LA PASSION DU JEU

Write by Puma

_ Je n’ai jamais donné mon accord pour que ma fille intègre ce club. 
_Si votre traînée de fille n’avait pas entraîné ma petite dans cette histoire, nous n’en serions pas là. 
_ Lorsque des filles se prennent pour des garçons pour jouer au football c’est ce qu’on obtient. 

Le quartier Nanguézé s’était réveillé dans un scandale peu habituel. Ses habitants s’étaient plutôt accoutumés aux scènes de ménage. C’était tantôt un mari qui se déchainait sur sa femme pour la battre . Tantôt une femme qui ameutait toute la terre au sujet des infidélités de son mari. Mais les cas les plus fréquents étaient ceux de prise en flagrant délit d’adultère. Petite agglomération d’une quarantaine de ruelles, Nanguézé peinait encore à les voir toutes éclairées. Discret et non loin d’un quartier branché de la ville, il abritait un bon nombre de chambres de passage. Y venaient discrètement se satisfaire des couples qui n’en étaient pas vraiment. On assistait souvent à des disputes lorsque les femmes titulaires débarquaient. La population oubliait bien vite le spectacle. Un autre semblable suivait dans la coulée hebdomadaire. Mais il n'en était rien de la sorte cette fois. Ils ne risquaient pas d'oublier pareille histoire. 

Comme tout quartier de l’arrondissement, Nanguézé disposait d’un collège d’enseignement général qui accueillait les apprenants admis au niveau d'études secondaires. Ce matin-là, ce ne fut pas une affaire de discipline qui donna du fil à retordre à l’administration. Des parents d’élèves s’étaient rassemblés devant le portail du collège d'enseignement général pour décrier ce qui leur avait été rapporté. Information ou intoxication, une chose est sûre, pas de fumée sans feu. Et ce feu, les parents d’élèves comptaient bien l’éteindre. Ils étaient tous remontés contre l’administration de l'établissement. Ils l’accusaient de manquer de vigilance dans le suivi des élèves. Des rumeurs d’harcèlement sexuel circulaient depuis quelques semaines. Les mises en cause étaient les filles du club féminin de football. Elles faisaient d’ors-et-déja l'objet de vives critiques auprès de leurs camarades au quartier et dans les collèges environnants. 
Depuis ces fâcheuses rumeurs, certains parents avaient retiré leurs filles du club même si cela impliquait de renoncer à tous ses avantages. Mais pour la plupart, il n’était pas question de laisser une sale histoire ruiner tout l’effort que les filles avaient fourni jusque-là. Ce n’était pas un hasard si le club féminin de football du collège d'enseignement général de Nanguézé était premier du département. La première édition du championnat national scolaire était prévu pour cette année. Les filles avaient tout le potentiel nécessaire et toutes les chances de remporter la coupe.


Lorsque sa maman attendit un nouveau bébé, Bignon voulut un petit frère avec qui jouer au ballon. Quand il comprit que c’était une fille, il fut déçu. Cela n'empêcha en rien la relation entre les deux frère et sœur. Sèna aimait son grand-frère et voulait le suivre partout où il allait. Très tôt, elle se mit à jouer au ballon avec lui. Bien vite, Bignon oublia sa déception lorsqu’il se rendit compte que sa sœur pouvait partager ses passions. Au début, ce n’était que pour le jeu. Très vite, Sèna se prit d’amour pour cette boule de cuir rond. Malheureusement, dans la bande de gamins qu’elle et son frère fréquentaient, elle était la seule fille à jouer au football. Maintes fois, elle avait essuyé le rejet de ses pairs. Douteux de la qualité de jeu que pouvait servir une fille, personne ne voulait la prendre dans son équipe. Sèna se retrouvait souvent à jouer le rôle de ramasseur de balle. Pourtant cela ne la décourageait pas. Tout au contraire, elle se mit au défi de prouver qu’une fille pouvait jouer au football, non pas comme, mais mieux qu’un garçon. Même si c’était un jeu longtemps resté masculin, elle croyait en sa capacité d’arriver au bout de ses ambitions. 
Bientôt, ce qui n’était qu’un simple jeu entre enfants devint une vraie occupation pour la jeune adolescente qui naissait. Il ne passait plus une journée sans que ses pieds ne touchent le ballon. Ses efforts finirent par payer. Elle se fit une bonne renommée parmi les joueurs du quartier. Plus aucun match amical ne se déroulait sans elle. Ceux qui hésitaient alors à la considérer comme joueuse étaient à présent complètement séduits par son jeu. 

Déjà à 15 ans, Sèna intégra le club de football de son quartier. Elle s’était faite une place parmi les garçons. Elle suscitait d’ailleurs l’audace de vivre cette passion auprès d’autres filles. Peu à peu, elle en contamina une dizaine. Ainsi se formait pour la première fois une équipe féminine de football au quartier Nanguézé.
 Leurs séances de jeu attiraient dans les rues toute une foule de personnes aux intérêts divers. D’aucuns venaient voir si le football féminin se jouait comme celui masculin, comme si elles joueraient avec les seins. D’autres venaient nourrir leurs yeux des mouvements de ces courbes féminines. D’autres encore venaient juger de la résistance des filles pour un sport qui demande autant de stratégie et d’endurance physique que sur un champ de bataille. Ils ignoraient sûrement qu'elles sont héritières de la bravoure des amazones guerrières de qui elles partagent le sang. 

Sèna était encouragée par toute sa famille. Même Afi qui n'aimait pas le football adorait la talentueuse grande sœur qu’elle avait. Elle aimait surtout se pavaner dans les rues avec la star du football féminin du quartier. Bignon quant à lui devint un peu jaloux de sa petite sœur. Elle était visiblement meilleure joueuse que lui. Il était fier de ses prouesses et continuait à la soutenir mais les moqueries de ses amis le firent peu à peu délaisser sa passion de toujours. Il se désolait de ne pouvoir rivaliser avec elle, et ce n’était pas faute d'avoir essayé. Ce qui le réconfortait quand même, c’était la reconnaissance de Sèna pour l’avoir initiée à ce jeu.

Tout allait bien au sein du club de football féminin du quartier. Les entraînements étaient réguliers. Il ne tarda pas à faire école. Très vite, les filles des quartiers environnants formèrent leurs clubs de football. Des compétitions s’organisaient périodiquement et l’on était fier de voir le talent que pouvaient déployer des filles à un jeu resté jusque-là masculin. Les parents avaient davantage confiance en leurs filles puisqu’ils voyaient tout le sérieux qu’elles y mettaient. Avec l’appui du gouvernement, ils nourrissaient l’espoir de voir leurs enfants devenir de véritables professionnels du football. Avoir des filles n’entravait plus le rêve d’avoir un footballeur milliardaire dans sa famille. Enfin, le football allait nourrir sa femme.

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