La Fille de l'Hiver Acte II
Write by Fortunia
Nous sommes mercredi, par une belle matinée hivernale. Il s’agit d’un de ces jours d’hiver où l’on n’a qu’une seule envie, rester au chaud sur le canapé ou devant la cheminée, une boisson chaude dans les mains. Mon cerveau ne comprend pas vraiment ce genre d’information. J’aimais trop l’hiver et j’aimais rester assis de longues heures sur les bancs d’Hyde Park pour l’admirer. Regarder le lac gelé, les arbres nus, le vent qui était presque visible, d’un blanc très pâle.
J’ai séché le boulot pour la première fois de ma vie. Je me suis perdu dans les pages de mon carnet la veille. Ça arrivait de plus en plus souvent ces derniers temps. Je n’ai pas eu le courage de me rendre au bureau dans cet état d’esprit. A la place, je perds littéralement mon temps. Les alentours sont tellement calmes et paisibles et le ciel est si blanc. Le nez en l’air, je ferme les yeux avec le fantôme de mon histoire inachevée planant dans mon esprit.
Bercé par le murmure du silence, je m’endors...
***
Je sentais le froid durcir mes articulations. J’avais du mal à ouvrir les yeux. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Pourquoi est-ce que j’étais ainsi secoué comme un prunier ? Une voix m’appelait, une voix si fluette que même le vent aurait pu l’emporter.
- Hey, tu vas bien ? Réveille-toi, tu vas mourir de froid si tu restes là !
Ah, dire que je me sentais si bien un instant plus tôt. Mais elle doit avoir raison. Sinon, l’inquiétude ne transpaîtrait pas autant dans sa voix. Je me décide à ouvrir les yeux.
Il me faut bien plusieurs secondes pour retrouver toute mon acuité visuelle. Lorsque j’arrive enfin à mieux la regarder, je crois que je suis en train de rêver. Je rêvais forcément. Je ne pouvais pas me trouver face à ce visage ovale couvert de tâches de rousseur et encadré d’une chevelure d’un noir si dense qu’avec la neige en toile de fond, elle semble virer au bleu. Ses grands yeux clairs me fixent d’un regard inquisiteur.
Tout chez cette fille me la rappelle. Son teint nacré, son petit nez droit, ses lèvres roses et fines, son menton impertinent et ses joues rougies par le froid. Ses vêtements incongrus aussi. Elle est en tout et pour tout vêtue d’une chemise blanche à manches longues, d’un jean près du corps, et de bottes de montagnes. Le seul vêtement anti-froid qu’elle posséde sont ses gants, une belle paire de gants noirs en cuir fourré. Elle a cette allure de fée des neiges, tout droit sortie d’un livre de conte, mon conte.
- Hé ho, il y a quelqu’un ? Quelle idée de dormir dans un endroit pareil !
Maintenant elle passe la main devant mon visage. Sa voix s’est teintée d’impatience, prenant par là un peu de basse. J’ai pleinement conscience d’être complètement hébétée face à elle, mais je ne peux rien y faire. Je suis certes bel et bien transi de froid, mais c’est surtout parce qu’elle est si... réelle. Elle ressemble tellement à mon personnage que je ne dissocie plus le rêve de la réalité. C’est impossible mais pourtant, elle est là. Elle est devant moi. Elle est belle. Elle est tout simplement... parfaite.
Retrouvant mes esprits, une seule question me vient à l’esprit :
- Vous n’avez pas froid, vous ?
Elle perd ses mots quelques secondes. L’arc de ses sourcils froncés est délicat. Et à ma grande surprise, elle éclate de rire, d’un vrai rire, pur et cristallin, comme un flocon de neige.
- Dixit celui qui dort depuis des heures dans ce parc, lance-t-elle avant de rire de plus belle.
Et je me surprends à rire aussi, une volute de fumée blanche s’échappant de ma bouche. Je ris comme je ne l’ai pas fait depuis longtemps, avec sincérité, et mon corps se réchauffe.
- Sérieusement, qu’est-ce que tu fais là ? Il n’est que dix heures du matin.
Elle s’est calmée et me regarde maintenant droit dans les yeux. Je fais abstraction de la familiarité avec laquelle elle s’adresse à moi. Ah, qu’est-ce que je ne lui pardonnerais pas ? Je décide de me lever. Je m’étire, décontracte mes muscles engourdis, roule un peu des épaules sous mon manteau comme un paon en pleine cérémonie de séduction. Et je capte à nouveau son regard. Du haut de mon mètre quatre-vingt, je dois avoir l’air d’un géant à côté d’elle. Elle est si petite et semble si fragile.
Je ne peux que me tromper. Elle ne peut pas être mon personnage. Ce n’est qu’une enfant.
- J’ai posé ma question en premier.
Je ne suis pas taquin de nature, ni même très loquace, surtout avec des inconnus, mais elle me force à le devenir. Un de ses sourcils se relèvent et elle pose une main sur sa hanche, un air de défi sur le visage.
- Il paraît que j’ai le sang chaud, finit-elle par avouer. J’ai très rarement froid, je ne sais pas pourquoi, mais je suis comme ça. A ton tour.
- Et bien, je profitais de l’air et du paysage. J’ai eu un peu de temps libre aujourd’hui alors je me suis dit que je n’allais pas gâcher cette occasion.
- Ah oui ? Tu m’as surtout l’air de quelqu’un qui n’a pas envie d’aller travailler, je me trompe ?
Comment a-t-elle fait pour le deviner ?
- C’est plutôt vous, cher demoiselle, qui semblez faire l’école buissonière. Il est un peu tôt pour que les cours soient terminés, non ?
Elle me fixe, les yeux écarquillés, la bouche entrouverte. Et une nouvelle fois, elle éclate de rire. La fée des neiges a le rire facile, ou alors je suis particulièrement en forme ce jour. La première hypothèse me semble la plus probable, parce que je n’ai pas un sens de l’humour très développé. Je regarde la jeune fille rire jusqu’aux larmes.
- Tu es sérieux là ? s’efforce-t-elle de demander entre deux saubresauts, tu as quoi, vingt-quatre ans à tout casser ?
- J’ai vingt-cinq ans bien révolus, jeune fille, et je ne vois pas ce qu’il y a de drôle.
A mon grand dam, elle rit de plus belle. Je sens poindre en moins une légère humiliation d’être ainsi moqué par cette fille. Mais son rire a aussi l’effet vertigineux d’un feu follet, inssaisissable, inoubliable. Et tandis que je m’abandonne à cette flamme, elle reprend un peu de sérieux et me demande, l’index pointé sur son visage :
- Quel âge me donnes-tu ?
- Une devinette ? Je dirais quinze ans, voire seize, tout au plus. Dis-moi si je me trompe.
Une lueur amusée brilla dans ses iris pâles.
- J’ai vingt-sept ans, révéle-t-elle avec un sourire malicieux.
Et je tombe des nues. Ma surprise doit s’afficher sur mon visage car elle éclate à nouveau de ce rire cristallin. J’ai eu faux... d’une bonne dizaine d’années ! Mais qui est-elle ? Une créature qui a découvert le secret de l’immortalité ? C’est abérrant...
- Je crois que je n’ai pas autant ri depuis une éternité. Merci, à toi. Mais je vais devoir y aller. Ne sèche plus le boulot.
Elle se détourne de moi. L’espace d’un instant, je ne me contrôle pas, et ma main se referme sur son bras. Elle ne m’a pas menti. Elle est brûlante. Elle me fait fondre. Je me liquéfie sous son regard et avant de me perdre je lui demande :
- Vous reverrai-je ?
Ma fée des neiges pince ses lèvres et ramène une mèche de cheveux derrière son oreille. Ses yeux clairs se voilent.
- J’ai bien peur que non.
Et sans même me laisser le temps de reprendre mes esprits, elle me file entre les doigts, ne me laissant comme seules marques de son existence que les traces de ses pas dans la neige et sa chaleur rémanente sur ma peau...
A suivre...
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