La Fille de l'Hiver Acte I
Write by Fortunia
Le temps passe, inexorablement, irrémédiablement, s’égraine, s’effiloche, tel un vieux pull de laine.
Ainsi ma vie est une succession d’heures, de minutes, de secondes, toutes pareilles les unes aux autres, me faisant sombrer dans ce tourbillon qu’est l’ennui. Obligé de museler mes envies pour me conformer aux attentes qui pèsent sur moi, j’en suis venu à me demander si la vie mérite d’être vécue dans cette condition de mal être. J’ai même fini par croire que si.
Pour me comprendre, revenons quelques années en arrière, vingt-trois ans en arrière pour être plus précis.
Je n’avais que deux ans à cette époque. Trop jeune pour parler de façon cohérente, mais assez futé pour comprendre que je n’étais qu’un orphelin. Je vivais alors dans un foyer, un endroit modeste où je me rappelais avoir été habillé et nourri sans trop de difficulté. C’étaient les seuls souvenirs qu’il m’en restait.
Puis le couple O’Donnel est arrivé.
Ils brillaient. Ils étaient beaux, ils étaient riches, et apparemment en quête de ce petit être à chérir que Dieu leur avait refusé. Le hasard a voulu que leur choix se porte sur moi. Et c’est à partir de ce jour-là que ma vraie vie a commencé, et accessoirement mes malheurs. Pourquoi est-ce que je dis cela ? Un peu de patience, enfin.
Dans notre nouvelle famille, il suffisait de nous regarder tous les trois pour comprendre que quelque chose clochait. Ils avaient la peau aussi pâle que la mienne était foncée, leurs cheveux étaient aussi lisses que les miens étaient drus et leurs yeux aussi clairs que les miens étaient sombres. En clair, il était évident, même pour moi, que j’avais été adopté. Mes parents ne me l’avaient jamais caché d’ailleurs, et pour être honnête, contrairement à ce que tous ceux qui nous dévisageaient auraient pu penser, je m’en fichais éperdumment. J’étais aimé. Et le problème était justement que je l’étais un peu trop.
Il me donnait beaucoup et dans mon esprit d’enfant qui s’évertuait à leur plaire, il était normal que je m’acquitte de ma part du travail. Je me devais de les rendre fiers pour m’avoir choisi parmi tant d’autres enfants. Ils ont par exemple décidé de me faire suivre des cours à domicile durant tout le primaire. Ils avaient l’intime conviction que la présence d’autres enfants nuirait à mon éducation, que j’étais encore trop influençable pour me mêler à eux. Ces cours étaient de qualité, dispensés par des professeurs émérites et je m’en contentais très bien.
En âge d’aller au Collège, ils décidèrent de m’inscrire dans un Institut Privé réputé. Malgré le fait que j’étais un enfant adopté, le nom des O’Donnell m’ouvrit beaucoup de cercles. Mais au bout de sept ans, je ne saurais dire si j’en suis ressorti avec une seule vraie amitié solide.
J’aurais dû me rendre compte à ce moment que c’était là le signe d’une sociopathie latente.
Par la suite, j’ai commencé des études en gestion d’entreprises dans une grande université. Il convient de préciser qu’on ne m’en avait pas vraiment laissé le choix. Cela ne m’a pas plus étonné que d’habitude. Étant condamné à reprendre l’affaire familiale un jour, je devais me préparer en conséquence.
Ainsi, à vingt-deux ans, j’ai obtenu mon Master avec succès. J’étais prédestiné à un brillant avenir. Père m’a inséré immédiatement dans l’entreprise familiale et je n’ai eu aucun mal à me faire une place. J’avais déjà les deux sommets du triangle de mon bonheur : une éducation de qualité et un bon boulot. Pour mon père, il ne manquait plus qu’un bon mariage pour terminer le symbole. Je suivais le chemin qu’il avait tracé pour moi et il en était fier. Quelque part, je l’étais aussi. Quel enfant ne serait pas heureux de rendre ses parents fier de lui ?
Mais après une année passée dans cette entreprise, j’ai cessé de me voiler la face : je ne faisais que me leurrer. Ce n’était pas la vie à laquelle j’aspirais, une vie bien rangée où je me sentirais obligée de toujours chercher leur approbation. Ce n’était pas ma place.
Chaque fois que ce genre de pensée m’obscurcissait l’esprit, j’attendais d’être chez moi. Je m’asseyais sur mon bureau et sortais un carnet de mon tiroir. Je glissais mes doigts sur la couverture de cuir et après quelques secondes d’hésitation, je me perdais dans ces pages noircies par mon écriture maladroite d’adolescent prisonnier de sa cage dorée.
Aussi peu original que cela puisse paraître, durant mes années d’étude secondaire, j’ai commencé à écrire. Au tout début, ce n’était qu’une envie de me soulager de toutes ces contraintes. Oui, j’avais un journal intime. Tout y passait. Et pour être honnête, j’avais beaucoup de choses à raconter. J’y écrivais mes états d’âme. J’y narrais les frasques de mes petits camarades, parfois mêlées d’un soupçon de fantaisie. Entouré mais solitaire, j’avais trouvé un palliatif à ce mal être que je ressentais. Je vivais à travers eux, et cela me faisait un bien fou.
Ma plume changea avec le temps. J’avais découvert le monde merveilleux de la fiction et de tous les avantages qu’elle comportait. J’étais un dieu ommiprésent et omnipotent. Je faisais de mes personnages ce qu’il me plaisait d’en faire. J’avais le droit de vie et de mort sur eux. Dans mes écrits jaillissaient mes joies, mes peurs, mes désirs sous jacents. La vie que j’inventais pour mes personnages était celle que j’aurais souhaitée, et par procuration cette vie était aussi la mienne.
Maintenant je vis un rêve qui n’est pas le mien, je mène une existence qui ne m’appartient pas. Et lorsque le poids de mes aspirations devient trop lourd à porter, je me laisse porter par les lignes de la dernière histoire que j’ai écrite. La seule que je n’ai jamais terminée.
« La Fille de l’Hiver »
Je revoyais à chaque fois l’adolescent que j’étais, assis à la fenêtre de sa chambre. Il aimait regarder le paysage hivernal, celui où les arbres ne revêtaient plus que leur plus simple appareil, celui où le blanc purifiait tout. En contrebas du grand batiment des dortoirs, il lui arrivait de dénicher quelques couples en train de se promener. Il se surprenait à les envier. Alors il avait voulu écrire sa propre histoire d’amour, une histoire où l’hiver serait le début et la fin de tout.
C’était celle d’un jeune homme à la recherche d’un trésor : le secret du Bonheur. Celui qui le trouverait ne manquerait plus de rien. Le héros parcourait alors mille mondes à la recherche d’indices. Il rencontrait de nombreuses personnes mais les réponses ne concordaient jamais. Dans un monde où l’hiver était perpétuel, il fait la connaissance une jeune fille. Elle aussi était à la recherche de quelque chose, de quoi, elle n’en était pas sûre. Et ensemble ils cheminaient et essayaient de remplir leur quête respective.
Le héros fondait peu à peu pour cette jeune fille comme neige au soleil et se sentait même prêt à abandonner sa quête pour rester auprès d’elle. Cependant, elle disparaissait au moment où il s’apprêtait à le lui dire et puis... le néant.
Cela fait maintenant six années que je n’y ai pas vu de suite malgré tous mes efforts. Et à chaque fois que je relis ces pages, je redescends sur terre. Le voile de ma mémoire s’efface pour laisser place à ma médiocrité. Je réalise que je ne suis même pas capable de mettre un point final à cette histoire qui pourtant me tient à coeur. Et j’ose décréter que ma vie ne me convient pas ? Que savais-je faire d’autre qu’obéir de toute façon ?
Ainsi, je referme mon carnet, coffre de mes rêves inachevés, pour revenir à la vie que je connais si bien et que peut-être, je finirai par aimer.
A suivre...
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Certes ce n'est pas la bonne saison, mais la magie de l'hiver peut descendre sur chacun d'entre vous. Profitez de ces lignes sous la chaleur d'une couette, de votre animal de compagnie ou de qui-vous-savez. ????