entends pas. Il…
- Attends, je viens de recevoir un message… Quand on parle du loup … Il dit que
tu lui as vraiment plu et me remercie pour la connexion.
Il la remercie pour la connexion ? Et moi, il ne me remercie pas pour l’avoir
supporté ?
Je retire mon téléphone de mon oreille pour la seconde fois.
A bah on dirait que
si, il m’a envoyé un message sur whatsapp. Il commence par « J’espère que
t’es bien rentrée, j’ai… », mais je ne peux lire la suite du message, sauf
si je clique dessus. Ce que je ne fais pas,
je ne veux pas avoir à parler avec lui et les deux petites barres bleues
me trahiront dès que j’ouvrirai le message. Je lirai la fin plus tard. Tiens, y’en
a aussi un de mon père, faut pas que j’oublie de l’appeler.
-Moi aussi je viens d’en recevoir un. L’informé-je.
-Il te dit quoi ?
-Je ne sais pas trop, je l’ai pas ouvert. Bon faut que je te
laisse, j’ai également reçu un message de mon paternel et je dois le rappeler.
-T’étais pas obligée de m’informer que c’était ton père. Grogne-t-elle.
-Si, si j’étais obligée, de cette façon, ça te permet de te rappeler que mon
temps est compté et dorénavant, t’éviteras de m’envoyer des hommes à l’haleine
épouvantable, qui gâcheront mes derniers jours ici.
-Tu parles de derniers jours mais est-ce que t’as une date de départ ?
-Non. Ça devrait plus tarder. Je pense que c’est la raison pour laquelle
Massamba m’appelle.
-T’es vraiment obligée de partir ? Les raisons que tu m’as exposées la
dernière fois sont légitimes mais.. Y’a toujours des solutions et tu le sais !
Je le sais bien, sauf que j’ai pris une décision, que je regrette un peu mais que je vais assumer pour une fois.
J’en ai un peu marre de l’étiquette de la nunuche de service qui passe son temps à changer d’avis comme une girouette. J’ai envie d’être prise au sérieux, de montrer que je suis plus responsable que ce que tout le monde pense, et puis j’ai aussi envie de nouvelles expériences. …..
-Je sais mais j’ai fait un choix et je vais m’y tenir.
On verra où ça me mènera.
-Okay, c’est toi qui vois. On se voit demain ?
-Je ne sais pas encore, on verra si je
retrouve mon odorat.
-Ketsia…
-bon, je te laisse. Bye.
Je balance mon téléphone, sur la gauche puis m’écroule sur mon lit. Soupir.
En fait, je vais finalement pas appeler mon père, pas la
force de l’entendre me parler de mon retour au pays, de mes projets
professionnels - que je n’ai pas encore
définis - d’ avenir, et de construction… Bref de tout ce qui va me faire chier.
C’est déjà le bordel dans ma tête. La semaine a vraiment été merdique, et même
si elle ne se termine pas en apothéose, je veux au moins faire en sorte qu’elle
se finisse dans le calme.