L'arrivée
Write by Kossilate
Chapitre neuf : L'arrivée
La vie est une succession de hauts et de bas, et depuis l'arrivée des jumelles il y a deux mois, ma vie était incontestablement dans une phase de « haut ». Ma petite famille se dirigeait tout doucement vers des horizons positifs de par l'aide de Grâce, Tati Joss et Kira. Je recevais sporadiquement des nouvelles de cette dernière mais elle m’assurait à chaque fois, qu'elle ne tarderait plus à venir. Les jumelles, de leur côté, s'étaient très vite habituées à leur nouvelle vie et aux cours de français. Elles prenaient un réel plaisir à apprendre cette langue et toutes ses subtilités. Et je dois avouer qu'il en était de même pour moi. Les langues de mon cœur sont toujours le yoruba et l'anglais, mais le français a de ces tournures qui permettent de dire mille et une choses différentes avec la même phrase.
Mes sœurs et moi, nous exercions donc à mieux parler cette langue en faisant des discussions assez approximatives au cours desquelles on essayait de parler le français du début à la fin, et surtout au cours desquelles on réapprenait à se connaître les unes les autres. Outre cet investissement dans la langue française, je me concentrais aussi sur la venue de mon bébé car j'arrivais presque à terme. Cette perspective me remplissait de joie mais aussi d'angoisse. Angoisse car une toute petite, riquiqui, partie en moi, cherchait à garder ce bébé au chaud dans mon ventre. Chaque fois que je pensais à lui, je songeais que la vie était une belle garce et qu'elle ne manquerait pas de l'éprouver comme elle m'a éprouvée, comme elle a éprouvé mes sœurs. Je pense d'ailleurs qu’inconsciemment, ce fut cette raison qui me poussa à renouer avec l'église, mais surtout avec Dieu. J'avais besoin de croire de nouveau en quelque chose qui me dépassait afin d’avoir l'assurance que ce quelque chose veillerait sur mon enfant si en mon absence la vie décidait de jouer sa pute.
Je me rendis très vite compte que cette réflexion que j'avais été aussi erronée que celle qui disait que c'était l'univers qui tournait autour de la terre. Les années qui suivirent me montrèrent que Dieu n'avait pas besoin de moi pour décider de veiller sur un de ses enfants, et qu'il n'attendait mes louanges et mon amour que pour moi-même et cette âme qu'il a mise en moi. Pour reprendre où j'en étais, je ne tardai par à arriver au jour prévu pour mon accouchement et même à le dépasser. Le travail n'ayant même pas commencé, Grâce ne jugea pas nécessaire de me garder à l'hôpital. C'est ainsi qu’une semaine après le terme prévu, je me trouvais dans ma chambre à réviser mon français et non à allaiter mon enfant comme prévu.
- C'est sûr que son enfant est un sorcier…..ça fait une semaine et il ne sort pas.
- Depuis que je vous disais qu'elle n'était pas nette là, c'est maintenant que vous vous en rendez compte.
- Mais elle paraît si calme et inoffensive…
- Tchrumm….que inoffensive….tu n'as pas vu comment elle a gbassé Tati Joss et Grâce ? Elles sont toujours là à faire tout pour elle.
Je reconnus immédiatement ces voix comme étant celle de Rachelle et de Pélagie deux autres pensionnaires du centre. Elles devaient soit ignorer que j'étais dans la chambre, soit vouloir me heurter avec leurs propos. Mais dans l'un ou l'autre des cas je m'en fichais royalement. J'avais l'habitude de recevoir leurs piques depuis que mes sœurs sont venues. Elles trouvaient toute que j'étais favorisée par Tati Joss. Ces jeunes femmes, de cinq ans mes aînées, ne voulaient pas travailler malgré les nombreuses offres que le centre leur avait trouvé et comme excuse, évoquait le fait que moi je ne travaillais pas. Comme on dit donne ta main à l'homme et il te réclamera le bras. Je n'ai donc jamais fait attention aux discussions de ces femmes. Mais ce jour-là, Rachelle évoqua un détail qui me fit bondir.
- C'est même pour la punir de sa sorcellerie que son enfant est un bâtard…..
- Comment ça ?? Demanda Pélagie.
-
- Tu ne sais pas….
-
- …..de quoi tu parles ??
- Tu ne sais pas qu'elle s'est faite violer ??
- ……
- Non seulement elle fait de la sorcellerie mais en plus elle était une putain et l'un de ses clients lui a fait ça bien même….
- Oh mon Dieu. Comment tu as su cela ?
-
- Le jour où elle en parlait à Tati Joss, je n'étais pas loin…..
Dès que le mot viol était sorti de la bouche de Rachelle, je m'étais levée et m'étais approchée de ma porte pour mieux entendre ce qui se disait. Ce fut donc avec une rapidité qui m'étonne moi-même, que je me retrouvai devant la jeune femme avant qu’elle eut l'opportunité de finir sa phrase.
- Oh…..Phoebe…commença Pélagie.
- Ne te donne pas cette peine, dis-je en coupant la parole à cette dernière.
- ….
- Comment un aussi beau corps peut abriter un esprit aussi tordu et méchant ?? Dis je en toisant Rachelle.
- …….
- ……
- Vu que tu dis avoir entendu ma conversation avec Tati Joss, tu sais donc que tu racontes des bobards à Pélagie.
- ……
- Rachelle…. ?
- Si votre vie est assez ennuyante pour que vous ne trouvez rien de mieux à faire que spéculer sur ma vie, je vous conseille vivement d'accepter les offres de Tati Joss au lieu de jouer les sangsues…..
- Je ne te permets pas de me manquer de respect, hurla Rachelle sur ces mots.
- Non…..c'est moi qui ne te permets pas de déformer ma vie pour me diaboliser. Que vous me traitez de sorcière j'en ai cure mais si jamais vous osez encore reparler de mon passé ………..non…..si vous osez même juste penser à mon passé, je me ferai un plaisir d'utiliser les pouvoirs que vous m'attribuer pour vous faire disparaître.
Ma tirade terminé je dépassai ces chimères et me dirigeai vers le bureau de Tati Joss. Il fallait qu'elle soit au courant. Je me souviens que dans le couloir pour accéder au bureau, je me félicitais d'avoir remis ces vipères à leurs places sans en venir aux mains. Ce fut la dernière pensée que j'eus avant de m'affaler devant la porte du bureau.
- Vous savez ce qui lui ai arrivée ??
- Je ne peux pas vous aidez sur ce point-là. J'ai juste entendu un bruit devant ma porte et quand je suis sortie de mon bureau je l'ai trouvé évanouie juste à mes pieds.
- Et…..
-Le bébé va bien ne vous en fait pas.
Cette conversation est la seule chose dont je me souviens après ma dispute avec Rachelle et si au départ j'étais tentée de replonger dans mon sommeil, l'évocation de la santé de mon bébé me réveilla totalement et m'obligea à réagir. Je pris donc sur moi pour ouvrir mes yeux.
- Mon…bébé, murmurai je tandis que ma vision passait petit à petit de floue à nette
- Phoebe…..allez appeler le docteur Grâce. Dites-lui qu'elle s'est réveillée
- ……
- Tati Joss ???
- Oui mon petit, tu nous as fait une de ces peurs….
- ………
J'avais envie de lui dire la raison pour laquelle j'étais devant son bureau mais je sentais que ce n'étais pas le bon moment pour cela. Je me contentai donc de détourner la situation sur un terrain plus neutre.
- Mon bébé ?? Comment va-t-il ? Demandai-je avec une pointe d'anxiété dans la voix.
- Oh ne t'en fait pas…...
- Ton bébé est un petit guerrier et il se porte très bien, dit Grâce en entrant dans la chambre et en coupant la parole à sa tante par la même occasion.
- Grâce…..qu'est ce qui m'est arrivé ??
- La même chose qu'à Porto-Novo….une montée de stress que ton corps n'a pas supporté.
- Oh….
- Je t'ai déjà dit que tu n'avais pas à t'en faire pour le bébé. Il arrive que des enfants soient en retard comme en avance sur le terme de la grossesse. Et au pire, si dans quelques semaines tu n'as toujours pas accouchée naturellement, je me chargerai personnellement de déclencher le travail.
- Oui mais…
- Il n'y a pas de mais qui tienne à moins que tu es une autre source de stress, déclara Grâce en fronçant les sourcils.
Autant cette femme pouvait être très extravertie, drôle et folle au centre, autant elle pouvait se montrer très sérieuse et très intimidante lorsqu'elle était en face d'un de ses patients.
- …….
- Je vais te garder à l'hôpital ce soir le temps qu'on suive ton taux de cortisol et après tu pourras retourner au centre.
- Merci Grâce.
- Ne me remercie pas, répondit-elle en sortant de la chambre Tati Joss sur ses pas.
Mon corps semblait attendre ce signal car dès que la porte se referma mes paupières contre lesquelles je menais un dur combat, se refermèrent lentement sur mes yeux m'emportant dans un monde de lit moelleux et de plat délicieux. La grossesse me donnait de ces envies.
Le rêve que je fis ce jour-là était si farfelu que lorsque je me réveillai le lendemain, j'eus beaucoup de mal à me convaincre que Kira était bel et bien devant moi.
- Kira….. ???
- Coucou petite fille.
- ……
- Ça va ? Tu nous as fais peur hier avec ta chute.
- Hein ?? Hier ??
- Euh…oui ! Hier…. Répondit Kira en me regardant comme si j'avais un problème.
- Tu veux bien me pincer….juste pour être sûr que je ne rêve pas.
- Krkrkr très drôle. Je sais que les matins tu as du mal à utiliser ton cerveau cependant, j'ignorais que c'était à ce point.
- Mais qu'est-ce que tu fais là ??
- Je vois que tu es contente de me voir.
- Non… oui…
- Bon je vais appeler le docteur pour qu'elle t’occulte. J'espère que d'ici là tu auras retrouvé tes esprits et on pourra parler, affirma Kira en sortant de la chambre le sourire aux lèvres.
J'étais tellement choquée de la voir que je ne me rendis même pas compte qu'on avait dialogué en français. Non, que cela ne me réjouissait pas de voir Kira, mais je ne m'attendais pas à ce qu'elle aie déjà quitté Lagos et encore moins à ce qu'elle soit à Cotonou. Je vécus la visite de Grâce, ma douche et mon petit déjeuner comme une spectatrice. Le seul truc qui m'importait à ce moment-là c'était de voir Kira pour qu'elle…..je ne savais même pas ce que j'attendais d'elle. Je savais juste que je voulais la voir. Pourtant, Kira ne revint dans ma chambre que tard dans l'après-midi.
- Tu as tellement tardé à revenir que j'ai presque réussi à me convaincre que je rêvais.
- Krkrkrkr
- ….tu es à Cotonou depuis quand ?
- Depuis une semaine, répondît calmement Kira.
- Quoi… ???
- ……
- Et tu ne m'as rien dit. Je croyais qu'on était amies…..
- Hey pardon ! Calme tes hormones et détends-toi. Je ne voudrais pas que tu fasses du mal à mon bébé.
- Tchrumm
- Aie pitié de ta bouche qui est déjà très longue et ne fais plus ce son.
- Tu es à Cotonou depuis une semaine et tu ne m'as rien dit, déclarai je blessée.
- J'étais à Cotonou depuis une semaine et j'avais plein de trucs à faire donc pas assez de temps pour venir te voir. Lorsque j'ai pu mettre de l'ordre dans mes affaires, je suis venue au centre. Vu que tu m'avais déjà donnée l'enseigne du centre cela n'a pas été très difficile d'autant plus qu'il est connu.
- …….
- Le seul problème est que lorsque j'ai trouvé le centre, on venait de te conduire à l'hôpital, parce que Madame s'est évanouie….
- Oh…
- J'étais là aussi hier quand tu t'es réveillé. C'est moi qui suis allée chercher Grâce. Au passage ce sont de vrais amours Tati Joss et elle.
- Oui…..
- Tu n'es plus fâchée, j'espère….
- Je ne le serai plus lorsque tu m'auras dit d'où tu parles aussi bien français et quelles étaient les affaires qui t’accaparaient tant.
- Krkrkr fouineuse….
- Et fière, répondis-je butée.
- Je parle quatre langues et une bonne vingtaine de dialectes……
- Quoi ??
- T’es devenue sourde ??
- …….
- Avant que ma mère n'ouvre son bordel et m'empêche de poursuivre mes études, je suivais des cours d’interprétariat et j'avais déjà un bon bagages niveau dialectes car ma famille est un grand mixtes de plusieurs ethnies, continua Kira en remarquant que j'attendais des éclaircissements.
- Waow……
- Je sais je suis une perle rare.
- Et la seconde… ……..l
- Où sont tes sœurs. Je ne les ai pas encore vus depuis mon arrivée.
J’eus du mal à garder mon sérieux devant cette phrase de Kira car elle sentait la tentative de diversion à des centaines de kilomètres. Kira n'as jamais su détourné l'attention d'un sujet. Ces tentatives sont tellement incohérentes qu'elles ne font que plus attisent l'attention sur le sujet donné. Les diversions de Kira sont les meilleures représentations du proverbe : « sauter de l'âne au coq ».
- Crache le morceau….
- De quoi tu parles ??
- Tu veux vraiment jouer à ça avec moi ?? demandai-je en anglais
Une sorte de sixième sens m'avertissait que ce qui allait suivre serai d'une grande ampleur. Et dans ce cas, je préférais parler et écouter dans une langue que je maîtrisais déjà dans ces moindres tournures.
- ……..
- L'expression de ton visage quand tu as parlé de ces « affaires », dis clairement qu’elles étaient où sont, très importantes pour toi.
- …….
- Je n'ai jamais pu te rendre la pareille pour tout ce que t'as fait pour moi alors laisse-moi au moins t'offrir mes oreilles si tu as besoin de partager quelque chose.
- …..
- ……..
- Ces affaires ne concernent pas mère.
- ……..
- Peu après ton départ, je me suis mise à l’épier. Le fait de savoir qu'elle allait jusqu'à manigancer des viols, m’horripilaient au plus haut point
- ……
- J'ai fini par découvrir que Madame k n'était pas juste la tenancière du bordel ou nous vivions……elle est ou du moins elle était à la tête d'un réseau de prostitution de mineure.
.
- Oh mon Dieu.
- C'est enrageant…. n’est-ce pas ?? Chaque fois que je me dis qu'elle ne peut pas tomber plus bas dans mon estime, elle se surpasse pour me montrer que si. Cette découverte a été le coup de grâce pour moi. J'ai alors commencé à jouer à la petite fille parfaite et j'ai collecté toutes les preuves que j'ai trouvé contre elle et j'en ai profité pour lui soutire de l'argent avec et sans son consentement. Dès que, j'ai eu tout ce que je voulais, j'ai déposé anonymement les documents à la police, et quand je suis venue ici, j'en ai fait de même dans une organisation qui lutte contre le trafic de enfants.
- Mon Dieu…..mais pourquoi anonymement, dis-je en ressentant un élancement dans mon bas ventre.
- Ce réseau de prostitution fait des affaires avec les plus hauts fonctionnaires du gouvernement nigérian, et même avec quelques hommes politiques de la sous-région africaine.
- Oh……donc….arg, criai je soufflée par un nouvel élancement.
- Ça va Phoebe. ?
- Oui ça va. Ce sont juste de petites élancements…..arg.
- Bon la je vais appeler le docteur, fit Kira dont le visage avait commencé à se contracter au ryth
- me de mes élancements.
Le temps que Kira et grâce ne reviennent, j'avais perdu les eaux et j'étais autant en panique qu'une…….femme enceinte. Après une semaine de cohabitation supplémentaire, mon bébé avait décidé de naître en pleine crise. Si ça ce n'est pas une tête brûlée !!?
Les heures qui suivies, furent décousues pour moi. Un instant je gémissais sous la force des contactions, le moment d'après je suis sur la table à meugler comme une vache à qui ont fait mettre bas, enfin je me retrouve avec une petite fille, qui crie comme quatre homme, sur ma poitrine. Kira était restée avec moi tout le long parce que je le lui avais demandé. Lorsque mon regard tomba donc sur son large sourire béat et que je me souvins de ce qu'elle m'avait raconté, je me fis la réflexion qu’en fin de compte, mon bébé avait bien choisi son moment pour naître. Il était notre lumière dans les ténèbres de toutes ces mauvaises nouvelles. C'est d'ailleurs pour cela que je l'ai appelée : Yelen.