Joël et Ami 17 : Papa!

Write by Dja

Dans la chambre où Abou avait demandé que Fatoumata soit installée, elle avait ouvert les yeux et appelait à l’aide tous ces ancêtres.

Mais, Abou parvint à la rassurer. Ce n’était pas sa fille qui était décédée, mais un autre patient arrivé deux jours plus tôt et qui ne s’était toujours pas réveillé d’un coma artificiel. Son cœur avait lâché alors que les médecins avaient tout tenté pour le réanimer. Le pauvre monsieur avait succombé à une énième crise cardiaque.


Yaye Fatou avait alors éclaté de rire et embrassé le jeune Docteur. Puis, elle fut conduite dans la chambre d'Ami. Après un entretien rapide avec ses fils, il avait été décidé que ce serait elle seule qui passerait la voir dans un premier temps pour éviter un trop plein d'émotions au moment 
du réveil.

Mais, Ami ne se réveillait toujours pas. Ses frères se relayaient à son chevet et les amis aussi venaient aux nouvelles.


Face à sa Ami, toujours endormie depuis une semaine, Fatoumata faisait de gros efforts pour ne pas éclater en sanglots. Elle la regardait, et caressait de temps à autre le visage boursouflé et les yeux clos de sa fille.

Un soir alors qu’elle devait bientôt s’en aller, instinctivement, Yaye Fatou passa la main dans ses cheveux et se mit à lui parler, comme lorsqu’elle lui racontait des histoires quand elle encore toute petite :
« _ Tu es née un vendredi 13, alors que la pluie tombait en plein mois d’août. Cette pluie était si forte que je pensais que c’était toi qui te débattais pour sortir. Tu avais déjà un tempérament fougueux, même avant que je ne te prenne dans mes bras.

Et puis, tu es arrivée. J’ai été, dès cet instant, la mère la plus heureuse au monde. Tu as apporté avec toi un espoir et un bonheur immenses. Désormais ton père allait rester à la maison et ne plus aller chercher d’héritière dans les bras d’autres femmes. J’étais si heureuse. Il ne me battait plus, ne rentrait plus tard. Il avait complètement changé.

Ensuite, tu as grandi et tu nous as montré que tu ne te laisserais pas faire, malgré la présence masculine importante à la maison.

Je vais te le dire maintenant, en réalité, tu es ma fierté. Toi, tu ne te laisses pas marcher sur les pieds (elle émit un long soupir en terminant sa phrase).
… et puis, sache que malgré ce qu’il y a eu entre Joël et toi, je t’aime toujours aussi fort que le jour de ta naissance. Et peut-être même un peu plus encore.

Je m’en veux tellement tu sais. Si j’avais été plus avertie, j’aurais sûrement décelé quelque chose. Tu m’aurais mise dans la confidence. Mais, j’avais si peur de ton père. J’avais peur qu’il ne te fasse du mal. Et, c’est ce qui est arrivé… »

Yaye Fatou ne put continuer. Elle se mit à pleurer en se maudissant de n’avoir pas été une mère suffisamment attentive à des supposés signes qui lui auraient mis la puce à l’oreille. Elle n’entendit pas les garçons ouvrir la porte. Ils firent leur possible pour la calmer et tenter de la déculpabiliser. Elle écoutait leurs sermons, mais rien ne pouvait l’empêcher de penser que tout ce qui était arrivé était en grande partie de sa faute. Moussa qui était toujours celui qui parlait pour tous lui dit alors :

« _ Yaye, tu sais, nous aussi sommes touchés par ce que papa a fait. Jamais on aurait pu imaginer qu’il mettrait ses menaces à exécution. Mais,…

_ … voilà, il l’a fait. On ne peut pas revenir là-dessus. Et…

_ … te rendre malade pour cela ne changera pas grand-chose et n’arrangera rien. »

La pauvre mère quoi qu’à son malheur se surprit à sourire. Elle s’était toujours amusée de la facilité avec laquelle les trois frères arrivaient à finir les phrases des uns et des autres. Au moment où elle levait la tête vers eux, ils entendirent tous le froissement des draps. Aussitôt, comme un seul homme, les garçons et leur mère se tournèrent vers Ami.

Ils avaient tous arrêté de bouger. Puis, alors qu’elle n’avait pas encore ouvert complètement les yeux, Yaye Fatou fit appeler une des infirmières par Fofana qui entrait au même moment. C’était compter sans les triplés qui avaient pris de l’avance.

A leur retour, leur mère et Fofana avaient une attitude bizarre. Comme si quelque chose n’allait pas.. Pourtant, Ami était maintenant totalement éveillée. Que se passait-il donc encore ?

« _ Yaye qu’y a t-il ? Il y a un problème ?

_ Oui les enfants, mais nous en reparleront tout à l’heure. Pour l’instant laissons l’infirmière s’occuper de votre sœur. »

L’infirmière en question était grande avec un corps plantureux. Elle mâchouillait un bâton et avait trois stylos-billes de couleurs différentes coincés dans les cheveux. Lorsqu’elle se pencha pour examiner Ami, le dessus de sa jupe était si relevé que l’un des triplés fit semblant de ramasser quelque chose par terre pour regarder en dessous. Une chiquenaude sur la nuque de la part de Fof le fit se relever fissa. Il fit les gros yeux à son aîné, mais se rangea derrière leur mère, il ne souhaitait pas recevoir un autre coup. Un « hum-hum » de la part de Fatou fit se calmer tout le monde.

L’infirmière qui continuait son travail ne s’était rendu compte de rien. Mais, les triplés étaient happés tous les trois par le balancement de ses hanches qui suivaient la cadence au gré de ses déplacements autour du lit d’Ami : elle lui prit la tension, la température, nota des choses sur un calepin qu’elle sorti d’une des poches de sa blouse. En même temps, elle se pencha pour arranger un fil qui dépassait de la machine dont elle se servait pour travailler et les garçons purent admirer la proéminence du dessus de son vêtement. Ils en bavaient presque.

Quand elle eut terminé, elle sorti dans le couloir et revint quelques instants plus tard avec Abou. Il devait s’assurer que le réveil d’Ami se passait bien, qu’il n’y avait pas de complications :

« _ Comment tu vas Ami ?

_ Ca va, merci ! (elle avait la bouche pâteuse et le regard éteint).

_ Tu en es sûre ? As-tu mal quelque part, à la tête, ou ailleurs ?

_ Non, ça va !

_ Et tu arrives à bien entendre, me comprendre ? Tu vois bien également ? »

Il lui posa différentes questions sur ses sensations et vérifia son pouls, ses sens. Ensuite, il se tourna vers sa famille :

« Yaye, maintenant qu’elle est réveillée et que le pire est passé, il va falloir qu’elle se repose beaucoup et que rien ne vienne rajouter du stress à son état. »

Il avait insisté sur le « rien ».

Yaye avait compris l’allusion. Elle fit oui de la tête et le remercia pour tout ce qu’il avait déjà fait. Abou donna quelques autres recommandations, dont celle de ne pas rester trop longtemps afin de permettre à Ami de se reposer, puis il les laissa seuls. Il promit de revenir avant la fin de son service.

En même temps, Yaye fit sortir Fofana avec elle. Elle prétexta une question financière. Ensuite, elle demanda aux garçons de dire au revoir à leur sœur qui semblait se rendormir. Abou avait expliqué que pendant un jour ou deux, Ami serait dans cet état de fatigue à cause de l'opération.

Yaye fit donc sortir tout le monde et après avoir posé un baiser sur la tête d’Ami, elle lui promit de repasser très tôt le lendemain matin.

La voiture de Fof était garée sur le parking privé de la clinique. Abou lui avait remis un badge pour qu’il rentre sans problème. Il remit les clés à un des garçons qui firent la course pour savoir qui arriverait en premier à la voiture. Ce fut Demba. Il s’installa donc à l’avant, car leur mère disait toujours que ses fils étaient ses chauffeurs et que sa place à elle était à l’arrière.

Fatoumata profita de ce moment de répit pour se concerter avec Fofana. Elle ne savait pas comment annoncer la nouvelle aux autres. Que leur dirait-elle ?

Elle s’efforçait de ne pas crier toute sa colère à DIEU. « POURQUOI ELLE ? POURQUOI CELA LEUR ARRIVAIT-IL ? QU’AVAIT-ELLE BIEN PU FAIRE POUR MERITER TOUS CES MALHEURS ? »

Elle ne rêvait que d’une seule chose, aller retrouver son lit. Mais, comme venait de lui dire son premier né, le mieux était d’aller directement à l’hôpital. Ensuite, ils rentreraient. Elle regardait ses garçons et se disaient en elle-même que les vacances pour lesquelles ils étaient tous redescendus se transformaient petit à petit en un véritable cauchemar.

Fof toujours à ses côtés passa son bras sur ses épaules et la pressa contre lui pour lui apporter du réconfort. Il en avait besoin également, mais il sentait sa mère si fragile. Cette femme qui n’avait jamais flanché, malgré les difficultés qu’elle avait pu traverser. Il se dit in petto qu’il se devait de rester fort, car jusqu’au rétablissement de son père c’était lui le chef de la famille.

Dans la voiture, les garçons étaient redevenus calmes. Ils sentaient bien que quelque chose de grave était encore arrivé. Ils regardaient leur mère et Fofana.

, ce fut encore Moussa qui parla en premier :

« _ Yaye, que se passe t-il ? Abou ? Pourquoi on ne rentre pas au village ?

_ C’est vrai, il est tard déjà. Où allons-nous ? (ajouta Demba)

En effet, Fofana avait pris une direction opposée à celle du village. Il allait être bientôt minuit et la route n’était pas suffisamment éclairée pour leur permettre d’emprunter le chemin poussiéreux et cahoteux menant à Saly.

_ Ecoutez les brothers ! Il va falloir que vous vous montriez forts (commença Fof)

_ … votre père a eu un grave accident de voiture. Il a été conduit à l’hôpital au moment où votre sœur se réveillait.

_ Oh, non ! Ce n’est pas vrai ! Baye !

_ Comment cela a t-il pu arriver ?

_ Je n’en sais pas plus que vous. Nous allons à l’hôpital là. Sur place, nous aurons plus d’explications. »

Le temps jusqu’à l’hôpital leur sembla une éternité. Les garçons s’étaient tus jusqu’à l’arrivée. Ils sautèrent presque de voiture et se dirigèrent en toute hâte vers l’accueil. Là, on leur apprit que l’état de leur père était stable, mais qu’il avait dû passer plusieurs examens et qu’il n’était pas encore installé dans une chambre, car les-dits examens continuaient.

L’infirmière qui les accueillit au service des accidentés de la route était surprise de voir les triplés. Ils se ressemblaient tellement qu’elle avait du mal à s’empêcher de tenter de les dissocier. Elle semblait jeune, pas plus de la vingtaine. En lisant sur son badge, Demba pu lire qu’elle était interne.

Elle s’appelait Nathalie.

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