Le décès
Write by leilaji
****Leila
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Non
mais cet oncle va dire que c’est ma venue qui lui a causée cette … cette crise
cardiaque ? Je rêve là ! Il est raciste au point de préféré mourir
plutôt que de me voir ? Je suis sans voix. Il ne pouvait pas choisir un
autre jour pour faire cette crise ? Je déraille complètement, j’en suis
bien contente.
Et
tout ce monde, dans cet immense espace. Comment je vais survivre à ça, moi qui
aie toujours vécu seule jusqu’à ce que je me mette avec Alexander ? Tous
ces regards hostiles braqués sur moi ! C’est presque insupportable.
En
parlant de Alexander, où est-il ?
Je
le cherche des yeux et ne le vois nulle part. D’ailleurs en y regardant bien,
la grande salle à l’entrée s’est maintenant complètement vidée. Il n’y a plus
personne sauf peut-être une jeune adolescente cachée derrière de lourds rideaux
qui me regarde de travers. J’ai bien envie de lui demander où se trouve Alexander
mais je n’ose pas m’approcher d’elle. On ne sait jamais. Vu la réaction de
l’oncle peut-être que la fille elle, va carrément me sauter dessus ! Elle
a le même regard vert délavé que Alexander mais a la peau plus foncée que lui,
presque de la même couleur que moi. Ce doit être une très proche parente.
Finalement, elle s’approche de moi à petits pas comme si on l’avait forcé à le
faire.
— Appka desh kya hay ? (quel est votre
pays ?)
Je
ne comprends rien à ce qu’elle me demande. Comment vais-je faire ? Avec
des signes faits un peu n’importe comment, j’essaie de lui faire savoir que je
ne comprends pas ce qu’elle me dit.
— Si vous voulez survivre ici va falloir vous
mettre à l’hindi. Tout le monde ne parle pas anglais en Inde.
— Je vais essayer, je lui promets
soulagée qu’elle parle anglais même si c’est avec leur habituel accent à couper
au couteau
— Vous êtes américaine ?
Vous connaissez Beyoncé ?
Comment
lui dire que je reviens du Gabon et qu’il n’y a pas Beyoncé à Libreville !
Mais je sens que si je le lui dis, elle va être très déçue. Alors je secoue
tout simplement la tête pour lui faire comprendre que je ne suis pas
américaine. Je n’essaie même pas de lui expliquer d’où je viens. Je suis sûre
qu’elle ne saurait pas pointer le Gabon sur une carte avec toute la meilleure volonté
du monde. Je regarde une nouvelle fois autour de nous. Mes valises sont encore
posées à l’entrée de la maison alors que celles de Alexander ont disparu. Je
suppose que les siennes ont dû être rangées dans sa chambre et les miennes
abandonnées là.
— Uncleji (oncle) m’a dit de vous dire qu’il a
accompagné grand-mère voir son frère à l’hôpital. Je vais vous envoyer un
domestique pour s’occuper de vous sinon vous allez rester là des heures.
Franchement
ses yeux sont hostiles mais je sens qu’une certaine curiosité la pousse à me
parler. Je la regarde pendant qu’elle s’éloigne de moi. C’est quand même pas
croyable, presque tout le monde dans cette famille est clair de peau sauf elle.
Sans ses yeux verts, le lien de parenté avec la famille Khan ne serait pas évident.
Je
n’ai revu Alexander que très tard dans la nuit. J’avais beaucoup de questions à
lui poser mais à voir sa mine défaite, je me suis retenue.
*
**
Son
oncle est mort.
Hausse
de tension trop forte. Le corps n’a pas supporté et il s’est écroulé, arrêt
cardiaque. A l’hôpital, ils ont eu beau déployer tout leur savoir faire, il n’a
plus ouvert les yeux. J’ai pu parler un peu avec Alexander avant que l’on se
sépare pour occuper chacun une chambre différente dans les ailes opposées de la
maison. Ils ont tenu à mettre autant de distance que possible entre nous. Mais
ce n’est pas ça qui va séparer nos cœurs.
On
se parle en français, comme ça, on est à peu près sûr que personne ne comprend
notre conversation. Ainsi même en plein milieu du salon quand tout le monde
nous observe, on garde notre discussion privée.
— On me lance déjà des regards accusateurs, on
murmure derrière mon dos. « Pourquoi je suis rentré avec une femme noire,
ça a apporté le mauvais œil dans la famille ? Comment puis-je déshonorer
mon père à ce point ? Moi, le fils maudit je suis encore de retour pour
semer la pagaille dans la famille comme autrefois! ». Moi je crois
qu’il ne pensait pas que je rentrerai un jour reprendre ce qui est à moi.
C’est
comme ça qu’il parle de son oncle ? J’avais oublié combien de fois il peut
être dur avec les autres.
— Justement Alexander. Tu me
reprochais de te faire des cachoteries mais toi tu n’as pas jugé juste de me
dire la vérité sur ta famille.
— Ne te fis pas à ce que tu vois. C’est vrai
qu’auparavant nous étions une très grande famille. Mais comme ma mère me l’a
expliqué, mon père nous a fait presque tout perdre. Il ne reste rien de notre
fortune, rien. Cette maison qui t’impressionne tant, seuls quelques chambres,
la cuisine principale, le grand salon et quelques autres pièces sont encore
entretenus. Le reste est en ruine, Leila. Je ne t’en ai pas parlé parce que
pour moi, plus rien de tout cela ne m’appartenait. Tu comprends.
La
voix de Alexander est très tendue et son regard brille. Ils sentent que l’on parle
d’eux. Je mets fin à la conversation.
***
Je n’ai assisté à aucune cérémonie de funérailles au
Gabon, sauf celle de ma mère et je peux dire que la voir enterrée a été
l’expérience la plus traumatisante de ma vie. Je sais que ce que je vais voir
ici est complètement différent de nos cérémonies mais je ne m’attendais pas à
ce que ce soit aussi étrange et protocolaire.
Alexander est accaparé par les siens, perdu au milieu
de toutes les recommandations et moi je suis oubliée dans la tumulte. Je me
fais toute petite, j’essaie de comprendre tout ce que je peux par moi-même.
Mais la veille de la cérémonie de crémation de l’oncle de Alexander, Leela
malgré la distance qu’elle a installée entre nous depuis notre arrivée a pris
le temps de m’expliquer les funérailles en Inde et je crois que je me suis bien
préparée pour affronter cette journée.
Je viens à peine d’arriver en Inde, je ne me suis
encore accoutumé à rien. Mais je dois déjà assister à des funérailles !
Hum ma copine Elle tu me manques.
De ce qu’elle m’a dit, j’ai retenu que dans la religion
hindoue, mourir c'est se libérer de l'état où nous sommes actuellement pour
passer à un état meilleur. C’est pourquoi la mort est peu dramatique pour eux. La
plus part des indiens de religion hindouiste souhaitent finir leurs jours au
bord du Gange, et veulent après être incinérés, afin que leurs cendres se
mêlent à l'eau du fleuve sacré.
Le rituel est resté inchangé depuis des siècles. Le
cadavre est attaché sur un brancard en bambou et transporté par quatre personnes.
Tous ceux qui portent et accompagnent le défunt scandent des paroles sacrées.
Pour l’oncle défunt de Alexander, on chantera et dansera parce que leur famille
a une grande place dans leur communauté. Les femmes n'assistent pas à la
crémation, leurs larmes sont un obstacle à la Libération...
Mais n’a pas droit à la crémation qui le veut... Seuls
ceux qui sont décédés d'une mort naturelle et non violente peuvent y prétendre.
Par exemple, les enfants de moins de 10 ans, les défuntes victimes de maladies
telles la lèpre, les femmes enceintes ne peuvent pas atteindre la Libération
par le biais de l'incinération. Ceux qui sont morts suite à un accident, une
maladie, un meurtre n'ont également pas le droit de brûler le long du fleuve...
leurs cadavres iront directement rejoindre les eaux sacrés. Leur mort brutale
ne peut être que le fruit d'un mauvais karma... Aussi le salut par la crémation
leur est-il refusé.
La couleur du linceul dépend du statut du défunt,
blanc pour les jeunes hommes, rouge pour
les jeunes femmes, et orange s'il s'agit d'une personne âgée. Le cadavre est
transporté jusqu'aux abords du fleuve sur le brancard en bambou. On immerge le
corps à plusieurs reprises puis on le dépose sur la berge où on lui versera de
l'eau du Gange dans la bouche. On dresse le bûcher funéraire, sur lequel
viendra reposer le défunt. Le fils aîné (à défaut le plus proche parent),
préalablement rasé et vêtu d'un simple dothi blanc, ira chercher le feu sacré.
Il tournera ensuite autour du bûcher un nombre variable de fois avant d'y
mettre le feu. Pendant la crémation, les "doms" affectés au bûcher
veillent à entretenir le feu et rassemblent les morceaux au centre du foyer.
Ils manient pour cela les grandes perches en bambou qui servaient de brancard
au défunt. C'est également avec ces perches qu'il brise le crâne du mort afin
de faciliter l'élévation de l'esprit... cette partie de ses explications m’a
carrément dégoutée mais j’ai su rester attentive.
A la fin de la crémation, la plupart des restes sont
balancés dans le Fleuve. La place est rapidement nettoyée. Le fils aîné remplit
alors une vasque en terre cuite d'eau du Gange. Il est le dernier. Tous les
autres sont déjà partis. Il tourne le dos au lieu de la crémation et balance le
pot par dessus son épaule. C'est l'ultime geste d'adieu. Le fils, sans se
retourner, peut maintenant s'éloigner. Il a effectué son devoir.
C’est quand elle m’explique tout cela que je commence
à réaliser que je ne suis pas chez moi ici. Que Alexander et moi sommes en
réalité à mille années lumière l’un de l’autre. Je réalise qu’il est indien.
Indien ! Mais c’est tout un autre continent ça…
Qu’il va falloir être forte et s’accrocher pour
résister à cette culture si tournée vers la religion. J’ai comme l’impression
que le spirituel dirige chaque instant, chaque seconde de leur vie. J’ai peur,
je pensais n’avoir à affronté que Neina mais ce sera bien plus difficile
encore. Que Dieu me vienne en secours.
***Le jour de la cérémonie***
Toutes les personnes présentes étaient habillées de
couleur pâles, voir de blanc puisque c’est la couleur du deuil en Inde. Elles
ont apporté un carré de tissu de couleur doré destinés à recouvrir le corps du
défunt, des fleurs, de l’encens. Une demi-heure après, les proches sortent le
corps du défunt de la maison, sur un brancard en bambous et le posent sur les 4
chaises. L’oncle de Alexander est recouvert des multiples couches de linges
sacrés, et de fleurs blanches.
Le « prêtre » prononce quelques paroles et un silence
religieux s’installe. Puis certaines personnes de l’assistance que je devine
être les membres proches de la famille se rassemblent autour de la dépouille en
se déplaçant autour de lui dans le sens des aiguilles d’une montre. Alexander
en fait partie.
Les femmes punu et myene qui pleurent les défunts me
manquent. Quel silence de mort règne sur les cérémonies funéraires ici !
Le prêtre commence alors à entamer une phrase, en
disant « Ram nam » et la foule répond « satia eh », plusieurs fois.
"Ram nam satia eh" (Le nom de Rama est sacré
! Rama est un dieu en Inde)
Une fois cette courte cérémonie achevée, le cortège
débute, le prêtre à l’avant. Un homme porte des bâtons d’encens incandescents,
un autre porte du riz dans un récipient en feuilles de bananiers et un dernier
des sacs remplis de fleurs. Ainsi s’achève la partie des funérailles à laquelle
j’ai pu assister.
Alexander étant le plus proche parent masculin de son
oncle qui avait depuis longtemps perdu femme et enfants, il aurait dû commencer
par se faire raser la tête et effectuer la crémation de son oncle. Mais avec la
mort brutale de celui-ci, cela n’a pas eu lieu. Aamir Khan, l’oncle de Alexander
n’a pas eu droit à la libération qu’apporte la crémation.
ON A APPORTE LE MAUVAIS ŒIL SUR LA FAMILLE KHAN.
***
Ca fait bien deux heures que tout le monde est rentré
chez les Khan. Mais je ne sais pas pourquoi, je ne trouve pas Alexander. Je
n’ose m’approcher de ceux qui sont là pour leur demander où il se trouve mais
je dois le voir. Je ne sais pas dans quel état il se trouve après cette
cérémonie. Ils ont aussi prié pour l’âme de son père et tout ce que je sais
c’est qu’une sensation étrange m’habite. Je dois voir Alexander. Mais dans
cette immense bâtisse, ce n’est pas facile de le retrouver.
Je demande aux domestiques mais ils ne me répondent
pas. Ils ne veulent pas me parler. Mon ventre gargouille. Je n’ai rien avalé
depuis le matin. S’ils pensent que c’est leur mépris qui va m’arrêter ils se
trompent. Je prends mon courage à deux mains et décide de sillonner la zone où
je pense qu’il est. Au bout d’une heure
après m’être perdue et reperdue, je vois des domestiques s’éloigner en courant
et en marmonnant des mots incompréhensibles. La jeune fille de la dernière fois
apparait. Elle passe sans rien me dire.
Je l’arrête. Depuis le début de cette journée, on ne s’était pas encore
croisé.
—
Namasté, je salue en joignant les mains devant mon
buste.
—
Bonjour, répond-elle tout simplement.
—
Tu sais où est Xan… Devdas ?
—
La colère des Khan, explique –t-elle en regardant
derrière elle, d’où les gens s’échappaient.
Puis elle s’en va. Je me précipite à l’endroit qu’elle
a regardé. Je pousse une large porte à double battants en bois brun entièrement
sculptée et dorée qui avait dû dans un ancien temps être époustouflante.
Je sens que je suis dans la chambre principale de cet
axe, une chambre de maitre. Entièrement dévastée… Les meubles ont été brisés et
les vases cassés. Est-ce Alexander qui a fait ça ?
—
Alexander ?
Personne ne me répond. Mais je sens qu’il est là. La
chambre est tellement immense.
—
Alexander ?
—
Va-t-en Leila, laisse moi!
Je ne le vois pas. Je m’avance encore un peu. Un bruit
d’eau qui coule me fait réagir. Où est la douche ? Je la trouve. Une salle
de bain à l’ancienne, modernisée par les différentes générations qui sont
passées par là. Alexander est assis par terre sur les carreaux de la douche.
L’eau coule sur lui et ses vêtements blancs lui colle à la peau. Il y a des
bouts de verre par terre et sa main saigne. Comme s’il avait tenu tellement
fort le verre qu’il l’a brisé.
Je savais que ça devait faire mal mais pas à ce point.
—
Laisse-moi.
Je le regarde. Le laisser ! Dans cet état ?
Je ne peux pas.
J’arrête l’eau du pommeau et m’agenouille
tranquillement devant lui. J’ouvre sa main ensanglantée et l’examine. Ce sont
juste de petites coupures, aucun éclat de verre n’est resté fiché dans la peau.
Le saignement s’arrête.
—
Mon père est
mort Lei.
—
Oui, je sais.
—
Mon père est
mort et je n’étais pas là.
—
Tu ne pouvais pas savoir.
—
J’aurai pu être là pour lui. Quand j’ai eu envie de
rentrer si je l’avais fait, j’aurai pu être là pour lui. Mais j’étais tellement
en colère Lei. Toute ma vie, je l’ai passé en colère contre lui et à quoi ça
m’a mené. Mon père n’est plus. Ma famille est ruinée. Ma mère travaille, à son âge, elle qui n’a
jamais eu à le faire. Je ne sais pas quoi faire Lei ? Je veux qu’on
rentre. Tu voulais qu’on honore mon père, je l’ai fait aujourd’hui, tant pis
pour le reste. Ils ne veulent pas de moi ici. C’est ma mère qui… Je … ne me
sens pas chez moi ici. Rentrons ou allons à Londres.
Il parle avec colère.
—
On ne peut pas.
—
Putain Leila, mon père est mort. Je n’ai pas brulé sa
dépouille, je n’ai pas jeté ses cendres dans le fleuve sacré.
Je réalise qu’il est en colère contre lui-même. Il se
sent fautif.
Il passe sa main dans les cheveux mouillés et
trésaille quand sa blessure lui fait mal. Il se retient devant moi, je le sens.
Parce que je sais ce que cela fait de perdre un parent, de se sentir orphelin à
jamais. Parce qu’on prend conscience que l’être qui s’en est allé ne reviendra
jamais. Et ce jamais est si terrible à assumer quand on se sent coupable. Je
m’assois sur ses cuisses étendues, prends sa tête et la pose sur mon cœur.
Et mon homme se met à pleurer.
Il essaie de m’éloigner avec force mais je ne le lâche
pas. C’est moi qui ai voulu qu’on vienne. Tout ça c’est de ma faute.
—
Je ne veux pas que tu me vois dans cet état. Va-t-en
Leila.
—
Pleure Alexander, tu en as le droit. Ton père est
mort, ton oncle aussi. Pleure autant que tu le pourras aujourd’hui. Pleure
comme un enfant, laisse la peine t’envahir entièrement. Laisse-les dire que
tout est ta faute. Pleure aujourd’hui Alexander car tu es dans mes bras. Ici tu
as le droit de baisser les armes pour reprendre des forces. Pleure autant que
tu veux.
Ses épaules sont secouées par de violents spasmes. Il
est en train de craquer complètement. Je laisse les minutes s’écouler
lentement. Je ne sais pas combien de temps on est resté ainsi. Puis quand j’ai
senti qu’il commençait enfin à se reprendre. J’ai levé son visage pour qu’il me
regarde bien dans les yeux.
—
Maintenant que
c’est fini. Laisse tout ça derrière toi. La peine que tu as ressentie
aujourd’hui ne disparaitra jamais crois moi. N’essaie pas de lutter contre, ça
ne sert à rien. Elle s’atténuera tout simplement au fil des années.
J’essuie ses larmes et dépose un baiser sur son front.
—
Aujourd’hui,
ils t’ont mis à genou. Ta colère t’as mise à genou. Mais ta tête doit rester
droite et haute jusqu’à ce que tu te lèves. Tu comprends ? Tu vas leur
montrer que tu es ALEALEXANDER
DEVDAS KHAN et ce que
tu as fait dans un pays qui n’était pas le tien, tu le referas ici pour ta
mère. Puis quand le moment sera venu, on partira. Et crois moi, quand tu
passeras devant eux, ils baisseront la tête devant toi. Ce ne sera plus jamais
toi. Plus jamais.
Bon, là ça commence à bien faire. Mais ils veulent
réveiller la panthère en moi où quoi ?