Jour 1: Le débarquement

Write by Owali

JOUR 1


*** Liliane Bossé ***


Il n’existe probablement nulle beauté égale à celle que j’ai sous les yeux en ce moment. Imaginez-vous : un ciel d’un bleu parfait, maculé ici et là de quelques nuages blancs, quelques oiseaux vagabondant dans le ciel, une légère brise vous caressant délicatement le visage, et les rayons du soleil créant sur l’eau l’illusion de petits diamants flottant à la surface. C’en est presqu’un délice pour les yeux, et cela doit faire près d’une heure que je le savoure, debout sur le pont du yacht qui me conduit vers une des îles privée que compte l’archipel du Zanzibar où je passerai un séjour de rêve. 


De tout le voyage, c’est l’étape que je préfère. Prendre l’avion est l’une des choses que je déteste le plus. Heureusement, ces heures de vol interminables appartiennent maintenant au passé. Un sourire se dessine sur mon visage tandis que l’excitation monte en moi. Je suis impatiente d’y être, certaine que j’y passerai les plus beaux jours de ma vie.  Comme j’aurais aimé vivre cette expérience en compagnie de mon époux !  Depuis notre mariage, je ne rêvais qu’à cela : partir en lune de miel une seconde fois avec mon homme, vers une destination atypique, loin des bruits de la ville et des nombreuses intrigues du boulot. Aujourd’hui, mon rêve se réalise mais sans Didier sur le tableau. 


Je soupire, presque d’exaspération. Pourquoi est-ce que je ne peux pas simplement profiter de mon voyage sans penser à ce goujat ? Tchip. Je quitte le pont et m’approche de Matteo, le serveur. Mon regard se perd dans le vert d’eau de ses yeux ! Quel Apollon ! S’il me sourit encore comme il vient de le faire, je risque de fondre sur place. Didier Bossé, pardonne- moi ! Tu es mon mari, certes, mais je ne vais pas me gêner pour apprécier la beauté d’autres hommes, surtout quand ce sont des canons de beauté comme celui que j’ai sous les yeux. Je prends la coupe de champagne que Matteo me tend et lui rend son sourire.


Ce Rach que j’espère rencontrer une fois sur l’île a décidément pensé à tout ! La destination est paradisiaque, le service de qualité, et le personnel… à croquer. Il mériterait que je lui dédie toutes mes œuvres. Je jette de petits coups d’œil discrets aux tablettes de chocolat de mon hôte tandis que j’ai le nez dans la coupe. 


Aïe ! Rien que son image m’inspire des poèmes pour mes prochains recueils… 


Didier devrait prendre exemple sur ce jeune homme, au lieu de trimballer gaillardement son gros ventre plein de poils partout où il va. Son physique est devenu, d’ailleurs, l’une des raisons pour lequel il me dégoute à présent. Le laisser-aller, c’est un tue-l’ amour pour moi, mais par-dessus tout, un perturbateur de créativité. C’est principalement pour cette raison que j’ai sauté sur l’occasion de m’éloigner un temps soit peu de mon foyer et de trouver de nouvelles sources d’inspiration. Les années ne devraient pas servir de prétexte pour accepter de vivre avec un physique disgracieux. 


Regardez- moi ! A près de quarante ans et après trois grossesses, je reste toujours aussi pimpante que dans ma jeunesse. Un auteur attire par ses œuvres, mais captive par l'image qu’il dégage lui-même. Didier ne mérite pas une femme comme moi. Il devrait… Mais attendez ! Je suis encore en train de penser à mon mari. Décidément ! 


Je devrais peut-être engager la conversation avec Matteo pour me le sortir une bonne fois pour toutes de la tête.

-Quand arriverons-nous à l’île Matteo ? 

-Ah Madame Bossé ! Vous avez l’air bien pressée de quitter le bateau. N’êtes-vous pas satisfaite du service?

-Hihihi, appelez- moi Liliane s’il-vous-plaît. C’est mieux non ? Et pour répondre à votre question, si, je suis très à l’aise sur ce yacht. Je pourrais même y passer ma vie ! Mais la terre ferme est encore meilleure, vous ne croyez-pas ?

-Je suis d’accord avec vous. Ne vous en faites pas, dans à peu près deux heures de temps nous y serons.


Parfait ! Deux heures, ça me laisse juste assez de temps pour terminer mes mots-fléchés et piquer un somme. Je redescends donc dans ma cabine et m’allonge sur l’espèce de brancard qui est censé servir de lit. Ce n’est pas très confortable mais bon ! On est en mer hein. Il ne faut pas être trop exigeant.


***


‘TOC TOC TOC !’

Je me réveille en sursaut. Qui frappe à ma porte ?!? Je passe les mains rapidement dans ma tignasse ébouriffée et part ouvrir la porte de ma cabine.  C’est Matteo. Voir ce bel étalon me met immédiatement de bonne humeur.

- Liliane, apprêtez- vous. Nous allons bientôt débarquer.

- Déjà ?

Je cours sur le pont comme une gamine. L’île se dessine peu à peu à l’horizon, apparaissant sous la forme d’un amas de végétation. Paradis sur terre, je suis là ! J’ai le cœur qui bat si fort que j’ai l’impression qu’il va sortir de ma poitrine. Enfin ! Je redescends à ma cabine, me repoudre le nez, porte mes lunettes de soleil et ramasse mes affaires à la hâte. Dans l’empressement, mon poudrier se retrouve par terre avec les morceaux du miroir éparpillés sur le plancher.


Koutoubou ? Non, non, non ! Ce n’est pas du tout bon signe ça ! Casser un miroir, vous connaissez l’anecdote ? C’est présage de malheur. J’en ai déjà des frissons. Tchip ! Que Dieu m’en garde. 


Je fais le signe de croix et remonte sur le pont. Vous pouvez me prendre pour une folle, mais je crois dur comme fer à ces choses- là. Cela peut ressembler à de la superstition mais pour être née et avoir vécue en Afrique, je sais qu’il ne faut pas badiner avec ça. D’ailleurs, la plupart des poèmes que j’écris sont pleins de ce mysticisme et de cette spiritualité qui caractérisent notre continent. Je fixe encore l’horizon tandis que Matteo monte le reste de mes affaires. Le sable blanc est parfaitement visible à présent.  Que le bateau accoste vite pour que j’en descende enfin ! Je ne veux même pas attendre que nous soyons sur la rive. J’ai envie de me jeter à la mer avec mes vêtements dans cette eau si pure, différente de celle de nos plages poisseuses et dangereuses. D’ailleurs, c’est ce que je fais une fois que nous nous rapprochons du rivage. 


Vous devriez me voir ! Je laisse éclater le brin de folie qui sommeille en moi et mon rire cristallin se mêle au bruit des vagues. Que penserait mon éditeur en me voyant ainsi, moi qui suis si sérieuse habituellement ?


Je nage un moment, puis cours du mieux que je peux jusqu’à la plage. Matteo me regarde d’un air moqueur depuis le pont où il se trouve alors que je lui fais de grands signes de mains. Tandis que lui et un autre membre de l’équipage descendent mes valises sur la rive, je m’approche de la végétation. Une noix de coco vient de se détacher de son arbre et je me mets tout de suite en quête d’une pierre pour la briser. 


En attendant d’être conduite jusqu’à ma chambre d’hôtel, j’ai bien envie de m’offrir ce petit plaisir.  Quand nous étions encore gosses, nous grimpions même aux arbres, comme des singes, pour arracher des noix de coco. En briser une comme ça me replonge tout de suite dans mon enfance. Mais il semblerait qu’en prenant de l’âge, j’aie perdu en dextérité.  Je m’acharne pendant de longues minutes sur la noix sans succès.  Je manque même de me blesser avec le caillou que je tiens. Je pense qu’un peu d’aide ne serait pas trop demander non ?

 

Je repars en direction du bateau. Mes valises sont sur la rive, manquant d’être mouillées par les vagues qui viennent mourir sur le sable fin. Et le yacht…


ATTENDEZ MAIS C’EST QUOI CETTE MAUVAISE BLAGUE ?


- MATTEO !!


Je cris de toutes mes forces, si bien que je sens ma gorge s’enrouer. Où est-ce qu’ils vont ? Les gens de l’hôtel ne sont même pas encore là, et Matteo ne m’a même pas dit aurevoir.  Qui va m’accueillir ? Et où est-ce que je suis censée attendre ?


Je regarde le bateau s’éloigner, impuissante. Mon cœur bat la chamade mais cette fois, parce-que je suis affolée. Je regarde autour de moi, désespérée, repars dans l’eau, crie encore en direction du yacht qui s’efface peu à peu du décor, avant de me décider à revenir m’assoir sur la plage. C’est quoi ce bordel? Moi qui parlais d’un service de qualité, et bien il faut croire que j’avais parlé trop tôt ! Je suis trempée des pieds à la tête. Je ne sais même pas si l’hôtelier sait que je suis arrivée. Combien de temps vais- je devoir rester ici ? Et surtout, suis-je du bon côté de la rive ?


Liliane, du calme ! Je me donne un coup sur le front, inspire un bon coup, tire mes valises près de la brousse et entreprends de me changer. Heureusement, mes vêtements ne sont pas tous totalement trempés. J’opte pour une culotte en jean et une chemise en lin blanc, et regroupe mes cheveux humides en un chignon au- dessus de ma tête. 


Maintenant je peux mieux réfléchir ! 


Je décide d’attendre un moment au même endroit, le temps que quelqu’un vienne me chercher. D’ailleurs, j’ai tellement attendu que je viens d’achever ma troisième partie de mots-fléchés depuis que j’ai été abandonnée sur cette île par ces imbéciles. Dans mon euphorie, la montre à mon poignet a pris l’eau et ne fonctionne plus. Je ne sais donc pas quelle heure il est, ni de quel côté de l’île je me trouve d’ailleurs, et qui plus est, je suis toute seule. 


Tchip ! Tchip ! Tchip !


Si ça se trouve ils m’ont abandonnée au mauvais endroit. Et si c’est le cas, a quoi ça sert de rester là à attendre alors qu’on me cherche peut-être ailleurs ? Je me lève de la valise sur laquelle j’étais assise et me dirige vers la brousse derrière moi. Tu voulais de l’aventure Liliane, et ben tu es servie !


***


Je regarde rarement la télévision, préférant lorsque j’ai envie de me changer les idées me plonger dans mes livres et m’adonner à mon activité favorite, la lecture. Mais j’ai quand même vu deux ou trois fois ces émissions avec des aventuriers perdus dans la nature. J’en sais quelque chose, en tout cas du peu que j’ai vu. Même qu’à l'écran, il semblait assez facile de survivre dans la jungle. Aujourd’hui, je sais qu’il y a une grande différence entre ce que l’on voit à la télé et la réalité. Si j’étais blanche, ma peau serait rougie par les nombreux coups je me suis moi-même donnés en essayant de tuer les insectes qui ont tenté de se poser sur moi ou de me piquer. Mes jambes sont recouvertes d’égratignures et j’ai chaud. Le sel de la mer sur ma peau me démange à certains endroits et qui plus est, je meurs de faim. Je suis tombée sur des champignons mais je n’ai même pas osé les toucher. Je n’ai jamais appris à distinguer les venimeux de ceux qui ne le sont pas et j’en paie le prix aujourd’hui. Je suis tellement en colère que j’ai envie de me tuer sur place. Je n’aurais même pas dû descendre du yacht lorsque le miroir s’est brisé. Vous me croyiez superstitieuse ; vous voyez à présent ?


Tchip ! 


Je lance à nouveau un « eho » qui se perd dans la nature et reprend la route bien que sois épuisée. 

C’est devenu mon refrain depuis que je me suis enfoncée dans cette forêt. Je ne sais même pas où je vais et je n’arrive pas à retrouver le chemin jusqu’à la rive où mes valises m’attendent. Bon sang ! Le désespoir s’installe en moi peu à peu, je le sens. Je soupire et marque un arrêt. Je n’en peux plus. Je crois que je vais m’…


-AAAH ?!?


Cette fois, je n’ai pas pu retenir mes larmes. Mon cœur s’affole dans ma poitrine. Quel est ce bruit que je viens d’entendre ? Je me saisis d’une branche gisant au sol et la brandi en l’air, prête à frapper la chose (quel qu’elle soit) qui vient de bouger dans le feuillage. Il ne manquerait plus que je tombe sur une bête sauvage. Un lion, un tigre, un rhinocéros ? Mon Dieu ! La chose vient de bouger à nouveau et d'émettre des bruits, un peu comme des reniflements. Je n’aurais pas dû crier. Elle a dû me répérer. C’en est fini de moi ! Koutoubou !


Les branches se cassent, les feuilles s’écartent. Je suis prête à frapper. Je ne mourrai pas sans me battre pour ma vie. 

J’y tiens. Attention… la chose est proche.


- AAH !!! M’ecriai-je


… : AAH ??? 


- MAIS…MAIS QUI ETES-VOUS ?


Ce que j’appelais « la chose » était en fait quelqu’un. Je me retrouve en face d’une jeune dame, de la trentaine environ, à l’apparence aussi délabrée que la mienne et à la voix aigüe. Elle a tellement pleuré que tout son mascara a coulé. Maintenant, elle a l'air de ces clowns affreux que l'on voit dans les films d'horreur.  Je la toise du regard, méfiante. Son visage m’est étrangement familier cependant.  Elle se met à exécuter des pas de danse puis me tend de grands bras tremblants d'excitation:


… : Eh Allah! Je t'ai supplié et tu m'envoies un ange pour me sauver? Merci, merci, merci. Je ne vais pas mourir seule dans cette jungle- là. Je suis sauvée. Ensemble, on s'en sortira.


Et sans attendre ma réponse, elle me sert si fort dans ses bras que j'en étouffe.  Non mais et puis quoi encore? Je la repousse d'un geste brusque et remet en place mes vêtements. Je suis bien assez paumée comme ça pour qu'on vienne en plus me froisser mes vêtements. La jeune femme me regarde avec de grands yeux, puis fronce les sourcils:


...: Attends… C’est toi Liliane ? Mais oui c’est toi ! Tu ne me reconnais pas ? C’est N’Dira ! 


- N’Dira ? Mais bien sûr ! Massa N’Dira !


Je savais que ce visage me disait quelque chose! Je suis sur le point de lui sauter dans les bras, puis me ravise. Non, je dois rêver. Ou alors c’est un génie venu prendre mon âme ! Comment serait-il possible que ce soit Massa ? Ma Massa ? Cela fait si longtemps que nous ne nous sommes pas vues. Par quel miracle se retrouverait-elle sur cette l’île du Zanzibar, justement au moment où j’y suis, et précisément au beau milieu de cette jungle ? Non ! Je suis sûre que c’est un génie ! Jésus Marie Joseph ! Sauvez moi !


- Tu es vaincu !! Loin de moi Satan!


Je viens de ramasser une deuxième branche sur le sol et la brandit en direction de la personne que j’ai en face de moi.


- Aucun doute, c’est vraiment toi Liliane, s’exclame-t-elle.


Elle me dévisage comme si j’étais folle, mais je ne me laisserai pas avoir par sa ruse. Le diable est très doué pour induire en erreur. Ça, tout le monde le sait


-Je ne peux pas affirmer que tu sois réellement ma N’Dira malheureusement. Prouve- le moi ou je n’hésiterai pas à te faire mal.


Elle regarde les deux branches que je tiens en main. Je les regarde aussi. Oui je sais, c’est ridicule. Mais ce qui compte, ce n’est pas l’objet. Juste l’usage que l’on en fait.


- Ahi Liliane? Tu perds la tête ou quoi? Regarde- moi bien! C'est vrai qu'on a tous un peu changé depuis le temps mais pas au point d'en être méconnaissable quand- même! C'est moi Massa N'Dira, ton amie de longue date par qui tu as fait la connaissance de Didier. 


- N’Dira…


Je me jette dans ses bras, la larme à l’oeil. C’est bien la Massa N’Dira que je connais, pas de doute.


-Mais qu’est-ce que tu fais ici ? Lui demandai-je en me détachant de son étreinte.


- Je me suis perdue dans cette jungle ! Cela fait des heures maintenant que j’y suis. J’ai reçu une invitation pour un séjour sur une île de rêve mais tu parles ! On m’a abandonnée là et ne retrouve même plus mes repères ! Tchip. 


- Une invitation dis-tu ? Attends, mais c’est pareil pour moi ! Un certain Rach m’a aussi contacté. Même que je lui lançais des fleurs pour l’organisation mais tu parles ! Je crois qu’on s’est bien fait avoir. 


- En effet. Je ne savais d’ailleurs pas que tu avais été invitée. 


- Moi non plus, je pensais être la seule. Mais qu’est-ce que tout cela signifie ?


Mon amie et moi nous regardons, l’air inquiet. Ce qui avait l’air de vacances de rêves se révèle être une plaisanterie de très mauvais goût. 


Aïe !


Si j’attrape ces salops, je les tue ! Wallah !

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