
Épilogue
Write by Jennie390
Epilogue
2 ans plus tard...
Yolande Otando
Mumbai, Inde.
—Please, Sir, I really want to see that man ( S'il vous plaît, monsieur, j'ai vraiment envie de voir cet homme).
—I've already told you that no visit is allowed for him. So why are you insisting, madam. (Je vous ai déjà dit qu'aucune visite ne lui est autorisée. Alors pourquoi insistez-vous, madame ?).
Ce gardien de prison est tellement têtu que j'ai envie de lui crier dessus pour qu'il puisse enfin comprendre ce que j'essaye de lui dire depuis les 20 dernières minutes.Je soupire avant de lire le prénom écrit sur le badge de son uniforme.
—Mister Singh right? Listen, that man is my uncle and it's been years since I saw him. I promise that it won't take too much time. I just want to talk to him for a few minutes, please.(Monsieur Singh, n'est-ce pas ? Écoutez, cet homme est mon oncle, et cela fait des années que je ne l'ai pas vu. Je vous promets que cela ne prendra pas trop de temps. Je veux juste lui parler quelques minutes, s'il vous plaît).
Il m'observe un moment en silence avant de dire:
—He's not supposed to receive any visit but if you really want to see him, you have to do something to make it happen.(Il n'est pas censé recevoir de visite, mais si vous voulez vraiment le voir, vous allez devoir faire quelque chose pour que cela arrive).
Je dois faire quelque chose ? En le regardant, je comprends immédiatement qu'il s'agit d'argent.
Je pioche dans mon sac à main et en sors 5000 roupies, que je lui tends.
Dix minutes plus tard, je suis assise dans un parloir lorsque tonton Germain fait son entrée. Je suis aussitôt frappée par son apparence : il a dépéri, maigri. On lui donnerait facilement quinze ans de plus. Quand ses yeux croisent les miens, il s'arrête net. Je peux y lire la surprise, la tristesse et même la culpabilité.
Le gardien de prison finit par le pousser jusqu'à la table, puis il s'assoit juste en face de moi.
— Yolande...
— Tonton Germain, comment vas-tu ?
— Je... je vais bien, me répond-il d’une voix empreinte de tristesse. Et toi ? Comment as-tu fait pour échapper aux griffes d'Émile ?
— Moi, je vais bien, grâce à Dieu et à plusieurs bonnes personnes qui m'ont aidée à sortir de cet enfer. C'est Émile qui a fait tuer tata Bertille et qui t'a envoyé ici. Je veux comprendre pourquoi. Était-ce parce que vous aviez compris que quelque chose clochait dans notre mariage ?
Il baisse la tête, se triture les doigts, puis murmure :
— Ah, ma fille... c'est de ma faute si Bertille n'est plus de ce monde et si je me retrouve ici.
— Comment ça ? Je ne comprends pas.
Alors, il me raconte tout : comment son avidité l'a poussé à pactiser avec ce démon d'Émile Biyoghe, comment il a trahi sa femme et l'a menée, d'une manière ou d'une autre, à sa mort, comment il a tenté de faire chanter Émile, qui l'a finalement envoyé ici pour le faire taire.
Tonton Germain a toujours été vénal, cela se voyait dans sa façon d’être, de parler d’argent, d’envier les autres... Mais je ne pensais pas que l’argent pouvait lui monter à la tête au point de trahir sa propre femme en s’alliant avec Émile. Il a vraiment cru pouvoir être plus malin que ce démon, jusqu’à vouloir le faire chanter. Quel dommage !
— Vraiment, je regrette, dit-il, les larmes aux yeux. J’aurais dû soutenir ma femme, la protéger. Mais je lui ai tourné le dos pour de l’argent. Et même toi, je t’ai trahie, car j’aurais pu le dénoncer à la police, sachant très bien qu’il te retenait prisonnière. Au lieu de cela, j’ai préféré lui demander de l’argent en échange de mon silence. Voilà où je me retrouve aujourd’hui, à cause de ma cupidité. Il ne se passe pas un jour sans que je pense à Bertille… Je m’en veux tellement.
— Moi aussi, il ne se passe pas un jour sans que je pense à tata Bertille, et d’une certaine façon, je m’en veux aussi. Si je n’avais pas fait entrer cet homme dans nos vies, elle serait encore en vie aujourd’hui. Elle est morte parce qu’elle a voulu m’aider.
— Elle vous aimait beaucoup, Mélissa et toi, ajoute tonton Germain, le regard triste. Si cela ne tenait qu’à elle, vous seriez venues vivre chez nous après le décès de votre mère. C’est moi qui n’ai jamais voulu. J’ai vraiment été un mari horrible, et je ne récolte aujourd’hui que ce que j’ai semé. Je profite de cette occasion pour te demander pardon pour tout le mal que je vous ai causé.
Je soupire.
— Tata Bertille t’aimait beaucoup. Si je le pouvais, je t’aiderais à quitter cet endroit. J’en ai discuté avec un avocat que je connais au Gabon, et il m’a dit que nous n’avons aucune chance de te faire libérer ici, car tu as été arrêté en possession de drogue sur le territoire indien, et leurs lois à ce sujet sont très strictes. Surtout qu'il n'y a aucune preuves tangibles qu'Emile t'a piègé et même si on en trouvait, ça n'aurait aucune valeur ici.
— D’autant plus que j’ai déjà été jugé... Je sais que je ne sortirai plus d’ici. J’ai accepté mon destin. La vie en prison est dure ici, mais je tiens comme je peux. Par contre, j’ai une requête à te faire.
— Oui, dis-moi.
— Mes filles, Carla et Marina... Cela fait presque deux ans et demi qu’elles n’ont plus de mes nouvelles. Je les avais laissées chez ma mère, à Mouila. Les pauvres… Je ne sais même pas comment elles vont, si elles vont toujours à l’école. S’il te plaît, va les voir et fais quelque chose pour elles, en mémoire de ta tante.
— Ne t’inquiète pas, j’irai les voir.
— Merci beaucoup, Yolande, et...
Le gardien de prison surgit et lui coupe la parole.
— The time is up, you have to go, Madam. (Le temps est écoulé, vous devez partir, Madame.)
— Prends soin de toi, tonton, dis-je sans prêter attention au gardien.
— Merci beaucoup, ma fille, ajoute-t-il en se levant. Mais dis-moi… Cet homme t’a laissée partir aussi facilement ?
— Non, mais actuellement, il ne peut plus rien me faire. Il est en hôpital psychiatrique.
Ses yeux s’élargissent de stupéfaction. Il est sur le point de parler, mais le gardien le tire et l’entraîne rapidement dans le couloir. Je le regarde s’éloigner, puis je quitte le parloir à mon tour.
J’ai fini avec tonton Germain. Maintenant, je dois me rendre au Gabon. De toute façon, cela fait un moment que je pense à ces petites. Ce sont les bébés de ma tante, je vais aller voir comment elles vont.
Deux jours plus tard, je me rends à Mouila, dans le sud du Gabon.
Sur place, j’apprends que la mère de tonton Germain est décédée et que les filles sont parties vivre chez la sœur cadette de leur père, à Gamba (ville du Gabon).Je prends donc un bateau pour m’y rendre et, Dieu merci, je constate qu’elles vont toujours à l’école. Elles sont en classe de Seconde dans un lycée public, et leur tante s’occupe d’elles du mieux qu’elle peut, malgré ses moyens financiers limités.
Avec leur tante, nous nous rendons dans un lycée privé, où je paie leur scolarité entièrement jusqu’à la classe de Terminale. Avant de rentrer à Libreville, je laisse un chèque d’un million de francs CFA à leur tante pour acheter de nouveaux vêtements et assurer la popote de la maison. Je lui laisse également mon contact afin qu’elle puisse me joindre en cas de besoin.
Je leur enverrai de l'argent tous les mois pour qu'elles ne manquent jamais de rien.
***
Libreville…
Je gare le véhicule que j’ai loué sur le parking et j’entre dans le hall de l’entreprise. La réceptionniste me jette un regard poli avant de me demander en quoi elle peut m'aider.
— Bonjour, je viens voir Madame Hortense Ratanga Izanguault.
— Avez-vous un rendez-vous ?
— Non, mais dites-lui que Yolande est là. Elle comprendra.
Elle attrape son téléphone, compose un numéro et parle à voix basse. Quelques secondes plus tard, elle me sourit et m'indique l'ascenseur au fond du hall.
— Vous pouvez monter, son bureau est au cinquième étage.
Je la remercie et me dirige vers l'ascenseur. Mon cœur bat un peu plus vite. Cela fait deux ans que je n’ai pas vu Hortense, mais elle est restée une amie précieuse. Quand j’arrive devant son bureau, la porte est entrebâillée. J’entends sa voix avant même de la voir.
— Yolande ! s'exclame-t-elle en me voyant sur le seuil.
Elle se lève d'un bond et me prend dans ses bras avec une chaleur qui me touche profondément.
— Ça alors ! Regarde-moi ça ! Tu es encore plus belle qu’avant ! s’enthousiasme-t-elle.
— Toi moi, tu es toujours aussi magnifique, je dis en riant.
Elle m’invite à m’asseoir sur un fauteuil en face de son bureau et prend place en face de moi, les yeux pétillants de curiosité.
— Alors, raconte-moi tout ! Comment vas-tu ? Et Meli ?
Je souris en pensant à ma petite.
— Meli va très bien. Elle est en Espagne en ce moment, dans un camp de vacances. Elle adore ça, elle s’amuse comme une folle.
— Tant mieux ! Et toi, qu’est-ce que tu deviens ? Qu’as-tu fait pendant ces deux années ?
Je me redresse fièrement.
— J’ai monté un salon de coiffure à Zurich spécialisé dans les coiffures africaines. Au début, c’était un petit projet, mais il a tellement bien marché que j’ai ouvert un deuxième salon à Genève.
Les yeux d’Hortense s’agrandissent de surprise et d’admiration.
— Mais c’est génial, Yolande ! Je suis tellement fière de toi !
— Merci, dis-je en souriant. Ça n’a pas été facile au début, mais avec du travail et de la persévérance, j’ai réussi à me faire un nom. Et surtout, j’adore ce que je fais.
Hortense me regarde avec un mélange de joie et de respect.
— Franchement, je suis impressionnée. Tu as tout recommencé de zéro et regarde où tu en es maintenant !
— Oui, je suis fière de moi aussi, avoué-je avec un petit rire.
Elle me prend la main et la serre doucement.
— Et maintenant que tu es de retour, tu comptes rester longtemps ?
Je baisse les yeux, pensive.
— Je ne sais pas encore… Peut-être que oui, peut-être que non. Je me laisse le temps de voir.
Hortense hoche la tête, compréhensive. Nous restons un instant silencieuses, savourant simplement le plaisir de nous retrouver après tout ce temps.
Après quelques secondes, je me racle la gorge et demande avec une fausse légèreté :
— Et Landry ? Comment va-t-il ?
Hortense sourit doucement.
— Il va très bien. Ça fait un an et demi maintenant qu’il a ouvert sa propre clinique. Il travaille beaucoup, mais ça marche très bien pour lui.
Elle marque une pause avant d’ajouter, d’un ton appuyé :
— Et il est célibataire actuellement.
Je sens mes joues chauffer légèrement, mais je me contente de hausser les sourcils, feignant l’incompréhension.
— Oh… euh… d’accord. Pourquoi tu me dis ça ?
Hortense éclate de rire et secoue la tête.
— Pour rien du tout, Yolande. Juste une information comme une autre.
Je plaque un sourire gêné qui masque à peine mon trouble. Mais au fond, son commentaire résonne en moi bien plus que je ne veux l’admettre.
***
Émile Biyoghe
Les murs blancs de cette pièce me donnent la nausée. Toujours les mêmes. Toujours cette odeur de désinfectant qui me prend à la gorge. Toujours ces putains de liens qui enserrent mes poignets, comme si j’étais un animal qu’il fallait maintenir en cage. Je suis fatigué. Fatigué de tout. De ces cris qui résonnent dans les couloirs, de ces ombres qui dansent dans ma tête, de ces voix qui s’invitent et s’effacent sans prévenir. Mais surtout, fatigué de cette douleur qui ronge mon corps comme un poison lent.
Mes jambes.
Elles ne bougent plus. Je ne les sens même plus. Deux morceaux de chair morts, inertes, bons à rien. C’est pire qu’une prison, pire qu’une condamnation à perpétuité. Parce qu’ici, je ne peux même pas tourner en rond comme un lion en cage. Je suis cloué sur cette chaise, jour après jour, dépendant des infirmiers pour tout. Pour m’habiller, pour me déplacer, pour me laver. Moi, Émile, réduit à ça. Une loque. Un poids mort.
Et cette foutue maladie qui s’acharne sur moi. Mon corps me trahit un peu plus chaque jour. Mes reins fonctionnent à peine. La dialyse me vide de mes forces, me cloue encore un peu plus dans cet enfer. Comme si la paralysie ne suffisait pas. Comme si je n’avais pas déjà assez payé pendant ces deux dernières années.
Je déteste cet endroit. La lumière trop forte, les blouses blanches, le regard de ces médecins qui me scrutent comme un insecte sous un microscope. Ils prétendent vouloir m’aider, mais je les entends parler dans mon dos. Ils disent que je suis un cas perdu, que je suis dangereux, que je ne sortirai jamais d’ici.
Certains diraient que je devrais m'estimer heureux de me retrouver ici pendant que mes complices: Phillipe, Sigma, la directrice et d'autres, se retrouvent jusqu'à présent en prison. Mais je trouve qu'ici c'est tout aussi horrible que la prison. Tout m'énerve ici.
Et la bouffe… Mon Dieu, cette merde infâme qu’ils osent appeler de la nourriture ! Ça a le goût de carton détrempé, ça pue la mort et ça colle aux dents. J’ai arrêté d’essayer de me convaincre que ça allait s’améliorer. Tout ici est fait pour me rappeler que je ne suis plus rien.
Mais le pire… c’est le silence.
Quand les voix se taisent, quand les hallucinations s’éloignent, quand tout devient clair… Je n’arrive pas à croire que j’ai fini ici, seul. Seul avec ma douleur, seul avec mon passé, seul avec ce que je suis devenu.
Personne ne vient me voir. Pas une seule visite en deux ans. Pas un ami, pas une connaissance, personne. Il faut croire que l’argent ne peut pas non plus acheter la loyauté. Il m’arrive de penser à Yolande.
Où est-elle maintenant ? Certainement loin d’ici, loin de moi, en train de vivre la belle vie. Avec les 500 millions que le tribunal m’a obligé à lui verser après le divorce comme compensation, elle doit être en train de couler des jours heureux. Peut-être sur une plage, un cocktail à la main, peut-être dans une immense villa quelque part, riant de moi, de mon état, de ma misérable existence.
Est-ce qu’elle pense encore à moi ?
J’en doute.
Elle a gagné. Elle est libre.
Et moi, je croupis ici, condamné à vivre dans ce corps brisé, avec pour seule compagnie des médecins qui me regardent comme un cas désespéré, des fous qui hurlent la nuit et des repas infects qui me rappellent que je ne suis plus rien.
Les portes grincent légèrement lorsqu'elles s’ouvrent, me sortant ainsi de mes pensées, laissant entrer cette odeur fade de désinfectant mêlée à un parfum bon marché. Une infirmière entre, un plateau en main, le pose sur la petite table roulante devant moi et me regarde avec ce faux sourire compatissant qu’ils arborent tous ici.
Je baisse les yeux sur ce qui est censé être mon repas et un rictus de mépris tord mes lèvres. Une bouillie informe, sans saveur, sans couleur. Une viande trop cuite, des légumes flétris, une purée immonde.
Je relève lentement la tête et plante mon regard dans le sien.
— C’est ça que vous appelez de la nourriture ?
Elle soupire à peine, croise les bras et me fixe sans ciller.
— Non, c’est un menu trois étoiles du Radisson Blu, mais on s’est dit que ce serait dommage de ne pas vous le servir dans une assiette en plastique.
Son ton sec me prend de court. Habituellement, ils font semblant d’être patients, compatissants. Mais pas elle, pas aujourd’hui.
— Il faut bien que vous vous nourrissiez, ajoute-t-elle, impassible. Maintenant si ce n’est pas assez raffiné à votre goût, vous pouvez rester sans manger. C’est votre problème.
J’écrase un rire amer au fond de ma gorge et pousse légèrement le plateau du bout des doigts, comme si ce simple contact risquait de me contaminer.
— Il est hors de question que j’avale cette saleté aujourd’hui, dis-je d’un ton hautain. J’aimerais sortir de cette chambre. Prendre l’air.
Elle secoue la tête aussitôt.
— Vous savez que ce n’est pas possible.
— Et pourquoi ? Je ne vais pas m’envoler, vous voyez bien.
Je fais un geste vers mes jambes inertes, une grimace amère déformant mon visage. Elle ne détourne pas le regard cette fois. Elle me toise avec une froideur qui me déplaît.
— Les médecins ont donné des consignes strictes. Après vos dernières crises, il vaut mieux éviter toute sortie pour le moment.
Je serre les dents. Encore cette excuse ridicule. Mes crises. Comme si j’étais un fou furieux incapable de me contrôler.
— Alors, quoi ? Je dois passer le reste de ma vie enfermé ici, attaché comme un chien, à manger votre immonde bouffe et à suffoquer entre ces murs ?
Elle hausse un sourcil, puis son sourire hypocrite disparaît totalement.
— Vous avez mieux peut-être ? Une villa en bord de mer à nous proposer ? Ou un chef privé qui vous ferait des plats sur-mesure ? Vous êtes ici, monsieur, parce que vous devez être ici. Vous avez de la chance qu’on vous nourrisse et qu’on s’occupe encore de vous.
Je plisse les yeux, piqué par son ton.
— Vous n’avez pas idée de qui je suis…
Elle rit. Carrément.
— Non, mais je sais très bien ce que vous êtes devenu. Et croyez-moi, ça ne pèse pas bien lourd.
Je reste silencieux, la rage bouillonnant dans mes entrailles. Elle recule de quelques pas, puis pointe du menton le plateau devant moi.
— Mangez. Ou ne mangez pas, franchement, ça ne changera rien pour moi. Mais n’attendez pas que quelqu’un vienne vous plaindre.
L’infirmière me fixe, impassible. Elle n’a plus cette fausse patience dans les yeux. Juste du mépris.
— Mangez. Ou ne mangez pas, franchement, ça ne changera rien pour moi. Mais n’attendez pas que quelqu’un vienne vous plaindre. Ici, la pitié, ça n’existe pas.
Elle tourne les talons, et je sens la rage monter. Comment ose-t-elle me parler comme ça ? Moi, Émile ! Si seulement j’avais encore du pouvoir, si seulement…
Mais avant même que je puisse ouvrir la bouche pour cracher une nouvelle insulte, elle revient sur ses pas. Et d’un geste brusque, elle attrape les poignées de mon fauteuil roulant et le bascule violemment en avant.
Je n’ai même pas le temps de comprendre ce qui m’arrive. Mon corps chute lourdement, s’écrasant contre le sol froid dans un bruit sourd. Une douleur fulgurante explose dans mes bras et mon dos. Je pousse un cri, ma respiration coupée par l’impact.
Je suis à terre. Immobile. Humilié.
La rage m’étouffe, mais je ne peux rien faire. Rien d’autre que lever les yeux vers elle, impuissant, tandis qu’elle me domine de toute sa hauteur.
Elle attrape le bol de bouillie posé sur la table et le soulève lentement.
— Tiens, puisque vous n’aimez pas notre cuisine, peut-être que comme ça, ça passera mieux. Je ne mange pas ça, fien fien fien ! Elang !
Et sans hésiter, elle me renverse tout le contenu au visage.
La bouillie tiède et gluante dégouline sur mon front, coule dans mes yeux, glisse le long de mes joues. L’odeur écœurante me prend à la gorge. Je reste figé, abasourdi, incapable de réagir.
Elle recule de quelques pas, contemple son œuvre avec un sourire satisfait, puis ajuste sa blouse.
— Bonne dégustation.
Sans un mot de plus, elle se détourne et quitte la pièce, refermant la porte derrière elle d’un geste sec.
Et moi… moi, je suis là. Gisant sur le sol froid, incapable de bouger mes jambes, le visage couvert de cette immonde bouillie qui pue les timbas (tubercule de manioc) et le poisson fumé.
Je sens la colère monter, bouillir en moi, brûler jusqu’à l’os.
Tout cet argent que j’ai amassé pendant des années, toutes ces richesses que j’ai accumulées… À quoi me servent-elles aujourd’hui ? À rien. Elles ne peuvent pas me rendre mes jambes. Elles ne peuvent pas me faire sortir d’ici. Elles ne peuvent pas effacer ce que je suis devenu. Elle e ne peuvent pas empêcher qu’une petite infirmière e rien du tout puisse me traiter comme de la merde.
Je pensais que l’argent faisait tout. Que rien ne pouvait m’arrêter tant que j’avais du pouvoir. Mais regardez-moi. Regardez où j’ai atterri. Attaché comme un fou, nourri comme un chien, oublié comme un déchet.
Et le pire ?
Personne ne viendra me chercher.
Personne ne m’attend dehors.
J’ai tout perdu. Et maintenant, il ne me reste plus que ça. L’odeur du désinfectant. La douleur dans mon corps. La solitude.
Et le silence.
***
Diane Bibalou
— Tu as jusqu’à la semaine prochaine pour me donner mon argent, Diane, sinon je te fous à la porte ! me menace mon bailleur. Tu ne vas pas continuer à vivre dans ma maison gratuitement.
— Gratuitement comment, Papa Anatole ? je m’exclame. La semaine dernière, je t’ai donné 15 000 F, non ?
Il me toise férocement.
— Elang Eneossi ! m’insulte-t-il. 15 000 F, c’est de l’argent, ça ? La chambre que je te loue coûte 95 000 F ! Sans oublier que tu me dois encore le loyer du mois dernier !
— Papa Anatole, je vais te payer, pardon. Le problème, c’est que le commerce est difficile actuellement, les temps sont durs et…
— Ça, ce n’est pas mon problème ! Que ce soit dur ou pas, je m’en fous ! Si, d’ici la fin de la semaine prochaine, tu ne payes pas tout ce que tu me dois, tu vas aller te chercher ailleurs. J’ai souffert pour construire mes maisons, ce n’est pas pour que les gens viennent vivre ici gratuitement. Tu es prévenue !
Sans me laisser le temps d’en rajouter, il tourne les talons et me laisse là, bredouille, dans la cour commune avec mon seau vide. Je jette un coup d’œil vers cette chambre dans laquelle je vis depuis bientôt un an et demi, dans le quartier de Belle-Vue. Elle est en semi-dur, la toiture est trouée. Il n’y a qu’un petit espace cuisine et un salon qui me sert également de chambre à coucher. La douche et les toilettes sont extérieures. C’est un tel taudis, et pourtant ce vieux pangolin ose appeler ça une maison.
Dieu seul sait que, quand j’étais encore la Diane d’autrefois, on ne pouvait pas me voir dans un tel endroit. J’ai toujours été habituée à mille fois mieux. La villa dans laquelle je vivais avec Vincent était située à Batterie 4 : une maison clôturée, avec une piscine, sept chambres, toutes équipées de salles de bains modernes. La cuisine à elle seule était cinq fois plus grande que cette sale chambre-là. Chaque pièce était climatisée, il y avait un gardien, une femme de ménage, un jardinier, un chauffeur… C’était le vrai confort, pas les conneries que je vois ici.
C’est à cause d’une bicoque comme ça que je ne peux plus respirer et qu’on m’insulte du matin au soir. Vraiment, la vie là hein…
Je m’approche du robinet de la cour pour remplir mon seau, je me rends compte qu’il est verrouillé avec un cadenas. Déconcertée, je me tourne vers ma voisine qui pile de la banane plantain devant sa porte.
— Pourquoi le robinet est verrouillé ?
— Pourquoi c’est moi que tu interroges ? me demande-t-elle en me toisant.
— Je te demande à toi parce qu'il y a environ quinze minutes, je t’ai vue transporter un seau d’eau plein et là, le robinet est fermé. Pourquoi ?
— Il faut demander à Papa Anatole. Il a dit que tu n’as pas encore payé l’eau ce mois-ci, donc tu ne peux pas puiser ici.
— Donc je dois faire quoi, sortir sans me laver ?
— Quand tu me regardes, Diane, est-ce que j’ai l’air de me soucier de si tu te laves ou pas ?
— Mais toi…
— Oh, pardon, le bruit ! me coupe-t-elle brusquement. Va gérer ça avec lui.
Agacée, je tourne les talons, mais j’ai tout de même le temps de l’entendre murmurer. Je m’arrête.
— Oh ! J’étais mariée avec un homme riche, je passais mes vacances à Londres, j’ai un master 2 en comptabilité, je conduisais une Porsche Cayenne, je travaillais à BGFI Bank… Maintenant, aujourd’hui, tu es où ? Même pour payer un petit loyer et l’eau de 15 000 F par mois, ça te dépasse. N’importe quoi !
Je me dispute avec elle tous les jours, mais aujourd’hui, je n’en ai pas la force. Effectivement, où est-ce que je me trouve, finalement ? La honte est si grande que je me réfugie dans ma chambre sans plus rien ajouter. Je prends une bouteille d’eau dans mon frigo et me lave les dents et le visage. Ensuite, je récupère ma marchandise et quitte la maison.
Je commercialise du lait caillé, du lait au couscous, au mil, du bissap, ainsi que des bouteilles de croquettes et d’arachides sucrées. Je m’installe au Carrefour Charbonnages (quartier de Libreville) et commence à appeler les clients sous le soleil. C’est dur, mais je n’ai pas trop le choix si je veux survivre.
Environ une heure plus tard, une Mercedes blanche, toute brillante, se gare devant moi. Je récupère une bouteille d’arachides et me précipite vers la vitre pour présenter ma marchandise à ce potentiel client. Mais lorsque la vitre se baisse, j’ai l’impression de recevoir un seau d’eau glacée en plein visage : je tombe nez à nez avec Yolande Otando. Elle me regarde, la mine froissée, des pieds à la tête, visiblement surprise de me voir là. J’ai tellement honte que, s’il y avait un trou, je me serais cachée à l’intérieur.
— Diane, qu’est-ce que tu fais ici ?
— Yolande…
— Tu es dans le commerce maintenant ? Qu’est-ce qui s’est passé avec ton boulot à la banque ?
— Ah… c’est compliqué, je réponds en baissant les yeux, honteuse.
— Monte un instant.
J’hésite, puis finalement, je monte dans son véhicule, côté passager. Je l’observe et je suis émerveillée. Elle a réussi à sortir de l’enfer dans lequel elle vivait. Là, je la vois, rayonnante, et elle sent tellement bon que j’ai encore plus honte, car je sais que je ne me suis pas lavée depuis hier.
Je finis par lui raconter, malgré moi, comment il m’a été impossible de retrouver un emploi dans une autre banque. J’ai cherché du travail un peu partout, dans tous les domaines. Puis, quand je me suis retrouvée complètement fauchée, j’ai enchaîné des petits boulots que je n’aurais jamais imaginé faire : femme de ménage, serveuse, nounou… Depuis six mois, je fais ce petit commerce et, le soir, je donne des cours de soutien en mathématiques à certains élèves de Troisième.
Ma vie est complètement devenue l’ombre de ce qu’elle était autrefois depuis que Vincent m’a sortie de sa vie. Il s’est installé à Port-Gentil avec une autre femme, celle qui élève désormais mon fils. La majorité des membres de ma famille m’a tourné le dos parce que je n’ai plus rien à leur apporter, maintenant que je suis devenue pauvre. Alors, je reste dans mon coin, essayant de survivre du mieux que je peux.
Yolande m’adresse un regard compatissant après m’avoir écoutée raconter ma situation.
— Je suis vraiment navrée que tu doives passer par tout ça, me dit-elle. J’espère que tu pourras te relever. Bon, je dois me rendre quelque part, mais dis-moi, tu as un compte Airtel Money ?
— Euh… oui.
— Passe-moi ton numéro que je te fasse un petit transfert, vu que je n’ai malheureusement pas grand-chose en cash.
Je lui communique mon numéro, les mains tremblantes. Quand je reçois la notification et que je lis le message d’alerte, mon cœur rate un battement en voyant le montant qu’elle m’a envoyé.
— Un million ?! m’exclamé-je, les larmes aux yeux. Yolande, merci infiniment !
Tu ne sais pas à quel point tu viens de m’aider avec une telle somme. Que Dieu te bénisse.
— Ce n’est rien. J’espère juste que tu en feras bon usage. Tu pourrais, par exemple, essayer d’investir dans le commerce que tu as commencé pour le rendre plus lucratif. Il faut arrêter de te lamenter sur ce que tu as perdu et te battre pour ce que tu peux encore obtenir. Tu n’as plus de mari riche aujourd’hui pour t’offrir la belle vie. Toi-même, bats-toi pour t’offrir cette belle vie et devenir une meilleure personne dont ton fils pourra être fier.
Mon visage est baigné de larmes en l’écoutant. Quand je pense que j’avais découvert qu’elle était maltraitée par Émile, mais que j’ai préféré me taire pour servir mes propres intérêts… J’ai tellement honte.
— Tu es tellement bonne, Yolande. Je ne mérite pas ta gentillesse. Pour Émile, j’aurais pu t’aider, mais…
Elle me coupe immédiatement.
— S’il te plaît, je ne suis pas ici pour parler de lui. Il fait partie de mon passé. J’espère juste que tu as appris de tes erreurs.
Je hoche la tête.
— Très bien, il faut que j’y aille. Prends soin de toi, Diane.
— Merci infiniment, Yolande. Merci beaucoup.
Je descends et regarde son véhicule s’éloigner, le cœur plein de regrets.
***
Clinique Nouvel horizon
Landry Ratanga
Assis derrière mon bureau, je feuillette rapidement le rapport financier que Loïc vient de me remettre. Les chiffres sont bons. Ma clinique marche bien. Je devrais être satisfait, et quelque part, je le suis.
Mais ces derniers temps, une fatigue sourde s’accroche à moi, comme si quelque chose me pesait sans que je sache vraiment quoi.
— Les revenus du mois sont en hausse de 12 %, me dit Loïc en s’adossant à sa chaise. On a réussi à réduire les charges comme prévu, et les projections pour l’extension sont bonnes.
— Et le budget pour la nouvelle aile ? je demande en posant le dossier sur mon bureau.
— Tout est en place. Si tout se passe bien, dans six mois, elle sera opérationnelle.
Je hoche la tête, satisfait. Cette clinique, c’est mon œuvre. J’y ai mis tout mon cœur, mon énergie, mon argent. Et aujourd’hui, je vois enfin le fruit de mes efforts.
Loïc referme son dossier, mais au lieu de se lever immédiatement, il me fixe avec cet air que je connais bien.
— Quoi ? je lâche en croisant les bras.
— Aude.
Je soupire en me passant une main sur le visage.
— Elle ne lâche pas l’affaire, reprend-il. Elle m’a encore appelé hier. Elle veut te parler, te voir. Comme tu l’as bloqué, elle passe par moi.
Je laisse échapper un rire sans joie.
— Il va falloir qu’elle comprenne que c’est fini. Je n’ai plus rien à lui dire.
— C’est ce que je lui ai dit, mais elle insiste. Elle jure qu’elle a changé, qu’elle veut une seconde chance.
— Elle ne changera jamais, Loïc.
Je me redresse légèrement et le fixe.
— Aude ne veut pas d’une relation, elle veut une vie facile. Elle a arrêté ses études parce que c’était "trop dur", elle ne veut pas travailler parce que "ce n’est pas fait pour elle". Tout ce qu’elle cherche, c’est un mec riche qui va l’entretenir pendant qu’elle passe ses journées à se pomponner et à poster des photos sur les réseaux.
Loïc sourit en secouant la tête.
— Elle est belle, c’est vrai…
— Et c’est tout ce qu’elle a à offrir, je rétorque. Ce n’est pas le genre de femme que je veux à mes côtés. J’ai besoin de quelqu’un qui avance avec moi, pas de quelqu’un qui attend que je lui serve la vie sur un plateau.
Loïc me regarde un instant avant de hausser les épaules.
— Bon, je lui dirai encore une fois que c’est mort.
— Fais ça, mais je doute qu’elle écoute.
Il se lève enfin, récupère son dossier et me lance un regard complice.
— Un jour, tu trouveras la bonne.
Je ne réponds rien. Parce qu’au fond, je me demande si je ne l’ai pas déjà trouvée… et laissée partir.
Je chasse rapidement cette pensée et me concentre sur ma prochaine consultation. J’ai une clinique à faire tourner. C’est ça, ma priorité.
Trois heures plus tard…
Je quitte mon bureau en ajustant mes lunettes de soleil sur le sommet de ma tete, Je vais rentrer me reposer et je vais revenir dans la nuit. Mais à peine ai-je fait quelques pas dans le couloir qu’un infirmier m’interpelle.
— Docteur Ratanga!
Je me tourne vers lui. Il tient une radio thoracique entre les mains, l’air un peu hésitant.
— Le nouveau cardiologue, Dr. Nzengue, m’a demandé de vous montrer ça. Il n’est pas sûr de ce qu’il voit et préfère avoir votre avis.
Je prends la radio et l’observe à la lumière. En quelques secondes, je repère l’anomalie.
— Il s’agit d’un épanchement pleural, je dis en désignant une opacité sur le cliché. Il y a un excès de liquide dans la cavité pleurale, probablement d’origine infectieuse ou tumorale.
L’infirmier hoche la tête, attendant la suite.
— Il faut compléter avec une échographie thoracique pour mieux évaluer la quantité de liquide et voir si un drainage est nécessaire. Et demande aussi un bilan infectieux et un dosage des marqueurs tumoraux, juste pour écarter toute éventualité.
— Je transmets ça tout de suite, Docteur.
—Très bien.
Je sors de la clinique, les yeux rivés sur l’écran de mon téléphone, parcourant rapidement quelques mails. La journée a été longue, et je commence à sentir la fatigue s’installer. Mais alors que je fais un pas vers ma voiture, une voix familière brise le silence du parking.
— Jolie clinique, docteur.
Je me fige instantanément. Mon cœur rate un battement. Cette voix…
Je lève lentement la tête et mon regard tombe sur une voiture garée à quelques mètres de moi. Une belle voiture, luxueuse, aux lignes impeccables et sur le capot avant, une silhouette que je n’ai pas vue depuis deux ans et demi.
Yolande.
Elle me regarde avec ce même regard profond, intense, indéchiffrable. Un léger sourire flotte sur ses lèvres.
Pendant une seconde, je reste là, incapable de parler. Incapable de bouger.
Elle est là. Après tout ce temps. Toujours aussi belle, mais il y a quelque chose de différent chez elle. Une assurance nouvelle. Je la remarque tout de suite dans la façon dont elle est assise, droite, presque comme si elle occupait pleinement l’espace autour d’elle. Elle joue nonchalamment avec les clés de sa voiture, les faisant tourner entre ses doigts, comme si elle n’avait rien à prouver, comme si le monde était à ses pieds.
C’est étrange, je n’avais pas imaginé la revoir un jour, et pourtant, la voir là, devant moi, me fait quelque chose. Un pincement au cœur.
— Jolie voiture, dis-je en regardant sa Mercedes. Mais un peu trop bling-bling, non ?
Elle éclate de rire, un rire léger et naturel, presque déconcertant après tout ce qui s’est passé. Elle hausse les épaules, comme si elle n’avait pas grand-chose à prouver.
— Je l’ai louée pour mon séjour.
Je secoue la tête, amusé par son assurance. Elle n’a pas changé, au fond. Toujours cette petite touche d’insouciance, de liberté. Je me rends compte à quel point elle a évolué, et ça me frappe un peu plus que je ne le voudrais.
— Et tu comptes rester combien de temps ? je demande, curieux.
— Je ne sais pas encore. Ça dépend.
— Ça dépend de quoi ?
— De tout, réplique-t-elle en me fixant dans les yeux.
Il y a bien des sous-entendus, mais je hoche tout simplement la tête.
— Et Melissa ? je demande enfin. Comment va-t-elle ?
Son visage s’illumine à l’évocation de la petite sœur, un tendre sourire se dessine sur ses lèvres.
— Elle va bien, très bien, merci. Elle s’est très bien adaptée et elle a vraiment beaucoup évolué. Actuellement, elle est en Espagne et mademoiselle se fait appeler "Melissa Lopez Montero".
Je pouffe de rire.
— Melissa Lopez Montero ? Mais pourquoi ?
— Est-ce que je sais ?! répond-elle en souriant. Bon, dis-moi, Doc, on se prend un verre ?
— Je ne prends pas d’alcool en semaine.
— Un dîner alors ?
— Oui, pourquoi pas ? je réponds après un bref moment de silence. Je suis content de te revoir, Yolande.
Elle me sort un magnifique sourire.
— C’est aussi un véritable plaisir de te... revoir.
On se regarde en silence avant de se sourire, puis on embarque chacun dans nos véhicules, direction le restaurant.