... et Numéro 5
Write by lpbk
— Tant pis pour Franck, nous commençons sans lui !
Que voulez-vous boire ? lançai-je à la cantonade.
— Un mojito pour moi, commande Astride en levant le
bras.
Apparemment, elle ne me fait plus la tête.
Je lui souris, contrite. Elle me fait un clin d’œil. C’est bon, tout est
oublié ! Astride a ce don de pardonner très rapidement car elle déteste
les conflits. Je suis soulagée. La soirée va bien se passer.
Je me tourne vers les garçons :
— Une Isenbeck, commande Ethan.
— Ce sera la même chose pour moi aussi, réplique
Alexandre.
Plutôt soft chez les garçons. Peut-être
veulent-t-ils commencer doucement…
— Un virgin pour moi.
— Un virgin ? m’étonnai-je. Tu ne vas pas commander
un virgin, Coralie ! Tu es malade ? ris-je à ses dépens.
— J’ai un rendez-vous médical demain matin et je ne dois
pas boire d’alcool, me rétorque-t-elle visiblement fâchée. Tout le monde n’a
pas besoin de picoler pour savoir s’amuser.
Mon rire se coince dans ma gorge. Je ne
l’avais pas vu venir celle-là.
— Je suis désolée… Je ne voulais pas… Enfin…
bredouillai-je confuse.
J’avoue que je suis estomaquée. Nous nous
sommes déjà crêpées le chignon mais qu’elle me parle sur ce ton devant les
garçons m’étonne et sa pique, eh bien, je ne sais qu’en penser à vrai dire.
— Je vais aller passer nos commandes, se lève Astride.
Tu prends un mojito, Mel ?
— Oui, réponds-je par automatisme, le regard fixé sur
Coralie qui e fuit à la manière d’Astride quelques minutes plus tôt.
Décidément, ce n’est pas mon jour. Après
Astride, c’est au tour de Coralie de m’en vouloir.
Je n’aperçois même pas Ethan quittant
notre table à la suite d’Astride. Sans doute est-il parti lui donner un coup de
main pour ramener nos consommations.
— Vous vous connaissez depuis longtemps ? finit par
demander Alex, brisant le silence pesant qui s’est installée à notre table.
— Douze ans ! lâche Coralie avec dédain.
Elle a l’air très en colère. Et j’avoue
que je ne comprends pas pourquoi.
— Ecoute Coralie, je m’excuse. Je ne voulais pas te
vexer. C’était une blague que je n’aurai pas dû faire.
Elle ne me répond pas et continue de
laisser son regard erré dans la salle.
Ce n’est pas possible. Je fais bourde sur
bourde ce soir, sans m’en rendre compte et j’ai réussi à me mettre mes deux
meilleures amies à dos. Je n’aurais jamais dû accepter cette idée de
rendez-vous à plusieurs. Je me mordille la lèvre inférieure, contrariée.
— Laisse-la tranquille, me chuchote Ales en posant une
main apaisante sur mon bras. Elle semble un peu tracassée mais je suis sûr que
ça lui passera.
— J’espère… répliquai-je peu convaincue.
Nous reprenons notre conversation,
laissant Coralie dans sa bulle lorsqu’une main vient se poser sur mon épaule.
C’est moi ou les hommes sont suicidaires ? Il ne faut jamais faire cela à
une femme ou à n’importe qui d’ailleurs sous peine de s’en prendre une en
pleine figure. Et puis c’est quoi cette manie qu’ont les hommes de pose leur
main de cette manière sur les femmes ? Après Antoine et André, c’est au
tour de cet inconnu ! Arrêtez messieurs car c’est excessivement énervant…
et effrayant.
J’essaie de masquer mon sursaut tant bien
que mal et souris, en me tournant.
— Désolé pour le retard, me lance un parfait inconnu. Je
suis Franck, je suis enchanté de faire ta connaissance Mélanie, continue-t-il
en me tendant la main.
Au moins il a regardé ma photo de profil
contrairement à Alex. Il rattrape le point qu’il avait perdu à cause de son
retard.
— Enchanté également, répliquai-je platement en la lui
serrant.
Il ne cherche pas à justifier son retard
et s’installe à notre table, sans y avoir été invité. Prenant par la même
occasion la place laissée vacante par Ethan.
Ce sans-gêne me laisse perplexe mais je ne
dis rien, souriant toujours.
— Alexandre, se présente mon voisin, voyant que Franck
n’a pas pris cette peine.
— Ouais, salut… lui répond-il vaguement.
Mais qui est ce mec ? Sa description
laissait penser qu’il était quelqu’un de simple, de sympathique et non pas un
homme imbu de sa personne, sans gêne.
Alexandre ne se démonte pas et sourit. Je
hausse un sourcil, devant la réponse laconique de Numéro Cinq. Je dois vraiment
arrêter de toujours supposer. Stop ! J’arrête aussi de juger à
l’emporte-pièce, peut-être est-il stressé, nerveux ou… Stop, stop et
stop !
— Je suis Coralie, lui lance mon amie.
— Enchanté, lui répond-il charmeur.
— Tu as été pris dans les embouteillages ?
demandai-je à tout hasard, tentant d’en savoir plus sur son retard.
— Euh, non. Pas du tout. C’est juste que, eh bien, j’ai
eu plus de travail que prévu et je n’ai pas vu l’heure passer.
Je n’y crois pas une seule seconde à cette
explication.
— Et dans quoi tu travailles ?
— Je suis conseiller commercial.
— Pour quelle entreprise ?
— Une petite agence de voyages.
— Laquelle ? enchaine-t-elle.
On dirait la Gestapo. Coralie semble
suspicieuse et elle a toujours l’art de sentir les gars louches.
Malheureusement pour elle ou heureusement,
Alex, Astride et Ethan reviennent avec notre commande, interrompant l’interrogatoire.
— Salut ! Ethan, se présente mon voisin.
— Et je suis Astride, l’autre meilleure amie de Mel.
— Enchanté Astride, je suis Franck, répond notre dernier
convive sans prendre la peine de lancer un regard à Ethan.
Numéro Cinq est clairement à la recherche
d’une conquête et me plait de moins en moins. Malgré tout, je veux lui laisser
une chance.
— Nous t’avons pris une bière comme les garçons,
enchaine Astride.
— C’est sympa, la remercie-t-il aimablement, mais je ne
suis pas un grand fan de bière. Je préfèrerai un whisky si cela ne te dérange
pas.
Il a cru qu’Astride était une serveuse ou
je me trompe ?
— Désolé, mec mais il faudra aller au bar pour commander
dans ce cas, lui explique Ethan avec un sourire contrit.
Franck lui lance un regard qui me parait furieux
mais ne dit rien. Il se lève et se dirige vers le bar où une longue file d’attente
s’est formée depuis notre arrivée. Je le suis du regard, de plus en plus
déconcertée par sa personnalité et son comportement.
— Mais c’est qui ce type ? me demande Coralie,
apparemment aussi surprise que moi.
— C’est Numéro Cinq, répond Astride avant que j’ai eu le
temps d’ouvrir la bouche. Son profil avait l’air sympa pourtant,
continue-t-elle songeuse.
— Il a dû oublier son côté sympathique à son bureau,
lance Alex, pince-sans-rire.
— Ce type ne me plait vraiment pas, commente Astride,
platement.
— A moi non plus, répliquent Coralie et Alex à l’unisson.
Tous deux se sourient, de connivence. Je pense
que je peux faire une croix sur Alex.
Coralie semble avoir un coup de cœur pour
lui et il a l’air réciproque. Pour une fois qu’un homme lui plait, je ne vais
pas lui gâcher son plaisir.
— Dis-moi Alex, et toi dans quelle branche travailles-tu ?
— Dans l’art.
— Vraiment ? m’étonnai-je.
— Je sais que je n’ai pas le profil mais comme je dis
toujours, « il ne faut jamais se fier aux apparences ». j’ai été
initié par un pote de fac et il m’a transmis sa passion.
— C’est génial ça. Et que fais-tu exactement ?
— J’adore fouiller. Je suis toujours à la recherche de
vieilleries à faire découvrir au monde. D’objets dont les gens veulent se
débarrasser alors que ce sont de véritables trésors, déclare-t-il avec emphase.
Je ris face à ce discours, ce qui le rend incrédule.
— J’ai dit quelque chose de drôle ?
— Non, désolée, m’excusai-je en me reprenant. Mais j’ai
l’impression d’entendre le discours qu’une vieille connaissance m’a faite il y
a pas si longtemps que cela.
— Ah oui ? Nous ne sommes pas nombreux dans le
métier, je dois probablement le connaitre dans ce cas. Qui est-ce ?
— Ça m’étonnerait que tu le connaisses mais il s’appelle
Felton André.
— C’est pas vrai ! lance-t-il.
— Euh, non. Pourquoi ?
— Je travaille avec lui. C’est lui, mon pote de fac. Je
travaille pour son compte. Je ne suis pas son employé, c’est juste que c’est l’une
des personnes à qui je vends mes plus belles trouvailles.
C’est à mon tour d’être incrédule face à
sa réponse.
— Le monde est vraiment petit, clame Coralie.
— Comment connaissez-vous André ?
— C’était…
— C’est l’ancien grand amour de Mel. Mais il l’a larguée
comme une vieille chaussette quand il a cru qu’elle le trompait, me coupe
Coralie.
— Tu es LA Mélanie s’André ? s’exclame Alex, stupéfait.
— C’est bien elle, continue ma meilleure amie qui
jubile. La seule et l’unique !
— Je ne suis la Mélanie de personne, finis-je par
placer. Nous étions… nous étions des adolescents. C’est du passé tout ça. Nous sommes
de simples relations d’affaires désormais, continuai-je me sentant obligée de
me justifier. André m’a confiée l’organisation du mariage de sa sœur, Olivia.
Alex ne répond pas mais un léger sourire
incurve ses lèvres. Il lance un regard entendu à Coralie qui rit. Je suis
heureuse et soulagée de la voir se détendre. Elle ne semble plus m’en vouloir
pour l’incident de début de soirée.
— J’espère que je ne vous ai pas trop manqué !
Eh bien non Franck, tu n’as manqué à
personne car nous t’avions complètement oublié. Toutefois, je suis reconnaissante
de son intervention qui coupe court à cette conversation qui commençait à me
mettre mal à l’aise. J’ai les joues en feu. Je bois une gorgée de mon verre et
me force à lui sourire.
— Alors Mélanie, m’interpelle-t-il, que penses-tu de moi ?
Ohhh non, pas un Angelo numéro deux quand
même. Stop ! Je m’autocensure car j’ai dit que j’arrêterai de supposer et
de juger à l’emporte-pièce.
— Difficile à dire en quelques minutes, Franck. Je te
connais à peine, répliquai-je faussement gênée.
— Tu as raison ! nous devons remédier à cette
situation.
La soirée continue dans une joyeuse
ambiance. J’apprends à connaitre Alexandre et Franck qui finalement s’avère
être plus sympathique que de prime abord, une fois qu’il a ingurgité quelques
verres et qu’il se soit détendu. Franck finit même par avouer qu’il n’est pas
encore conseiller commercial mais secrétaire de l’un d’entre eux. Il apprend
encore le métier et trouve son job très formateur.
Nous rions de tout et de rien tous les
six. Alex est vraiment drôle. Il nous raconte des histoires abracadabrantes sur
ses trouvailles.
Une fois, une vieille dame l’avait
contacté au sujet d’une poupée de grande valeur, qui aurait des pouvoirs
mystiques. Comme l’expliquait Alex, même si une requête vous parait farfelue,
il ne faut jamais se baser sur cette idée. Parfois, cela l’avait menée à faire
de belles découvertes. Il s’était donc rendu chez la cliente en question. Elle affirmait
que la poupée était la véritable Raggedy Ann, ayant donné naissance au mythe d’Annabelle.
Evidement Alex connait bien tous ces
mythes et légendes. La poupée n’a donc que peu de secrets pour lui. Ainsi celle
que lui présentait la vieille dame n’était en rien similaire à l’authentique
jouet.
— Je vous jure, elle ressemblait bien ç une poupée de
chiffon mais avec des cheveux bleues, une robe à fleurs miteuse. Elle avait
même dû être mignonne à une époque mais là, ce n’était plus le cas. Elle dégageait
une odeur infecte d’urine de chat mêlé à une odeur de… je ne sais pas. C’était
insoutenable. Et la vieille dame n’arrêtait pas de me la mettre sous le nez en
me disant « Mais si, regardez bien, mon p’tit ! C’est la vraie, j’vous
dis. » Elle n’en démordait pas.
Il imitait la voix de son interlocutrice
avec tant de talent que nous ne pouvions nous empêcher de rire à ses histoires.
Cette soirée, qui s’annonçait mal, se
prolonge finalement au restaurant, dans une atmosphère bon enfant. Je me sens
bien, détendue et soulagée. Je souris en regardant notre petite troupe, hilare.