Disparu
Write by Farida IB
Austine AGBEKO…
Un grand foutoir nous accueille Cynthia et moi lorsque nous franchissons le seuil de la salle de réception de l’hôtel Palm Beach. Décorateurs, fleuristes, agents de l’hôtel, tous s’activent pour rendre ce lieu unique tout comme le sera mon mariage avec Emmanuel. J’ai bravé les interdictions de ma belle-mère ainsi que celles de ma mère pour être ici cet après-midi, cela me tenait trop à cœur de m’assurer que mes désirs ont été respecté. Il faut noter qu’ils sont allés au-delà de mes désirs, les ornements sont indéniablement parfaits, l’ensemble du décor est tout simplement magnifique. Je voulais du chic, de la romance et du glamour et c’était exactement ce que j’avais devant moi, l’image parfaite du mariage parfait. C’est qu’indubitablement que tout prend son sens, je vais me marier ! Enfin, mon plus grand rêve se réalise et justement au moment où je commençais à peine à désespérer.
Cynthia émerveillée : amazing ! Il n’y a pas de doute que tu auras un mariage féerique !
Moi : c’est sûr, (lui tenant les mains) je n’arrive pas à croire que mon rêve va se réaliser.
Cynthia : il faut y croire ma belle, demain à pareille heure, tu seras Mme OSSENI.
Moi riant : répète-le une fois encore, je ne me lasse jamais de l’entendre.
Cynthia : lol, je crois que nous devons rentrer à présent. Ne prenons pas le risque de nous faire cafter, maman Jacqueline (ma mère) risque de nous faire des remontrances à vie.
Moi : you’re right ! En plus, je suis censée me relaxer à cette heure de la journée, à croire que je suis encore gamine et que je devais respecter le temps de chambre.
Cynthia mdr : c’est dans le but de te rendre plus belle que jamais, il faut que le beau-frère soit subjugué de te voir demain.
Je jette un dernier coup d’œil au décor avant de la suivre vers la sortie.
Cynthia (s’arrêtant brusquement) : je n’arrive pas à croire que tu vas épouser l’homme de tes rêves, je suis trop heureuse pour toi sister.
Moi : oh oui, après dix ans, trois ruptures, c’est certain que c’est l’évènement du siècle.
Cynthia : tu avais fini par ne plus y croire, mais moi à chaque rupture, j’étais sûr que vous vous rabibocherez. Enfin, je savais que tu l’épouserais un jour.
Moi : tu déconnes.
Cynthia : obviously ! En dehors du fait que vous, formez un beau couple, vous vous aimez d’un amour inconditionnel, vous êtes les meilleurs amis qu’il m’ait jamais donné de voir. Vous avez résisté au temps et à toutes les tempêtes aussi virulentes les unes que les autres. Ce mariage n’est qu’une simple formalité, vous étiez marié depuis fort longtemps. Vous êtes fait l’un pour l’autre.
Moi (sur un ton de plaisanterie) : mais dis-donc ! Pour quelqu’un qui refuse de se mettre en couple, tu en sais beaucoup trop sur le mien inh.
Cynthia : certes, mais je sais apprécier le bonheur des autres. Franchement, tu as le genre de mec que toutes les filles rêvent d’avoir comme compagnon et tu es tout ce dont un homme peut rêver comme épouse.
Moi : Joe l’est également !
Cynthia (faisant la moue) : et voilà que tu recommences à m’accabler avec ça !
Moi : calm down, on ne va pas se prendre la tête aujourd’hui. (changeant de sujet) Et si nous allions manger dans notre restaurant préféré ?
Cynthia adhérant : ouais comme au bon vieux temps.
Moi riant : et avec notre argent cette fois.
Je l’entraîne dans mon fou rire. L’histoire, c’est qu’à l’époque nous avions pour tradition de nous retrouver dans un restaurant New-yorkais selon nous pour conserver nos racines américaines. Évidemment qu’on n'en avait pas les moyens du coup, nous puisions dans les réserves de ma mère jusqu’à ce qu’elle ne découvre pas le pot aux roses. Ce fut un jour mémorable, c’est tout ce que je peux vous révéler pour l’instant. Mes fesses vous confirmeront le code krkrkr…
Nous mettons donc le cap sur Yogis, pendant le trajet Cynthia n’arrête pas de raconter des merveilles sur Joe. Je dénote qu’il correspond exactement à l’idée du prince charmant que je me faisais, toute petite. Au fil du temps, on perd cette conception de la chose, à défaut de l’homme qui franchit vaillamment un grand nombre d'obstacles, combat une sorcière, brave un dragon, pénètre une forêt de ronces ou gravi un éperon rocheux pour délivrer sa princesse, on se contente de l’homme fidèle qui partage nos valeurs et qui tient toujours parole. Ce n’est plus l’homme taillé, qui fait chavirer le cœur de toutes ces dames, mais celui-là qui est capable de te faire rire lorsque tu en as le moins envie. On s’en fiche qu’il n’habite pas un château immense, juste un homme bien qui nous comprend d’un seul regard. On s’en fiche encore plus qu’il ne se comporte pas au lit parce qu’on aime vraiment ça. Mon homme à moi correspond parfaitement à ces descriptions, il a plein de petites imperfections, mais il ne demande rien, ne fait pas de scène, il n’est ni jaloux, ni envieux, et se met rarement en colère. Par-dessus tout, il est là pour moi, nous sommes parfaits l’un pour l’autre et c’est ce qui compte le plus à mes yeux.
Ma relation avec Emmanuel a commencé sans grande conviction, je venais d’arriver au Togo et lui de la Côte d'Ivoire. Le même destin nous liait, il fut rapatrié comme moi (rire) et devait également entamer ses études supérieures. Quand je me rappelle que je l’avais pris de haut le jour de notre rencontre, il avait l’air d’un va-nu-pieds. Disons que c’était ma conception à moi d’un bandit, quelqu’un qui t’agresse en pleine rue juste pour avoir ton numéro, non, c’était trop pour moi. Cela ne faisait pas partie de notre éducation américaine et il tombait mal pour tout dire. En sus, il m’était tombé dessus à une période où tout me rebellait. J’avais une dent contre le monde entier et surtout contre mon père pour m’avoir séparé de mon petit ami d’antan soi-disant qu’il me dépravait. Quoique je me rende compte aujourd’hui que c’était vraiment une mauvaise fréquentation (il m’entraînait à la drogue, aux extasies et à l’alcool) mais qu’il l’avait fait avec l’intention d’éloigner Cynthia de son tyran. Ainsi donc, j’avais passé des mois à mépriser Emmanuel. Il m’était antipathique, il ne pouvait aligner deux mots en anglais et moi, je ne comprenais rien de ce qu’il racontait comme bobard (rire). Il parlait le français avec un accent, c’était tout drôle de l’entendre, Cynthia et moi, nous en moquions toutes les nuits. Et puis un jour, je me suis rendu compte que je commençais à apprécier le jeune homme à l’accent. J’appréciais sa ténacité, il avait même pris des cours de langues juste pour que nous puissions communiquer. On s’était mis à se fréquenter, on ne pouvait plus se passer l’un de l’autre. Nous nous soutenions respectivement, aussi moralement que financièrement. J’étais son centre du monde et il était le mien. Rien ne pouvait nous ébranler, même pas nos nombreuses ruptures parce que ce qui nous liais était plus fort que ce qui nous divisais. Ce n’est pas le plus parfait homme au monde, mais avec lui, je suis en état d’amour perpétuel et lorsque mes yeux croisent le bout de diamant à mon doigt, je ne vois pas notre passé en montagne russe. J’ai en image un futur radieux, un couple parfait évoluant dans l’harmonie et la paix absolue.
Cynthia (me secouant) : Aus ! Ton téléphone vibre depuis un moment, (me fixant perplexe) tu es sûre que ça va ?
Je secoue la tête et m’empresse de décrocher.
Moi souriant : le bon Dieu est avec moi, je pensais justement à toi chéri.
Cynthia : ça se comprend !
Je lui donne une tape.
Emmanuel (la voix étrangement calme) : il faut qu’on se parle, est-ce qu’on peut se voir ?
Moi : il semble qu’on ne doive plus se voir avant demain.
Cynthia : le futur marié a hâte de voir sa femme apparemment.
Moi : shuuutt !! (à Emmanuel) Chéri, il y a un souci ?
Je le fais attendre lorsqu’on arrive à destination avant de me mettre à l’écart pour mieux l’écouter.
Moi : tu peux parler maintenant !
Emmanuel brusque : je me demandais si ça vaut encore la peine ce mariage.
Moi : bien sûr bébé, nous avons passé des mois à l’organiser.
Emmanuel : à un moment, j’étais certain de vouloir le faire, sauf que là, des doutes m’envahissent alors que je ne suis pas censé douter. Aus, tu es une femme merveilleuse (avec un point d’hésitation) je ne veux pas tout faire foirer.
Moi (essayant de garder mon calme) : qu’est-ce que tu racontes ? Ça n’arrivera pas voyons, c’est juste le trac. Fais-toi couler un bain moussant et ne lésine pas à te prélasser dedans toute la nuit. Tu verras que tu auras les idées plus claires demain matin.
Emmanuel : euuhh ok, je vais le faire.
Moi : je t’aime, n’oublie pas.
Emmanuel : je t’aime aussi mon amour.
Je cogite un moment avant de me décider à rejoindre Cynthia.
Moi (m’attablant) : tu as commandé nos smoothies ?
Cynthia (hochant la tête) : il voulait quoi ton chéri ?
Moi : il est un peu stressé.
Cynthia riant : le pauvre ! Je parie que c’est la lune de miel qui le stresse autant.
Moi : lol bou ! (dégage !)
Cynthia reprit son récit sur Joe, je l’écoutais sans vraiment plus prêter attention. J’essayais de garder ma sérénité, mais l’appel d’Emmanuel m’a quelque peu bouleversé. Des questions me trottent dans l’esprit et je commence à vraiment baliser. Et si mes appréhensions s’avéraient être confirmés ? Je connais mon chéri comme un homme loyal et pragmatique, il n’a jamais été hésitant. Qu’est-ce qui peut bien le faire douter à la dernière minute ? (soupir)
Cynthia (agitant sa main devant moi): tu finiras par me dire ce qui te tracasse ?
Moi titubant : moi ? Euhh… Rien !
Cynthia : sûre ?
Moi mentant : je m’inquiète pour le reste des préparatifs, c’est tout.
Cynthia : donc tu ne fais toujours pas confiance à ta belle-mère ? C’est une dame très raffinée et je suis sure qu’elle fera les choses comme tu le souhaites. Tu n’as pas à t’inquiéter, maman Jacqueline est là pour superviser.
Moi (forçant le sourire) : c’est vrai, je m’inquiète pour rien. (au tac) Et toi, tu te l’avoues quand, que tu l’aimes Joe ?
Cynthia : c’est déjà fait !
Moi (ton suppliant) : alors donne-toi une chance, tu n’as pas arrêté de faire ses éloges de toute la journée. (prenant une grande inspiration) Bichette, je me marie demain, tu te rends compte ? Je ne serai plus là pour t’épauler à longueur de journée, tu as besoin de lui dans ta vie.
Cynthia (faisant la moue) : c’est pour ça que je déménage à trois pâtées de chez-toi.
Moi : jamais ! Je ne veux pas te voir dans mes pattes, et la maison elle est à nous. Tu ne comptes pas louer une maison alors que tu en as une en free ! Tes cours d’économies te servent à quoi ?
Cynthia : Im jocking ! (mine triste) j’essaie de me faire à l’idée de ne plus t’avoir près de moi. Ce sera une tâche difficile, ma pilule du bonheur me quitte !
Moi riant : tu as assez profité de moi, trouve une autre cible.
Cynthia : yep, je n’ai vraiment pas le choix. En plus, je n’ai jamais été aussi heureuse de ma vie aux côtés d’un homme.
Moi : voilà que tu deviens raisonnable !!
Nous levons nos verres.
Cynthia : à toi ma sister d’une autre mère, je te souhaite tout le bonheur du monde.
Moi émue : et moi, je te souhaite d’être heureuse.
*
*
Il était tout juste six heures lorsque ma mère me réveilla de mon léger sommeil, avec les filles nous avions fait la fête toute la soirée. En plus de Cynthia, il y avait mes deux folles de cousines Abigaëlle et Nadia. Ma mère me prodigue quelques conseils avant d’enduire mon corps d’huile et de s’appliquer à faire ce massage qu’elle avait entrepris de me faire depuis deux mois déjà. Elle y va avec douceur et nonchalance en me racontant le jour de son mariage avec mon père. Ce que je retiens le plus, c’est qu’avec lui ça n’avait pas marché, mais elle en avait gardé de bons souvenirs. Ma mère ne fait pas partie de ces femmes qui croupissent dans une prison de mariage au nom des conventions dictées par la société au point d’oublier leur propre épanouissement. Ils s’aimaient, ils s’adoraient, puis les tensions ont commencé à affluer, ils ont commencé à se détester alors elle a choisi de partir malgré qu’elle l’aimait encore.
Maman concluant : vivre ensemble ma fille, c’est vivre en harmonie, à part égale sur le quotidien, sur des valeurs communes, sur du respect. Par conséquent, personne ne doit être esclave de l’autre. S’aimer, c’est trouver le juste équilibre qui vous rend épanouit ensemble et séparément, je te souhaite donc de trouver le parfait équilibre entre l’amour et la raison pour harmoniser ton foyer.
Moi (coulant des larmes) : merci maman.
Nous avons juste le temps d’essuyer nos larmes que Cynthia déboule dans la pièce en mode furie.
Cynthia : l’esthéticienne m’a signalé qu’elle est déjà là, on doit y aller. (elle nous fixe tour à tour en agitant sa tête.) Han han vous n’allez pas nous sortir le coup de blues aujourd’hui les madeleines.
Nous pouffons de rire.
Elle m’entraîne dans notre chambre où je prends mon bain avant de retrouver tout le monde dans la salle à manger. Nous prenons le petit déjeuner puis direction l’hôtel où tout le staff nous attendait.
Une quarantaine de minutes plus tard, la Mercedes gare devant Palm Beach mettant fin au boucan des filles. Mes cousines n’ont pas arrêté de crier à travers la toiture, entrainant Cynthia dans leurs délires. Je descends après elles en prenant le soin de ne pas marcher sur ma longue robe marocaine. Je retrouve mon père sur place et telle deux petites filles, nous nous sommes jetées sur lui Cynthia et moi. J’avais recommencé à couler des larmes, l’émotion était très vive.
Moi (en anglais) : tu as pu venir ?
Papa : pour rien au monde, je ne manquerai pas le plus beau jour de la vie de ma fille.
Moi (n’en revenant toujours pas) : je pensais que tu n’avais pas eu de permission.
Papa : je plaisantais.
Je le prends dans mes bras et mes larmes expriment tout ce que ma bouche ne pouvait dire.
Papa : arrête de pleurer, ce n’est pas un jour funeste.
Moi : je suis si heureuse papa.
Papa : et moi encore plus, je t’aime très fort.
Moi : je t’aime aussi daddy.
Abigaël : j’espère que ce sont les dernières larmes que tu coules, je ne veux pas te voir ruiner ton maquillage toute à l’heure.
Moi (riant à travers mes larmes) : je tâcherai de ne pas le faire.
Nadia : tu as intérêt !
Le temps a fait son office, et me voici deux heures plus tard dans ma robe de mariée bustier assorti au costume Hugo Boss d’Emmanuel. Nous faisons quelques retouches en attendant qu’on nous signale l’arrivée d’Emmanuel qui a déjà accusé quinze minutes de retard. Mon père fait des tours dans la salle, impatient de me conduire devant l’autel, ma mère et mes tantes sont dans tous leurs états. Les filles se moquaient de leur si grand enthousiasme autour de l’évènement et moi, je n’avais qu’une envie, celle d'en finir.
Les heures défilent et j’étais au bord d’une crise d’angoisse, les filles couraient dans tous les sens et ma mère qui criait partout. J’ai cru devenir folle lorsque ma belle-mère a déclaré qu’il était porté disparu, il répondait aux abonnés absents et son best man est revenu bredouille de son tour en ville.
Moi (à ma belle-mère) : tu es sûre qu’il a sillonné tous les endroits qu’il a l’habitude de fréquenter ?
Belle-mère : je suis désolée ma chérie, il ne se trouve dans aucun des endroits où il a l’habitude de fréquenter.
Moi (m’effondrant) : non, non, non, il n’a pas pu disparaître le jour de notre mariage !
Les filles : calme-toi Aus.
Cynthia : sa voiture a peut-être eu un souci en route.
Moi quasi-hystérique : c’est la même qui nous a emmenées, le chauffeur l’aurait signalé si c’était le cas.
Nadia : lui-même d’ailleurs.
Les autres (sur un ton de reproche) : Nadia !!
Moi : elle a raison, il l’a fait délibérément. Mes doutes étaient fondés, en voilà la preuve. (criant) Il n’a pas pu me faire ça ! Dites-moi que je rêve.
Maman : calme-toi, il n’y a pas matière à s’affoler. Je suis sûr qu’il y a une explication plausible à tout ça et nous ne tarderons pas à le savoir.
Moi : je n’en veux pas, je veux rentrer chez moi.
Papa entrant : que se passe-t-il ? Où se trouve le futur marié ? Les invités s’impatientent.
Moi (fixant le vide) : il est porté disparu papa, il n’y aura plus de mariage.
Papa (plissant le front) : comment ça plus de mariage ?
Moi (criant à gorge déployée) : je veux rentrer !!
Cynthia revient quelques minutes plus tard après avoir trouvé une porte de sortie loin des regards indiscrets et nous nous engouffrons à nouveau dans la MERCEDES. Une fois installé, le chauffeur me tend une lettre de la part d'Emmanuel.