Épisode 28
Write by Mona Lys
Episode 28
KENDRICK
Plusieurs mois plus tard
Sous l’ordre de l’officier, nous pénétrons tous à l’intérieur de la salle du tribunal pour assister au dernier jour du procès de Cindy. Après ce jour sombre où elle a tué son mari, elle a été mise en détention le temps de faire son procès et de déterminer si oui ou non son acte était de la légitime défense comme elle le prétend. Nous avions été tous sur le choc en apprenant ce qui s’était passé. Cindy était restée muette pendant près d’une semaine. Elle était encore sous le choc elle aussi. C’est quand elle s’est décidée à parler qu’elle a fait sa déposition. Bien avant que nous ne le fassions, sa patronne Loraine ANDERSON lui avait pris un avocat. C’est maman qui a porté plainte contre Cindy pour le meurtre de son fils. Papa voulait la faire libérer parce qu’il savait que tout ce qui était arrivé était de la faute de son défunt fils mais sa femme mama So l’en a dissuadé disant de laisser ma mère faire son deuil à sa manière. Voir le meurtrier de son fils passer devant la justice apaiserait un peu son cœur. Mon père a donc laissé faire mais il apporte son aide du mieux qu’il peut aux amis de Cindy qui lui sont d’un véritable soutient.
Tout le monde a témoigné. Moi, mes parents, la mère et l’ainé des oncles de Cindy, Loraine et sa belle-sœur, mais aussi Estelle. Tous, comme si nous nous étions entendus, avions dit les mêmes choses sur les réalités du couple KALAMBAY. Les parents de Cindy et ma mère ont essayé de retourner leurs témoignages en leur faveur en affirmant qu’ils ne savaient pas que c’était aussi grave que ça. Il y a eu aussi le témoignage du docteur de Cindy ce qui a joué pour beaucoup. Sauf cas de corruption, Cindy devrait être libérée aujourd’hui. J’ai tenté plusieurs fois de la voir mais elle n’a jamais voulu. Je n’ai plus insisté jusqu’à ce jour.
Mon père, sa femme, moi et ma mère nous asseyons dans la rangé de droite derrière l’avocat engagé par ma mère. Toutes les autres personnes se dirigent dans celle de gauche derrière Cindy qui ne va pas tarder à faire son entrée. J’ai hâte que tout ça finisse pour que les enfants puissent enfin voir leur mère. Elle n’a pas voulu qu’ils viennent la voir en prison mais eux ne cessent de la réclamer. Elle apparait enfin suivi des policiers. Je ne supporte pas de la voir dans cet état. Elle a pris un coup de vieux et a perdu de sa superbe mais n’empêche qu’à mes yeux elle reste la plus belle femme que j’ai connue. Le juge fait son entrée après elle et nous fait signe de nous asseoir.
– Nous sommes maintenant au terme de l’affaire Cindy YAPI épouse KALAMBAY qui est accusée d’avoir assassiné son époux le défunt Kennedy KALAMBAY. Madame Cindy s’est déclarée non coupable et a affirmé avoir agi en légitime défense. Alors, si nous nous référons aux articles 100 et 101 du code pénal Ivoirien et après avoir suivi l’affaire, écouté les témoignages et vu tous les tests médicaux effectués sur l’accusée, nous pouvons donc classer cette affaire dans le cadre de la légitime défense. Ceci étant, Madame Cindy YAPI épouse KALAMBAY est déclarée non coupable et doit être immédiatement remise en liberté.
Des cris de joies fusent du côté de Cindy. Mon père et moi sommes aussi heureux mais pour respecter la tristesse de ma mère, nous nous contentons juste de les regarder se réjouirent. C’est le juge qui impose de nouveau le silence en tapant du marteau.
– Avant de clore définitivement ce procès, je voudrais donner quelques conseils à Madame Cindy mais aussi à vous, les femmes, qui êtes dans cette salle. N’acceptez jamais l’idée que le mariage est plus important que votre vie. Le mariage est une belle chose et encore mieux elle a été instituée par Dieu mais Dieu n’a pas institué le mariage pour qu’on en souffre ou qu’on en meure. Il faut savoir mettre fin à un mariage ou une relation avant qu’il ne soit trop tard. Le mariage n’emmène pas au paradis ça je vous le dit. J’ai toujours mal de voir des femmes qui supportent des coups ou des viols sous prétexte de l’amour. Un homme qui vous aime ne vous portera jamais mains. Il trouvera toujours le moyen de se calmer quand vous le pousserez à bout. Ma sœur est morte sous les coups de son mari. Elle m’a caché ce qu’elle vivait pendant des années pas peur que je le foute en prison. J’ai tout découvert le jour où il lui a porté le coup de grâce. Je m’en suis voulu pendant des années avant de véritablement accepter la chose. Vous, vous avez eu la chance d’être encore en vie même si vos trompes y sont restées. Mais vous auriez pu éviter de tuer votre époux si vous étiez partie plus tôt. Tous les hommes ne sont pas violents, comprenez-le. Maintenant à vous les parents, arrêtez de donner les conseils à vos enfants selon votre siècle. Le siècle où la femme était tout le temps écrasée par son mari et réduite à être une simple ménagère est révolu. Conseillez à vos filles la soumission sans leur demander de supporter des choses qui sont au-dessus de leur force. Ce n’est pas parce que vous êtes les parents que vous avez toujours raison. Apprenez à penser aux bonheurs de vos enfants que de vous soucier de ce que la société dira. Si Monsieur Kennedy KALAMBAY est mort c’est aussi de votre faute. Vouloir à tout prix les garder mariés pour je ne sais quel principe ou culture. J’espère que tout ça vous servira de leçon. Bonne chance à vous Cindy dans votre nouvelle vie parce que oui c’est maintenant que votre vie commencera. Prenez de bonnes décisions cette fois. La session est levée.
Maman sort sans plus attendre. Mon père et sa femme vont vers Cindy qui est déjà entourée de ses amis. Sa mère et son oncle sont en retrait le visage rempli de honte. Cindy non plus ne les regarde pas. Mes parents discutent un peu avec elle avant de prendre le chemin de la sortie. Je m’avance à mon tour. Je ne sais pas si elle voudra que je l’enlace alors je reste à l’écart.
– Félicitations !
– Merci ! J’ai hâte de voir mes enfants.
– Tu les verras quand tu veux. Ils sont aussi impatients de te voir.
Elle sourit timidement avant de prendre un air sérieux.
– Je suis désolée pour ton…
– Tu n’as pas à t’excuser. C’était lui ou toi. Le meilleur de vous deux est resté en vie.
Elle baisse les yeux tristement.
– Tu vas rentrer avec tes amis ou ? Demandé-je pour changer de sujet.
– Non avec toi. Je veux voir les enfants.
– Je t’attendrai donc jusqu’à ce que tu sortes.
– Ok.
– À toute.
– À toute.
Je la regarde sortir de la pièce après quoi je monte dans ma voiture direction la MACA d’où sera libérée Cindy. Même si entre Ken et moi ce n’était pas le grand amour je suis quand même triste qu’il ne soit plus là. Il était mon frère jumeau, mon autre moi. J’ai de la peine qu’il soit parti ainsi. Les choses auraient dû se passer autrement mais hélas. Nous l’avons enterré une semaine après la tragédie. Il n’y avait pas vraiment du monde. C’était juste un truc familial. Néanmoins Jamila était présente puisqu’elle porte en elle le seul souvenir de Kennedy. Maman la prise d’ailleurs avec elle pour mieux la suivre. C’est le bébé qui réconforte ma mère. Elle aura un souvenir de son fils adoré. J’ai voulu la réconforté pendant les obsèques mais j’ai préféré rester à distance de peur d’être rabroué. Ça a toujours été ainsi depuis mon adolescence. Elle me rejetait constamment sous prétexte que j’avais l’amour de mon père qui lui aussi rejetait Kennedy. C’était à chaque parent son enfant, à chaque enfant son parent. J’ai toujours eu besoin d’affection maternelle et il a fallu la venue de mama So pour que j’en aie un peu droit.
La porte de la prison s’ouvre sur Cindy. Mon cœur est remplit de joie en la voyant. Enfin elle est libre. Elle est magnifiquement habillée. Je crois que c’est son ex patronne qui lui a offert la ténue. Je vais la prendre dans mes bras par surprise. Elle répond à mon étreinte. Je la serre tellement que l’émotion me submerge. Seulement plutôt que ce soit moi qui pleure c’est elle qui éclate en sanglot. Je la serre encore plus dans mes bras.
– C’est fini princesse. Esili (C’est fini, en Lingala)
Elle pleure en me serrant encore très très fort. Je ne peux à mon tour retenir mes larmes. Je fais l’effort de me reprendre pour la calmer. Je prends sa tête en coupe et l’oblige à me regarder.
– C’est fini Cindy ! Plus personne ne te fera de mal et plus jamais tu ne retourneras dans cet endroit.
Elle secoue vivement la tête.
– Une nouvelle vie t’attend avec les enfants. Tu vas désormais être la meilleure maman du monde pour eux. Tu ne dois pas laisser cette histoire diriger ta vie. Tu dois tourner cette page et entamer une autre. Est-ce que c’est compris ?
– Oui !
– Maintenant fais-moi un sourire. Faudrait dérider ce beau visage avant de voir les enfants.
Un sourire étire ses lèvres illuminant son visage. Je lui nettoie le visage après quoi nous embarquons.
– Les enfants ont très hâte de te voir.
– Et moi donc. Mais s’il te plaît pourrait-on aller chez ta mère en premier ?
– Pourquoi ? Demandé-je en fronçant les sourcils.
– Je veux lui parler. Lui demander pardon. Tu comprends ?
– Oui !
Je prends donc la direction de chez ma mère. Cindy demeure silencieuse et pensive durant tout le trajet. Quand nous arrivons, elle met du temps avant de descendre. Une fois fait, nous rentrons tous les deux à l’intérieur où maman est assise, l’esprit ailleurs. Dès qu’elle nous voit, ou du moins Cindy, la colère déforme son visage.
– Qu’est-ce que tu fais chez moi meurtrière ?
Cindy se met aussitôt à genoux devant elle.
– Je te demande pardon maman.
– Pardon pour quoi ? Pour avoir tué mon fils ? Tout ça pour quoi ? Parce qu’il t’a tapé ? Es-tu la seule femme qu’on tape sur cette planète ? Mais les autres ne tuent pas leur mari, elles deviennent juste soumises. Mais toi comme tu as un cœur noir et rebelle pour ne pas te soumettre, tu as préféré tuer mon fils. Mais comme la justice ne t’a pas puni, Dieu va le faire. Il va te punir.
– Maman s’il te plaît, interviens-je.
– Toi fiche-moi la paix. Ce n’est pas pour ses beaux yeux à elle que tu as tourné le dos à ton frère jumeau ? Prends ta chose et sortez de ma maison. Mtchrrrr.
Elle quitte la pièce en continuant de lancer des injures en Baoulé. Je relève Cindy et ensemble nous quittons les lieux. J’engage un sujet de conversation plus gai pour lui arracher un sourire. À peine nous arrivons devant la maison de la plage que les enfants sortent en courant. Cindy se précipite dehors sans même attendre que je gare bien. Elle se met à genoux et réceptionne les jumeaux dans ses bras. L’émotion est à son comble. Cindy tout comme les enfants pleurent toujours entrelacés.
– Tu nous as manqué maman ! Pleure Lena. Ne nous quitte plus jamais.
– Je suis désolée mes bébés. Je suis là maintenant et plus jamais je ne m’en irai. Je vous aime tellement.
– On t’aime aussi maman ! Répondent-ils ensemble.
Cindy les embrasse un peu partout de façon désordonnée avant de les serrer encore dans ses bras. Le spectacle est beau à voir. Je reste donc à distance pour pas les interrompre. J’en suis même ému. J’ai toujours aimé la complicité entre mes enfants et leur mère.
Tout le reste de la journée s’est bien déroulé avec les enfants qui ne voulaient point lâcher leur mère de peur qu’elle disparaisse à nouveau. Je les ai juste regardé de loin profiter. Ils sont maintenant tellement épuisés qu’à peine 19h a sonné qu’ils se sont écroulés de sommeil. Je ressors de leur chambre suivi de Cindy.
– Je crois que je vais rentrer maintenant. Ça peut aller ?
– Oui ! Merci d’avoir bien pris soin d’eux pendant mon absence.
– Tu me remercies alors que je suis leur père ? Ça n’a pas de sens.
– Je sais, affirme-t-elle un léger sourire sur les lèvres. Mais bon tous les pères ne le font pas. Ça prouve que tu es meilleur.
– Merci !
J’ai envie de l’embrasser mais je me retiens. Elle vient de sortir de prison et je ne veux pas lui embrouiller l’esprit. Je lui laisserai le temps qu’il faut avant d’entamer la procédure de reconquête. Je lui souhaite bonne nuit et prends congé d’elle. Plutôt que de rentrer à mon appartement je retourne chez ma mère. J’y ai donné rendez-vous à mon père pour qu’on discute tous les trois. Je veux retrouver ma mère. J’ai envie qu’on se reparle comme mère et fils et non comme ennemis. J’en ai marre que notre famille soit divisée. Ce sont toutes ces querelles incessantes qui ont coupé tous nos liens si bien que chacun vivait sa vie comme il l’entendait. Je ne veux plus de ça. Je les rejoins au salon chacun assis dans son coin. Ils ne s’échangent même pas de mots.
– Bonsoir ! Salué-je
– Qu’est-ce que tu veux encore ? M’attaque d’emblée ma mère.
– Retrouver ma mère, répondé-je du tac au tac.
– Suis-je perdue ?
– Pour moi oui ! J’ai perdu ma mère depuis que j’étais gosse. Kennedy et moi avions été victimes de la non-entente entre toi et papa. Oui mon frère et moi étions très différents, sur tous les bords je peux même le dire, mais papa et toi auriez dû utiliser d’autres méthodes que de choisir vos favoris. Pendant longtemps je n’ai souhaité qu’une attention de ta part. Je voulais avoir ma mère, l’entendre me gronder et me féliciter. Me donner des conseils, me dire quoi faire devant telle ou telle situation. Je n’ai pas demandé à ce que papa soit hyper sévère avec Kennedy. Tout ce que moi je me contentais de faire c’était de rapporter de bonnes notes afin que vous soyez fiers de moi. Mais faut croire que c’est tout le contraire que ça a engendré. Mais maintenant maman il ne te reste que moi comme enfant et je voudrais qu’on ressoude nos liens. Je veux être un fils pour toi et toi une mère pour moi. Je veux qu’on soit une famille même si papa et toi ne vous remettez pas ensemble. C’est aussi de notre faute si Ken est mort. Je ne parle pas du fait qu’il était violent, mais plutôt du fait qu’on aurait pu essayer de le transformer en une bonne personne si nous n’étions pas trop occupés à nous faire la guerre. Moi et papa contre toi maman et Kennedy. On se faisait la guerre sur qui aurait le plus de responsabilités. On se faisait des rivalités sur tout au lieu de nous entraider à devenir meilleur. Maintenant Kennedy est mort et il ne reste que nous. Je souhaiterais donc que nous enterrions la hache de guerre. Je vous supplie d’oublier le passé et qu’ensemble nous construisons l’avenir. Il y a des enfants dans la famille. Moi j’en ai deux et bientôt Jamila nous donnera l’héritier de Kennedy. Je n’aimerais pas qu’ils grandissent tous dans cette même atmosphère dans laquelle mon frère et moi avions grandi et qui nous a détruit.
Je suis stoppé par l’émotion qui m’envahit en repensant à tout ce par quoi nous sommes passés.
– Il y a déjà eu assez de victimes comme ça. Déjà Cindy qui n’a jamais été heureuse, ensuite elle a perdu ses trompes, moi j’ai été séparé de mes gosses pendant cinq années, Kennedy est mort et son fils grandira sans son père. Je ne veux pas de ça pour mes enfants et pour mon neveu. Je veux qu’ils aient des grands-parents unis qui leurs prodigueront de bons conseils. J’ai besoin de mes deux parents.
Quand j’arrête mon discours je vois mon père pleurer en silence. C’est la première fois que je le vois pleurer. Même quand Kennedy est mort il s’isolait pour refouler sa peine. Mon père n’a jamais été du genre à se laisser aller en public alors si aujourd’hui il le fait, c’est qu’il est vraiment touché. Ma mère elle est plutôt en colère.
– Donc tu attendais la mort de ton frère pour nous dire ces choses ? Tu veux que nous soyons unis juste pour toi ? Mais ce sera sans moi et je te le dis en même temps je ne veux plus voir Cindy et ses enfants. Ce sont eux la cause de la mort de mon fils. Donc si tu veux l’épouser quitte le pays avec elle et vos progénitures sinon toutes les fois que je la verrai je l’humilierai. Maintenant laissez-moi aller dormir.
Elle nous plante là et disparaît vers sa chambre. Au moins j’aurais essayé.
– Tes mots m’ont profondément touché Kendrick. Tu as raison sur toute la ligne. Je me rends maintenant compte de mon irresponsabilité entant que père. J’ai fait beaucoup d’erreurs. D’énormes erreurs.
– Mon but n’est pas de te blâmer papa, mais de nous faire prendre conscience.
– Et tu as réussi. Je ferai de mon mieux pour que nous soyons tous unis même si ce sera un peu difficile avec ta mère. Je laisserai de côté mon orgueil. Mes petits enfants ne connaîtront pas les mêmes choses.
– Merci papa !
– Nous devrions rentrer maintenant avant que ta mère ne vienne nous chasser à coups de balais.
C’est en rigolant que nous nous en allons. J’espère que mes paroles auront aussi de l’effet sur ma mère et qu’elle reviendra à de meilleurs sentiments. Je ne veux plus de discorde dans ma famille. Si nous vivons toutes ces choses, c’est parce que nous n’avons pas été unis. La guerre entre mes parents a rejailli sur mon frère et moi faisant de nous des rivaux. Je ne veux pas de ça pour mes enfants et je me battrai pour avoir une famille unie. Que Cindy me donne une chance ou pas, nous serons tous unis. On peut divorcer sans pour autant instaurer la haine dans la famille. Qu’on le comprenne bien, les querelles entre les parents se répandent toujours sur les enfants et si chaque parent au lieu d’aimer chacun de ses enfants de la même manière lèse certains au détriment des autres, le résultat ne sera rien d’autre que la haine, la rivalité entre les enfants. Sachons donc faire la part des choses.