L'accouchement
Write by belleetrebelle
L’accouchement de Chloé eut lieu à l’hôpital général de Yaoundé, par une nuit où la pluie tambourinait sans relâche sur les toits de tôle. Ce ne fut pas la naissance paisible dont elle avait autrefois rêvé. Ce fut un long combat, épuisant, hanté par la solitude. Sa mère et une tante étaient présentes, essayant de la soutenir, mais leurs paroles d’encouragement semblaient se heurter au mur de détresse qui l’entourait. Dans les moments de répit entre les contractions, son esprit errait malgré elle vers l’absence criante dans la salle. Elle imaginait la main d’Armand serrant la sienne, sa voix calmant la tempête en elle. À la place, il n’y avait qu’un vide immense, peuplé par le spectre de son doute.
Quand les premiers cris de sa fille déchirèrent l’air chargé de tensions, un flot d’amour absolu et déchirant submergea Chloé. Elle tenait contre sa poitrine un petit être à la peau plus claire que la sienne, avec une touffe de cheveux noirs comme du jais et, au grand choc de sa mère, les yeux immenses et expressifs d’Armand. La ressemblance était frappante, immédiate, comme une signature de la paternité écrite sur le visage du nourrisson.
« Regarde, ma fille, murmura sa mère en essuyant une larme. C’est son père tout craché. Il ne pourra pas le nier. »
Le lendemain matin, la famille de Chloé prit les choses en main. Il était inconcevable que le père reste dans l’ignorance. C’est sa mère qui composa le numéro d’Armand. La voix était empreinte d’une solennité teintée d’un espoir prudent.
« Armand, c’est Maman Chloé. Tout s’est bien passé. Le Seigneur nous a donné une petite fille. Elle et Chloé se portent bien. » Elle marqua une pause, cherchant ses mots. « Armand… elle te ressemble. C’est frappant. Tu devrais venir. C’est ton enfant. »
À l’autre bout du fil, dans le silence de sa maison de Bonapriso, Armand sentit un mélange complexe et violent l’envahir. Une bouffée de curiosité, un instinct paternel primal, aussitôt étouffés par une vague de amertume et de défiance. La ressemblance ? Un leurre, un piège de plus. Le monde regorge d’histoires d’enfants qui ressemblent à un homme sans être de lui. Dans son esprit torturé, cette annonce n’était pas une joie, mais une nouvelle épreuve, une tentative de plus pour l’enrôler de force dans une histoire dont il ne voulait plus.
« Je vous remercie de m’avoir informé, » répondit-il, la voix délibérément plate, contrôlée, comme s’il parlait d’un dossier professionnel. « Je suis soulagé d’apprendre que Chloé est en bonne santé. »
Il y eut un silence gêné. « Et… tu viens ? » insista la belle-mère. « Pour voir ta fille ? »
Le cœur d’Armand battait la chamade dans sa poitrine. Voir le bébé. Voir ce petit être qui portait peut-être ses traits. S’il cédait, s’il posait ne serait-ce qu’un regard sur elle, il savait que tout son édifice de colère s’effondrerait. Et il n’était pas prêt à lâcher cette colère. Elle était devenue son armure, son identité.
« Non, » dit-il, et le mot résonna dans la pièce comme un coup de feu. « Je ne viendrai pas. »
« Armand, s’il te plaît… »
« J’ai dit non ! » Sa voix craqua, trahissant l’émotion qu’il tentait de refouler. « Vous ne pouvez pas comprendre. Je ne veux pas voir cet enfant. Pas maintenant. Pas comme ça. »
Il raccrocha brutalement, la main tremblante. Il se sentait vide, cruel, monstrueux même. Mais en même temps, il éprouvait un sentiment pervers de puissance. Il venait d’infliger à Chloé la blessure ultime, le rejet le plus absolu. En refusant de voir sa fille, il la punissait elle, pour sa trahison, pour avoir mêlé une innocence à leur gâchis.
De son lit d’hôpital, lorsque sa mère lui rapporta, les larmes aux yeux, la conversation, Chloé sentit une partie d’elle-même se briser définitivement. Elle serra sa fille contre elle, comme pour la protéger du froid qui venait de l’extérieur. Le refus d’Armand n’était plus seulement un rejet conjugal ; c’était un déni de la vie qu’ils avaient créée, un acte si radical qu’il semblait sceller leur destin à jamais. À cet instant, tout espoir de réconciliation sembla s’éteindre, noyé dans les larmes silencieuses qu’elle versait sur le visage paisible de son bébé, un bébé dont le père refusait même de connaître l’existence.