Leila

Write by leilaji

Chapitre 9

 

***Leila***

 

Je le vois remonter dans sa voiture, claquer la portière puis s’en aller. J’ai hésité trop longtemps semble-t-il. Mes collègues qui n’ont même pas remarqué mon désarroi bavardent encore gaiement tous ensemble tandis que je suis là, débout, tremblante, tétanisée, aux bords des larmes. A croire que le sexe me manque à ce point… Oui, il me manque à ce point…

 

Tu viens avec nous ? me demande Nathalie Frange. Ce n’est bien évidemment pas son vrai nom. On l’a surnommé ainsi à cause de l’éternelle frange à la Nicky Minaj qu’elle aborde en tout temps.

 

    Non ça va. Je vais prendre mon taxi de mon côté puisqu’on ne va pas dans la même direction.

 

Ils me saluent tous bruyamment et s’en vont. Je n’arrive pas à croire que j’ai laissé Alexander partir. Je suis en colère contre moi-même. Suis-je comme ma mère ? N’ai-je aucune aptitude à être heureuse ne serait-ce qu’un moment avec un homme ?

Je traîne mon corps et mon trolley sur quelques mètres et traverse la route tel un fantôme en peine. Mes pas sont lourds et lents. Quand je pense que mes collègues ne se sont même pas rendus compte de sa présence ! Je ne suis qu’une imbécile, une idiote, une parano…

J’en suis là dans mes pensées quand une Dodge se gare devant moi.

 

     Monte Leila. C’est la dernière fois que je te le propose.

 

Je me mors la lèvre inférieure de honte mais le regarde en souriant. Il est quand même revenu me chercher. Je peux enfin respirer plus librement. Tout le poids qui m’opprimait la poitrine et me donnait l’impression de m’étouffer s’est comme … envolé ! Il est là ton Xander. Je souris. Je me souris à moi, je souris à lui, je souris au monde entier. Je monte vite fait, avant qu’il ne disparaisse de nouveau par ma faute. Je monte dans la voiture mais … à l’arrière et lui lance un joyeux : « démarrez chauffeur ». Il ne bronche pas. Il sait que je suis heureuse et que je le taquine.

 

***Alexander***

 

Elle y va toujours au culot Leila. Quoi qu’il lui arrive, elle ne reste jamais K.O. longtemps. Et j’aime ça. J’ai vraiment cru qu’elle allait pleurer quand j’ai démarré la voiture et que je suis partie. Elle ne s’attendait pas à ce que je revienne. En réalité, je partais pour ne plus jamais l’appeler. J’étais décidé. Quand je l’ai vu tétanisée, attentives aux moindres mouvements de ses collègues, j’ai compris qu’elle ne voulait pas qu’on nous voit ensemble.  Ça m’a mis la rage au ventre. D’habitude les femmes aiment s’exhiber à mon bras. Elles profitent de la moindre occasion pour me présenter à leur copine, cousine… Ça ne me dérange plus depuis longtemps d’être montré comme une bête de foire. « T’as vu c’est mon mec, il est beau hein… » Elles me saoulent parfois mais je n’y peux rien. ça flatte l’ego tout de même. J’ai donc été choqué qu’elle cherche à me cacher à ses collègues. Sans plus réfléchir, j’ai démarré mais j’avais le plus grand mal à appuyer sur l’accélérateur pour m’éloigner d’elle. Une voix me disait à l’intérieur : « tu sais que son boulot c’est toute sa vie, laisse lui le temps de t’intégrer dans ses plans. » Cinq secondes plus tard, j’ai fait demi-tour et je ne le regrette pas. Le sourire qu’elle m’a servi, méritait amplement que je mette mon ego en veilleuse. Cette femme mérite que je mette mon ego en veilleuse. Même si je ne sais pas encore pourquoi.

 

J’ai fait un détour par le Confidentiel. C’est un restaurant gastronomique situé au bord de mer pas très loin de mon immeuble. Je nous ai pris quelques plats à déguster à deux. D’habitude je vais au Shalimar, mais je ne suis pas sûr qu’elle apprécie la nourriture indienne. Puis on a foncé chez moi. Je n’ai pas fait semblant de lui demander si elle voulait venir chez moi et elle n’a pas fait semblant de me demander « où est-ce qu’on va ? ». Elle n’a rien dit. Elle s’est juste un peu mieux carrée dans le fauteuil passager.  Une fois au bas de l’immeuble dans le parking privé réservé aux habitants du building, je l’ai débarrassée de son trolley et elle a gardé son sac à main. Il pèse une tonne ce truc. Mais qu’est-ce qu’elle a mis dedans bon sang, des codes ! On est monté à mon appartement.

 

Chez moi, elle est allée se rafraîchir un peu pendant que j’apprêtais la table pour qu’on puisse dîner. Il est 19 h 47. Je lui laisse un quart d’heure pour se rafraîchir. Vingt minutes plus tard, tout est fin prêt. Il ne me reste plus qu’à ouvrir la bouteille de rosé.

 

     Leila, à table !

 

Aucune réponse. Je rentre dans ma chambre. Elle est profondément endormie sur mon lit, recroquevillé contre elle-même. Elle n’a même pas pris le temps de se déshabiller. Elle a juste enlevée ses chaussures.

 

     Leila ?

 

Silence radio. Merde. Je n’ai pas pensé une minute à la fatigue du voyage. Pourtant, elle m’avait dit qu’elle avait énormément travaillé à Port-Gentil. Je laisse la bouteille sur la table de travail qui se trouve face à la porte et reviens vers le lit.

 

    Leila !

 

Sa respiration est régulière. Elle dort vraiment profondément. Je monte sur le lit et commence à lui ôter ses vêtements. Sa veste, son chemisier et après une grande inspiration destinée à calmer mes nerfs son pantalon. Je suis moi-même surpris par le sang froid dont je fais preuve en la déshabillant. Il ne lui reste plus qu’un ensemble de coton de couleur noire, soutien gorge et panty. J’étais sûr qu’elle ne portait pas de sous vêtements sexy. L’esprit pratique jusqu’au bout hein Leila ! Mon regard glisse sur son corps à la peau couleur chocolat. Elle a une poitrine menue. Sa taille est fine. Mon regard descend plus bas. Ses hanches sont parfaites. Je ne peux m’empêcher de faire courir un doigt sur la rondeur de ses fesses. Elle ne bouge même pas. J’étains les deux veilleuses mais laisse la télévision allumée.

 

Je crois qu’il me faut maintenant une bonne douche, bien glacée.

 

***Leila***

 

J’ouvre un œil puis un autre. Je ne suis pas chez moi, ni à Port-Gentil. Puis les souvenirs me reviennent. Merde, je me suis endormie. Oh la bourde, je me suis endormie. Ce n’est pas croyable d’être aussi… j’ai envie de m’étrangler. J’ose même plus bouger. S’il est dans le lit avec moi, je crois que je vais disparaître sur le champ. Je me regarde. Pourquoi je suis déshabillée ? A non, je ne suis pas complètement déshabillée, j’ai mes sous-vêtements. Hum et t’en es fière ?! Je remarque enfin le bras en travers de mon ventre. Le bras d’Alexander me retient tout contre lui !

 

C’est vraiment étrange. Posé sur ma peau ainsi, je ne peux que remarquer la différence de couleur.  

 

    Arrête de bouger, je n’ai pas envie de me réveiller, je suis trop bien là, marmonne-t-il tout contre mon cou.

     Je suis vraiment désolée… pour hier soir, je bégaye de gêne.

    T’étais fatiguée.

 

Ouf. Il ne l’a pas mal pris. C’est un ange quand il veut, n’est-ce pas ?

 

Il me serre toujours très fort contre lui et à mesure que l’étreinte se resserre, je sens quelque chose de dur dans mon dos. Seigneur Xander ! Ses réactions matinales n’ont rien d’angéliques.

 

     J’ai passé une nuit vraiment merdique. Que comptes-tu faire pour te faire pardonner ?

     Rien.

 

Je sais vous avez envie de me donner des claques ! En réalité je suis tétanisée. Je ne sais pas quoi faire. Ce n’est facile pour tout le monde, de se mettre quasiment à tourner des  films pornos avec un homme qu’on connait à peine. Je ne sais pas quoi faire. L’embrasser ? Oui mais vu l’état dans lequel il est, il va vouloir passer au plat de résistance et là ça va être la monumentale déception pour lui et après il ne voudra même plus de moi. Je ne veux pas qu’il me rejette. Je me tance pour me lancer. Il faut que j’essaie de lui plaire, de lui faire plaisir. C’est ce que tous les hommes aiment n’est-ce pas ?

     Leila, je t’entends réfléchir.

     Et à quoi je pense ?

     Tu veux rattraper le coup.

 

Je me retourne dans ses bras. Comment peut-il toujours savoir ce à quoi je pense ? Je ne suis pas transparente à ce point quand même. 

 

     Prends ton temps.

 

Puis il se lève et réajuste sa chemise. Mais le geste n’est pas assez rapide pour que je remarque le début d’une cicatrice sur son dos. Je l’arrête avant qu’il ne se lève.

 

     Qu’est-ce que t’as sur le dos ?

 

Il se crispe. C’est la première fois depuis longtemps que je le sens mal à l’aise. Il passe une main nerveuse dans ses cheveux mais ne répond pas.

 

     Rien d’important.

    Je veux voir.

     J’ai dit que ce n’était rien d’important.

     Donc c’est comme ça que ça marche avec toi ? Moi je dois me livrer entièrement et toi tu gardes tes secrets ?

 

Il se lève brusquement. Je crois qu’il n’a pas apprécié ce que je viens de dire. Son visage se durcit.

 

     Leila on va juste baiser ensemble. Pas se marier. Alors pas la peine de crier au scandale quand je ne veux pas répondre à une de tes questions.

 

C’est à moi qu’il parle comme ça ? Au moins ça a le mérite d’être clair. Je me lève du lit et commence à chercher mes affaires.  Je n’ai plus rien à faire ici. C’est Elle qui va entendre de mes nouvelles ! Vas-y lâche toi, couche avec lui. Je ne l’ai même pas encore fait qu’il me manque déjà de respect. Pourtant c’est la seule chose que je lui demande non ?

 

Il me regarde prendre mes affaires et ne fait rien pour m’empêcher de partir. En fin de compte il quitte même la chambre. Bon débarras ! Je m’habille quand j’entends la porte claquer. Il est parti ?

Je le suis, histoire de bien lui dire le fond de ma pensée quand je me rends compte qu’il ma enfermée dans l’appartement. J’ai beau pousser sur la poignée de la porte. Je suis coincée. Putain mais quel bâtard !

 

***Alexander***

 

Après ce que je lui ai dit par colère, je n’étais pas franchement prêt à m’excuser. Mais je ne voulais pas non plus qu’elle s’en aille alors je l’ai enfermée. C’est une idée stupide je sais. Quand je vais rentrer, je crois bien qu’elle va me jeter du 7e étage. L’idée me fait sourire et je me rends compte que je ne suis plus aussi en colère que je le croyais. J’ai envie de rentrer la retrouver mais … je vais la laisser encore un peu pour ma propre sécurité !

 

***Leila***

 

Il est presque 21 heures et je me suis résignée à l’attendre pour qu’il m’explique à quoi rimait son geste. On se tourne autour comme des gamins ça commence vraiment à me fatiguer.

Je suis sur le balcon  exposé sud dans un jacuzzi. Je me fais plaisir. Après avoir dormi toute l’après midi, j’ai tourné en rond dans l’appartement, mangé ce que j’ai trouvé dans le frigidaire, fouillé un peu les tiroirs, trouvé des trucs intéressants. En fin de compte j’ai atterrie dans le jacuzzi, nue. Je n’avais pas de maillot dans mes affaires et je n’allais pas mettre inutilement un sous vêtement alors qu’il n’y avait personne avec moi.

 

J’ai mis de la musique. Un cd trouvé à côté de la chaîne stéréo. C’est de la musique indienne. La voix de la femme est douce et me berce. Je ne comprends rien à ce qu’elle raconte mais j’ai comme l’impression que sa voix est une plainte qui déchire le cœur. C’est sûr que ça parle encore d’amour ça. Ils aiment bien les histoires d’amour contrariées.

 

L’eau est chaude, à la bonne température. Je contemple le ciel étoilé et me demande ce que je fais là, toute seule comme à mon habitude. La lune est pleine. Elle éclaire le balcon de sa douce lumière pâle. Je finis par me rendre compte que cette chanson me rend triste, elle m’oppresse. Comment une aussi belle voix peut-elle faire aussi mal ? Pourtant je ne comprends pas ce qu’elle raconte. Il faut que j’arrête cette musique. Je me lève du jacuzzi quand Alexander apparaît juste à l’entrée du balcon. Je suis nue. Il tire la baie vitrée et avance sur le balcon. Le seul réflexe qui me vient à l’esprit c’est de poser doucement mon bras sur ma poitrine. Je suis toujours debout et la voix de la chanteuse, cette voix si douce mais pourtant si plaintive me tire une larme. J’ai l’impression que sa plainte est la mienne. Mais c’est quoi ce délire, mon cerveau ne tourne pas rond en ce moment.

 

Où était-il donc ! Pourquoi s’est-il détourné de moi ainsi, aussi subitement. Alexander s’avance encore. Je n’ai toujours pas bougé du jacuzzi. Il avance toujours et monte dans le bassin tout habillé à l’exception de ses pieds nus. Il tend la main vers moi. Mais je recule. Je ne veux pas qu’il me touche. Il avance encore et baisse ma main pour contempler mes seins fièrement dressés. Je suis subjuguée par le désir que je lis dans ses yeux. J’ai la balustrade dans le dos. Je ne peux plus reculer d’avantage. Je détourne mon visage du sien pour qu’il ne me voie pas pleurer. Mais la lumière de la lune nous éclaire et rien ne lui échappe. Il pose sa main sur ma nuque et m’embrasse puis lèche sur mes joues mes larmes. Le monde autour de moi disparaît. J’oublie tout. Mon Dieu j’oublie tout. Tout ce que je désire est là près de moi, dans cette eau brûlante avec moi, dans cette eau brûlante en moi. Je l’embrasse à en perdre haleine.  Ses mains me parcours, à la fois tendres et intrusives. Ses caresses vont me faire perdre la tête. Ses mains toujours, ses mains empoignent mes fesses et finalement me soulèvent. J’accroche mes jambes à ses reins tandis que d’une simple pression de ses hanches, il me soutire un gémissement. Ses lèvres courent sur mon visage, mon cou. Ses baisers me donnent la force de le désirer encore plus que je ne l’aurais imaginé. Finalement, il s’arrête. Et je le regarde.

 

    A Londres, j’étais dans un internat privé pour gosses de riches. Avec ma couleur de peau, j’ai tout de suite été adopté par les petits blancs. Je voulais tellement m’intégrer, appartenir à leur groupe que je n’ai pas réfléchi plus loin. Un jour, ils ont découvert dans mes affaires, une photo de ma famille. Il faut dire que sur la photo, il y avait quasiment toutes les couleurs. Ma mère est une indo-pakistanaise, elle est très claire de peau, c’est à elle que je dois mes yeux verts et ma couleur de peau. Mon père est un indien plutôt noir de peau. Quand ils ont découvert mes origines, j’ai eu droit à une correction qui m’a envoyé aux soins intensifs. J’ai failli y laisser ma peau au sens propre comme au sens figuré. D’où les cicatrices sur mon dos. Elles ne sont pas belles à voir, je peux te l’assurer. Je n’aime pas les montrer. Alors s’il te plait, Leila …

 

Je l’embrasse et quitte ses bras. Il me regarde. Je lis les sentiments qui l’animent dans ses yeux. Il me croit… dégoûtée ? Je le contourne doucement et une fois derrière lui, je le reprends à nouveau dans mes bras. Moi… dégoûtée ? Mais pourquoi ? Son visage est parfait mais son corps porte les cicatrices de son histoire personnelle. Et alors, je veux connaitre son histoire personnelle. Je veux le connaitre entièrement. Je veux connaitre l’homme qui sa cache derrière la réussite, derrière l’arrogance qu’il affiche. J’embrasse son cou puis descends plus bas. J’embrasse ses cicatrices. Il ne peut s’empêcher de tressauter quand il sent mes lèvres sur sa peau. Moi dégoûtée ? Mais pourquoi donc ?

 

Je remonte tout doucement et lui murmure à l’oreille :

 

Je te veux. 

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