La Fille de l'Hiver Acte III
Write by Fortunia
Lorsque je rentre chez moi, je suis léthargique. Je m’affale sur mon lit et fixe le plafond de bois verni. Je ferme les yeux, et je pense à elle. Sa voix si fine mais autoritaire, son rire de cristal, ses cheveux sombres, la rougeur de ses joues.
Je veux la revoir.
Le lendemain, je me fais porter malade. Je ne sais pas ce que je fais, je ne suis plus moi-même. Et j’ai peur de n’y voir aucun inconvénient. Le paysage est le même que la veille, habillé de blanc. Je m’installe sur le même banc, et j’attends.
J’attends.
J’attends encore.
Mais elle ne revient pas. Ni aujourd’hui, ni le lendemain.
Lorsque vendredi soir, je referme à nouveau la porte de mon appartement derrière moi, son image ne me quitte pas. Et pour mieux me rappeler d’elle, j’ouvre à nouveau mon carnet. Je le parcours, le relis jusqu’à ce que mes paupières se fassent lourdes, je le lis jusqu’à l’épuisement. Et j’espère qu’elle me parlera à nouveau, dans mes rêves.
Le week-end, je n’ai pas grand espoir, mais j’y vais quand même. Je retourne à Hyde Park. Cette fois, je longe les longues allées qui parsèment cet endroit. Je la cherche. Je tends l’oreille et scrute les visages. Je perds les pédales face à tant de monde. Je me pose des questions sur cette soudaine foule qui habite le parc. Des familles, des amis, des couples. Tandis que moi, je suis seul. Et je déprime. Je préfère rentrer chez moi.
Elle m’a déjà dit que je ne la reverrai plus. Alors pourquoi n’ai-je pas été assez futé pour lui demander ne serait-ce que son nom ? Pourquoi l’ai-je laissée partir ? J’aurais dû la retenir, en apprendre un peu plus sur elle, ne pas la laisser disparaître . Maintenant, elle n’est et ne sera rien de plus qu’un merveilleux songe : la fille au cheveux sombre qui hante mes rêves d’adolescent.
***
Nous sommes un mercredi matin. Mon quotidien a repris son cours comme si rien ne l’avait perturbé une semaine plus tôt. Ah si. Ce début de semaine a été difficile à cause de tous les dossiers qui se sont accumulés en à peine trois jours. Sécher le boulot n’était apparemment pas la meilleure idée du siècle. Soit, on ne m’y reprendra plus.
Du moins, c’est ce que je pensais.
Ce matin, le vent de cette dernière semaine de janvier est mordant. Je crois qu’il y aura une tempête. Ma motivation pour me rendre au bureau rase le sol et comble de malheur, mon taxi fait un détour par Hyde Park. J’ai bien pris soin d’éviter cette zone depuis lundi. La tentation aurait été trop forte d’y retourner. Comme maintenant...
Je ne peux pas m’en empêcher, mon regard est irrésistiblement attiré par l’entrée principale, cette arche imposante qui a vu passer des générations de personnalités. Elle m’attire. Je veux y aller. Juste quelques minutes, je veux essayer. Et si je ne la revois pas, j’abandonnerai. Et sans plus me poser de question, je demande à ce que la voiture s’arrête.
Je resserre les pans de mon manteau noir. Ma mallette pèse une tonne dans ma main. J’entre dans le parc et me dirige à l’emplacement exact de ma rencontre avec cette fille. Je m’assois et j’attends. Cette fois, je ne dors pas. J’observe, le cœur battant. Combien de temps passe ainsi ? Je ne sais pas. Quand je relève la tête, le soleil tente en vain de se frayer un chemin à travers les nuages clairs mais denses. Peut-être est-il déjà dix heures.
- Qu’est-ce que je fais ?
Mon murmure se perd avec une volute de fumée blanche. Je me laisse aller contre le banc. Pris d’un élan d’imagination, je ferme les yeux. Je ne sais pas si cela fera une différence, mais je n’ai rien à perdre. Je pense, je prie et j’espère. C’est tout ce qu’il me reste. Une fois de plus, j’attends. Peu à peu, les sons se tamisent. Je n’entends plus les bruits des moteurs de voiture, des commerçants ambulants, des passants matinaux.
Je cherche quelque chose de plus important.
Sa voix.
- Tu sèches encore le boulot ?
Avant même que je n’ouvre les yeux, je sens naître sur mes lèvres un sourire. Telle une apparition divine, elle se tient devant moi. Elle me fixe de ses grands yeux clairs. Elle sourit aussi, d’un sourire amusé, taquin. Je le vois sur son visage. Elle sait que je suis là pour elle.
- Et vous, vous faîtes encore l’école buissonnière ?
Son sourire s’élargit et elle s’assoit à mes côtés sans aucune invitation. Je l’observe du coin de l’œil. Elle est vêtue de la même manière que lors de notre première rencontre, à une exception près. Une longue écharpe grise entoure son cou délicat. Son sang ne la protège pas de tous les caprices du climat. Nous gardons tous les deux le silence et je m’abreuve ainsi de son expression à la fois pensive et décontractée.
Subitement, un petit rire s’échappe de ses lèvres roses et elle se tourne vers moi.
- Quelque chose t’intrigue chez moi ?
- Pourquoi ?
- Tu n’arrêtes pas de me fixer.
Elle fait la moue. Ah, je sens mon cœur s’emballer. Si je ne fais pas attention, il lâchera.
- Dites-moi comment vous vous appelez.
Ma décision est prise. Une seconde chance m’a été offerte de la revoir, je ne la laisserai pas me filer à nouveau entre les doigts. Je ferai tout pour la captiver, l’attraper, et la garder près de moi.
- Angelica. Et toi ?
- Matthew.
Un ange, j’aurais dû m’en douter. Et alors que je me demande encore quelle nuance prendra son prénom lorsque je le prononcerai, elle me devance.
- Matthew, hein...
Elle répète mon prénom plusieurs fois, comme si elle avait peur de l’oublier. Je ressens un petit chatouillement. J’aurais dû faire comme elle. Maintenant, je ne sais pas comment le dire sans que cela ne paraisse étrange. Je me déteste d’être aussi froussard. Mais aussi changeante que le vent, elle se lève. Pendant un instant, je la contemple. Elle s’étire, se frotte les mains, souffle un peu et finit par me regarder. Elle penche la tête sur le côté, comme un lutin espiègle.
- Vu que tu ne sembles pas près de retourner travailler, autant en profiter. Allez, on va s’amuser !
Elle s’éloigne déjà. Comme la première fois, j’ai l’impression qu’elle s’évanouit. Mais à cet instant, elle se tourne et me lance :
- Tu viens, Matt ?
Jusqu’au bout du monde pour elle...
A suivre...
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Hey, j'espère que ce troisième acte t'a plu. Il n'en reste plus que deux avant la fin.
A bientôt.????????