Episode 17

Write by Annabelle Sara


 

Je regardais le cercueil de Magon descendre dans ce trou millimétré creusé spécialement pour qu’elle se retrouve là dedans. Pour qu’elle y tienne seule sans personne d’autre. Je n’avais pas de larmes aux yeux, je la regardais s’en aller mais je n’avais pas de douleur dans le cœur.

J’avais pendant deux semaines eu le temps de passer par chacun de ces sentiments. La rage, la peur, la colère, la douleur, les regrets, j’avais tout expérimenté et je me sentais vidée. Entendre ma mère se lamenter en chantant le départ de sa fille, sa beauté ne m’émouvait pas !

Pourquoi est-ce que je pleurerais une fille dont je ne savais rien ? Une fille qui avait fait un choix de vie dont j’ignorais même seulement l’existence ?

Pourtant je n’arrivais pas à tourner le dos à cette tombe qui s’emplissait au fur et à mesure de terre, le regard froid et perdu. Une main puissante, une main dont je connaissais déjà l’empreinte, même si elle arrivait toujours à me faire frissonner se posa sur ma hanche.

Jules : Kiki ne restes pas là !

Cette voix chaude et réconfortante m’avait bercée durant ces deux dernières semaines, m’apportant plus que des paroles douces et chaleureuses, mais aussi du rire, de l’espoir…

Jules m’avait sauvé de la chute quand il était venu me chercher au CURY lorsque Magon est partie. Il avait fait la seule chose que j’attendais en ce moment-là. La paix ! Il m’avait ramené chez lui, au départ j’avais eu peur de me retrouver toute seule avec cet homme dont je ne connaissais rien et qui avait cette maison de dingue, une villa digne du plus prestigieux architecte de la nouvelle génération. Il m’avait cédé sa chambre, ses chambres d’amis n’étant pas prêtes à recevoir, il m’avait fait a mangé et m’avait laissé dormir cette nuit.

J’avais beaucoup apprécié sa sollicitude et sa disponibilité lors de la préparation des obsèques de ma petite sœur. J’avais surtout apprécié qu’il  n’ait pas profité de ma faiblesse pour remettre sur la table l’attirance palpable entre nous, cette première nuit chez lui il m’avait d’ailleurs expliqué qu’il ne ferait jamais de mouvement pour profiter d’un moment de faiblesse.

Nous étions tous les deux dans sa chambre et en voyant cette chambre qui n’avait rien à envier à une suite luxueuse du Hilton, nos regards s’étaient croisés. L’alchimie entre nous était indéniable, même si je me battais contre mes propres pulsions. Il avait sourit en comprenant la lutte interne qui me traversait et la question qui me brulait les lèvres quant à ce gestes de me céder sa chambre à coucher.

Jules : Kiki, je n’ai pas l’intention de te toucher… en tout cas pas ce soir ! Pas parce que je ne veux pas, si tu savais à quel point je me retiens de te prendre dans mes bras ! Mais l’état dans lequel tu te trouves en ce moment me pousse à ne pas te mettre plus de pression… Et puis je sais que si je te touche cette nuit je ne te verrai plus… alors que j’ai le sentiment que si je te touche je ne pourrais plus me passer de toi ! Donc je préfère attendre que le bon moment se présente…

Avoir envi de moi mais se retenir était le meilleure des cadeaux qu’il pouvait me faire cette nuit, et il ne s’était pas juste arrêtez là, il m’avait accompagné partout durant ces deux semaines. Jusqu’ici dans le village natal de mon père.

Jules : Ta mère veut s’en aller…

Moi : On va la laisser ici ? On va laisser Magon ici ?

Jules : Tu sais bien qu’elle n’est pas dans ce trou… Ce qu’il y’a dans le trou c’est un tas de chair et d’os qui pourrissent mais ta sœur est dans ton cœur…

Ça je n’en étais pas si sure, parce que je sais à quel point je déteste ma sœur depuis deux semaines. Elle m’a menti et a refusé mon aide pour mourir seule, sans nous dire au revoir.

Un vieil homme : Vous pouvez partir maintenant que vous avez enterrez la chèvre que vous avez sacrifié !

Entendre de la bouche de ce vieil homme pareil attaque ne me surprit pas. Depuis deux semaines, ma mère et moi sommes tourmentées par la famille de mon père qui nous tient responsable du décès de Magon. Ils avaient traités ma mère comme si elle avait tranché elle-même la gorge de sa fille et m’avait traité comme sa complice parce que j’avais pris la défense de ma mère. Je ne sais pas comment ils avaient appris ce que ma tante et Magon faisaient mais à présent nous toutes les femmes de la famille de ma mère sommes désignée comme étant des sorcières.

Mais ils n’avaient pas craché sur la participation que nous avons apportée pour ces obsèques ! Nous avons presque tout pris en charge ma mère et moi, les frais de la morgue, le cercueil, la tenue, les programmes, nous avons accueilli les divers recueillements à domicile pendant une semaine, pour la veillée nous avons financé le café et le casse croute qui avait été servi aux villageois, à notre arrivée c’est Jules qui avait acheté la bière et géré les creuseurs de la tombe, parce que personne de la famille de mon père n’avait voulu le faire.

En clair nous avons organisé les obsèques de ma sœur, malgré tout, mon père et les siens avaient eu le culot de nous traiter comme des assassins, annonçant lors des palabres que nous sommes responsables de ce que ma sœur faisait avec son corps, de sa tentative d’accouchement clandestine, que ma mère et sa sœur l’avait entrainé dans un réseau de trafic d’enfant et que si Magon était morte c’est parce que sa mère est une Madone.

Durant les cérémonies traditionnelles je bouillais intérieurement. Mais Jules et Nyango m’avaient demandé de rester calme et de ne pas répondre laissant cette besogne ardue à mon grand-oncle maternelle la tache de rappeler à ces gens que la police avait enfermé la seule et unique responsable de cette fin tragique.

Jules : Ne dis rien !

Son murmure fut une invitation au calme que je pris avec beaucoup de difficulté. Nous nous sommes tous les deux détournés de la tombe de ma sœur. J’avais mal de venir laisser cette fille ici dans cette terre qui avait toujours été hostile à notre famille, à ma mère en particulier.

Une de mes demi-sœur se rapprocha de nous tandis qu’on faisait signe à notre suite dont : Nyango, Alfred et sa femme, Pat, ma mère, son oncle et ses cousins qui étaient assis sous une tente qu’on pouvait y aller.

Diane : Kiki, vous partez ?

Diane est la seule de mes demi-frères avec laquelle j’ai une relation pacifique.

Moi : Oui, nous avons terminé ici…

Diane : Nous vous avons pourtant préparez un plateau !

Moi : Ne t’inquiète pas nous aussi avons préparé quelque chose…

Je n’avais pas encore fini de parler que l’ainé des fils de mon père intervint.

Charles : Diane pourquoi tu te déranges même avec les gens là ? Ils veulent partir laisses les partir ! C’est tout ce que cette femme sait faire déposer les cadavres devant la maison de notre père !

Diane : Charles !

Moi : Je crois que si tu dois t’adresser à quelqu’un ici c’est à moi !

Charles : Parce que tu crois que tu es meilleure ? Je te plains ma chère, attends seulement quand ce sera ton tour elle viendra aussi déposer ton corps ici comme ça !

Moi : Dieu m’en préserves ! Mon âme ne pourrait jamais reposer en paix dans cet endroit, entouré de haine et d’hypocrisie !

Ma mère sentant que je commençais à m’échauffer me pris la main pour me tirer pour qu’on s’en aille.

Charles : Ne te gène pas ma chère nous avons accepté que Magon vienne ici parce que le sang de notre père coule dans ses veines, toi tu n’y a pas ta place, tu devrais demander à ta prostituée de mère de te dire qui est ton père !

Il avait franchi la ligne rouge.

Moi : Parce qu’être l’enfant de ton sorcier de père est un privilège ? Ma mère est une prostituée qui durant des années vous a nourri, qui grâce à son travail de prostituée a mis un toit sur votre tête ! Ce n’est pas grave que vous l’ayez trainé dans la boue après, le merci du chien c’est le fond du bac à ordure… mais ne viens pas te vanter d’avoir un père devant la fille de prostituée que je suis-je n’ai rien à t’envier, ni à toi ni à aucun de tes frères, parce que mon père c’est ma mère !

Ma mère : Mekeng sima ti ken ! (Mekeng fermes là, on s’en va !)

Le simple fait que ma mère ait intervenu déclencha une horde d’insulte de tous les membres de la famille de mon père. La main de ma mère incrustée dans la mienne me fit comprendre qu’elle n’allait pas se retenir, mais il était hors de question qu’elle perde la face devant ces gens, s’il le faut je vais combattre pour elle. D’un geste mes yeux croisèrent ceux de celui qui durant des années avait tourmenté la vie de cette femme.

Moi : Tu es content ?

J’avais crié dans sa direction couvrant les voix qui s’adressaient à ma mère.

Moi : Tu nous as accueilli avec les insultes et maintenant tu nous chasses de chez toi avec les insultes !

Charles : Pas étonnant que Etoa t’ait abandonné devant le maire ! Une prostituée ne peut que…

Jules : Ça suffit avec ce mot !

Sa voix avait recouverte celle de mon demi-frère qui fit un pas en arrière pendant que Jules s’interposait entre nous, suivit d’Alfred qui se tint à sa gauche, les filles prirent ma mère et l’entrainèrent vers le 4X4 de Jules.

Mes oncles se tinrent derrière moi pendant que mon père se dirigeait vers nous. Il avait visiblement quelque chose à me dire. Il se tint devant moi écartant doucement Jules de son chemin. Mon père est un homme imposant, grand et fort, mais il ne me faisait plus peur depuis très longtemps j’avais appris à la défier et à gagner mes batailles face à lui.

Mon père : Kiki tu es ma fille je ne peux pas te souhaiter du mal, j’espère juste que tu sais ce que tu fais en venant ici cracher sur ta famille !

Moi : Vous n’êtes et n’avez jamais été ma famille et je le répète, que Dieu me garde de reposer un jour dans cette cour ! Nous sommes venu te laisser ta fille, la seule que tu as eu avec ma mère moi je vais continuer à chercher lequel des clients de ma mère est mon père… Mais ce n’est certainement pas toi !

Un éclair passa dans son regard lorsque je le citais ainsi lui rappelant les mots qu’il m’avait balancés un jour, mes yeux piquaient mais je ne voulais et ne pouvais pas pleurer pas ici devant cet homme, cet homme qui avait détruit la vie de ma mère, nous avait rejetées après nous avoir fait vivre l’enfer.

Mon grand-oncle : Mekeng yuy ti ken ! (Mekeng viens on s’en va !)

Jules me prit par la main et me dirigea vers sa voiture tandis que mes oncles allaient prendre celle d’Alfred.

Là je pouvais pleurer, je ne reverrai plus jamais ma petite sœur, je ne pourrais même pas aller me recueillir sur sa tombe à présent qu’elle reposait dans ce village où mon seul nom était une insulte.

Ma mère chantait dans la voiture tandis qu’on reprenait la route pour Yaoundé.

« Magon est partie ! La beauté de mes entrailles s’en est allée ! »

   


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