Joël et Ami 13 : Je suis désolé

Write by Dja

Aminata était toujours inerte. Son pouls battait à peine.

Fatoumata, à ses côtés pleurait en se maudissant.

Elle maudissait le jour où elle avait dit oui à la demande de sa fille. Elle maudissait le jour où elle avait accepté de fermer les yeux sur les jeux qu’elle avait pensés inoffensifs entre Joël et Ami.

Elle maudissait le jour où elle avait.... 

A quoi bon s'en rappeler, elle se maudissait elle-même... Et surtout, elle maudissait Oumar.

Comment avait-il pu tuer sa fille, leur fille ? Comment ? Et pourquoi ? À cause de ce fichu honneur ? Et elle, qui avait laissé faire.


Elle voulait être morte à la place d'Aminata. Son bébé qui avait osé braver les interdits et qui se retrouvait allongée là, dans la voiture qui filait en toute hâte vers la clinique.

« Ho, Ami bébé ! » Elle répétait cette phrase comme un tantra tout en caressant la joue qui refroidissait sous sa main. C’était comme si ce simple geste, cette simple parole ramènerait sa fille à la vie.

Aminata ne respirait plus. Son visage, était calme. La douceur de ses traits était encore plus accentuée.

C’était comme si elle dormait.



De son côté, Aminata entendait au loin sa mère pleurer. Pourtant, elle ne parvenait pas à faire le moindre geste. Elle aurait voulut lui sourire, la rassurer. Elle aurait voulu parler, crier, bouger, mais son corps refusait de lui obéir. Ses lèvres ne laissaient passer aucun son. Ses doigts même qu’elle savait au bout de ses mains, que sa mère tenait, refusaient d’enserrer les paumes maternelles si chaudes. Elle entendait pourtant bien ses prières ainsi que les paroles de réconfort de Fofana. Mais, rien! Son corps semblait ne plus lui appartenir.

Mais, que se passait-il donc? ? Elle n’y comprenait rien.

Pourquoi était-elle allongée là, dans la jeep de son père, alors qu’ils étaient sensés recevoir Abou et sa famille? Elle faisait un effort pour comprendre et se souvenir, mais rien n’y faisait. Elle sombrait. Elle s’enlisait de plus en plus dans une torpeur qui ramollissait sa force de réflexion.

Comme elle se sentait bien ainsi.
Maintenant, Aminata avait l’impression de voler. Cette sensation était si douce. Elle se laissa emporter.

Yaye Fatou qui scrutait le moindre mouvement sur son visage laissa échapper un cri. Elle venait de voir la poitrine d’Ami s’affaisser brusquement. Elle ne sentait plus rien dans la main qu’elle tenait fortement dans la sienne.

Elle cria vers son fils :
« Fofana, je t’en prie, fais vite ! Ami ne respire plus du tout maintenant !

Elle continuait de réciter des prières. Criant à Dieu de lui pardonner ses fautes, de la prendre à la place de sa fille. Elle pria encore et encore jusqu’à la porte de la clinique qui était très loin de la maison.

Arrivés là, un brancardier et des personnes en blouses vinrent prendre le relais.

Ils en avaient eu pour une trentaine de minutes environ. Car, habitant loin de la grande ville, seul un dispensaire était à proximité du village pour les soins les moins importants. Sinon, pour les maladies graves, il fallait aller en ville.


Fatoumata n’eut pas le temps de descendre que déjà Ami était prise en charge par le personnel. Fofana la conduisit sur un banc en salle d’attente. Ils ne savaient pas combien de temps ils resteraient là.


Une des infirmières leur avait demandé de patienter.

Fofana se tenait la tête entre les mains. Cela faisait presque quatre ans qu’il n’était pas revenu au pays. Lui qui avait pensé que l’occasion serait la meilleure. Depuis que son père avait fait de lui son associé, il n'avait jamais eu la possibilité de rentrer. Ils réglaient les affaires importantes au téléphone. Il n’aurait jamais pu s’imaginer que les choses tourneraient ainsi. La veille encore il avait discuté avec son père concernant ce mariage :

« _ Baye ! Je ne comprends toujours pas pourquoi tu veux obliger Ami à épouser le fils de ton ami.
_ Qu’est ce que tu ne comprends pas Fofana ?
_ En, fait, ce que je ne comprends pas, c’est que tu n’arrives pas à voir combien Ami en souffre.
_ C’est ce qu’elle t’a dit ?
_ Oui et non ! Elle ne me l’a pas dit précisément, mais je le vois à son attitude. A chaque fois que je lui parle de son prochain mariage, elle se fâche.
_ Et alors ? Que voudrais-tu que j’en fasse ?
_ Mais…
_ Il n’y a pas de « mais » qui tienne. Je te signale que je suis le père de cette idiote. Et, il en est de même pour toi et tes frères. Je décide pour vous et je m’engage pour vous. Le reste, ne me regarde pas.
_ Mais, elle n’aime pas ce type.
_ Et alors ? Parce que tu crois que votre mère, c’est elle qui a choisi son mariage ?
_ Non, je sais bien ! Mais, aujourd’hui ce n’est pas la même époque. Maintenant, les jeunes peuvent choisir leurs époux."

Il voulu continuer, mais son père se leva, tout bouillant de colère:

"_ Sors de mon bureau !
_ Mais, Baye… !?
_ Sors, je te dis !
_ Bon, bon ! Pas la peine de t’énerver
_ J’ai dit, sors !
_ Ne t’énerves pas Baye ! S’il te plaît !
_ Tu es mon fils aîné, ce genre de discours je ne le tolère pas. Tu dois savoir que ce que je fais est pour tes frères et toi. C’est pour vous mettre à l’abri du besoin. Imbécile !
_ Bon, il est mieux que je sorte.
_ Je pense aussi, oui ! »

Ils en étaient restés là !

Et aujourd’hui, Ami se trouvait allongée, dans une salle avec des gens autour d’elle qui tentaient de lui sauver la vie.

Comment en était-elle arrivée là ? Pourquoi n’avait-elle pas respecté la décision paternelle ?

Il regardait leur mère qui ne cessait de faire des mouvements d’avant en arrière sur le banc où elle s’était jetée. Elle avait voulu pénétrer dans la salle d’opération, mais les médecins l’avaient arrêtée :

« Madame, vous n’avez pas le droit de pénétrer ici. Attendez là et nous reviendrons vers vous ».

Ils n’avaient rien dit d’autre. Fofana avait été obligé de la faire asseoir de force. Elle l'avait simplement regardé puis, s'était remise à prier.

Fofana l’entendait psalmodier tout doucement et jeter des regards vers la porte qui s’était refermée derrière eux.

L'attente était horrible.

Plusieurs heures étaient passées. Personne ne venait toujours rien leur dire. Fofana avait tenté d’avoir des nouvelles, mais les infirmières qui avaient pris leur service ce soir n'avaient rien de nouveau à leur apprendre. Elles lui répondaient seulement d’attendre patiemment et de prier. Puis, elles retournaient à leurs occupations, comme si de rien n’était.

Mais, Fofana entendait bien des bribes de conversation. On parlait de cette fille qui avait défié son père et avait reçu une balle dans la poitrine. D'autres disaient qu’elle s’était enfuie et que retrouvée par son père, celui-ci lui avait tiré dessus dans la rue. D’autres encore racontaient des choses encore plus farfelues et éloignées de la vérité. Pour Fofana, tout cela n’avait aucune d'importance. Il ne souhaitait qu’une chose, que sa sœur s’en sorte vivante.

Il avait toujours été celui qui la protégeait le plus. Fofana aimait énormément sa petite sœur. Elle avait longtemps été son bébé. Et, pendant de longues années, il avait été son confident. Malheureusement, lorsqu'elle lui avait parlé du projet de son père il était pris par ses occupations, il n’avait jamais pensé à en rediscuter avec elle.
A présent, il se rendait compte que son bébé avait espéré qu’ensemble, ils arriveraient à faire entendre raison à leur père. Malheureusement, il n’avait pas pris le temps suffisant. Maintenant, il s’en voulait de ce qui était arrivé. Peut-être que s’il avait été là, avait tenté de lui parler avant, elle ne se serait pas jetée dans les bras du premier venu.

Il le regrettait énormément. Maintenant, il était trop tard. Il ne lui restait plus qu’à prier lui aussi.

Des heures s'écoulèrent encore. Fofana s’était sûrement assoupi. Car, il senti une main sur son épaule. Il commençait à faire jour et Jeneba parlait avec sa mère. Elle la prenait dans ses bras et la consolait. Fofana se leva et se dirigea vers eux. Sa mère avait dû profiter de sa fatigue pour se rapprocher de la porte de la salle d’opération.

« _ Bonjour Jene ! Comment vas-tu ?
_ Bonjour Fofana ! Ca ne va pas ! comment cela pourrait-il aller alors que ma sœur est entre la vie et la mort.
_ Je comprends ! 
_ Que disent les médecins ?
_ Jusque là, ils ne nous ont encore rien dit. On attend !
_ Yaye ? (Fofana s’était tourné vers sa mère) Tu as vu quelqu’un ?
_ Non mon fils ! Personne n’est venu.
_ Ok ! Bon, allons-nous asseoir. Quelle heure est-il d’ailleurs ? »

Il regarda sa montre. Cela faisait maintenant plus de cinq heures que sa sœur était entre les mains des médecins.

Au même instant, la grande porte à deux battants s’ouvrit et tous d’un seul chef se ruèrent sur le monsieur en blouse qui avançait vers eux. Son vêtement était maculé de sang et il était en train d’enlever le masque chirurgical qui cachait une partie de son visage.

Fatou et les enfants s’arrêtèrent dans leur élan. En face d’eux, se trouvait Aboubacar. Mais, comment avait-il fait pour être là, et surtout que faisait-il avec ces vêtements ?

Comme s’il devinait leurs questions, Abou les entraîna sur le côté et pris la direction d’un bureau. Ce qu’il s’apprêtait à leur dire était d’une importance capitale et il ne voulait pas que quelqu’un les dérangent.
Il les fit asseoir, mais seules Jeneba et Fatoumata prirent place. Fofana était en proie à une colère qui montait de plus en plus. Il s’apprêtait à ouvrir la bouche, mais Abou le devança :

« Vous êtes sûrement en train de vous demander pourquoi je me trouve là, devant vous ? Hé bien, sachez que je suis le chirurgien en remplacement du professeur qui opère souvent dans cette clinique. Pour faire court et éviter d’aller loin dans les présentations, je vous apprends que j’avais accepté le poste ici alors que je me préparais au mariage. J’en avais discuté avec mon père et c’est lui qui m’avais conseillé d’accepter. Voyant son âge, il craignait que je ne sois pas présent en cas de gros problème. »

Tous le regardaient comme s’il était un martien venu de cette planète connue pour son sol rouge. Ils n’osaient dire un mot.

Puis, comme ils étaient toujours silencieux, il ajouta :

« C’était ma surprise pour le mariage, car je ne voulais pas séparer ma femme de sa famille... enfin, quand il était encore question de mariage et avant qu'AMi ne reçoive une balle de Baye Oumar. »



En l’entendant dire cela, Yaye Fatou se mit à pleurer. Pourquoi parlait-il ainsi ? Donc, sa fille n’était plus là ? Il les avait fait venir dans son bureau pour leur annoncer la tragique nouvelle hors des oreilles indiscrètes.

Qu’allait-elle devenir sans sa fille ? Sans sa Ami ? Allah ! Pourquoi sa elle ?
Elle pleura encore plus.

Abou la regardait, attendant encore un peu, puis dans un souffle, il leur dit :

« Je suis désolé ! »

Joël et Ami