Le baiser
Write by lpbk
A peine quinze minutes plus tard, nous
arrivons au Cupping. Nous traversons la partie bar où sont accoudés, sur des
tabourets, des hommes et des femmes savourant des bières, tout en visionnant un
match de football.
La décoration de la partie restaurant fait
très africaine, avec des murs en pierre orange. Des tableaux, rappelant les
œuvres Balise Bang, sont accrochés aux murs et apportent une touche de
couleurs.
Nous nous installons autour d’une table en
bois sombre, assortie aux chaises. Nous prenons chacun des menus et commençons
à les consulter.
— Tu me fais confiance ? me demande alors Franck,
tout à trac.
— Euh… oui. Pourquoi ? répondis-je, incertaine.
— Est-ce qu’il y a des aliments que tu n’aimes
pas ? continue-t-il, sans répondre à ma question.
— Je ne suis pas difficile, je mange vraiment de tout.
— Très bien. Si tu le permets, j’aimerais commander pour
nous deux. Tu verras, tu ne le regretteras pas.
J’acquiesce à sa demande et lui souris,
ravie de son initiative. Je repousse alors la carte, la refermant d’un coup
sec.
Lorsque le serveur arrive, mon prétendant
lui demande s’il reste des beignets aux poissons, ce à quoi il se voit répondre
que oui. Il ajoute à la liste des côtelettes d’agneaux aux djansang et un
burger de plantains.
— Cela ne te dérange pas que nous partagions ? me
questionne-t-il.
— Absolument pas ! m’exclamai-je.
J’adore goûter aux divers plats sur la
carte. Lorsqu’Henry et moi étions ensemble et que nous allions au restaurant,
j’attendais toujours qu’il commande pour faire de même, afin d’éviter de
prendre la même chose que lui. Je lui chipais toujours une partie de son repas
pour goûter. Henry ne le faisait jamais, et même s’il était évident qu’il
n’aimait pas particulièrement cette fâcheuse manie, il n’en disait rien et me
souriait, indulgent.
— Ce que tu as commandé me donne l’eau à la bouche,
commentai-je lorsque notre serveur fut parti.
— Tu verras, tu ne regretteras pas de m’avoir laissé
faire, me lance Franck avec un clin d’œil.
Un but de Sadio Mané fait bondir
l’assistance et les cris de joie nous amusent grandement.
— Tu suis un peu ?
— Pas tellement, avouai-je, penaude.
— Moi non plus, me confie-t-il à voix basse, comme s’il
me révélait un incroyable secret. Mon père et mon frère sont de vrais fans de
foot mais moi, je n’ai jamais été vraiment intéressé.
— Tu préfères le basket ?
— Non plus. Je ne suis pas un grand amateur de sport, à
vrai dire. Je m’entretiens, bien sûr, mais je fais le strict minimum.
— Nous sommes sur la même longueur d’onde dans ce cas,
plaisantai-je.
Nous rions bêtement et continuons notre
discussion sur divers sujets. Je le questionne notamment sur sa famille et
apprend qu’en plus de son frère, il a aussi deux sœurs plus jeunes.
— Loïc est mécanicien. Il restaure de vieilles bagnoles.
Il s’en sort plutôt bien d’ailleurs. Anaïs est fleuriste, elle vient d’ouvrir
sa boutique. Et Angela est libraire. Elle est l’archétype même de la fille
toujours avec ses bouquins, ses lunettes penchées sur son nez, prêtes à tomber.
— Anaïs, comme Les
fleurs d’Anaïs ? enquêtai-je.
— Oui ! Tu la connais ?
— Je me suis lancé avec elle ! Ta sœur est
incroyable. J’adore son travail.
— Le monde est vraiment petit, me rétorque-t-il mi-figue
mi-raisin.
Je ne sais pas comment interpréter sa
réaction. Visiblement, il n’a pas l’air très emballé par l’idée que je
connaisse un membre de sa famille.
— Je ne te le fais pas dire. Aurais-tu peur qu’elle me dévoile
tes secrets les plus sombres ? demandai-je avec une mine conspiratrice.
— Bien sûr que non, s’esclaffe-t-t-il. D’ailleurs, je
n’en ai aucun.
L’entrée arrive alors, mettant un terme
temporaire à notre conversation. Ces beignets au poisson sont délicieux, je
suis conquise. La bière que Franck m’a commandée suit très bien le plat.
— Si le reste est aussi bon, je crois que je vais
revenir souvent ici.
Et effectivement, la suite est tout aussi
incroyable. Les côtelettes sont accompagnées d’une purée d’ignames et des
frites qui croustillent. Le burger semble est excellent.
Nous mettons les assiettes au centre de la
table et chipons dedans simultanément. Franck pousse même jusqu’à me donner la
becquetée, ce qui me fait rire même si habituellement, je déteste qu’un homme
me prenne pour une enfant.
Nous rions en parlant de sa famille,
d’anecdotes qu’il me raconte concernant son travail.
— Le patron est un homme d’un certain âge. Il est très
sympathique.
— Et tu travailles pour quelle agence de voyages,
déjà ?
— Touristique Express. Et comme se plaisent à me répéter
mes collègues, Touristique Express pour des voyages express.
— Quoi ? lui demandai-je, incrédule.
— …
Franck continue de me parler de son job,
qui le passionne beaucoup. Il espère vraiment devenir conseiller commercial. Il
m’explique les voyages qu’il a déjà faits à travers le pays et je l’envie un
peu. Toutefois, je ne vais pas me plaindre car j’adore ce que je fais et je
pense être plutôt bonne dans ce domaine.
Je me sens tellement bien ! Je
voudrais que ce rendez-vous dure encore et encore.
Nous terminons de siroter nos bières.
Franck me propose alors de prendre un dessert.
— Leurs muffins à la banane et au miel d’Oku sont à
tomber, me prévient-il lorsque je décline. Tu vas fondre de bonheur…
continue-t-il, tentant de m’amadouer. Je suis certain que tu n’en as jamais
mangé d’aussi délicieux…
Je fini par craquer et nous commandons le
fameux muffin et une autre douceur, à l’ananas cette fois.
— Grâce à toi, je viens de prendre au moins cinq kilos
sur la soirée, lui assurai-je en riant lorsque nous sortons du restaurant.
— Je suis sûre qu’ils t’iront à ravir, m’assure-t-il.
Je ne réponds pas, me contentant de lui
sourire, comblée. Cette soirée est… parfaite !
Franck a tout du prince charmant.
— J’aimerais que ce rendez-vous ne se termine jamais,
lance-t-il alors que nous déambulons silencieusement.
— Moi aussi, lui avouai-je. Malheureusement, il se fait
tard…
— Et nous travaillons demain, continue-t-il, aussi
désolé que moi.
— Oui, acquiesçai-je, contrite.
— Je te raccompagne, me propose-t-il.
Il hèle alors un taxi et lui donne mon
adresse. Lorsque nous arrivons au bas de mon immeuble, Franck m’ouvre la
portière et me tend la main pour m’aider à descendre.
— Attendez-moi quelques minutes, demande-t-il au
chauffeur.
— Je laisse tourner le compteur, râle ce dernier.
Franck ne prend pas la peine de lui
répondre et m’accompagne jusqu’à la porte, tout en tenant la main qu’il n’a pas
lâchée.
— J’ai passé une excellente soirée, me confie-t-il. J’espère
te revoir bientôt.
— Moi aussi, dis-je en rougissant comme une collégienne.
Je me sens un peu gauche, et je pense que
lui aussi. En effet, il semble hésiter sur la conduite à tenir. Il sait très
bien qu’il ne montera pas chez moi. C’est beaucoup trop tôt. Cependant, il
pourrait tout de même m’embrasser, pour conclure ce rendez-vous comme il se
doit.
Involontairement, je mordille la lèvre
inférieure ; je vois alors son regard s’y accrocher.
Mes yeux fixent sa bouche également et
pour le pousser à prendre une décision, je m’humecte les lèvres, faisant
glisser ma langue lentement. Peut-être va-t-il enfin comprendre ce que j’attends ?
Que je suis prête ?
Victoire ! Je le vois se pencher
sensiblement, son regard hypnotisé par mon petit manège.
Va-t-il enfin se décider ?
Finalement, il approche ses lèvres de ma
joue qu’il embrasse doucement.
Je sens son souffle chaud chatouiller mon
oreille.
Quoi ? Est-il sérieux ? Je pense
que je lui ai lancé des signaux plus que voyants !
— Oh ! laissai-je entendre, déçue.
— J’en ai terriblement envie, moi aussi, déclare-t-il d’une
voix imperceptiblement rauque, mais j’ai peur d’aller trop vite. Après ce qui
nous est arrivé la dernière fois…
Je ne laisse pas terminer et décide de
prendre les choses en main. Les hommes peuvent être parfois de vrais empotés. Il
faut toujours tout faire à leur place. Qu’ils sont agaçants.
Je me hisse sur la pointe des pieds,
encadre son visage de mes mains et lui cloue le bec de mes lèvres.
Sa bouche est soyeuse et chaude. Il semble
surpris au début mais rapidement, je sens sa main venir se poser sur ma nuque. Ce
baiser est aussi doux qu’une caresse et aussi furtif. Il ne cherche pas à
prendre plus que ce que je lui donne. Il semble timide.
J’entrouvre doucement les lèvres, l’invitant
à aller plus loin. Et il ne se fait pas prier. Notre baiser se prolonge et sa
langue vient bientôt rencontrer la mienne. Commence alors un ballet vieux comme
le monde. Sa main remonte dans mes cheveux pour me guider, tandis que l’autre,
dans mon dos, me presse contre lui.
Lorsqu’il me relâche, nous haletons
légèrement. Il me sourit, gêné et je sens une douce chaleur s’élever en moi.
— A bientôt, me lance-t-il en s’éloignant déjà, un petit
sourire canaille étirant sa bouche.
Il s’engouffre dans le taxi qui démarre
aussitôt. Je le suis des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse au coin de la rue.
Tandis que je monte les escaliers menant à
mon appartement en réfléchissant, je passe une main sur mes lèvres, repensant à
cette soirée et à la manière dont elle s’est conclue.
Je suis tellement déçue.
Ce baiser aurait dû être parfait,
extraordinaire et me donnait envie d’aller plus loin !
Si je n’avais pas pensé à un certain
ex-amant, qui sait si savamment faire monter mon désir pour lui.