<< La voie à suivre >> Chapitre 12

Write by Le Kpetoulogue

Chapitre 12


Bien des jours après, Luqman était presque arrivé à l'université quand il entendit un drôle de bruit provenant de sa moto. Il s'arrêta pour voir s'il n'y avait pas de problème. Alors qu'il vérifiait sa moto, une scène attira son attention. Juste devant lui, il vit trois collégiens. Ils venaient très certainement du collège d'à côté. Il y en avait deux qui étaient en train de s'en prendre au troisième. C'était clairement du harcèlement. C'est malheureusement un fléau très répandu dans le cadre scolaire. Luqman, qui se contentait de simplement observer, fut surpris par l'arrivée du censeur Bathily.

M. Bathily : « OH BANDE DE VOYOUS ! LAISSEZ-LE ! DEGAGEZ D'ICI TOUT DE SUITE ! »

Voyant M. Bathily se précipiter sur eux, les deux harceleurs prirent la poudre d'escampette. Ils s'enfuirent à toute hâte. M. Bathily se rapprocha du collégien qui se faisait harceler et lui demanda s'il allait bien. Il semblait que les deux autres lui avaient pris son petit déjeuner et son argent de poche.

M. Bathily : « Je t'avais dit de les éviter, Paul. »

Paul : « C'est ce que j'essaie de faire… mais à chaque fois… »

M. Bathily : « Viens avec moi, je vais t'acheter un truc à manger et te conduire dans ta classe personnellement. »

Paul : « Hein ?!! Non, monsieur… ça va aller. »

M. Bathily : « Qu'est-ce que tu racontes ? »

Paul : « Ça va aller, monsieur, c'est rien vraiment. »

Paul semblait gêné de devoir se faire raccompagner dans sa classe par le censeur. Il ramassa son sac rapidement et s'en alla précipitamment. M. Bathily n'essaya pas de le retenir, même s'il semblait quelque peu contrarié par la situation. En reprenant son chemin, M. Bathily remarqua finalement Luqman.

M. Bathily : « Monsieur Luqman. »

Luqman : « Bonjour, Monsieur le Censeur. »

M. Bathily : « … Pourquoi n’es-tu pas intervenu pour aider ce jeune homme ? Je suis sûr que tu as bien vu la scène pourtant. »

Luqman : « Pensez-vous vraiment l’aider en agissant ainsi, monsieur ? »

M. Bathily fut quelque peu surpris par la réponse de Luqman. C’était comme s’il remettait en question le fait qu’il ait porté secours à Paul.

M. Bathily : « Je pense que c’était la chose à faire. »

Luqman : « Si j’ai bien compris, vous faites cela depuis un bon moment, et pourtant, la situation de ce lycéen ne semble pas vraiment changer. Je me trompe ? »

M. Bathily : « … »

Luqman : « N’y voyez aucune forme d’irrespect, monsieur. Mais si vous n’êtes pas capable de résoudre définitivement un problème, laissez-le tel qu’il est, ou vous risquez tout simplement d’aggraver les choses. »

Luqman démarra ensuite sa moto pour se rendre à l’université, laissant M. Bathily perplexe face à ses propos.

Une fois dans l’établissement, Luqman aperçut Leila au loin. Elle se trouvait en compagnie de ses deux amies, Natasha et Prisca. Comme il se dirigeait vers la salle de classe et qu’elles étaient sur le chemin, Luqman leur adressa un bonjour en passant.

Leila : « Luqman, s’il te plaît, après, je peux te parler ? »

Luqman : « Bien sûr. »

Leila : « Je te ferai signe après. »

Luqman : « Okay. »

Leila, qui avait bien guéri de toutes ses blessures, décida qu’il était temps pour elle de reprendre les cours. Prisca et Natasha avaient hésité à aller la voir lorsqu’elles apprirent qu’elle s’était réveillée de son coma. Elles se sentaient honteuses et ne savaient pas exactement comment Leila réagirait. Après avoir repoussé cette rencontre jusqu’à ce jour, elles prirent leur courage à deux mains en voyant Leila revenir à l’université. Elles demandèrent à lui parler, mais une fois face à elle, elles ne savaient plus quoi dire exactement. Elles bégayaient, incapables de formuler une phrase complète et correcte.

Leila : « Hum… Écoutez, ce qui s’est passé est passé. Je n’ai pas la force de vous détester. En fait, je n’ai même pas la moindre envie de vous haïr. »

En entendant ces mots, Prisca et Natasha se sentirent comme déchargées d’un poids sur le cœur. Elles crurent que Leila était prête à reprendre leur amitié comme si de rien n’était, mais leur illusion fut de courte durée.

Leila : « C’est juste que je ne veux plus que nous soyons amies. »

Prisca : « Hein ?? Mais tu viens tout juste de dire que… »

Natasha : « Attends, Leila, ce n’est pas à cause de Jules que tu vas briser notre amitié ? »

Leila : « C’est vous qui l’avez brisée, pas moi. Mais je ne vous en veux pas, je vous pardonne vraiment. Seulement, je pense que notre amitié ne peut plus être sauvée, parce que je ne pourrai plus jamais vous faire confiance, et ce serait très hypocrite de ma part de faire semblant. J’ai pris la décision de ne plus jamais faire semblant dans ma vie. Bon, je dois y aller, il faut que je me trouve une nouvelle place dans une autre rangée. Passez une bonne journée, les filles. »

Après que Leila soit partie, Natasha et Prisca se chamaillèrent un peu, chacune rejetant la faute sur l’autre. 

À la pause, Leila s’approcha de Luqman et Yohan, qui étaient en train de discuter.

Leila : « J’ai une annonce à vous faire. J’ai décidé de me présenter pour être la présidente du conseil des étudiants de cette université. »

Yohan : « Juuuuuuuuuu ?! »

Luqman : « Il y a un conseil des étudiants dans cette université ? »

Yohan : « Ooorh, est-ce qu’on peut vraiment appeler ça un conseil ? C’est juste des gars de dernière année, là. On ne sait même pas à quoi ils servent dans l’école. »

Leila : « Ah, tu vois ? Tout le monde l’a remarqué. Ils ne font pas bien leur boulot, alors moi, je veux changer les choses. Les étudiants doivent avoir un conseil qui puisse les aider, les protéger et les représenter. »

Luqman : « C’est une belle initiative. »

Leila : « Du coup, vous deux, vous allez m’aider à faire campagne. »

Yohan : « Héhéhé, on dirait que tu n’es pas encore bien guérie, hein. Quand tu me regardes, j’ai l’air de quelqu’un qui va faire campagne pour autrui ? »

Leila : « Tu seras payé, Yohan. »

Yohan : « PREEEESIIIIIIIIIIII !!! Ooorh, quand je te regarde, là, je sens la prestance d’un futur président de la République ! »

Luqman : « Tu changes très vite d’avis, Yohan… Je ne suis même plus surpris. »

Yohan : « Ah, le monde va vite, hein, faut s’y habituer. »

Luqman : « C’est bien beau tout ça, mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse, au juste ? »

Leila : « Yohan, lui, il sait comment rassembler les gens et présenter une belle image de quelqu’un. Du coup, il se chargera de me faire passer pour celle qu’il faut auprès des étudiants. »

Yohan : « Faut même pas t’inquiéter, quand j’aurai fini, ils voudront tous t’adopter comme maman ! »

Leila : « Hahaha, n’exagère pas non plus à ce point. »

Luqman : « Et moi ? »

Leila : « Toi, tu devras juste m’accompagner et être présent. »

Luqman : « C’est… c’est tout ? »

Leila, tout en souriant : « Oui, c’est tout. »

Leila semblait avoir une idée derrière la tête que Luqman n’arrivait pas à déceler. Elle comptait tirer parti de la popularité de Luqman. Ce dernier ignorait que, lors de la fête d’anniversaire, une fois de retour à l’université, outre ce qui était arrivé à Leila, lui aussi avait été un grand sujet de discussion, surtout auprès des filles. Toutes s’accordaient à dire qu’il était l’un des mecs les plus beaux de l’université. Il y avait même une sorte de challenge pour savoir laquelle sortirait avec lui en premier.

À la fin des cours, alors que Luqman rentrait chez lui, il vit Paul en train de se faire molester par les deux harceleurs de tout à l’heure. Ces derniers lui disaient qu’il avait eu de la chance tôt ce matin parce que M. Bathily était intervenu. L’un d’eux lui donnait des claques sur la joue, tandis que l’autre le fauchait. Paul tomba sur le sol, bien sale, mais finit par se relever quelques instants plus tard, avant de se faire faucher aussitôt.

Paul remarqua Luqman qui regardait la scène sans dégager la moindre intention d’intervenir. Cela dura un instant, puis les deux harceleurs finirent par s’en aller. Paul s’accroupit sur le trottoir en essayant de dépoussiérer sa tenue scolaire comme il le pouvait. Sa situation était assez paradoxale. Autant Paul aurait voulu être aidé, autant il refusait toute aide, de peur que cela n’aggrave sa situation. Mais surtout, il ne voulait pas que cela entache ce peu de dignité auquel il s’accrochait. C’était très certainement la raison pour laquelle il avait refusé que M. Bathily le raccompagne en classe. Il ne voulait sans doute pas que ses camarades le traitent de lâche.

Pendant un instant, Luqman pensa qu’il était préférable de passer son chemin, jusqu’à ce qu’un souvenir de son père le fasse hésiter… Finalement, il vint s’asseoir auprès de Paul.

Luqman : « De quoi as-tu peur, au fond ? »

Paul : « … »

Luqman : « Tu es déjà au fond du trou. Il est impossible d’aller plus bas que ça. Autant tu espères qu’on t’en sorte, alors que la majorité des gens ignorent sciemment ta situation, autant, dès que quelqu’un s’en approche, tu te replies dans l’ombre. Au final, tu sais pertinemment qu’il n’y a que par toi-même que tu peux … en sortir. »

Paul : « … »

Luqman : « Tu sais, ton trou à toi est moins profond que tu ne le penses. Il est à portée de main… vraiment à portée de tes poings. Essaie juste une fois, de toutes tes forces. Qu’est-ce que tu as à perdre ? D’avoir mal ? C’est déjà le cas. Alors, si reculer n’est plus une option… avance. Il te suffit juste de faire un pas en avant. »

Après cela, Luqman s’en alla. Paul était resté silencieux tout le long. Il avait parfaitement compris ce que venait de lui dire Luqman. Il était bien le seul à lui être venu en aide sans pour autant entacher sa dignité. Mais aurait-il vraiment le courage d’essayer de sortir du trou ?

M. Bathily, qui avait observé la scène depuis la fenêtre de son bureau, se demandait ce que Luqman avait bien pu dire à Paul. Il connaissait ce collégien depuis un bon moment, et à chaque fois, ses camarades de classe profitaient de sa faiblesse pour s’en prendre à lui. M. Bathily avait menacé ses harceleurs, mais ceux-ci revenaient à la charge dès qu’il avait le dos tourné.

Il avait alors signalé l’incident à la direction du collège, mais cela n’avait strictement rien arrangé. Il était même allé voir les parents de Paul pour leur suggérer de lui faire changer d’école. Mais il s’était retrouvé face à son père, qui ne semblait accorder que peu d’intérêt aux souffrances de son fils, se contentant de dire que » c’était un garçon » et qu’il devait se débrouiller avec ses amis.

La majeure partie des gens dans ce pays semble considérer le harcèlement comme un simple jeu, sans se douter que tout le monde n’en ressort pas plus fort. Cela détruit intérieurement de nombreuses personnes. Elles se consument à petit feu sous le regard impassible de ceux qui refusent d’y accorder la moindre importance.

M. Bathily ne savait plus trop quoi faire pour aider Paul, mais il continuait de réfléchir à une solution.

Deux jours plus tard, alors qu’il se rendait à l’université, il entendit du bruit non loin de lui. Voulant aller vérifier de quoi il s’agissait, il aperçut Paul, encore une fois en train de se faire harceler par les deux mêmes garnements. Il s’apprêtait à intervenir lorsqu’une main saisit son poignet. En se retournant, il vit que c’était Luqman.

M. Bathily : « Qu’est-ce que tu fais ? Lâche-moi ! »

Luqman : « Si vous voulez vraiment l’aider, alors je vous demande de patienter. »

M. Bathily : « Qu’est-ce que tu racontes ? Ils vont lui faire du mal ! »

Luqman : « Monsieur, est-ce que vous voulez vraiment l’aider ? »

M. Bathily : « Oui, bien sûr. »

Luqman : « Alors patientez. »

Luqman demanda à M. Bathily de ne pas se montrer, sinon il risquait d’effrayer les deux harceleurs. Sur le coup, M. Bathily ne comprit pas où Luqman voulait en venir, car pour lui, intervenir était la seule chose à faire. Il fallait effrayer les harceleurs, leur faire peur pour qu’ils arrêtent. Mais Luqman voyait les choses autrement.

Paul subissait du harcèlement depuis un bon moment déjà. Il ne réagissait pas, se contentait de se laisser faire. Après tout, pour lui, ce n’était qu’un jour comme les autres. Une fois qu’ils auraient eu leur dose, ils le laisseraient partir. C’était ainsi qu’il voyait les choses… jusqu’à ce qu’il aperçoive Luqman au loin.

Tout comme la dernière fois, ce dernier se contentait de regarder, sans manifester la moindre intention d’intervenir. Paul repensa alors aux paroles de Luqman. Il comprit qu’il avait lui-même accepté ce quotidien, accepté d’y rester, de ne rien faire pour le changer. Alors, une fois, rien qu’une fois… Qu’est-ce que ça lui coûterait de faire les choses autrement ? Ils le frapperaient plus fort ? Ils n’avaient jamais eu besoin d’une réelle raison pour le frapper plus fort.

L’un de ses harceleurs parlait, mais Paul n’entendait même pas ce qu’il disait. Les mots sortaient de sa bouche sans parvenir jusqu’à lui. Son esprit était focalisé sur une seule chose… Sa mâchoire.

Paul rassembla tout le courage et la force qu’il pouvait contenir avant de refermer son poing aussi fermement que possible. Il devait frapper. Ne serait-ce qu’une fois. Un seul et unique coup. Au moins une fois, il devait lui rendre un coup.

Maintenant ?? Maintenant ?? Maintenant ???

Luqman, qui observait Paul avec attention, sentit qu’il était proche… Il était sur le point de sortir du trou dans lequel il se trouvait. Il suffisait d’un déclic, d’une impulsion, d’un signe, n’importe quoi qui déclencherait son élan. Alors, lentement, Luqman écarta ses mains… Puis il les frappa l’une contre l’autre, produisant un bruit sec qui résonna dans l’air.


*** CLAP ***

Maintenant !!!

Comme entraîné par le clap, comme un coup de feu marquant le départ d’une course, Paul balança violemment son poing directement dans la mâchoire de son harceleur. Le coup le toucha de plein fouet, avec suffisamment de force pour le faire tituber. Il vacilla, sous le choc, complètement surpris de voir Paul réagir. Il n’était pas le seul. M. Bathily, lui aussi, observait la scène avec stupéfaction. Pendant que son ami peinait à garder son équilibre, l’autre harceleur, pris de panique, tourna les talons et s’enfuit aussitôt. Il ne voulait pas finir comme son complice.

M. Bathily voulut intervenir, mais Luqman l’arrêta d’un geste.

Luqman : « Attendez encore un peu »

Paul se trouvait à un croisement décisif de sa vie. Il venait de prendre le dessus sur son bourreau. Son harceleur, désorienté, avait du sang à la bouche et vacillait sous l’impact du coup. Il était à sa merci. L’autre s’était enfui. Paul pouvait maintenant lui rendre chaque coup qu’il avait subi. Il pouvait lui faire encore plus mal… Il en avait le droit, non ? Ce ne serait que justice.

Mais alors… deviendrait-il à son tour… le méchant ?

A Suivre …


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